mardi 10 octobre 2023

Comment occuper la canicule sans sortir de chez soi



Tout commence par une envie de reggae venue de je ne sais où, sans doute des 38 degrés dans lesquels j'étais cloitré, semi-catatonique, moulé dans un fauteuil, n'usant de mouvements que pour attraper alternativement la bouteille d'eau à ma gauche et la bombe de Catch insecticide à ma droite. Aussi pour convoquer les disques sur la feutrine dans un effort dont la simple pensée m'épuise encore. 

Mon stock de vinyls aux couleurs jamaïcaines prend la poussière depuis une bonne vingtaine d'années et s'est réduit au fil des ans à une poignée de B.O, celles de Rockers et The Harder They Come. C'est d'ailleurs par là que j'ai calmé les premiers symptomes. Pas par les B.O, non, aussi impeccables soient-elles, je ne les ai même pas tirées de leurs pochettes. Au lieu de quoi, je me suis calé devant la télé et j'ai dégainé les MKV par une solitaire nuit de canicule. Les deux films n'ont pas pris une ride et continuent à faire la nique à tous les biopics et autres farces qu'on propose au menu du Jacques Borel des derniers croyants. J'ai ri, j'ai vibré, j'ai dansé nu sous les étoiles, tout ça en conservant des urines plus irréprochables que celles de Vinegegaard après un contre la montre.

Seulement voilà. J'ai beau avoir retrouvé un semblant d'exaltation tropicale, il n'en demeure pas moins que la production discographique de l'ile m'emmerde joyeusement dans sa grande majorité. Autant j'apprécie de me laisser éblouir par les pépites diffuses qui habillent Meurtres au Paradis, autant écouter un album entier de Studio One, ou Jah sait qui, m'apparait comme un défi. Pour situer, Could you be loved est en ce qui me concerne le pinacle de la carrière de Bob Marley, et New Age Music celui des Inner Circle de Jacob Miller. Je peux jurer avec une irréprochable sincérité qu'aucun chanteur n'ensorcèle mieux que Gregory Isaacs, pas même Julio, et poser More Gregory sur la platine si prestement que celui qui aura prétendu l'inverse n'aura pas eu le temps de fermer son clapet puant. Pourtant, c'est plus fort que moi, ce que je préfère dans le reggae ce sont les effluves de disco que les plus malins ont su y glisser. 

A ce jeu là Third World est au dessus de tous. En quatre albums (les quatre premiers) le groupe a mitonné un melting pot agrémenté d'un don pour la composition accrocheuse jamais pris en défaut. Chez Third World on entend le reggae dans ce qu'il a d'authentique (suffit de se pencher sur leur version du Satta massagana) jouer du coude avec Earth, Wind and Fire, Santana et la bombe à quatre temps on the floor la plus plombée de ce côté ci de Saturday Night Fever. Des titres! Des titres! scande la foule en délire qui ne trouve de tels propos nulle part ailleurs qu'ici. Démerdez-vous leur répond l'écho. Vous ferez peut être de belles rencontres en chemin.

Je dis; la disco a régénéré le reggae et sauvé le rock bien plus concrètement que le punk ou la new wave. Combien de survivants des sixties lui doivent le plus inespéré sursaut de leur carrière ? Combien lui doivent carrément leur carrière ? Même les plus improbables ont tâté du son caractéristique de ses productions. 



De 1975 à 1980, les albums de disco ont apportés fraîcheur, énergie, humour, audace, sexe ! Des disques anonymes le plus souvent, le même artiste ou producteur (en matière de disco ça revient souvent au même) utilisant fréquemment une multitude de pseudonymes pour graver des disques singuliers, anti-conformistes, inspirants. La New Wave anglaise, la No Wave de New York, la House de Chicago, la French Touch, la Makina espagnole, l'Electro, la Dance, la Techno doivent leur émergence à l'un de ces disques, le mythique I feel love créé par l'association de Giorgio Moroder, Pete Bellotte et Donna Summer. I fiiiil love. Aujourd'hui encore, Jimmy Sommerville fait ses rappels sur un mash up de Highway to hell et I feel love et chaque soir, invariablement, il fait un tabac monstrueux. Parce qu'il touche là à des chansons qui transcendent la notion de goût individuel. Et si Highway to hell appartient toujours à AC/DC, il y a longtemps que I feel love appartient à tout le monde. 
De Love to Love You Baby (1975) à Bad Girls (1979) peu de discographies peuvent se targuer d'un aplomb comparable à celle de Donna Summer, d'un tel alignement méticuleux de hits implacables, pourtant I feel love garde quelque chose d'unique, quelque chose de si puissament libérateur que l'humanité entière en comprend instinctivement les arcanes. Le hasard -ou des forces si dangereusement complexes que le Pentagone a choisi de les garder secrètes- a fait que ce titre déjà hautement hypnotique et sensuel s'est trouvé gratifié d'un clip à une époque où ils étaient plus rarissimes qu'une bonne nouvelle sous l'ère Macron. Chaque diffusion altérait l'environnement dans lequel elle avait lieu, d'un côté de l'écran comme de l'autre. Guy Lux, Drucker ou Carpentier paraissaient soudain dotés d'une importance vitale. Mais était-ce seulement un clip ou la parade nuptiale d'une femme cobra en lamé noir ? 

