vendredi 15 octobre 2010

JiM MORRisON WHeN You'Re STRaNGE



Parfois le cinéma ressemble à ce que notre époque peut offrir de pire. Savoir que des millions de dollars vont être engloutis pour un énième film de Scorsese sur la mafia, avec De Niro dans le premier rôle ou, plus effroyable encore, que Leo Di Caprio devrait incarner Frank Sinatra dans un biopic signé par le même gonze, voilà de quoi bailler en attendant que ça leur passe.

Parfois le cinéma ressemble à ce que notre époque peut offrir de plus excitant. Le nouveau Tom DiCillo devrait illustrer parfaitement ce cas de figure. Le New Yorkais est un cinéaste peu prolixe, mais chacune de ses offrandes méritent notre intéret. A l'instar de Johnny Suede et Box of Moonlight, ses films  embarquent et retournent l'esprit longtemps encore après leur visionnage. 
Entre réalisme et poésie, DiCillo sait toujours doser avec talent, et nous permet, via ses œuvres, de découvrir une part de l'âme humaine qui n'est sans doute pas la plus facile à filmer. 
Pour cette raison, j'espère que son When You're Strange, annoncé pour Juin, trouvera asile dans une salle de quartier. DiCillo qui cause de Jim Morrison, ça m'interpelle, ça excite ma curiosité.


Des Doors, j'aime les Blues. C'est dans ce registre que Morrison touche à l'excellence. Peu enclin au Rock'n'Roll, même s'il cita Gene Vincent et Elvis Presley parmi ses influences, le chanteur est surtout raide dingue des crooners, du Jazz et plus encore du Blues du Delta ou de Chicago.
L.A Woman, Absolutely Live et le premier album, que j'ampute systématiquement de Light my fire, peuvent suffire à mon bonheur, même si, tordu comme je suis, celui que j'écoute le plus souvent reste ce Strange Days aux éternels parfums de nuits adolescentes. Allez comprendre. Les souvenirs c'est pas rationnel comme concept. Et puis c'est sur celui là qu'on trouve ce I can't see your face in my mind entre Blues et Mambo.




Musicalement les Doors ont globalement raté une bonne partie de leur discographie. La faute à un Morrison qui après deux premiers albums splendides, concis et efficaces, autant dire une exception dans le paysage Rock californien de l'époque, se désintéresse complétement de son groupe, préfère s'exploser les neurones aux psychotropes et à l'alcool plutôt que de se donner la peine de torcher des mélodies. Manque de bol, ni Krieger, ni Manzarek n'ont le moindre talent dans ce registre, et Waiting for the Sun, comme The Soft Parade, ne sont empreint que de prétentions. Allez, je sauverai du naufrage ce Five to one sauvage au texte en forme d'appel à la violence, comme par hasard l'une des rares compositions signées du chanteur, et The Soft parade aussi, pour son groove et son arrogance. Il faudra attendre Morrison Hotel et surtout L.A Woman, teinté de Funk et nourrit au Blues, pour que le bonhomme s'investisse et que les Doors enregistrent à nouveau de quoi marquer les esprits. The Changeling, façon Booker T & the MG's, Been down so long, The WASP, le Crawling king snake de John Lee Hooker, et finalement la totalité du disque l'impose comme un incontournable. Aidé par le guitariste Marc Benno et le bassiste d'Elvis, Jerry Scheff, le groupe se forge un son noir et compact qui fout au rencard toutes les branlettes pseudo-classiques auxquelles aspire un Krieger farouchement casse couilles. 


Ouais, pour apprécier les Doors, faut savoir trier. Mais qu'importe, Morrison sait poser sa voix et en arracher quelque chose qui s'apparente à une putain d'émotion forte et c'est bien tout ce qu'on demande à un chanteur. Du moins ça aurait été bien qu'on ne lui demande que ça. Mais le peuple a faim de légende et, coquins comme ils sont, les marchands du temple vont lui en donner. Jusqu'au ridicule. Roi lézard par ci, Dionysos par là, Jim Morrison, au delà de sa vie, sera encensé et mythifié à tel point qu'on se farcira pendant plusieurs décennies toute une brochette de bellâtres poético-pompeux s'imaginant être sa réincarnation !



