jeudi 23 octobre 2014

BiLL GRaHam, uNe Vie.



Au début des Stooges on se prenait pour de vrais durs, surtout moi, j’avais même pas 20 balais. On partait dans notre fourgonnette, bravant les tempêtes de neige du Michigan pour aller donner des concerts. J’avais les cheveux super longs et je me trouvais vraiment héroïque de faire tout ça. Un vrai dur à cuire. Et puis un jour j’ai réalisé qu’au même age mon père était à la guerre. Ça m’a remit les idées en place.
Iggy Pop

La guerre c’est par elle que commence l’histoire du jeune Wolodia Grajonca. Celui qui deviendra Bill Graham a 11 ans lorsque sa mère le place dans un refuge pour enfants juifs, commence alors un long périple à travers l’Europe pour fuir les bruits de bottes. Il ne la reverra jamais, elle sera gazée dans un train en direction d’Auschwitz. De tout cela le livre ne parle que brièvement mais ces quelques pages font mieux saisir que n’importe quel cours d’histoire toute la glaçante réalité de cette inqualifiable période. Ce sont les sœurs de Bill Graham, celles qui ont survécu, qui trouvent les mots les plus juste, lui prétend ne se souvenir que vaguement, pourtant tout est là. C’est de ces épreuves que le jeune Bill Graham fraîchement débarqué aux États-Unis va puiser la furie, la foi et la volonté d’échapper, pour un temps seulement, à son implacable destin. Exposé comme un poupon, qu’il n’est pas, à des couples en quête d’adoption, chahuté pour ce qu’il est encore moins, un allemand, nazi donc, par les gosses du Bronx qui ne retiennent que son accent à couper au couteau. Le gamin va faire mieux que de s’endurcir et se battre, il va se construire. 
 

Le livre s’appelle Une vie Rock'n’Roll et c’est une belle connerie, la vie de Bill Graham est plus que ça. Quelque chose comme la concrétisation du rêve américain via un goût affirmé pour le capitalisme, ce qui je vous l’accorde, ferait un titre tout aussi naze mais nettement plus juste. Bill Graham c'est Arturo Bandini dans le monde du Rock. Une vie de fougue et de passion avec plein de mauvaise foi et de coups de sang dedans. Un bluffeur hors pair ne reculant devant rien ni personne.

Bill Graham à la trentaine lorsqu’il trouve sa voie. Tandis qu’il manage avec un ennui profond une troupe de théâtre beatnik le voila contraint d’organiser une soirée de soutien après que les gonzes aient été embarqués par les flics de San Francisco pour une vague histoire de pièce subversive interprétée dans un lieu public. Hallelujah, Bill voit la lumière en même temps que les dollars qui s’amassent. Lui, le premier, pige que cette génération veut claquer le blé de ses parents pour assister à des concerts à forte teneur hallucinogène. Qu’il en soit ainsi, notre homme accapare le Fillmore West, une salle pour hippies blancs tenu par un juif en plein quartier noir, le parfait contexte pour que les flics voient rouge, et lance Grateful Dead, The Band, Janis Joplin, Creedence Clearwater Revival, Jefferson Airplane, Santana, Cold BloodQuicksilver, Allman Brothers, J.Geils Band... Et qu’importe s’il n’aime que la Salsa, ne touche pas à la drogue et porte les cheveux courts. Il le fait, sans a-priori et avec des tonnes de démerdes, de combines apprises sur le bitume. Je résume mais le gros de l’histoire est là. 