Je m'emporte ? C'est fort possible. Il n'en demeure pas moins que Jimmy Sommerville a pigé ce que le rocker lambda nie, ou est incapable de déceler, à savoir qu'il n'existe aucune antidote à la disco. Par même le Hard Rock, surtout pas le Hard Rock. Les disques post 1978 d'ACDC, Van Halen, Scorpions, ZZ Top...sont mixés comme de la disco. Tous ceux qui se sont infiltrés dans le top 10 des charts armés d'une guitare saturée le doivent à un mixage disco ! Quiconque a connu les premières heures du walkman sait ça. Touch too much pulse de la grosse caisse, Runnin' with the devil sonne comme les Ohio Players, Make it real not fantasy lustre le dancefloor. La preuve ultime étant que les filles aimaient ce hard rock au groove massif au même titre qu'elles aimaient Sylvester. Sans se poser de questions. Parce qu'on peut danser dessus autrement qu'en se flinguant les cervicales. Et nous, trop cons, de croire que c'était pour les belles gueules de Klaus Meine, David Lee Roth ou Bon Scott. Et de vouloir leur ressembler ! On est fait de quoi ? Quelqu'un peut dire avec lucidité qu'un de ces trois là a une BELLE GUEULE ??? En musique, et peut être dans bien d'autres domaines, les filles ont toujours raison. 




J'appâte le chaland avec mes histoires de filles, mais ne vous y trompez pas, le rock avait plus besoin de la disco que l'inverse. Un mensonge éhonté prétend que ce serait une musique pour singles, trois minutes dans le juke-box pour le quota tolérance et on passe à autre chose. Au delà du fait que le rock'n'roll originel est bâti sur le même calibre sans qu'on y trouve à redire, la disco se consomme également au format longue durée. Et pas qu'un peu. Des versions extended ont régulièrement inoculé la fièvre à des maxi démentiels et les albums du genre ont permis l'élaboration d'un lyrisme péplumesque nerveux du popotin. 

Et en matière de longue durée Alec R. Costandinos était un maitre. Mettez la main sur son Romeo & Juliet en 5 actes, un de ses deux chef d'oeuvres, l'autre étant le premier album de Love and Kisses. Mick Jagger en a dévalisé l'Act III pour en faire le Too much blood des Rolling Stones. Pour les paumés Too much blood se trouve sur Undercover, un disque de 1983 qui à deux reprises nous les laisse entendre faire preuve de pertinence, avant qu'ils ne sombrent corps et âmes dans la sénilité qui les anime encore aujourd'hui. Imaginez la gueule que ça aurait eu si les fabuleux Rolling Stones avaient splitté après un ultime maxi sanguinaire, l'explosive version extended de Too much blood en face A et celle de Undercover of the night en face B. Sur la pochette, le canibale japonais en recto crado relifté par Warhol et au verso Bianca, robe Chanel déchirée, à demi nue au milieu de quelques pathétiques guerilleros sud américain. Malheur, ils auraient fait la nique à Clash. Le rock en aurait gardé sa dignité. Au lieu de quoi, je vous conseille avec insistance de placer vos billes sur Alec Costandinos plutôt que sur l'ignominie qu'ils nous réservent pour les fêtes de Noël. Et puisque j'évoque la nativité, sachez qu'adapter William Shakespeare en disco ne fut qu'une péripétie dans le parcours d'Alec Costandinos, il en fit autant avec Le bossu de Notre Dame cher à Victor Hugo, non sans avoir entretemps breveté, sous le pseudonyme Sphinx, rien de moins que la disco biblique avec l'album Judas Iscariot !



