J'aime les
harmonies vocales, les contre-chants haut perchés, les basses
chaleureuses et le souffle d'une guitare acoustique enterrée dans le mix. Surtout, j'aime les mélodies d'airains, celles qui viennent
tout droit de l'école Buddy Holly, du lycée Brian Wilson, de l'université Roy Orbison. Le
chant des anges. A le dire sans ambages, j'aime le son Californien.
Cette sensuelle chaleur rendue respirable par une douce brise, ce
frisson sur l'épiderme, l'élégance du son des disques de Gene
Vincent, première pierre de l'édifice.
D'où ma
surprise, et la gourmandise qu'elle éveilla en moi, lorsque j’aperçus
au tabac du quartier un numéro hors série de Rolling Stone consacré
au California dreamin' (c'est eux qui le disent) Faisant fi du prix
disproportionné de la presse musicale, je tendais mon billet et me
faisais un régal à l'idée de dévorer la chose étendu sur les
galets, bercé par les flots doucereux de ma si chère méditerranée.
Hum, j'en ai
encore mal au cul. Si le magazine n'a pas fini illico presto en
bouillie, c'est uniquement parce qu'à contrario des pisse-copie de rock
et folk, les gonzes de Rolling Stone se sont donnés la peine d'écrire un machin
lisible sans avoir l'immédiate sensation d'être pris pour un
trépané boutonneux. Pour le reste, merde, c'est encore une fois à
côté de la plaque. Le magazine n'assume pas et survole simplement
les piliers du genre, Fleetwood Mac, Eagles, oublie carrément Gene
Vincent, le tout au profit des plus branchés du lot, Beach boys,
Byrds, Grateful dead. Le comble étant de mêler à la rêveuse
promesse, les affreux pseudo punk du début des 80's Dead Kennedy's,
Black flag et toute la clique. Pire encore, la sélection des albums
prétendument de référence est à pleurer de désespoir et
partiellement hors sujet. Pour résumer, ils sautent des 60's aux
80's et paraissent s'offusquer des triomphantes 70's. Pas de bol pour
ma pomme, c'est musicalement et sociologiquement la décennie qui me
passionne le plus.
Une fois
encore la presse française aura traitée un sujet en se plaçant du
point de vue de la street crédébilité, montrant du doigt les si
méprisables gros vendeurs du Rock US. Franchement, les gars, la
plaisanterie a assez duré. Faudrait penser à arrêter de branler le
berger allemand des punks à chiens. Rappelez moi le nom du groupe
qui sort un coffret à prix pas discount le mois prochain ? Mais
si, un truc en forme de ghetto blaster, vous savez l'emblème du New
York Hip-Hop détourné par de dangereux rebelles anglais, ceux là
même qui nous promettaient de ne jamais se soumettre au business.
Cause toujours, tu m’intéresses.

Reste que la
lecture de ce hors série ne vous avancera pas d'un pouce sur le
sujet. Pire, suivre leurs conseils pourrait en rebuter plus d'un.
S'enfiler un album complet de Jefferson Airplane en 2013 doit être
aussi traumatisant que de se tenter Sgt Pepper's. Malgré toute
l'estime que j'ai pour Grace Slick, ses enregistrements des 60's
n'offrent plus grand chose de comestible à l'exception des deux hits, White rabbit et Somebody to love. Le parcours de
Grace Slick n'en demeure pas moins des plus intéressants, grande
gueule à la scène comme en dehors, elle n'a jamais cessé de mener
la vie rude à un business du disque bien peu habitué à subir de
telles ruades en ces temps reculés. Et pas question de faire
alliance, de s'entourer de copines pour mener le combat, la
demoiselle Slick s'est coltiné un milieu d'hommes dans un groupe
d'hommes. Aussi féminine soit-elle, la maîtresse d'école de mes
rêves les plus fous, s'est avérée la plus farouche de toutes et a
sacrément défriché le terrain pour les deux petites chéries de la
west coast a être apparues à sa suite.