Bill Graham va structurer un business en friche, terminé les cafés/concerts pour initiés, voici l’ère des sonorisations à faire trembler les murs, des lights shows, des projections psychédéliques et, surtout, de l’ouverture au plus grand nombre. Pour Bill Graham, la star c'est le public et son devoir à lui est de mettre les artistes dans les meilleures conditions afin qu'ils puissent donner le maximum, plus, bien plus que d'ordinaire. Un groupe qui joue devant le public de Bill Graham doit donner son show le plus époustouflant de la tournée. Un concert organisé par Bill Graham commence à l'heure et dure aussi longtemps que le public le réclame, terminé les 45 mns réglementaires et qu'importe s'il doit trainer les musiciens des loges à la scène pour les rappels, chez Bill Graham même les plus réticents reviennent tant que les fans hurlent leur noms. En échange de quoi, les groupes ne sont plus bien contents qu’on les laisse jouer, ils touchent un cachet, ont des loges décentes, quelqu’un à qui s’adresser. Bill Graham invente notre présent, enfin plus vraiment, notre passé proche disons. En tout cas il invente un futur pour le Rock, il pérennise une aventure anarchique que l’establishment tente de tuer dans l’œuf et lui goudronne une autoroute royale. Pour le paradis ou l’enfer, c’est selon l’opinion de chacun mais il le fait.


Trois décennies durant, Bill Graham va faire de l’Amérique le royaume de la musique qui compte. Grâce à lui la Rock culture va obtenir crédibilité et devenir une énorme machine à fric. Sur des idéaux dont il se contre-fout Bill Graham va bâtir un empire et faire passer la pilule en partageant le gâteau avec les défenseurs même de ces idéaux. Les notions de partage, d’amour et de fraternité vivront dorénavant sur des t.shirts à 10 dollars en échange de quoi chacun de nous vivra les meilleurs moments de sa vie debout dans ses santiags, le dos en capilotade, une bière à la main devant une scène d’où s’échappe tout ce dont on a rêvé, la puissance qu’octroie la concrétisation de nos désirs inaccessibles. Parce qu’en matière de Rock’n’Roll on obtient toujours ce que l’on veut. Suffit juste d’en payer le prix. 


 

Le livre est cette fois encore constitué de témoignages, Bill Graham en est le principal orateur mais on y croise aussi de sacrés perchés de première bourre. Parmi ceux là, Ken Kesey, l’homme des acid tests et accessoirement auteur de Vol au dessus d’un nid de coucou, ce qui situe un personnage et donne une idée de la teneur de ses propos. Non ? Ah bon.
Et bien sur sont à l’affiche tous ceux qui ont fait la légende pour des anecdotes souvent fendantes, toujours passionnantes, les Who (la préface est signée Pete Townshend), Bob Dylan, Peter Wolf, Sex Pistols, Bruce Springsteen, les Stones, qu'il juge trop mégalo, qu'à cela ne tienne, il placarde un poster de lui, doigt tendu, dans leur loge et remplace par des hamburgers et des sodas la longue liste de mets fins, champagne et bourbons qu'ils exigent à chaque concert, il est comme ça, Bill, et tant pis si Keith Richards ne s'en remet pas. On croise aussi au fil des pages Marlon Brando, Francis Ford Coppola et des dizaines, des centaines de groupes, de chanteurs que Bill Graham a fait parvenir jusqu’à nous en nous offrant à eux, plus que l’inverse finalement, dans des salles toujours plus immenses au point d’en devenir des stades. 


En France, toutes proportions gardées, on a eu Albert Koski, ceux de ma génération se souviennent du sigle KCP sur les tickets de concerts, en ces temps reculés où un concert n’avait rien d’un rendez-vous administratif, ça chahutait sec autour des stands de badges, des moments sauvages, un espace hors des conventions. Et c’était pas la sortie de l’année, c’était trois, quatre, dix affiches de folie chaque mois au prix d’un paquet de tiges en 2014. Quand je pense à tous ces pleurnichards se plaignant que ça fritait avec la sécurité, que c’était trop ceci, pas assez cela, bande de cons, vous les avez maintenant vos concerts édulcorés avec interdiction de cloper, alcootest à la sortie, décibels plafonnées, vos ambiances associatives à la noix et les sourires faux derches des charlots d’organisateurs pour qui prendre un risque revient à demander une autorisation à la préfecture, remplir un dossier de demande de subventions. Vers chez moi faut carrément prendre une carte d’adhérent pour entrer dans la salle. Autant vous dire que je ne saurais jamais la couleur de leurs murs. Faut pas compter sur ceux là pour faire passer un mec en devenir, un Hank III, un gars qui fonctionne hors des circuits balisés. Avec eux Pat Boone serait resté l’emblème de la rébellion.




