vendredi 18 décembre 2020

ToM Tom Club


De Tom Tom Club on se souvient du sourire réjoui que Genius of love colla sur nos mines, forcément boudeuses, de jeunes rebelles au déhanché rigide. C'était en 1981, leur premier album contribuait à l'annonce d'une décennie régénérée par un son diablement nouveau que quelques New Yorkais tenaient à nous faire partager en avant première, Blondie, Clash (d'adoption, certes, mais définitivement new yorkais dès 1979), Talking Heads et leur plus jouissive émanation, Tom Tom Club. Electro Funk, Rappers, Toasters, synthés devenus machines à danser, et non plus seulement à planer, basse en avant toute inspirée des jamaïcains -comme une large partie du reste- la formule avait de quoi décoincer jusqu'au plus farouche opposant à Kool & The Gang. Aujourd'hui encore la production de cette courte période riche en créativité (le sample n'était pas encore invité à la fête) transpire de toute la conviction qui lui était insufflée par le plaisir qu'elle suscita.

Et de plaisir il en est encore -et surtout- question lorsqu'à l'occasion de mon anniversaire du 14 octobre 2001 Tom Tom Club se produisit à domicile devant un parterre d'invités conviés à faire la noce. D'entrée de jeu, le groupe persécute les articulations en attaquant avec un Genius of love plus gorgé de Reggae que jamais suivi pied au plancher par She's dangerous puis l'ultra contaminant en démangeaisons du bassin World rappinghood, avant de dérouler un répertoire invariablement destiné à nous faire chalouper du côté lumineux de la force. Accompagné par une généreuse formation incluant choristes, percussionniste, section de cuivres et un guitariste incisif dans ses interventions, le couple formé à la ville comme à la scène par Tina Weymouth et Chris Frantz sublime en une irrésistible danse ce qui fit leur charme vingt ans plus tôt. 

 


 

Édité en 2010 par Nacional Records (un indépendant spécialisé dans le latino) Genius Of Live sert de témoignage en proposant 12 titres triés parmi les moins couteux en droits d'édition (les 5 reprises ont dégagé) du devenu rarissime Live at the Clubhouse, et bordel ce que c'est bon. La capture sur le vif corrige la production maigrelette, et en partie datée pour certains d'entre eux, des albums studio originaux en dotant les compositions d'une présence athlétique qui leur faisait un brin défaut. Le bien être de l'esprit par le mouvement du corps, cardio, assouplissement de la colonne, décrassage, c'est l'anti-dépresseur parfait pour votre réveillon en solitaire et la garantie d'attaquer la nouvelle année avec la détermination de bouffer tout cru chaque instant de liberté. ♪ What you gonna do when you get out of jail ? I'm gonna have some fun !  Yes yes yo !

 

Hugo Spanky



mardi 8 décembre 2020

McCaRTNeY III


Tout juste ce monde ingrat a-t-il eu le temps de se souvenir de Lennon que voila McCartney qui rapplique. Les vieux complexes l'empêcheraient-ils encore de dormir ? A moins qu'il ne tienne à briller sous les guirlandes.

La pochette est affreuse, ça c'est fait, si Universal impose ce machin à la une des magazines, on va avoir un mur de presse bien dégueulasse pour finir l'année.

 

Musicalement faut pas s'attendre à être chamboulé outre mesure, à ce niveau là on est très en deçà des deux précédents McCartney numérotés (dont le II reste mon préféré). La dominante est acoustique plus qu'expérimentale, je ne vais m'en plaindre que modérément, vu les horreurs que la mode nous fait subir en terme d'innovation, c'est pas plus mal si pépé ne se passe pas la glotte dans les tuyaux digitaux. 

Find my way est bordélique et chahuteur, doté d'une véritable énergie, peut être qu'à son échelle c'est une révolution, en tout cas c'est un des meilleurs titres de l'album. Avant d'en arriver là, Long tailed winter bird se marche sur les arpions un peu plus de 5mns durant, ce qui fait que l'ouverture de l'album est aussi le seul moment où j'ai eu envie de renoncer.

 


Woman and wives est plus intéressante, piano, boite à rythme et cette constante de s'amuser avec les couleurs que le temps a conféré à une voix dont on croyait avoir fait le tour. Si la composition ne propose pas grand chose de transcendant, elle a le mérite de le faire de façon concise et astucieuse. Faudra s'en contenter, c'est un autre des bons titres du disque.

