lundi 30 mars 2015

CLasH auTOPsie




 
J'avais encore jamais vu ça, un résumé de quatrième de couverture qui raconte des trucs qui sont pas dans le bouquin. Le gonze qu'a torché ça, c'est à se demander si il a seulement parcouru l'ouvrage. 
Frode Grytten, norvégien de son état, ne tcharre pas de l'époque Thatcher, de la grisaille londonienne et sans doute qu'il se contrefout des "vicissitudes du succès". Il a mieux à offrir.




Incandescents est le meilleur bouquin jamais écrit sur Clash parce qu'il ne s’embarrasse de rien. Vous voulez connaître toute l'histoire de la naissance des quatre barnums à aujourd'hui ? Passez votre chemin. Le gars a fait comme Joyce Carol Oates avait fait pour Marilyn Monroe avec son Blonde d'anthologie, il s'est collé dans les méandres du cerveau de chacun des membres du groupe et nous invite, via un angle précis et à un moment précis pour chaque cas, à partager leurs pensées profondes, leurs cheminements intérieurs. A mieux comprendre les divergences et impostures qui menèrent à la déliquescence du groupe. 


Topper qui cogite dans son taxi, Paul et Pearl Harbour trop amoureux pour mourir, Mick qui se ramasse pour mieux rebondir, Joe en pleine solitude du leader désigné volontaire. Le Clash en somme. Celui là même dont on a tellement causé, que je m'étais promis de ne plus aborder le cas. Sauf que là, c'est pas pareil. Frode Grytten, c'est le genre de journaliste qui me ferait acheter la presse à nouveau. Il sait écrire, ne se sent pas obligé de faire le fanfaron, il fait dans l'économie de mots, ne ressasse pas une énième biographie aussi flatteuse que fallacieuse. Frode Grytten propose un angle original, ne nous assène aucune grande vérité, il nous donne les clefs et compte sur notre intelligence pour faire le chemin. C'est court, ça tranche, ça clash. C'est beau comme quatre mecs qui marchent dans le même sens, sur le même morceau de bitume, sans regarder dans la même direction, mais sans perdre de temps à se faire des discours. Ils n'ont rien à se dire, c'est à nous qu'ils causent. Ils sont nous et nous sommes eux. A finir par croire qu'on pourrait être des héros. Juste pour un jour. Et eux de se dévoiler humains comme jamais.
Incandescents est votre plus sûre chance de lire un bon livre.


Hugo Spanky




vendredi 20 mars 2015

WHiPLasH



Malgré son titre, Whiplash n’est pas un biopic consacré à Lars Ulrich, c’est quand même un film sur un batteur. Jeune, ambitieux et obsédé par le Jazz, Andrew Neiman ne vit que pour devenir le meilleur dans son domaine, le Buddy Rich du siècle nouveau. Vieux, vaguement aigri et inflexible Terence Fletcher n’enseigne le Jazz que pour découvrir le nouveau Charlie Parker. Qu’il est une anche ou un kit et des baguettes, peu importe. Ces deux là vont se rencontrer, le maitre et l’élève, se confronter et nous plonger dans un quasi huis clos à base de caisse claire.

L’histoire que nous raconte le film de Damien Chazelle, on la connait sur le bout des doigts depuis toujours. Jusqu’où aller pour se surpasser ? Sacrifices, travail, volonté, acharnement. Whiplash c’est le Flashdance du double swing. Le cercle des poètes disparus méthode Full metal jacket. La famille, la petite amie, l’establishment, personne ne peut rien pour eux, va y avoir de la sanquette sur les peaux.



A tout dire, l’histoire on s’en fout un peu, la qualité du film est ailleurs, dans l’interprétation démoniaque des deux acteurs livrés à eux même grâce à une réalisation d’un minimalisme exemplaire. Le jeune Miles Tenner, inconnu des radars mais qu’on reverra cette année dans Les quatre fantastiques, est saisissant de crédibilité. Sans quitter l’écran la moindre seconde, il étale une palette de jeu qui fait plaisir à voir. La nonchalance de celui qui imagine son rêve inaccessible, le furieux prêt à tuer, l’envieux, le méprisant, le sage, l’impulsif, on le suit dans chaque émotion. On y croit. Face à lui, JK Simmons, aperçu à droite, à gauche, principalement dans des séries, on est en droit de se demander ce que foutent les directeurs de casting tant ce mec est bon. En professeur maboule, sadique, truqueur, menteur comme un arracheur de dents, con à bouffer de la merde et attachant au possible, il n’est rien de moins qu’impérial. Pendant les 106 minutes de pellicule, il nous balade comme il balade ses élèves, on lui collerait des coups de tronche en le suivant au bout du monde.


