mercredi 25 janvier 2023

BieNVeiLLance Des SeNTiMeNTs


Et si on se faisait du bien ? Si on se collait un arc en ciel dans le ciboulot, si on oubliait les effets de manche, les bande-sons qui vrillent les oreilles, l'hémoglobine qui gicle pour annoncer la coupure pub. Si on se souvenait qu'on aime aussi les histoires qui se passent à peu près bien. 

Il se trouve que deux séries actuelles démontrent que c'est possible, qu'un scénario peut fonctionner avec des bons sentiments et surprendre en ne ressassant pas les recettes éculées. La première d'entre elles se dispense carrément des inévitables rôles de flics, on n'y trouve même pas l'ombre d'un truand. Et dans la seconde tous ceux là ne ressemblent à rien de ce qu'ils sont censés être.

Acapulco est une série mexicaine construite autour de Eugenio Derbez, dont on ne sait pas grand chose par ici sinon qu'il est l'acteur principal de l'hilarant How To Be A Latin Lover, dont notre cinéma tricolore vient d'oser une adptation avec Kad Merad. Je ne vous en dirais rien, l'envie de la voir ne m'a pas atteint. Je n'attends pas du cinéma français qu'il adapte des films, j'attends qu'il les distribue et se concentre sur ses propres créations. 



Au delà de leurs traits communs Acapulco surclasse How To Be A Latin Lover et confirme que la fraicheur est dorénavant à chercher parmi les productions issues des minorités américaines. Je me demande comment les gars ont pu convaincre une chaine (Apple TV) de miser sur un pitch qui tient sur une feuille à rouler, tout en ne proposant absolument rien de ce qui assure le buzz des séries à succès et je me risque à vous en livrer la trame : un fringant oncle multi-millionnaire offre comme cadeau d'anniversaire à son neveu une plongée dans ses souvenirs de jeunesse sur le ton de la bienveillance et des valeurs chrétiennes. Ah, vous voyez que ça fout les miches. Un coup à en oublier la lutte sociale et l'augmentation du paquet de nouilles en s'émerveillant devant la réussite d'un type qui se fait embaucher en bas de l'échelle dans une station balnéaire grand luxe perçue, depuis son quartier, comme un lieu de perdition. En plus, ça cause espagnol la moitié du temps. 



Comment puis-je désigner un truc pareil comme la série à voir du moment ? J'en sais trop rien, sinon que je n'en démords pas. Les rôles sont impeccablement distribués, les décors sont mirobolants, on passe sans cesse d'un hotel aux couleurs saturées à un quartier populaire pastel tout en se sentant aussi bien dans l'un que dans l'autre, sans misérabilisme, sans satire de la richesse, sans ange, ni démon. On est bien. Il y a de l'humour, des ruptures dans le continuum, des pressentiments qui se confirment, des espoirs qui se concrétisent. Acapulco à cette qualité géniale de vous mettre en confiance, et pas du tout pour mieux vous baiser, non, cette série vous veut du bien ! Elle aborde les sujets de discorde avec amour, transforme les rancoeurs en amitié et tout ça sans patiner dans la guimauve. Il y a Maximo Gallardo, il y a son copain un peu chose sur les bords, sa soeur un peu machin, sa mère carrément ceci et il y a le voisin du dessus, la copine de sa soeur elle aussi un peu machin, il y a Don Pablo, le régisseur de l'hotel, la belle Julia Gonzales réceptionniste et indécise petite chérie de Chad, fils de la propriétaire des lieux qu'on aimerait trouver con comme un manche à balai mais qui, comme tous les autres protagonistes, désarçonne les stéréotypes, il y a Lupe qui veille sur la laverie, Hector le favori des touristes qui anticipe les désirs et encaisse les pourboires, il y a toute une galerie de trombines. Et nous, installés dans un coin de chaque scène, tantôt sur le canapé, tantôt sous la couette, là, parmi eux, chaleureusement accueillis.