Stop the bullshit ! Morrison, je le vois plutôt comme un croisement entre Bukowski et le Duke du Big Lebowski. Une vie entière consacrée à foutre les pieds dans le plat ! A faire chier les cons !  A se torcher la gueule dans les rades.
On a tout lu sur lui, premier Punk pour les uns, idole baba pour les plus illuminés. Dans les faits, le gars, avec son goût pour le glauque, a servi de prototype à Alice Cooper et Iggy Pop, lequel n'oublie jamais de sortir sa bite sur scène en hommage à celui à qui ce geste vaudra de finir son existence sous la menace d'une condamnation à de la prison ferme. On ne rigolait pas avec l'outrage à ce moment là. Surtout quand Nixon pouvait au passage se débarraser d'une grande gueule. Pour cela, je dirais des hippies des 60's que le plus insignifiant d'entre eux était plus subversif que le plus revendicatif des prétendants actuels au titre. Pas besoin de mater Easy Rider en boucle pour piger que de se trimballer avec les douilles longues dans les 60's s'avérait un brin plus dangereux que de se prétendre punk en 2010.



Bref, Morrison on nous en a cassé les bonbons plus que de raison, et il existe même un film pour finir de le rabaisser au rang de brave couillon.
Pour toutes ces raisons, je croise les doigts pour que Tom DiCillo, avec When You're Strange, nous réhabilite le bonhomme façon humain. A voir la bande annonce avec son Morrison barbu et halluciné derrière son volant, j'ai bon espoir. S'il est allait rechercher les rushes de HiWay, le court métrage réalisé par le chanteur, ça ne devrait pas être pour rien.
Entendre, enfin, causer de manière juste et raisonnée du gars qui décrivit le Los Angeles d'alors comme Selby décrivait New York. Des rats crevés plein les rues, des créatures malsaines dévorant les âmes des plus faibles comme au banquet des damnés. Le Morrison obsédé par le désert, les cimetières indiens et les rites occultes. Celui des bars. L'acharné préférant déclarer morte sa famille toute entière plutôt que de se reconnaître des attaches, à l'exception de la beauté rousse qui l'accompagna jusqu'à la fin, Pamela Courson

                                    
Comme d'autres décriront un Londres sous la menace des eaux, Jim Morrison tire le portrait à un Los Angeles des ombres qui ne tardera plus à enfanter les crimes de Charles Manson. De texte gore sur un œil arraché jusqu'à des visions d'apocalypse imminent, il aura raconté le revers du rêve américain au sein même de la ville qui l'incarne au mieux.
On est bien loin de l'été de l'amour, soudain.


Hugo Spanky


8 commentaires:

  1. waiting for the sun et the soft parade sont des naufrages?

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  2. Que nenni.

    Ils ont beau avoir la réputation d'être les moins bons albums de The Doors, ils sont pas ausi catastrophiques qu'on voudrait nous le faire croire. Tout n'est pas à jeter dans ces deux albums, du moins ça n'engage que moi.

    Ceci étant dit, l'article est très intéressant à lire. J'ai toujours été fasciné par la personnalité du Lizard King, à des années-lumière de la caricature de la rock-star débauchée. Et sa voix de dément me file des frissons à chaque fois.

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  3. Yo, moi non plus ne suis pas d'accord avec ton avis sur Waiting For the Sun, je pense qu'il faut savoir l'écouter dans un autre registre. Si les deux premiers albums sont, en apparence, semblables, aucun est identique et c'est peu de le dire. La preuve, j'ai mis du temps à encaisser LA Woman.
    Pour moi les Doors, c'est mes 16 ans, pas mes 15, ni mes 17, mes 16 ans et quelque soit l'image que j'en ai eu, c'était super fun.
    Faut-il vraiment un film? J'ai appris l'anglais avec mes disques et Strange Days y a beaucoup participé (la même année que Wandering Spirit), dedans, je pense qu'on peut découvrir le Jim. People are Strange, love me two time, music 's over, ce disque aurait presque pu s'appeler I can see your mind in your face.
    Pour le film d'Oliver Stone, je l'ai revu il n'y a pas longtemps, il se bagarre avec cette légende que tout le monde veut voir dans les scènes les plus fluides et cette face plus sombre dans des scènes plus pataudes. Si j'ai eu l'impression de perdre mon temps, j'ai trouvé osée cette scène a Miami dans laquelle il embarque le public dans son rite pseudo shamanique et j'aurai aimé en voir plus des sessions de LA. Woman.
    Pour le reste, t'es un peu vache avec les zicos qui ont contribué au son du groupe. Ce ne sont que des gars qui ont monté un groupe et ça a marché pour eux, et je pense qu'ils ont pris leur pied pendant ces quelques années. Cette transe leur a permis d'exploiter leurs capacités au maximum, capacités qui ont été aspirées par le trou noir qu'est la mort de Jim. Heureusement qu'ils n'ont pas tenté de faire grand chose par la suite, ça contribue au coté mystique du combo.