Bill Graham a amené Chuck Berry aux blanc-becs, donné leur chance à tous les misfits de la création, les tarés visionnaires ou pas, ceux qui ont fait du Rock au sens le plus large un monde à part, un truc qu’on apprenait pas à l’école, une aventure formatrice pas formatée. Et tout ça avec ses ronds à lui.

C’est pas tant que le bouquin est génial, que le bonhomme était mieux qu’un autre, c’est juste que ça nous ramène à l’origine des choses, à l’intensité de ces moments où chacun de nous était responsable, pas assisté. Un moment où on prenait les choses sans attendre qu’on nous les donne, où aucun gominé ne se souciait de lire le petit manuel de la bonne conscience, juste en quête d’émotions fortes, de futilités qui soient nôtres. Sous les cuirs lustrés vivaient des Hommes.



Hugo Spanky 

Fillmore Vox 

dimanche 12 octobre 2014

20 Cts MeMoRieS


Je suis fan de Country depuis des années, depuis le début des années 1990 en fait. C’est des choses difficiles à dire en France, tellement le mot n’a pas de sens. Entre les festivals ridicules, la new country (cette espèce de mélasse pop) et les déguisements de cow boys, on peut comprendre.

D’un autre côté, pour un français dit de « gôche », c’est sûr qu’un amerloque qui se promène avec des armes et qui va à la messe ne peut être qu’une pauvre merde réactionnaire à rééduquer. Le français, il lui faut du social. Le Blues, c’est bien ça … Des pauvres noirs opprimés. Ça, ça rentre bien dans le cadre des études sociologiques. …

Sauf que moi, j’aime les deux. En fait j’applique le fameux acronyme, "C.B.G.B.": Country, BlueGrass and Blues et j’ajouterai Gospel. Gospel blanc et noir d’ailleurs. J’aime la musique noire ET blanche bien plus entrelacées qu’on ne veut bien nous le faire croire en France. Le «rock» m’emmerde de plus en plus. La transgression étant devenu une affaire d’état et un impératif culturel, je rigole de voir tous ces guignols enfoncer des portes ouvertes.





Vers 1987, après cinq ans à fréquenter les milieux dits « alternatifs », exaspéré par les prêchi-prêcha politiques subventionnés plus ou moins indirectement par Tonton, je retournais vers mes premiers émois pré-ado, les singles de Cochran et de Creedence. En déroulant la pelote de laine, on tombe sur la porte d’entrée de la Country : la période Sun de Johnny Cash. Quelques disques de Gram Parsons au début des années 1990 et rien de plus jusqu’à que j’émigre au Canada. 



A trainer mes guêtres dans les rues de neiges sales de Montréal, on finit par trouver des mines d’or, tel cet immense magasin de disques près de la gare routière. Des stocks de 45t de radio entassés dans un état pitoyable mais à des prix défiant toute concurrence : 20 cents  le disque. J’en achetais des centaines et mis par là même les pieds dans un monde qui n’avait visiblement pas traversé l’atlantique. Des années passées à lire rock & folk ou Best et pas un mot sur Merle Haggard, Georges Jones, Buck Owens, Don Gibson ou autre Hank Snow…  Il manquait un terme dans l’équation : rock’n’roll  =  country + blues.



Ce qui était bien, c’est que j’étais à la bonne place. Montréal avait été un centre d’enregistrement de country assez important dans les années 40. Hank Snow (canadien), y avait fait ses premières démos en 1936 dans une église de la ville. Du coup, la culture de la country y était encore vivace dans les années 1990. Entre les bars glauques, bien pourris de la rue Sainte Catherine ou les chanteurs francophone de la cambrouse québecoise, on pouvait encore sentir l’ambiance de ce que ça avait dû être. Prenez cette chanteuse, par exemple, Edith Butler surnommée «le paquet D’nerfs de Paquetville», typique de la country francophone. Un genre de Loretta Lynn du coin. Ou bien cette légende des années 20, la «bolduc»… Une chanteuse qui chantait, « j’ai un bouton sur l’bout de la langue qui m’empêche de turluter ». Tout y était.