L'autre série dont j'ai envie de vous toucher deux mots, c'est Reservation Dogs. On quitte le Mexique et on file dans une réserve indienne de l'Oklahoma. L'intention est la même, nous faire passer un bon moment sans nous prendre pour des buses. Le message est simple, ici ou là-bas c'est de ce que l'on ne comprend pas que l'on apprend.





Une poignée d'adolescents que la réserve emprisonne réalise doucement que si l'esprit n'est pas libre, fuir ne mène qu'à s'enfermer ailleurs. A leurs côtés, les mères, les soeurs, les absents, les personnages qu'on imagine secondaires se dévoilent, pudiques ou exubérants ils nourrissent l'histoire avec le tact d'un rôle bien écrit. On n'est pas dans le registre des faiblesses cocasses des unes, des forces tranquilles des autres, des caricatures superficielles, ici chaque caractère est profondément ancré dans son environnement. Il a sa petite histoire à lui qui précise la vision d'ensemble.

Reservation Dogs utilise les codes, les traditions, les croyances amérindiennes, leurs légendes urbaines. On y croise une femme biche, un oncle qui chasse la tempête armé d'une hache. Rien de tout ça n'est tape à l'oeil, ça se glisse dans le quotidien, ça dérègle la routine. Ici aussi les personnages sont méticuleusement dessinés, délicieusement décalés. On partage leur spleen, on s'attache à leurs contradictions sans prendre partie lorsqu'ils se confrontent, parce qu'ils ont tous raison, il n'existe jamais qu'une seule vérité. Reservation Dogs ne nous prend pas à témoin, ne nous demande rien, elle se contente de nous éveiller. Ce qui est bien la dernière chose qu'on puisse espérer en allumant l'écran.

Hugo Spanky


mardi 3 janvier 2023

JaMeS BRoWN


Où en est-on avec James Brown ? Trente ans après que Good Morning Vietnam a jeté I feel good en pature. En reste t-il autre chose que des gimmicks mille fois ressassés ? Des cris, des beats, des riffs de cuivres, de basse pillés sans scrupule. L'oeuvre de James Brown est aussi énorme que diffuse, au delà des compilations qui répètent plus ou moins largement la même tracklist, il est bien difficile de désigner quel album la résume au mieux, l'incarne au plus fidèle. Les périodes se distinguent, chacune avec ses caractéristiques et ses sommets, aucune ne s'impose au détriment d'une autre, leur continuité est faite de brusques changements sans gestation. Jamais James Brown ne regarde en arrière, les classiques qui perdurent sont revisités, réinventés, malmenés. A d'autres la nostalgie ! 

Les sixties sont consacrées aux singles, James Brown en dresse une collection impressionnante que les albums se contentent de compiler en étoffant avec des choses plus ou moins bizarres, sur Soul on top il colle des cuivres swing au Cheatin' heart de Hank Williams, fallait oser, il l'a fait, tandis qu'ailleurs il s'amuse avec son orgue ou se rêve en crooner paillettes à Las Vegas. N'empêche que la liste des hits file le tournis. On se la tente ? Please please please, Try me, Lost someone, Think, Good good lovin', I'll go crazy, Bewildered, Night train, Shout and shimmy, I don't mind, Prisoner of love, Out of sight, I got you (i feel good), Papa's got a brand new bag, Let yourself go, It's a man's man's man's world, Cold sweat, There was a time, I got the feelin', Licking stick, Say it loud i'm black and i'm proud, The popcorn, Mother popcorn, Ain't it funky, Give it up or turnit a loose. En une décennie, là où, pour d'autres, toute une vie  ne suffirait pas.