Moins
vachardes dans le regard, ce serait toutefois commettre une grave
erreur que de considérer de fait Stevie Nicks et Linda Ronstadt
comme plus dociles. La première, petite chose blonde au nez
retroussé et à la moue boudeuse, se lancera, contre l'avis de tous,
dans une carrière solo, alors même que son groupe, Fleetwood Mac,
pas moins, cartonnait en tant que tel. Frustrée par le peu de titres
issus de sa plume à être utilisé par le groupe, Stevie Nicks
décida de rompre avec son image de timide sorcière bien aimée, et
sortit triomphante de sa prise de risque en vendant, sous son seul nom, tout autant de
disque que ceux estampillés par la marque déposée des créateurs
de Rumours. Et sans rien égarer en qualité.
Paru il y a
deux ans, In your dreams, produit par Dave Stewart, confirme tout le bien que j'avais pensé de
son prédécesseur, Trouble in Shangri-La. Ces deux disques sont de
véritables réussites dotées de compositions splendides comme
Stevie Nicks n'en avait plus délivré depuis Beauty and the beast.
Il n'y a pas à hésiter, c'est par ces deux là qu'il faut aborder
l’œuvre de la dame.
Linda
Ronstadt, c'est encore autre chose, et là on frôle le hors concours.
Présente dès la fin des 60's, elle est l'une des pièces
fondatrices du renouveau de la country californienne,
non seulement de par ses propres enregistrements, mais aussi en
révélant un nombres incroyables de songwriters de talent (JD
Souther, Jackson Browne, Glen Frey, Don Henley, Warren Zevon..). Mieux encore, pour l'accompagner sur scène, elle assembla rien de moins que
ceux qui deviendront ensuite, les multi-milliardaires du
genre, les Eagles ! Sans oublier qu'elle révéla aussi l'incontournable Waddy Wachtel.

Aucun d'entre
eux ne saura dompter la dame ni l'enfermer dans une niche quelconque.
Toujours attachée à prendre des chemins différents de ses
comparses, Linda Ronstadt renouvela son répertoire dès la fin
des 70's en enregistrant du Elvis Costello. Avant de dépoussiérer le
répertoire de Frank Sinatra avec la complicité du producteur original, Nelson Riddle, le temps de trois
albums somptueux, puis celui de son enfance avec deux disques de
chansons mexicaines qu'elle interprète avec une puissance vocale
d'une virulence seulement concurrencée par la douceur qu'elle sait
apposer, lorsque le feeling d'une chanson l'exige. Grande, grande
dame, fan de Buddy Holly et Hank Williams, comme il se doit. ce qui finalement défini assez bien son style.

Mais résumer
à de belles donzelles à l'épiderme dorée la Country californienne
serait pour le moins réducteur. Bien que décrié par les uns et pas
franchement assumé par les autres, Eagles reste le maître étalon
du genre. En additionnant aux rudiments du style, les chœurs et le
feeling des harmonies vocales des Miracles de Smokey Robinson ou des
Temptations de My girl, le groupe créa une osmose musicale d'une
beauté sublimée par une interprétation angélique, mais non
dépourvue de nerfs, et dotée de compositions parmi les plus enchanteresses à
avoir vu le jour. Écoutez Take it to the limit, ça définit mon
propos mieux qu'une esbroufe de mots flatteurs. Avec Eagles tout est
dans le savoir-faire des musiciens, une basse sautillante taillée
pour la danse, sensuelle au possible, mariée à un batteur alliant
frappe sèche et shuffle groovy, des guitares dépouillées à
l'essentiel flirtant les unes avec les autres, rarement prédominantes,
et une touche d'originalité tantôt donnée par un banjo entêtant,
une mandoline tire-larmes ou une partie de piano d'un classicisme
impérial. Desperado.
Si leur
Greatest hits de 1976, dont je n'ai jamais réussi à me lasser
depuis, est aussi indispensable à toute bonne discothèque qu'une
platine vinyle à un homme de bon goût, l'ensemble de leurs albums
mérite également que l'on s'y attarde. La difficulté étant d'en
préférer un plutôt qu'un autre.
Fleetwood
Mac, l'autre gros débiteurs de galettes, c'est plus simple. Le
premier album de la formation avec Stevie Nicks et Lindsey Buckingham
paru en 1975 et surtout l'audacieux Tusk de 1979 peuvent suffire, à
condition d'accepter de vivre sans Songbird, le chef d’œuvre de
Christine McVie sur Rumours.

