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lundi 31 mars 2025

SuBWaY To HeaVeN → UmMaPiNK GuMmafLoYD



Pink Floyd est parmi les rares groupes anglais à avoir perduré tout en ayant foiré les sixties, mieux que ça, ils en sont sorti éreintés et amputés. Woodstock, Monterey, Isle de Wight se font sans eux, trop occupés qu'ils sont à vivifier l'underground en s'affichant au festival Actuel, à Amougies, aux côtés de Frank Zappa. Un contretemps apparant qui leur sera utile bien plus tard pour nourrir une crédibilité de précurseurs du mouvement alternatif. Avant que Roger Waters ne se charge de ruiner cet heureux hasard en cumulant les dérapages médiatiques. On n'en est pas là, si jamais on y arrive. 

Donc, Pink Floyd se ramasse dans les sixties, ce qui n'empêchera pas le bric-à-brac de A Saucerful Of Secrets d'offrir aux Chemical Brothers le gimmick tubesque de Block rockin' beats, piqué à l'intro de Let there be more light, tandis que le black metal avant-gardiste revendique avoir puisé ses racines putrides dans Set the controls for the heart of the sun. Pas mal pour un disque en grande partie lamentable. Je rappelle, si besoin, que le concept de cette rubrique est de désigner un disque et un seul, raison pour laquelle j'évite consciemment d'évoquer leur premier album, celui avec Syd Barrett, sonnez trompettes, résonnez musettes. Il ne me vient pas une seule seconde à l'esprit de ne conserver que lui. 


Pink Floyd entame la décennie suivante par une ribambelle d'enregistrements foireux en signant ou apparaissant sur les médiocres More, Zabriskie Point et Obscured By Clouds qui leur valent un culte aussi instantané qu'indéboulonnable. Des disques que tous les hippies du monde vont mettre un point d'honneur à posséder. Le son des communautés se trouve ici. Shiloms, trous dans les tapis, pubis qui grattent, bouffe macrobiotique, le bon temps en somme. En parallèle de quoi, ils gravent Ummagumma, disque mystère s'il en est. D'abord, un album live fantastique d'intensité, indispensable, ensuite un album studio divisé en quatre compositions solo qui me fait dire qu'ils ont bien fait de se réunir en groupe. Attention néanmoins, Ummagumma pourrait très bien être l'élu de cette rubrique. Il est celui vers lequel je reviens le plus souvent et pas uniquement pour le live. Il y a quelque chose de fascinant dans les quatre facéties de son disque studio. Une dissociation des éléments qui préfigure les isolated tapes. On peut faire son propre morceau de Pink Floyd en mixant les pistes. Je colle la mouche sur le solo de Nick Mason et c'est un univers de possibilités qui apparait. Hum, je note l'argument sur mon carnet et je reprends la route, again. 

D'autant que c'est ici que ça devient primordial. Parvenant à se discipliner un tant soit peu, Pink Floyd signe dorénavant des disques qui se tiennent de l'entrée au dessert. Ou du tofu au space cake pour rester dans le contexte. Atom Heart Mother, Meddle, Dark Side Of The Moon, Wish You Were Here, Animals, The Wall, excusez moi du peu. 

J'attaque la falaise de front et je disqualifie Wish You Were Here et The Wall. Le premier parce qu'il est intolérablement amorphe. Après l'inventivité de Dark Side Of The Moon, il se contente un peu trop visiblement de passer les plats. Le second, parce qu'il doit autant à Bob Ezrin, si ce n'est plus, qu'à Pink Floyd. Cette fois encore, le groupe recycle pas mal d'idées déjà entendues, notamment dans Time. Ça reste un bon disque, carrément génial par instants, mais ruiné comme la majorité des productions Bob Ezrin par un final qui pèse trois tonnes. Le type est un producteur de génie, je suis le premier à l'affirmer, il faudrait juste lui interdire de composer. Enfin, j'en sais rien, je l'ai peut être trop écouté. En plus d'avoir vu le film plus de fois que raisonnable. A l'opposé, Animals est celui que j'ai le moins usé. Jamais compris comment les critiques peuvent le désigner comme étant le plus violent, il m'ennuie. Je lui reconnais plus de qualités qu'à Wish You Were Here, c'est déjà ça. 