Du Rhythm & Blues au Super Heavy Funk, James Brown va rendre plus massif à chaque étape un son dirigé vers l'hypnose, la sueur et le sexe. Guère de guirlandes psychédéliques chez Brown, tout aussi rarement que de rock ou alors dans les guitares de Just enough room for storage sur l'album instrumental Sho' is funky down here et si jazz il y a, c'est dans l'intention incommensurablement plus que dans l'exécution. On peut parler d'Afrique, de vaudou, de shaman, ce ne sont que des mots et les mots James Brown va en utiliser de moins en moins. Paradoxalement pour faire plus de boucan encore. A la manière de Miles Davis, ou Duke Ellington avant eux, il va se positionner en chef d'orchestre dictatorial, façonner ses formations en fonction de son but et non l'inverse. Qu'importe ceux qui claquent la porte, ne supportant plus réprimandes et sanctions, il les remplace aussitôt par plus performants. A l'arrivée des frères Collins, Catfish et Bootsy, il passe un cap et concrétise la formule la plus redoutablement sauvage du Funk. 1970 sera charnière, avec sa nouvelle formation il grave le double album Sex machine en quelques sessions live in studio, ajoute du public pour promotionner son show et change la face du monde sans plus de complication. En 1971, il atomise l'Olympia et laisse l'album Love Power Peace en témoigner, les enchainements sont assassins, millimétrés à couper le souffle, le répertoire est historique. La même année et la suivante il aligne des albums dont on bâtit les légendes, Superbad, Sho'is funky down here, Hot pants, There it isGet on the good foot et l'incandescent Funk power pour regrouper en versions ultra extended des singles éparpillés du calibre de Soul power ou Talkin' loud and sayin' nothing. Dieu lui-même se serait reposé pour moins que ça, James Brown se bourre de coke et enchaine par deux B.O de blaxploitation avant de clouer tout le monde avec The payback, le plus monstrueux morceau de funk qui soit. L'album du même nom marque un peu le pas, mais qui peut se plaindre d'un disque qui démarre par 7mns de groove barbare, sinon les pisse froids ?



Après ça, vous faites ce que vous voulez de votre temps, mais il y a tellement pire façon de le perdre qu'en misant sur des albums tel que Hell, Reality, Hot (dont le morceau titre est une impeccable pompe du Fame de Bowie et Lennonou Mutha nature, surtout que la suite est moins mirobolante. Pied au plancher, James Brown trace une voie en cercle concentrique, une tuerie d'emblée par disque et du remplissage plus ou moins ragoutant selon le degré d'inspiration. Le single Unity gravé avec Afrika Bambaataa surnage qualitativement et commercialement Living in America décroche la timbale sur la B.O de Rocky IV, mais rayon album c'est vaches maigres. Jusqu'en 1988 où il revient d'on ne sait où avec son 54eme album, I'm real, paru sur le label du mari de Sylvie Vartan, Scotti Bros. records auquel il restera fidèle jusqu'au bout. Si il y a des disques qui vous redonne la foi, I'm real est assurément de ceux là. Une bombe absolue qui revisite une fois de plus les fondations en les décapant à la chaux Hip Hop en compagnie du crew Full Force. Du début à la fin l'abattage est de mise. I'm real, le morceau, débine tous les candidats au titre, Static arrive juste derrière pour confirmer les dires, James Brown est seul et unique, les prétendants n'ont qu'à s'incliner et prendre leur mal en patience. D'autant que pour ce qui est de se saborder sans l'aide de personne, James Brown fait de l'ombre à Rick James et Sly Stone en finissant au trou l'année de son comeback, après une course poursuite avec la police, armé jusqu'aux dents et défoncé comme un terrain vague. Il en prend pour six piges, en fera deux, se relancera avec une tournée mondiale et un album insipide Love over-due auquel on peut aisément préférer Soul Session with Friends capté live en audio et en vidéo au Club Taboo de Detroit en compagnie de Wilson Pickett (le combat des chefs est de toute beauté), Joe Cocker, Billy Vera et Robert Palmer qu'il prend sans distinction plaisir à faire tourner en bourrique avant de s'octroyer une danse avec Aretha Franklin. On est d'accord qu'on est dorénavant dans l'anecdotique, mais quand il attaque How do you stop seul comme le grand qu'il est, je ne peux pas m'empêcher de replonger.

Hugo Spanky