Autre lieu commun, la disco serait bête à bouffer du foin. Ses protagonistes ne connaîtraient de la vie que strass et paillettes. Et de choquer les bonnes âmes en se comportant exactement comme elles l'espéraient. Cachez donc ces corps qui s'épuisent de plaisir sous les stroboscopes. Quelle sorte de métèques faut-il être pour se fourvoyer auprès de pareilles créatures ? Pour la liberté de chacun et de chacune à disposer de son corps, pour la visibilité des minorités raciales, l'homosexualité revendiquée, l'indépendance des femmes, la disco a fait plus que vingt années de folk contestataire. Saturday Night Fever film décérébré ? Plutôt une dérangeante mise à mal du culte du macho. Ce qui me fait penser qu'il faudra que je prenne le temps de discourir à propos de Looking for Mister Goodbar. Cinéma et séries télé ont bonne mine dorénavant de glorifier le mythe du mâle alpha des années 70, la vérité est que cette décennie fut d'inspiration homosexuelle. Les opportunistes de l'entertainment ont largement puisé à cette source, mais quand le sida ravagea le milieu new-yorkais aucun n'a manqué de tourner le regard vers les misères consensuelles du tiers monde plutôt que de monter au front face à une hécatombe qui empilait les cadavres en bas de chez eux. Il sera toujours temps de se revendiquer de Keith Haring plus tard. En 1985 alors que l'épidémie faisait rage depuis le début de la decennie, ce n'est que sous couvert que le Live Aid versa une part de ses recettes à la lutte contre le VIH. Rien ne change jamais là où le courage est absent. Les crétins d'américains qui avaient saccagé le mouvement disco en sacrifiant des disques à la mi-temps d'un match de baseball, fiers comme Artaban d'étaler leur bêtise la plus crasseuse, répondant à l'appel d'un encore plus crétin qu'eux, sont les mêmes qui avaient brulé les disques des Beatles ou empêché Elvis d'être filmé là où l'action est. Un ramassis de dégénérés congénitaux effrayés par le sexe, le sexe entre même sexe, le sexe entre races, les accoutrements déviants, l'art de vivre au dessus de la médiocrité par la simple volonté d'être soi. Que des membres de la communauté rock aient pu se revendiquer publiquement de tels actes, sans que quiconque ne leur oppose d'arguments, est symptomatique des dérives d'une sous culture d'initiés lorsqu'elle devient culture de masse par le seul biais d'un commercialisme forcené. Elle renie ses convictions fondatrices sans même les avoir jamais assimilé. Ou comment quelque chose qui avait un sens devient la caricature de son contraire.




Tant de considérations socio-idéologiques ne m'ont pas empêché d'être, avec mes albums disco, aussi con que Brassens avec son bouquet de fleurs. Une fois mes incontournables vinyls passés en révision, une fois épuisées les découvertes du dimanche, je me suis trouvé dépourvu de cartouches pour alimenter mon addiction. Comme à mon habitude, je suis allé lorgner du côté des blogs. Les quelques recherches effectuées au moment de ma phase reggae m'avaient laissé fort circonspect, les blogs sur le sujet sont pour ainsi dire inexistants et les forums sont invariablement peuplés de fanatiques incapables d'émettre le moindre avis personnel. Ce n'était rien comparé au néant qui entoure la disco. Pour une fois que la France pourrait se vanter de quelque chose en matière de musique, tout le monde s'en désintéresse. Sur ce coup là, on est à l'origine de tout ! Alec Costandinos, dont je vous causais quelques centimêtres plus haut, n'est pas français, certes, mais il aurait pu ! C'est nous qui lui avons servi de rampe de lancement (sans qu'on s'en rende tellement compte). Et Cerrone ? Il est belge, peut être ? Alors, bien sur, sitôt qu'un gars s'appelle Raymond Donnez, il devient Don Ray sur les pochettes, du coup on y perd en traçabilité. N'empêche que c'est une pointure et qu'il est français. Au moins autant que Space et Space Art qui nous en bouchèrent un coin en apparaissant casqués et saturés de parasites à une époque où les frères Bogdanoff ne s'étaient pas encore matérialisés sur notre planète. Deux combos à géométrie variable au sein desquels on retrouve des pointures tel que Jannick Top (de Magma puis à peu près tout le monde) et le guitariste Patrick Rondat (qui aura son heure de gloire lors de l'avènement du hard rock français), le tout pour un résultat largement influencé par Daft Punk (à moins que ce ne soit l'inverse). Synthétiseurs futuristes vulgarisant les plaines lugubres de Mike Oldfield pour en tirer des hits aussi séduisants que les albums étaient médiocres; Onyx pour Space Art, Magic fly et l'épatant Prison pour Space. Tout ceci remplissant si bien les caisses de Vogue et Carrère que tout le monde s'y colle. Les historiques en quête de renouveau comme Barclay, mais pas seulement. Faute de proposition, dès 1976 Cerrone fonde Malligator pour sortir Love in C Minor et encaisse le pactole en devenant au passage détenteur de l'ensemble des droits sur ses productions. Les labels antillais dont la communauté est friande de rythmes nouveaux lui emboitent le pas, tandis que beaucoup d'autres, régulièrement financés par le milieu de la nuit, sont fondés pour des raisons qui nous échappent. Ainsi Fauves Puma de Nicolas Skorsky réinjecte les bénéfices du succès national de Rémy Bricka (le gonze avec des pigeons sur la guitare et une grosse caisse dans le dos) pour créer de toutes pièces Santa Esmeralda avec qui il cartonne à l'international avec une reprise de Don't let me be misunderstood à mettre les Gypsy Kings sur le cul. Skorsky finira en cold case égorgé chez lui après avoir collaboré avec à peu près tout le monde, de Quentin Tarantino à Sophie Favier jusqu'au milieu du rap français. Elle est là la véritable histoire des labels indépendants.