Ce qui me laisse avec Meddle et Dark Side Of The Moon d'un côté et Atom Heart Mother de l'autre. Objectivement Meddle est le meilleur des trois. Il a quasiment le son spatial de son compère, tout en conservant une dose de vitriol héritée des champs de boue de Belgique. Je me comprends. J'imagine qu'il serait de bon ton de démonter Dark Side Of The Moon, mais je l'aime ce fichu disque. Si seulement sa face B ne se cassait pas la gueule. Qui est allé coller ce saxophone sur Us and them ? Qui ? Déjà que le morceau ne vaut pas un clou, le saxophone le crucifie pour de bon. Et torpille la dernière partie de l'album au passage. D'ailleurs, il torpille aussi l'album suivant. Donc Dark Side Of The Moon qui jusque là était parfait, groovy, puissant, audacieux, n'évite pas l'écueil de la condescendance. Us and them le fait ressembler à un album des Rolling Stones, ce qui dans le cadre qui nous réunit ici est d'une vulgarité disqualifiante. Avantage Meddle. L'album Marseillais, celui des ballets de Roland Petit. Et c'est là que je dégaine Atom Heart Mother. L'album symphonique. Même écueil cependant, une première face intouchable, ma préférée de leur discographie, et une autre de remplissage insignifiant. S'ils s'étaient moins dispersés sur des B.O à la con, les temps forts égarés sur Obscured By Clouds et More en auraient fait un authentique chef d'oeuvre. Du coup, je m'évite de passer l'éternité en tête à tête avec une vache.


Revoila Meddle qui me fait du gringue. C'est vrai qu'il est fortiche. One of these days est un hard rock comme le groupe aime en placer en ouverture d'album, une habitude qui perdure depuis Lucifer Sam. Le contraste avec A pillow of winds tient du grand écart, Gilmour s'éclate à la slide sur une ballade folk un brin trop longue. Je me serais passé de la chorale lourdingue des supporters de Liverpool maladroitement placardée sur Fearless, encore une idée qui refera surface sur The Wall. Mais comme je suis de ceux qui trouve Seamus sympathique et que San Tropez est une agréable ritournelle, la face passe le cap sans encombre. Les ballades à l'anglaise, niaises et bucoliques font leur dernier tour de piste, plus jamais Pink Floyd ne sonnera aussi dépouillé. Raison de plus pour ne pas faire la fine bouche. Et comme Echoes fait de Meddle leur seul album qui ne part pas en sucette avant la fin, on est proche du sans faute. Il lui manque pourtant la sauvagerie du live de Ummagumma et les hallucinations expérimentales de son versant studio. Meddle est un disque conventionnel, typique du rock anglais de ces années là. Un disque comme Queen en fera, un rocks ou deux pour renouveler les setlists, une pièce maîtresse, des ballades et des fanfreluches. Ummagumma est d'un tout autre calibre, ce titre, cette pochette, ces photos en noir et blanc crado, cette blonde vaporeuse, Pinocchio, les lutins et ces quatre types qui s'affichent drogués jusqu'aux yeux. Ummagumma fout les miches. Le genre de disque qui résonne comme un conte sordide dans un crâne d'enfant. C'est qu'il y en a des surprises sous cette drôle de pochette. The Narrow way de David Gilmour préfigure Led Zeppelin III (qui sortira un an plus tard) tout en faisant le lien avec les expérimentations sonores de l'underground anglais (Ash Ra Tempel) et allemand (Amon Düül), tandis que sa partie finale pose les prémices de ce qui sera bientôt la marque de fabrique du groupe. Nick Mason parvient à agencer son solo de percussions de manière à ce qu'il ne reste pas sur l'estomac, ce qui est une sorte de miracle pour qui a fréquenté les live des années 70, largement complaisants en la matière. Ce sont finalement Richard Wright et Roger Waters qui trébuchent. Le premier vise trop haut et se heurte à ses limites, tandis que le futur leader maximo s'empêtre dans du folk champêtre agrémenté de gadgets dispensables, avant de lâcher la rampe avec Several species of small furry animals gathered together in a cave and grooving with a pict, un collage qui démontre l'utilité du Two Virgins de John & Yoko sorti l'année précédente. Pas de quoi trucider sa grand-mère, peut-être, seulement voilà, il y a le live. Les hurlements de Roger Waters sur Careful with that axe, Eugene, les cisailles vitriolées de David Gilmour sur Astronomy domine. La violence de la scène londonienne n'avait jamais été captée de la sorte. Se sentant menacés sur leur terrain, les Who s'empresseront de sortir Live at Leeds quelques mois plus tard. Il y a aussi Set the controls for the heart of the sun, clavier oriental et percussions maléfiques que Bob Ezrin, déjà lui, refourguera à Alice Cooper dès Love It To Death (black juju) et souvent par la suite. Il y a A saucerful of secrets, treize minutes de torgnoles qu'on dirait inventées pour moi. Treize minutes de tragédie grecque, d'opéra intersidéral, de péplum wagnerien. De grand n'importe quoi, si vous voulez. N'empêche que. C'est beau, c'est ravageur, libérateur, ça s'écoute à fond et ça dit merde à tout. Y compris à Meddle. Qui a prétendu que Pink Floyd avait foiré les sixties ? Ummagumma sort en novembre 1969 et change la donne. In extremis.