Il y a ensuite un long tunnel de morceaux inutiles, Lavatory lil, Slidin', The kiss of Venus qui auraient pu rester dans les cartons sans que je trouve à redire. Ils auraient aussi pu être remplacés par pire qu'eux à l'image du pénible Deep down. Quant à Winter bird/When winter comes (il est toujours frais, il regarde les séries à la télé) et Pretty boys, elles seront, au choix, qualifiées de McCartney éternel ou de redites, pour moi ce pourrait être des chutes de Flaming Pie. Ce qui n'est pas loin  d'être un compliment.
Au milieu de tout ça, Seize the day dont je ne sais pas trop quoi penser, sinon qu'il y a là des ingrédients qui m'évoquent David Bowie, c'est pas mal fichu et anecdotique, c'est pourtant un des titres qui ressortent. Un intrigant qui contribue à relancer l'attention de l'auditeur.

Deep deep feeling sera sans doute LE morceau qui va susciter le plus d'excitation. 8mns et quelques durant lesquelles il se passe vaguement quelque chose de l'ordre de l'émotion. C'est quand même un brin long et en même temps ça fait court pour porter tout un album. Niveau composition on navigue du côté de Driving Rain, mais l'habillage respecte le cahier des charges McCartney II. Un hybride qui a de la gueule.  



Conclusion, je préfère ça aux tartines beurre et chocolat de Egypt Station, l'absence de production joue en sa faveur, preuve que le vieux sait encore s'en sortir en misant uniquement sur l'interprétation. C'est la qualité globale du disque, en variant sa voix, en laissant respirer le son, McCartney parvient à me faire passer 3/4 d'heure en sa compagnie sans que je ne trouve mieux à faire. Il se peut même que ce disque soit celui que je ressortirais de la pochette lorsqu'il conviendra d'évaluer la suite. Peut être même que je le ressortirais juste par plaisir. Et ça fait un bail qu'un McCartney ne m'a pas fait dire ça. Moi qui ricanais sous cape à l'idée de porter le fer avec les blogs voisins, que j'imaginais se lancer dans une surenchère de qualificatifs fallacieux, me voila porteur du drapeau blanc.

Mieux encore, si j’élargis le spectre jusqu'à inclure la concurrence sur le marché des gros calibres du classic rock, Paulo rafle la mise sans risquer la blessure. Son disque n'est pas une fumisterie à la façon du dernier Springsteen, il respire vraiment le fait maison et nous transmet ce qu'il y a de meilleur dans cette approche, une écoute apaisante, conviviale, dépourvue de l'oppressante obligation du compressé sur mesure pour les web radios. Je peux même le gratifier d'une certaine audace, contrairement à Costello, il ne se contente pas de nous fournir un résumé des épisodes précédents et il ne se compare carrément pas à l'absence totale de créativité qui frappe AC/DC depuis minimum 30 ans.

Tout est donc réuni pour que les adorateurs adorent et que les autres continuent à en avoir rien à foutre.  La balle est dans le camp des indécis.

 


Hugo Spanky

lundi 7 décembre 2020

PlasTiC oNo BaND


Comment veux-tu que ça sonne ? lui demanda Phil Spector

Comme dans les années 50, mais de maintenant lui répondit John Lennon. 

Les années 50 sont celles de Sun records et de Buddy Holly, le maintenant est celui de 1969. L'addition des deux âges d'or de la rock music. Ajoutez au résultat l'un des plus faramineux compositeurs qui soient dans une de ses phases parmi les plus créatives. N'en jetez plus, la platine déborde. Je pourrais presque m'arrêter là, vous devriez déjà être en train de chiner toutes les merveilles qu'incarne un tel idéal.

Le Plastic Ono Band, c'est vous, nous, tout le monde. L'idée de base de John Lennon et Yoko Ono est d'enregistrer là où ils sont avec qui est présent. Ce fut d'abord dans une chambre d’hôtel à Montréal pour Give peace a chance avec Petula Clark, Timothy Leary, Allen Ginsberg et une barbouze de la CIA, puis sur scène à Toronto. Quelle histoire ce concert de Toronto. Prenons quelques lignes pour nous souvenir qu'au retour de leur tumultueuse lune de miel largement prolongée en Bed-In, John et Yoko apprennent qu'ils ont été contacté par un jeune promoteur canadien désespéré de ne pas réussir à vendre les tickets de son Rock'n'Roll Revival Festival auquel doivent se produire Little Richard, Chuck Berry, Gene Vincent, Bo Diddley et Jerry Lee Lewis. Son idée pour trouver l'adhésion du public est de faire intervenir Lennon entre les concerts afin qu'il puisse promouvoir la paix dans le monde et présenter des artistes qu'il idolâtre depuis son enfance. Enthousiasmé, Lennon accepte à condition de pouvoir jouer et de récupérer les bandes du concert pour en faire un album qui sera le premier de son nouveau groupe...qui n'existe pas !