A ce stade de contamination j'avais développé un groove corporel permanent entretenu par un engouement soudain pour Madleen Kane. Ecrasé par la chaleur, j'évoluais péniblement d'une pièce à l'autre avec la grâce d'un Barry Gibb en col pelle à tarte, tandis que dans mon esprit dévasté résonnait, tel un mantra, you can you can you can. J'étais Lon Chaney un soir de pleine lune, insatiable. Puis la lumière a rompu les ténèbres, j'ai trouvé Disco Chez Julian le blog inespéré. Du Disco de toutes les nations, sans distinction. Du frelaté comme du génial. Julian alimente sa créature d'improbables trouvailles. Pour chaque titre, il rédige quelques lignes, pas le truc bégueule qui veut en mettre plein la vue, juste de quoi situer. Et quand c'est pas instructif, faute d'info biographique, ça donne quand même une idée de ce vers quoi on tend. Je me voyais revenu au temps des disquaires compétents et des mille et une découvertes qui en découlaient. Le plus beau, c'est que tous les morceaux sont en écoute. J'en avais les incisives acérées. J'ai carrément remonté tout le blog, ça m'a pris deux mois pour en venir à bout ! J'écoutais tout, collectais les mp3 jusqu'à remplir quatre giga de compilation, incrédule d'en connaître si peu d'un genre dont j'avais été un assidu contemporain. Deux cent albums et une centaine de maxi qui faisaient ma fierté devenus peau de zob en découvrant une production stakhanoviste sur un laps de temps pourtant très court, de 1975 à 1979, avant que le son  ne vire Hi-NRG.

Julian ratisse large, faut le voir pour le croire, je suis tombé sur des pépites vers lesquelles je n'aurais pas levé les yeux. Ma préférée est une reprise du classique d'Andrea True Connection, It's all up to you enregistré en Italie en 1978 par une Jeanne Mas débutante et drôlement sexy. 



Je devenais siphonné du premier album des canadiens Bombers, Don't stop the music, Dance dance dance et leur reprise du Mexican de Babe Ruth nourrissaient mes nuits, je théorisais seul et sans fin sur leur guitariste Walter Rossi, inconnu ici, pointure du blues chez eux, qui sonne exactement comme David Gilmour. La disco réflecte le passé et le propulse vers l'avenir. Funky town par Lipps Inc flirte ouvertement avec The changeling par The Doors, Chilly allonge le temps de cuisson du For your love des Yardbirds, Macho se charge du I'm the man du Spencer Davis Group et la plupart des albums disco sonnent comme Fun House débarrassé de Ron Asheton et Iggy Pop. Et de découvrir à quel point Dave Alexander était grand. Regardez les photos des Stooges et comprenez pourquoi les autres devaient le virer pour continuer à se prendre au sérieux. Lui ricane tandis qu'ils jouent aux affreux SS, aux tortionnaires de chats. Merde alors, Queen Samantha 2 recycle carrément les coups de wah wah cradingue, tandis qu'une flûte y va de son couplet. Par pans entiers tout s'éclairait. Aussi sec, je sortais Pleasant Dreams et bien sur il sonnait aussi parfaitement disco que Road To Ruin, je testais ma théorie avec Scream Dream, pour un résultat identique à celui obtenu avec les Ramones. Ted Nugent sonnait disco, Wango tango n'était pas un hit venu de l'espace, il était impeccablement calibré pour proposer aux radios une alternative rock sans rien perdre du format disco qui ressuscita le rythme sur des ondes empêtrées dans la guimauve. Je revois l'extase des spécialistes à la parution de Some Girls. Hallelujah les Rolling Stones redeviennent des rockers après les errements de Black & Blue ! Vraiment ? Avec un album qui repose sur Miss you et Beast of burden ??? Je ris. Et de saluer Dylan qui voit la lumière avec Slow Train Coming, le renouveau du fameux son du sud, mon vié, les mains que Wexler & Beckett ont appliqué sur le saint homme sont celles de la disco. Celles définies par Arif Mardin, homme de l'ombre de la mafia turque d'Atlantic records qui fit claquer les disques d'Aretha Franklin comme jamais ceux d'Otis Redding ne parvinrent à claquer. Lui aussi qui finalisa la formule avec Jive talkin' et Night on Broadway. Quincy Jones était un imposteur, comme souvent ceux qui restent dans l'histoire, mais les Bee Gees savent à qui leurs suiveurs doivent leurs sacres. 