Hugo Spanky

Ummagumma

mardi 29 août 2017

BoB EzRiN, LaRMe MaGNéTiQUe




Si les années 70 n'en finissent plus de s'imposer comme essentielles en matière de culture moderne, c'est aussi parce qu'elles ont été longtemps difficiles à percevoir dans leur titanesque globalité, tant nos esprits ont été cloisonné depuis. 
Les années 70 sont ce moment où la musique a proposé une lecture plus cynique de la société qu'elle ne l'avait fait auparavant, d'aucun diront plus adulte. Assurément plus second degré. 
Soudain, il fallait être initié pour saisir toutes les arcanes d'une chanson. Il ne s’agissait plus de gober un acide, il fallait un vécu, une culture. Le champ de vision s'élargissait, le cinéma, la littérature, la mode, la philosophie devenaient sources nourricières. L'album, voire le double album, devenait la norme et avec lui la notion de concept, le développement d'un propos. Le Rock n'était plus seulement un exutoire, il s'imposait en tant que média. Le succès commercial d'une œuvre passait dorénavant après son désir de postérité. 

Le premier coup de génie de Bob Ezrin fut de comprendre avant tout le monde que les temps futurs allaient être sans pitié envers la postérité. Que l'important était d'être consommable, sans être jetable. Qu'il fallait suffisamment de compromis à une œuvre pour qu'elle puisse être assimilée immédiatement, tout en lui donnant plusieurs niveaux de lecture afin qu'elle perdure. Bob Ezrin est celui qui colla un beat disco sur l'un des titres les plus sombres et complexes de Pink Floyd.


Son second coup de génie fut de s'en tenir à un seul et même propos. Comme tous les grands, il n'eut de cesse de rabâcher la même chose, de creuser plus en profondeur le même trou. 
Quel que soit le groupe phare pour lequel il travailla, Bob Ezrin ne parla jamais que de l'enfance. L'enfance maltraitée, niée, mise sous assommoir, l'enfance broyée par ceux censés la protéger jusqu'à l'éclosion de l'adulte. Et inévitablement à travers ce spectre, il dressa le portrait des tortionnaires. La psyché, les parents, la société.

En 1971, l'Amérique mange ses enfants. La nation envoie sa progéniture se faire massacrer dans la boue du Vietnam, s'offrant par là même un avenir peuplé d'estropiés, de traumatisés, un paysage de corps alignés sur les tarmacs d'aéroports, de monuments commémoratifs, de cimetières à perte de vue. Le parfait théâtre pour l'apparition d'un personnage sulfureux, incarnant les tabous d'une société qui refuse le reflet chargé d'inceste, de fanatisme, de sexualité déviante ou d'addictions que le miroir lui renvoie : Alice Cooper. Plus sulfureux encore fut celui qui signa la mise en scène. Bob Ezrin va réussir l'alliance du chrome et de la noirceur la plus profonde. L'alchimie du polish pour les radios et de la dopamine pour les cerveaux anesthésiés d'une adolescence dépressive.


Lorsque Warner Bros. désigne Bob Ezrin, ingénieur du son canadien de tout juste 21 ans, pour tenter de donner un semblant de forme au groupe dépenaillé dont la maison de disque ne sait que faire, elle provoque la rencontre de la glycérine et de l'acide nitrique. Alice Cooper a jusque là enregistré deux disques pour le label de freaks de Frank Zappa, deux disques dont pas grand chose ne subsiste. Mais le groupe s'est dans le même laps de temps imposé sur scène avec un show si sournois qu'il leur fit gagner le respect du public de Detroit. Pas une si mince affaire que ça, en 1969.
L'opération de séduction des masses est établie en deux actes, le premier vise à calibrer un single pour asseoir la légende. Le genre de titre imparable dont rêve chaque groupuscule, un hit d'une évidence telle qu'il en devient instantanément un classique : I'm Eighteen.