A ce moment là, je jouais dans un groupe de rockabilly plutôt du genre intégriste… Ces gars là se rendaient souvent dans un espèce de club du troisième age. Des immigrés américains, s’y retrouvaient pour jouer en acoustique les tubes de leur jeunesse. J’y rencontrais un fantastique joueur de lab steel qui malgré ses quatre vingt printemps n’avait rien perdu de sa dextérité. Ce gars là avait joué sur les disques de Carl Smith dans les années 50… Une pointure.... Je me rendais chez lui, tous les samedi pour essayer d’apprendre ce foutu instrument. C’est dans une banlieue qui aurait pu sortir de Fargo, que je le retrouvais. Dans un minuscule appart d’une cité HLM. Là il me recevait dans une pièce remplis de disques et me fit découvrir cette immense iceberg. Des années 20, 30, (Emmett Miller, Jimmy Rodgers, la Carter family…), 40 (Hank Williams, Bob Willis) 50 (Patsy Cline, Hank Snow, Georges Jones, Don Gibson…) 60 (Merle Haggard, Buck Owens, Loretta Lynn et j’en passe) 70 (Waylon Jennings, James Talley, Kris Kristofferson, Stoney Edwards), les albums de Gospel blanc phénoménaux… Le Bluegrass, Les Stanley brothers, Bill Monroe, Earl Sruggs… La liste est bien trop longue. Surtout, il m’expliquait comment les jouer, les différents accordage selon les époques. En Do sixième dans les années 50’s, en neuvième pour le style de Merle Haggard…Une finesse et une richesse de style largement équivalente au Blues et au Jazz.

Car la Country, c’est un son. Une décharge sonique de la steel guitar, une retenue dans les riffs de Télécaster, des vocaux sans fioritures, des chœurs parfaitement maitrisés, une production sobre. Tout le contraire du rock d’aujourd’hui qui ne sait pas se retenir d’en foutre partout.



La Country c’est aussi et surtout les textes. Faut être de marbre pour rester insensible à la charge poétique de Big river d’un Johnny Cash par exemple :

« Now I taught the weeping willow how to cry
And I showed the clouds how to cover up a clear blue sky »

(Maintenant, j'ai enseigné au saule pleureur comment pleurer,
Et j'ai montré aux nuages comment ​​couvrir un ciel bleu clair)

ou aux amours inaccessibles de Hank Williams,  l’écorché vif…You win again.  Presque, une tragédie shakespearienne. 




La Country, c’est souvent des histoires géniales, des tranches de vie honnêtes, des vers définitifs. Les sorties de prison, la réinsertion. Des histoires d’adultères, de divorces, des histoires de prolos : Coal miner’s daughter (la fille de mineur de charbon) de Loretta Lynn. Un son et une chanson que l’on prend en pleine poire. T’en veux du social ?
Quand ce n’est pas les hymnes anti hippy de Merle Haggard, Okie from Muskogee ou le patriotisme de ce The fightin side in meMerle est prêt à foutre une dérouillée à ceux qui parlent mal de la bannière étoilée.

« If you don't love it, leave it:
Let this song I'm singin' be a warnin'.
If you're runnin' down my country, man,
You're walkin' on the fightin' side of me. »

« Si tu l’aimes pas tu le quittes:
Que cette chanson soit un avertissement
Si tu te fous de la gueule de mon pays, mec
Tu chatouilles mon coté bagarreur »

Un truc proprement impensable en France aujourd’hui.

 
La Country, c’est aussi une attitude et un feeling. Indéfinissable. Une certaine retenue, une dignité que j’aime de plus en plus. Waylon Jennings classait Dean Martin comme chanteur de country et moi je ne suis pas loin de classer, aujourd'hui, une Lana del Rey comme telle.


Oui la Country, c’est définitivement le Blues des blancs.