 

Le Plastic Ono Band est jusque là un assemblage purement conceptuel, sa formation originelle est un boitier cassette, un presse-papiers, un étui de brosse à vinyl et un tube plastique qui trainait par terre. Le risque de fausse note est limité, les chances de sortir le moindre son inexistantes. Un coup de téléphone à Eric Clapton étoffe sérieusement l'affaire, un autre à Alan White, jeune batteur de 19 ans qu'on retrouvera plus tard dans Yes, et un dernier à Klaus Voormann l'ami de Hambourg devenu bassiste. Rendez-vous est donné à l'aéroport de Londres, les répétitions auront lieu dans l'avion vers Toronto. Le répertoire ? Blue suede shoes, Money, Dizzy miss Lizzy, Yer blues, Give peace a chance, une nouvelle composition Cold turkey, inspirée à Lennon par le sevrage que le couple s'est imposé pour décrocher de la méthadone, et une indication : quand Yoko fera son truc, suivez moi. Le résultat, aussi brut que possible, est encore disponible à ce jour sous une pochette bleue signée d'un nuage. John Lennon vient de signifier son retour à la scène. 



Aux Beatles agonisants il propose d'enregistrer Cold turkey. McCartney n'en voit pas l’intérêt, George Harrison fait la gueule dans son coin. Qu'importe, Ringo Starr est partant, Eric Clapton est là, Klaus Voorman également et Billy Preston se cale à l'ébène et l'ivoire. La composition sera la première à être créditée à Lennon seulement. En face B, un titre de Yoko Ono, Remember love, dont je suis lassé de vanter les qualités. Quelques mois plus tard, Lennon remet ça, cette fois il souhaite enregistrer sur le champ une chanson qu'il vient de composer, la mixer dans la nuit et la sortir le lendemain. George Harrison, Alan White, Klaus Voormann et Billy Preston sont sur le coups. Le Plastic Ono Band prend forme. Instant Karma! casse la baraque partout dans le monde en ce début d'année 1970, N°1 en France, les gars, vous pouvez imaginer ça quand on voit le décor du jour ? En Amérique, elle marche sur les pieds de Let it be, la dépasse même un temps dans les charts et se vend à plus d'un million d'exemplaire. McCartney jette l'éponge et reconnait officiellement la séparation des Beatles.

 



Quelques mois plus tard, c'est pour participer à un concert londonien au bénéfice de l'UNICEF que Lennon et Ono sont contactés en catastrophe, réduit à sa portion congrue, Alan White et Klaus Voorman, le groupe accepte de se produire, confiant en sa capacité à faire feu de tout bois. L'après midi précédant le concert, le couple rencontre Eric Clapton et George Harrison alors en tournée avec Delaney & Bonnie. Outre leur participation les deux compères proposent, pour porter le surnombre, de rameuter toute la troupe, parmi laquelle Jim Price et Bobby Keyes aux cuivres et un Keith Moon en goguette venu s'ajouter au dernier instant. C'est à 17 musiciens et sans aucune répétition que le Plastic Ono Band s'exprime ce soir là dans un ravageur déluge sonore. J'aimerais savoir qui étaient les 200 gamins massés au pied de la scène ce soir là, je ne serais pas surpris que ce soit ceux qui ont formé les groupes new wave quelques années plus tard tant ils étaient en communion avec la folie de Yoko et la virulence du groupe dira Lennon extatique en évoquant ce concert incendiaire. Alan White témoignera lui de sa difficulté à conclure un morceau parti en vrille depuis plusieurs minutes au fil d'une  improvisation des solistes, tandis que Lennon martelait avec acharnement un riff Bo Diddley, j'ai soudain pensé à accélérer le tempo pour leur donner un signal de fin, cela allait fonctionner lorsque Keith Moon interpellé par ce regain d'énergie se mit à converser avec moi en augmentant encore le tempo, multipliant les roulements délirants en me fixant avec un regard de maniaque...

 



Fin 1970 Lennon fait ses adieux à Abbey Road en enregistrant ce qui reste son meilleur album solo, un disque primordial, incontournable, supérieur en bien des points aux dernières productions des Beatles. Avec Plastic Ono Band, Lennon fait le bilan de l'homme qu'il est sous le costume devenu trop étroit de Beatle John. Les textes sont virulents comme jamais, de véritables mises à nu, sans concession, sans démagogie. Les hippies (I found out), les carcans philosophiques, idéologiques, culturels et religieux (God), tous sont égratignés, dépecés, reniés. Lennon fait son introspection (Look at me, Remember), exorcise sa frustration fondatrice (Mother), dénonce l'oppression sociétale dont fait preuve la classe ouvrière (Working class hero), certains y verront la culpabilité d'un millionnaire de la chanson, n'empêche que. Plastic Ono Band ouvre une multitude de brèches desquelles émergeront la révolte du punk le plus lettré, mais aussi la vague d'auteurs/compositeurs qui, en Amérique, feront du rock des 70's le penchant adulte de son turbulent jeune frère des 60's.