Le second acte est d'une toute autre ambition, mettre en musique les névroses les plus intimes de l'Amérique en utilisant, de manière cinématographique, le format d'une chanson. C'est avec Dead babies sur l'album Killer que le producteur va réussir le coup de maître qui va définir son art. A partir d'un texte d'une simplicité infantile, il va créer une ambiance oppressante décrivant de manière sardonique la mort d'une enfant par négligence de ses parents. Les bébés morts ne peuvent pas attraper les cachets de maman sur l'étagère. La basse conduit le thème, lugubre, le refrain est introduit par des pleurs puis ponctué par de guillerets chœurs de comptine, le break est sans pitié, obsessionnel, mêle valse et orchestration macabre. De toute façon nous ne voulions pas de toi. Le titre s'imbrique sur fond de lynchage à l'ultime pièce du disque, Killer, proche des Doors, le chanteur se met dans la peau du tueur sur la route de Riders on the storm. Orgue d'église, voix de l'esprit, cris d'agonie, le producteur impose sa signature en un enchainement bluffant. Plus rien ne sera jamais plus pareil, le Rock vient d'entrer dans sa phase terminale, celle qui lui fera atteindre le sommet pharaonique de The Wall en même temps que l'inaccessibilité qui en sera le talon d'Achille.

Avant cela, c'est avec Lou Reed que Bob Ezrin va porter un peu plus loin dans l'intimité de l'auditeur son goût pour la souffrance humaine. Flirtant avec l'insanité mentale et la pharmacopée à outrance, les deux hommes vont s'illustrer en créant avec Berlin, un disque viscéralement rejeté par le public autant que par la critique.

A l'origine se trouve une suggestion que Bob Ezrin fit à Lou Reed: développer l'histoire du couple évoqué dans la chanson Berlin sur le premier album solo du chanteur. Quelques semaines plus tard, Lou Reed confie au producteur une série de maquettes qu'il vient de composer, le squelette de ce qui deviendra l'album. La désintégration d'un couple de junkie racontée à la première personne par celui qui regarde froidement sa femme se détruire et mourir, sans qu'il n'ait ressenti la moindre émotion. Un portrait sans fard, ni jugement de la part de l'auteur, de l'être humain quand le smack begins to flow.


Depuis School's Out, l'album d'Alice Cooper paru l'année précédant l'enregistrement de Berlin, Bob Ezrin a pris pour habitude de travailler en studio avec deux guitaristes lyriques et agressifs issus de la scène de Detroit, Dick Wagner, ancien leader de Frost, et Steve Hunter du groupe Detroit de Mitch Ryder. A cet assemblage, Bob Ezrin adjoint une rythmique anglaise, sèche et virtuose, Aynsley Dunbar, alors batteur des Mothers Of Inventions de Zappa, et l'ex bassiste de Cream, Jack Bruce. En s'appuyant sur cette base capable de tout interpréter, Bob Ezrin, lui-même pianiste, va laisser libre court à son inspiration. Formé au classique, capable d'écrire des partitions complexes, le producteur va signer des arrangements chiadés, d'une sobriété glaçante malgré leur enchevêtrement alambiqué nécessitant l'adjonction de nombreux autres musiciens. Je voulais mélanger des orchestrations de théâtre à la Kurt Weill avec les guitares sales du heavy rock.


Un titre tient particulièrement à cœur à Bob Ezrin, The kids, qui évoque le moment où la société, incarnée par les services sociaux, vient retirer ses enfants au couple. Après la négligence de Dead babies, l'abandon. Invariablement réductrice, la légende retiendra que pour donner un maximum de crédibilité à l'ambiance, le producteur enregistra les pleurs de ses propres enfants. Au même moment, la femme de Lou Reed, Bettye Kronstad, s'ouvre les veines dans leur chambre d’hôtel. Elle a survécu sera le seul commentaire du chanteur qui divorce peu après, se taille une croix gammée sur la nuque et se console de l'échec commercial de son chef d’œuvre en débitant par centaines de milliers d'exemplaires son disque suivant, Rock'N'Roll Animal, capté live pendant la tournée Berlin, donnant la part belle à ses deux guitaristes et offrant un lifting au répertoire suranné du Velvet Underground.