Whiplash ne fera pas date, personne ne vouera jamais un culte à ce film et c’est très bien ainsi. Il n’est pas de ces chef d’œuvres pour pipo intello et encore moins un film popcorn qu’on se ressort pour tuer un dimanche de pluie. Whiplash est un uppercut trois tonnes pression qui file à cent à l’heure sans nous laisser souffler. Il se voit, se pige et se digère instantanément. Pas de starlette, pas de nichons. Pas de beau gosse pour midinette non plus. Quasiment même pas de musique en fait. Juste la confrontation malsaine du sadique et du masochiste, le spectacle de la souffrance consentie et la délectation que l’on ressent à voir couler le sang des autres.


Hugo Spanky

RZV, le sommaire 

jeudi 12 mars 2015

MuDDY eT LeS ChiC TYPeS


Une biographie de Muddy Waters par un journaliste américain de renom, voila un menu qui ouvre l’appétit. Vaste programme que raconter la vie de celui qui du sud au nord du Mississippi porta l’évangile selon Robert Johnson jusqu’à sa plus incandescente incarnation. Muddy Waters n’est pas le meilleur des bluesmen, encore moins le premier et certainement pas le plus indispensable. Il est le plus universel. Le phare qui éclaira jusqu’en Angleterre malgré le smog. L’homme qui donna à la prose et aux riffs de Willie Dixon le vernis qui les fit comprendre par le moindre pékin blanc un tant soit peu doté d’imagination. Là où Howlin’ Wolf foutait les miches, où Sonny Boy Wiiliamson puait le vice, là où B.B King, à l’inverse, était trop artificiel, Muddy Waters fut le juste équilibre. Paillard, vantard, toujours prêt à cocufier le premier couillon qui passe, certes, mais avec le sourire. Et le sourire de Muddy Waters vaut le coup d’œil.



Muddy Waters c’est l’étape juste avant Presley. Il est celui qui fit germer dans l’esprit de la première génération de rockers l’idée que des graines du Blues pouvait pousser des fleurs, pas seulement des orties. Pas étonnant d’apprendre que c’est lui qui conseilla à Leonard Chess de signer Chuck Berry. Maybellene c’est Mannish boy avec un coup de polish supplémentaire. Elvis  sonnera régulièrement plus noir que ces deux là. Muddy puis Chuck seront les premiers à penser en grand, à piger qu’il y a un moyen de piquer le flouze sans pour autant finir en prison pour cela. Chuck finira par l’oublier, Chuck a toujours été trop gourmand. Muddy Waters n’oublia jamais la combine et jusqu’à sa mort il saura naviguer en père peinard sur les époques, du passage à l’électrique à son arrivée à Chicago jusqu’au revival en forme d’intégration aux côtés de Johnny Winter, en passant par la mise en plis psychédélique d’Electric Mud.



Oui, appétissant menu que celui de suivre tout le parcours du bonhomme comme nous le propose Robert Gordon (rien à voir avec la Pompadour new-yorkaise) avec son livre Mister Rollin’Stone parfaitement traduit et édité par Rivage Rouge. Sauf que trop d’érudition tue l’intention. A tellement vouloir être précis, Robert Gordon nous perd en route et le lecteur se retrouve tel un derviche fou coincé dans un rond point dont chaque voie de sortie s’échappe au moment où il enclenche le clignotant. On s’en fout de savoir que le batteur de la session du 16 avril a été remplacé pour celle du 17 mai et on l’avait pigé tout seul que de I’m a man à Hoochie coochie man, il n’y avait pas un univers tout entier. Des dates à profusion, des couleurs de tapisserie, des annexes, des appendices, la tracklist du moindre concert, le poids des sacs de coton, la marque de la voiture, le nom de toutes les maitresses (rien que ça déjà...) Stop, n’en jetez plus.


Et c’est râlant. D’autant plus qu’au hasard d’un des premiers chapitres, Muddy lui même ouvre une piste qu’il aurait été préférable de suivre. Le genre d’évidence qui crève les ouïes mais qui m’avait échappée jusque là. «Le Blues ne doit pas tant à l’Afrique qu’aux indiens d’Amérique». Bordel que c’est vrai. Dès les pseudonymes, tous ces noms façon chefs de guerre, c’est le grand esprit des Sioux, Apaches, Cheyennes et autres Comanches qui est convoqué par les hurlements du Loup. Putain d’évidence. Ce trop court chapitre m’a passionné, comment depuis l’Asie via le détroit de Béring sont arrivés par le grand nord les premiers peuples en terre d’Amérique. Comment des siècles plus tard, les esclaves en fuite se sont mélangés aux tribus. La façon dont entre parias, ils ont mêlé intensité et exubérance jusqu’à en faire jaillir la lave. Du shaman au showman il n’y avait qu’un pas.