Si il trouve son public dans la foulée du succès de Instant karma! le disque peine néanmoins à passer en radio, trop rêche pour être réellement populaire, trop dérangeant. Enregistré en mode dépouillé avec Ringo Starr et Klaus Voormann, Phil Spector à la production, les interprétations sont squelettiques, viscérales, les compositions sont toutes exceptionnelles. Plastic Ono Band est un bloc indissociable, une œuvre conceptuelle à laquelle répond en jeu de miroir un second album portant le même titre, enregistré en même temps avec les mêmes musiciens et distribué sous pochette jumelle, le versant Yoko Ono. Un album tout aussi libérateur, plus violent encore, si frontal qu'il faudra longtemps avant que sa valeur ne soit reconnue.  

 



Les albums jumeaux du Plastic Ono Band effraient les midinettes du Glitter Rock inconsolables de la fin du mythe venu de Liverpool, celles ci adhéreront plus volontiers aux Wings de Paul McCartney. Par son individualisme forcené John Lennon débecte les jusqu'au-boutistes du rêve communautaire tout autant que par ses désillusions il glisse entre les mailles de la récupération. Ni Walrus, ni Egg man, plus insaisissable que jamais, il ne trouve réconfort qu'auprès de Yoko Ono qui, plus hérissée qu'aucune autre, ne trouve protection que dans les bras de John. De cet amour qui s'exprime sans pudeur, ne commettons pas l'erreur de nous sentir exclus. Plastic Ono Band en deux disques frondeurs offre asile à tous ceux qui ne se reconnaissent en rien, ni personne.


Avant que Imagine ne vise l'universalisme en enrobant le gâteau de sucre pour le rendre au goût de tout le monde, dixit Lennon, le Plastic Ono Band en tant que groupe sortira encore le single Power to the people pile un an après Instant karma!. Si Mother avait connu un prévisible revers dans les hit parades de Noël peut enclins à célébrer un questionnement sur l'abandon parental, Power to the people, premier titre entièrement enregistré à Ascott, la résidence londonienne du couple, réconciliera son auteur avec le public et deviendra l'hymne des poings levés. En face B l'impitoyable Open your box de Yoko Ono exprime son avis sur la main mise des hommes édictant à leur convenance les critères de libéralisation de la femme, en les résumant avec lucidité à d'hypocrites intentions purement sexuelles. Le titre sera censuré aux Etats-Unis. Open your trousers, open your thighs, open your legs, open, open, open, open your mouth... 
 
 

En ce mois de décembre qui voit commémorer le souvenir de John Lennon, qui aurait fêté ses 80 ans en octobre s'il n'avait été assassiné il y a 40 ans le 8 décembre 1980, paraissent deux évocations de son parcours post Beatles. Gimme Some Truth qui propose un condensé plus ou moins vaste selon l'option choisie, double album ou coffret, auquel il conviendra de trouver des absences tant une intégrale s'impose. Je dois néanmoins souligner l'excellent boulot effectué par Sean Lennon qui a remixé plusieurs chansons en leur donnant un relief nouveau, surement salutaire pour une écoute 2020 bien différente de celle qui était la notre lorsque nous faisions hurler les 45tours sur nos tourne-disques saturés, comme plus tard dans les juke box des bistrots.

 

Un superbe livre évoque également à travers des citations des protagonistes -mais seulement en langue anglaise faute d'éditeur français à la hauteur de l'évènement- et un grand nombre de photographies qui s'y rapportent, ce que le Plastic Ono Band fut entre juillet 1969 et mars 1971, une parenthèse sans fard qui balafra en profondeur des utopies devenues incarnation d'une lâcheté passive qu'il convenait de dénoncer. Le business de la guerre, le jeu criminel des politiciens, la soumission aux classes sociales organisée par le patronat, la télévision et les religieux, autant de choses, que Beatle John avait aidé un temps à oublier dans l'insouciance, devenues trop insupportables pour être tues plus longtemps par le citoyen Lennon.                                     Ainsi soit-il.


Hugo Spanky

 
J'ai traduit un (très) long papier signé Vicki Sheff paru à l'origine dans le Playboy américain et à ma connaissance resté inédit en France :
 
Il relate de l'intérieur les heures, jours, semaines, mois et années qui ont suivi l'assassinat de John Lennon tel que Yoko Ono les a vécu. C'est digne d'un roman policier, chantages, vols, abus, trahisons en tous genres. La saloperie humaine dans toute son arrogance.