Désormais accro à l'héroïne, interné à plusieurs reprises pour soigner des dépressions, Bob Ezrin n'assume pas et cache son addiction en se cloisonnant derrière les murs des studios. Avec les gars d'Alice Cooper, j'étais dans mon élément, c'étaient de bons vieux américains buveurs de bières et de whisky. Ils aimaient regarder la télé en se saoulant vautrés sur un canapé. Avec Lou Reed, je me suis retrouvé dans un tout autre environnement, très glauque, très réel. Ce n'était pas du spectacle, il carburait vraiment à la défonce. Et j'ai plongé.
De plus en plus régressif, il incite Alice Cooper à incarner un rôle d'enfant autiste terrorisé par le monde des adultes, Steven, sur l'album Welcome To My Nightmare, une super-production parfaitement maitrisée qui servira de maitre étalon à la seconde partie des seventies. Un disque pour lequel il limoge le groupe originel et impose définitivement ses propres hommes sur la totalité du projet. On peut facilement penser qu'il en fit de même l'année suivante lorsqu'il est embauché à grand frais pour donner de la consistance à la discographie de Kiss avec l'album Destroyer, astucieusement conçu comme un Teen movie de série B. Accident de voiture et romance à l'eau de rose inclus. 



Il enchaine les productions souvent sélectionnées selon des critères d'approvisionnement en dope et de rentabilité et se retrouve ainsi de mèche avec Dr John, lui aussi sévèrement addict. Les deux compères en perdition encaissent l'avance du label pour enregistrer un album studio et se contentent de capter une jam session pliée en une nuit. La carrière du Night Tripper aura du mal à s'en remettre. Bob Ezrin, lui, continu de plus belle et fonce tête baissée vers l'abîme. Les collaborations avec Alice Cooper se succèdent. Le chanteur, dorénavant convaincu que trois entités distinctes vivent dans son esprit (le très social Vincent Furnier, l'enfant autiste Steven et le terrifiant Alice Cooper) entretient un train de vie d'empereur romain, se gave du meilleur cognac, s'affiche à la table de la jet set, devient compagnon de beuverie de Keith Moon, muse de Salvador Dali et confident de Groucho Marx. Tout va bien, le fric abonde dans les caisses, depuis le carton de Only women bleed chaque nouvel album est porté par un slow calibré qui fait un malheur en single. Associés indissociables, Bob Ezrin et Alice Cooper dealent un show télé pour la chaine ABC, le résultat, pas franchement impérissable, fait un carton d'audience. Un film à destination des salles de cinéma suit afin de rentabiliser au maximum l'énorme spectacle qui parcourt les Etats-Unis, puis l'Europe, à raison d'une centaine de concert durant l'année 1975. La combine semble juteuse, les deux hommes se lancent dans la production d'un nouveau concept centré sur le personnage de Steven, Alice Cooper Goes To Hell, une adaptation ultra malsaine du Magicien d'Oz. Le disque est sublime, la production somptueuse, pétrie d'influences Funk, mais la tournée est annulée pour raisons de santé et remplacée par des apparitions télé grotesques. Après un ultime album, Lace And Whiskey, Alice Cooper se fait enfermer en asile psychiatrique. Le gouffre est tout proche. Sentant l'odeur viciée du vent qui tourne, Bob Ezrin remet le cap sur l'Angleterre et s'installe dans le Londres des Heartbreakers. Son cauchemar peut continuer.


Bien que toujours entouré de Dick Wagner et Steve Hunter, il se renouvelle en 1977 en côtoyant Robert Fripp pour le premier album post Genesis de Peter Gabriel sur lequel les synthétiseurs trouvent une place nouvelle dans l'univers jusque là très orchestral de Bob Ezrin. Ce sera son dernier bol d'air avant longtemps. 