Et l’auteur de passer à côté sans se retourner. C’est tout le problème du livre de Robert Gordon, il s’attache aux faits mais ne leur donne aucune perspective, aucune raisonnance, aucune profondeur autre que celle qui nous dirige inévitablement vers l’ennui. Le gars est comme un prof de math blasé, il récite la leçon sans lui donner de sens. Et nous de piétiner. Il en sait trop et oublie comment transmettre l’essentiel. Comme regarder un film de cul avec sa nouille à la main. La passion reste au placard



Tant qu’à ne rien apprendre de palpitant autant lire l’autobiographie de Rod Stewart. Celle là est parfaite avec le temps de la bronzette à la plage qui ne va pas tarder à pointer le bout de son nez. Je ne plaisante qu’à moitié. Je bloque depuis deux mois sur le bouquin consacré à Muddy Waters mais j’ai torché en trois jours celui du cockney. Ce que Rod Stewart raconte sur la musique tient sur un timbre poste et c’est presque déjà trop. Ron Wood, dans son autobiographie, ne causait quasiment que de dopes, Rod s'attarde sur le sexe. Un bon résumé de The Faces, finalement. Par contre, il livre sans complexe et avec un humour de bistrots qui il est, un gonze estomaqué que ça soit tombé sur lui et qui n’en a pas raté une miette. Des blondes, des blondes et des blondes mais aussi du football, des trains électriques (oui, lui aussi, et il balance que Roger Daltrey fait dans le cheminot également) une pincée de coke et des hectolitres de cognac, de bières épaisses, des frimes en Lamborghini et un gout revendiqué pour les futals en spandex bariolé.  
Rod Stewart, quoi.



Et là aussi, au hasard d’un chapitre, j’ai fait dans la réflexion, je me suis dit que le rock avait raté le coche au moment du disco. Voyez-vous, Rod fait un complexe sur Da ya think i’m sexy (façon de parler, il est très fier de ce que son plus gros hit lui a rapporté) et se triture les méninges sur comment retrouver son statut de rocker auprès du hooligan moyen après avoir été le roi des boules à facettes. Et c’est là que ça m’a fait tilt. D’abord je raffole de ces singles putassiers, les Heart of glass, Passion, Miss you, I was made for loving you, Magnificent seven, Let’s dance et tutti quanti mais surtout le revival à base de riffs de guitares culcul la praloche qui a suivi ne m’a jamais convaincu. Le rock en se mordant la queue a perdu sa notion de grande aventure. Pire, il a perdu le swing, le groove, le funk, appelez ça comme ça vous plait, la basse. Le boom boom boom cher à John Lee Hooker.



Me revoilà sur mes pattes pour conclure ce papier en vous conseillant un ultime bouquin, celui de Nile Rodgers, C’est Chic. Il est franchement bien. L'ambiance familiale façon Superfly nous plonge chez les brothers. Hippies black des 60's, la mère et le beau-père valent le détour. On n'est pas loin de Chester Himes. Freak out ! Nile Rodgers se construit dans son coin, môme trimballé sans cesse entre New-York et Los Angeles, il ingurgite tout ce qu’il vit pour se bâtir un univers fantasmé qu’il passera le reste de son existence à transformer en réalité. Jimi Hendrix, Stevie Ray Vaughan, Diana Ross, David Bowie, Southside Johnny, Mick Jagger, Madonna...du ghetto au Studio 54, le jazz, le funk, la pop, l’itinéraire du guitariste est sans œillère. Et doté une abjection pour les cloisonnages, les cases, les étiquettes. Les classes sociales. Paradoxalement, tandis que le rock se voulait plus blanc que blanc, dépourvu de toute notion de danse, Nile Rodgers se rêvait en rocker et fondait Chic après s’être mangé un concert de Roxy Music en pleine tronche. 


Mieux écrit et moins nombriliste, le bouquin de Nile Rodgers se dévore de la même manière que celui de Rod Stewart. L’un et l’autre s’adressent à nous, établissent une connexion et restent suffisamment futile pour que l’on se sente partie prenante plus que collé dos au mur, tandis que se remplie la piste de danse. Deux livres qui filent des fourmis dans les pinsons et de l'évasion à l’esprit. En ce qui me concerne, je préfère ça aux mathématiques.