Les années
80 seront fatales au groupe, l'addition d'une décennie d’excès
sera méchamment salée et il faudra attendre le dvd live The dance
en 1997 pour retrouver la formation dans la forme étincelante que
nécessite sa musique pour délivrer le meilleure d'elle même. Ce
dvd peut servir de parfaite introduction à l'univers du groupe, les
interprétations sont toutes supérieures aux versions studio, et
l'implication de Lindsey Buckingham fait froid dans le dos tant
le guitariste s'investit dans ses chansons. Superbe démonstration de
musiciens au travail, on est à des années lumières des poseurs
épileptiques ou des méga shows saturés d'effet spéciaux, c'est en
toute simplicité que Fleetwood Mac déroule son répertoire de rêve, et si le
temps n'a eu aucune emprise sur la qualité des voix, c'est avec
délice que l'on redécouvre certains morceaux des années 80 que les
synthés et la production d'alors avaient salopé dans les versions
originales. Notamment Little lies, Everywhere et ce Go insane de
folie qui ravage tout sur son passage tellement l'intensité qui s'en
dégage vous colle une grosse claque en travers de la tronche.
Après quoi,
vous pouvez toujours continuer à croire les conneries débitées au
kilomètre sur le rock californien et son seul but mercantile, ou
alors choisir de ne vous fier qu'à vos oreilles et découvrir des
merveilles. La production du genre étant innombrable, la route sera
chargée en tours et détours, et mieux vaut savoir lire une pochette
de disque pour s'y retrouver un chouïa grâce à la valse des
musiciens du cru et à leur goût pour la participation aux albums
des amis.

Pour aborder la chose en sortant des sentiers battus, le Greatest hits
en deux volumes de Linda Ronstadt s'avère incontournable ainsi qu'un
bon résumé de ces années Capitol records. Et démerdez vous pour
écouter son duo avec Aaron Neville sur le When something wrong with
my baby de Sam & Dave, c'est de l'or en barre. Les allergiques aux compilations peuvent se procurer sans grand risque Silk Purse, de 1970, sans doute ce qu'elle a enregistré de plus abrupte, c'est aussi un de mes favoris. Comment pourrait-il en être autrement d'un disque qui fait se côtoyer les Shirelles et Hank Williams ? Pour sa période plus dorée sur Asylum records, Don't Cry Now et Living in the USA illustrent fidèlement le bon goût de la chanteuse en affichant respectivement au programme le Desperado de Eagles et le Oooh baby baby de Smokey Robinson, dans des versions qui défient les affres du temps, ce qui n'est hélas pas le cas pour la santé de la chanteuse, atteinte de la maladie de parkinson, on vient tristement d'apprendre qu'elle mettait un terme à sa carrière.


You're Only Lonely de John David Souther, ainsi que l'album éponyme de 1972,
sont à acquérir en priorité de même qu'un bon Best of des Mamas
and Papas, Excitable boy de Warren Zevon ou, mieux encore, son album de 1976, celui de Carmelita. Le premier disque solo de Stephen
Stills également, tout gorgé de gospel et de groove qu'il est. Il n'est pas stupide non plus de passer un bon moment avec l'ultra rafraîchissant Bop 'Till You Drop de Ry Cooder. J'en profite pour rappeler à ceux qui l'ignoreraient avec trop de facilités que Chris Isaak, lorsqu'il ne partage pas la scène avec Stevie Nicks, le temps d'une tournée qui devait sacrément valoir le coup d’œil, enregistre encore et toujours d'excellents disques.
Enfin, parce
qu'on est mine de rien au 21eme siècle, et qu'il est le plus
brillant héritier du style, chopez vous sans tarder le Move By Yourself de Donavon Frankenreiter, et son tout récent Start Livin' bien qu'un léger cran en dessous, peut
aussi faire l'affaire.
Hotel
California, le livre, et le plus complet Waiting for the sun (chez
Allia une fois de plus) ainsi que son complément San Francisco (Le
castor astral) tout trois signés Barney Hoskyns, peuvent servir de
bible à quiconque souhaitera se pencher plus en profondeur sur le son entendu à la bordure du désert. Parmi les innombrables
disques enregistrés entre 1965 et 1980, ces passionnants bouquins
guideront chacun à en extraire et en distinguer, selon ses
préférences, les plus calibrés « mégaproductions
hollywoodiennes » ou les ovnis bluegrass de l'association Doug
Dillard & Gene Clark, tout autant que les perles intemporelles de
l'International submarine band, des Flying burritos brothers, Emmylou
Harris, Gram Parsons, Chris Hillman ou encore ce bijou à la lisière
des genre : No other de Gene Clark en solo. Sans oublier le If You Could Only See Me Today de Gene Vincent, mais là, c'est
l'intégrale du bonhomme qui s'impose, sinon je ne peux rien pour
vous.
Hugo
Spanky