Dès l'année suivante, il plonge en apnée dans le projet le plus démesuré de sa carrière en acceptant le poste de producteur d'un Pink Floyd en pleine guerre intestine. Comme il l'avait fait pour Berlin, il va d'abord élaguer les maquettes de Roger Waters, agissant comme un metteur en scène de cinéma confronté à un scénario brouillon. Il imagine les enchainements, se charge de rendre le concept lisible, écrit les arrangements et compose le grand final. Le sujet le ramène une fois encore à son obsession pour les conséquences que les actes des adultes ont sur l'enfance. Bob Ezrin va cette fois pouvoir aborder de front toutes les variantes possibles, mère abusive, père absent, professeur tyrannique et les répercussions sur l'adulte devenu, étouffé par une société oppressive, un manager infantilisant, une femme adultère et castratrice. Contre l'avis du groupe, il colle un chœur d'enfants sur le refrain d'Another brick in the wall, à l'écoute du résultat son choix est validé. Il bataille pour imposer le Confortably numb de David Gilmour à Roger Waters qui veut conserver l'exclusivité des compositions. Envers et contre tous, le producteur parvient à maintenir une cohésion musicale, le résultat, d'une minutie d'acrobate, est un raz de marée qui va marquer d'une brique blanche indélébile les esprits de plusieurs générations.
Bob Ezrin sort lessivé par les mois d'enregistrement, la gestion des égos paranoïaques d'un groupe disloqué, celle des addictions diverses, dont la sienne. Plus jamais, il ne s'attaquera à un projet aussi titanesque. Peut être qu'il n'en a jamais existé d'autre. Publié en décembre 1979, The Wall est la mirobolante conclusion d'une décennie qui fut à la musique ce que le Hollywood des 50's fut au cinéma. L'ère stéréophonique des péplums en cinémascope, Color by DeLuxe, avec Bob Ezrin dans le rôle de Cecil B. DeMille.




Dans les années 80, le son se fait plus étriqué, minimaliste. Boite à rythmes, batteries électroniques, synthétiseurs, rien qui ne nécessite l'acoustique d'un studio, encore moins le prodige d'un producteur capable d'écrire des arrangements pour un orchestre complet. Bob Ezrin fait partie des rares dont on peut dire qu'ils ont inventé leur propre façon de faire sonner un disque, quel que soit l'artiste qu'ils enregistrent. Dorénavant en vain. Entre deux internements psychiatriques, il embarque Lou Reed pour travailler sur un fumeux concept album destiné à Kiss, Music From The Elder. Ce serait en dessous de la vérité de qualifier le résultat de ratage, c'est une inqualifiable merde. Puis Virgin lui confie en 1982 la destinée de Téléphone, espérant capitaliser leur récente signature avec un album capable d'émoustiller le marché américain. Contraint par avidité de faire sans ses troupes, Bob Ezrin, qui a pris pour habitude d’exiger 50% sur les recettes des disques qu'il produit, en plus d'un salaire exorbitant, pousse les quatre musiciens au delà de leurs limites, ce qui leur inspire le titre d'un disque inégal au fil duquel la production souligne régulièrement la faiblesse de compositions qu'elle écrase par son emphase. Elle en sublime aussi quelques-unes, parmi lesquelles Cendrillon. Encore une histoire d'enfant qui grandit mal. A la même période, il travaille à nouveau avec Alice Cooper et Dick Wagner pour l'album DaDa. Un disque totalement anachronique en grande partie composé par Bob Ezrin lui-même et survolé par Former Lee Warner, petit bijou névrosé, évocation par son frère d'un enfant aliéné enfermé dans le grenier familial. Le splendide instrumental qui ouvre l'album, et lui donne son titre, est également à classer parmi les grandes réussites du producteur. 
DaDa fait un bide, Alice Cooper entre en désintox. Lou Reed traduit quelques titres de Téléphone pour une sortie américaine de Dure Limite, à l'écoute des prises vocales en anglais de Jean-Louis Aubert le projet est annulé. Bob Ezrin tente le même coup visant à implanter sur le marché américain un groupe inconnu en dehors des frontières européennes en 1984 avec les finlandais Hanoï Rocks. Tous junkies et passablement rétamés par une fréquentation trop assidue de Johnny Thunders, ils enterrent leur batteur sitôt le disque dans les bacs. Le naufrage est définitif. Bob Ezrin trouve sa place sur l'étagère des souvenirs.


De temps à autres, ce qu'il reste de Pink Floyd, Alice Cooper ou ses Hollywood Vampires font appel à lui pour donner un vernis d'authenticité à des albums singeant un passé que personne ne semble en mesure d'égaler. En 2008, son fils David Ezrin, clavier, compositeur et amant de Lita Ford, se suicide à 42 ans, après des années de lutte contre la schizophrénie et les troubles obsessionnel compulsifs. Il était l'un des enfants que l'on entend pleurer sur The kids. Deux ans plus tard, son père propose à Alice Cooper de donner une suite à Welcome To My Nightmare. Certains démons ne dorment jamais.


Hugo Spanky