Hugo Spanky


mercredi 4 mars 2015

VéRONiQue SaNSoN



Toute de noir et de blond. Gilet à franges perlé de turquoises, bottines en daim et clinquants, pantalon en cuir. Véronique Sanson arrive sur scène comme échappée de The Rose. Le sourire soulignant des yeux malicieux, frêle et vulnérable sous les lumières pourpres, éternelle jeune femme. Il suffira du premier couplet de Vancouver pour que l’on soit mis au parfum, sa fragilité n’est qu’apparence. Debout, gauche dans ses pas de danse ou sensuelle, assise derrière son piano, Véronique Sanson est de celles que les tempêtes font plier, jamais rompre.



Quelle foutue voix. Je n’avais pas réalisé à l’écoute de ses albums, la puissance qu’elle est capable d’invoquer. En v’la du Blues, en v’la, puisque c’est bien de ça dont il s’agit, de Blues, de Rhythm & Blues. De rythme surtout, celui d’une Amérique frontalière, déjà presque du sud. C’est marqué sur l’affiche, Les Années Américaines. Un répertoire puisé au sein de trois albums composés et enregistrés là bas entre 1973 et 1977, Le Maudit, Vancouver, Hollywood, des disques que la Californie peut nous envier. Et comme on est chez Véronique Sanson, ça déborde un peu, manière de permettre à Amoureuse, Drôle de vie ou Besoin de personne de ne pas manquer à l’appel. Et tant mieux. Enregistrée ici ou ailleurs la musique de Véronique Sanson est tellement personnelle que finalement peu importe le flacon. Une musique loin des standards, ceux de la variétés comme ceux du Rock. Une musique qui sonne, qui claque, plus proche d’Isaac Hayes que de la butte Montmartre. 


Une musique ornée de cuivres savamment dosés, pas des baltringues festifs, plutôt de ceux qui vous font dresser l’échine, vous insufflent un air chargé d’embruns venus de contrées lointaines. Un groupe serré, au son rond et chaleureux, qui vous prend par l’esprit et vous emmène pour un voyage sans balise à l’itinéraire fluctuant selon les coups de barre d’un piano qui guide la proue en faisant frissonner les tentures d’or, des étoiles jusqu’au sol. La tête dans le vide, les coudes sur le balcon capitonné du théâtre de Carcassonne, j’étais ici et tellement ailleurs.


J’en ai vu des concerts, écouté nettement moins. Combien de braillards confondant énergie et cacophonie distordue m’ont plombé les pieds ? Rien de tout ça durant ces deux heures d’alchimie magistrale. Les vibrations d’une basse captée dans les règles de l’art, le souffle des peaux des percussions, le savoir-faire de musiciens transmettant l’élégance depuis le bout de leurs doigts. Véronique Sanson ne chante que pour moi, l’intimité enfin croisée d’un bon son dans une bonne salle.





Véronique Sanson laisse la passion prendre le pas sur tout le reste, son répertoire impeccable elle le délivre tantôt furie, tantôt confidente, jamais câline. Les amours qui écorchent elle ne les vit pas en victime, elle gratte les croutes des plaies pour des souvenirs en forme de cicatrices. Je ne vais pas jouer le fan transi, je n’en suis pas un, mais le fait est que ce qu’elle délivre sur scène s’apparente à ce que l’on imagine des plus illustres grandes dames du Blues, de la Soul, du Gospel. Chanter pour communier, faire rayonner le bien, exorciser le mal. Ta douleur efface ta faute mais maudit tu restes. Les chansons de Véronique Sanson sont des uppercuts déboussolés en direction de l’âme. Le souffle coupé, l’essentiel apparait. Chasseuse de brumes en quête de vérité.





Avec Milady on est parti à l’aventure, aller à ce concert sans trop savoir où on mettait les pieds, sans s’inquiéter non plus. Ses mélodies sont dans notre adn d’enfants des seventies, Véronique Sanson était différente à ce moment là déjà, détonante dans le lisse reflet du glamour pailleté des Carpentier. Rien n’a changé, elle a toujours cette vitalité qui emporte l’esprit par bourrasques indomptables. Pas d’erreur dans le diagnostique, qu’on le sache ou pas, quand on aime la musique qui fait vibrer, on aime Véronique Sanson.


Hugo Spanky