Proche de l'hallucination, j'entendais de la disco dans tout ce que j'écoutais. Je jubilais de mépris envers les ignares persuadés d'avoir été débarassés de la bête. Je décidais donc fort logiquement d'écouter un album des Amboy Dukes. Migration, quel absolu chef d'oeuvre que voilà. Parfaitement raccord dans mon esprit avec septembre qui s'étiole. Hot R.S et leur reprise très personnelle de House of the rising sun (15 minutes de disco dub ponctué de débauche féminine) m'avaient indiqué la voie des origines, bien sur que les faiseurs de disco n'étaient pas tombés du ciel, ils avaient écouté les mêmes disques que vous et moi. Ils en avaient juste retiré d'autres ingrédients. Plutôt que se compromettre dans des poses extatiques de guitaristes en égotrip, ils avaient isolé la basse grommelante et l'inflexible beat puis les avaient calé sur métronome. Une chose que les Amboy Dukes seraient bien emmerdés de faire. Ne me faites pas dire, ce que je n'ai pas dit, les Amboy Dukes groovent. Ils sont de Detroit et les groupes de Detroit groovent. Tous. Grand Funk Railroad plus que les autres, certes, mais le Bob Seger System et toutes la clique sortie des couilles de Mitch Ryder ont un groove dont les crocs ne lâchent pas le mollet. Là où chacun trace sa route, c'est dans leur capacité de discipline. Les Amboy Dukes n'en ont aucune. Il faut n'avoir jamais écouté Ornette Coleman, Sonny Sharrock ou Pharoah Sanders pour hurler au free jazz en évoquant Fun House et Kick Out The Jams. Ces deux disques sont si structurés, et quelque part implacablement dépourvu d'imagination, qu'ils n'ont de free que quelques secondes atonales somme toute bien sagement planquées en fin de parcours. Les Amboy Dukes sont d'un tout autre calibre. En ce sens qu'ils n'ont de free, comme de jazz sans doute, pas l'ombre d'une référence. On sait d'Iggy Pop, qu'il se faisait bichonner les douilles par Nico, qu'il nourrissait un tel complexe envers New York (puis Londres, puis Berlin et enfin Paris) qu'il était près à n'importe quelle pirouette pour paraître cultivé (jusqu'à reprendre Joe Dassin, Yoko Ono et George Brassens sur le même disque). Ted Nugent et ses Amboy Dukes ne s'encombraient d'aucun complexe. Un arc, des flêches, une montagne, pas besoin de Jean Ferrat. La musique de ces types là se barrait dans tous les sens parce qu'ils ne savaient pas faire autrement. Ecouter leurs albums demande de dépasser la torture que celà peut représenter. Sur les deux premiers le chanteur est quelque peu compliqué à tolérer, on s'y fait. Sur Migration, le groupe recrute Rusty Day, futur chanteur de Cactus et sans tergiverser parmi les plus abrasifs gosiers de son temps (qui fut court, il sera abattu chez lui en compagnie de son fils adolescent et d'un colocataire lors d'un deal de coke). On se prend donc à espérer qu'ainsi renforcés l'album des Amboy Dukes va casser la barraque. S'il n'était pas en grande partie instrumental ! Qu'importe, Migration est fabuleux. J'en suis devenu obsédé. J'alternais dans un même bonheur la désinvolture de ses feedbacks et libertés rythmiques avec le romantisme robotique de Giorgio Moroder. Et ça tenait en équilibre. 

Hugo Spanky