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    1. Ha, les Doors et l'avis de chacun...Perso, j'en reste à ce que j'ai écris, je me trouve assez tolérant envers eux et même plutôt indulgent. Waiting for the sun et The soft parade c'est des albums pour fans, d'ailleurs Big Jim lui même les trouvait à chier, c'est dire, après chacun s'attache à un disque selon des critères tellement aléatoires que ça en devient intime.
      Pour les deux premiers albums, ils les ont enregistrés en même temps, comme souvent à l'époque et par la suite aussi parfois (les Van Halen I & II par exemple) les groupes gravaient tous leurs morceaux de scène lors de leur premier séjour en studio et en tiraient deux ou trois albums qu'ils ne faisaient que compléter. Ce qui explique le gros trou que l'on retrouve dans beaucoup de discographies au moment de se renouveler pour composer la suite.
      Les Doors sont retombés sur leurs pattes avec Morrison Hotel, en abandonnant les longues improvisations boursouflées et autres collages plus ou moins réussis. Ce n'est pas être vache que de dire que Krieger et Manzarek n'étaient pas des compositeurs à tomber par terre, ils n'ont jamais plus rien enregistré d'indispensable après la mort de Morrison et je te trouve bien gentil de dire qu'ils n'ont pas tenté grand chose sans lui, entre les deux albums Other voice et Full circle, son remplacement foireux par Iggy Pop le temps de quelques concerts, l'album bidouillé American Prayer (une purge qui démontre bien leurs maigres capacités) puis les tournées avec le mec de The Cult, je trouve que ça fait pas mal tache tout ça. Sans parler des live plus ou moins honnête comme celui à l'Hollywood Bowl et ses titres soit disant inédits qui sont en fait des bribes de 2mns piquées à Celebration of the lizard et renommés pour faire baver le fan. Ou les procès qu'ils se sont fait les uns aux autres puis les uns unis aux autres pour s'attaquer à la famille de Pamela Courson à la mort de celle ci afin de contester l'héritage de Morrison qui se retrouva entre les mains du père de la belle rouquine de son cœur.
      Bien sordide tout ça et le temps n'arrangea rien puisque John Densmore fit un procès de plus aux deux autres dans les années 2000 pour leur interdire de tourner sans lui sous le nom des Doors ce qui fit naître les Doors of the 21st century (!) puis les Riders on the storm (!!) lorsque le terme Doors leur fut totalement retiré.
      Bref, une bien belle histoire d'amitié et d'anti-capitalisme mystique tout ça...enfin presque.
      Hugo Spanky

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    2. Ok,ok, je pensais surtout qu'ils ont bien fait de ne pas insister. Mais ils ont insisté quand même. Quoique j'imagine peu d'implication sur American prayer, lizard bidule et autres machins chose qui me semblent dus aux maisons de disques. Là ou je tiens à les défendre, c'est en tant que partie intégrante du groupe et non comme faire valoir. Si eux sans Jim ne sont pas grand chose, le contraire est vrai aussi.
      Du coup hier, j'ai réecouter Waiting for the sun et on est d'accord qu'il y a un gros coup de moins bien mais j'aime bien les petites chansons dedans du genre the river knows, my wild love. Mais de là à le mettre dans le même sac que soft parade...
      Le theme de Soft parade qui, en passant, est très réussi par Sweet Smoke et bien intégré dans Baby Night, mais ça, c'est à partir de mes 17 ans.
      Densmore n'est pas au courant mais il était toujours aux toilettes (avec Bill Wyman ;) ) lors des enregistrement des meilleurs morceaux. (Ah ouais, moi aussi je peux être vache, c'est cool en plus c'est facile)

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  4. Voici un papier qui remonte, normal en lien avec ton dernier. Je viens de finir le documentaire de Tom DiCillo. Sobre, posé. J'ai découvert le titre "Wild Child".
    Contrairement au livre il s'agit tout de même des Doors avec de la place pour les trois autres, c'est l'histoire des Doors, là ou le bouquin annonce la couleur: Jim Morrison.
    Un artifice qui fonctionne bien chez moi: des images disparates de concerts avec un titre en musique, plus vivant que le play-back finalement.
    Un commentaire peut-être un peu trop "en dedans"
    Il me reste à découvrir les films de Tom DiCillo
    Merci 10 ans plus tard!!

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    1. Ne perd pas une seconde, les films de Tom Dicillo sont un bonheur rare. Le summum du cinéma new yorkais. Il n'en a pas fait beaucoup, tu risques de passer plus de temps pour les trouver que pour les regarder. Mon préféré est Box of moonlight (avec le fabuleux John Turturro), mais Ca tourne à Manhattan, Johnny Suede ou Une vraie blonde sont tout aussi bons.

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