jeudi 16 décembre 2021

La SéQueNCe du SPecTateuR

 


De film pour le cinéma, le projet Get Back a finalement muté sous la forme de trois épisodes diffusés sur Disney Channel (et ailleurs, pour ceux qui savent). Ce qui n'est pas plus mal, pour ne pas dire carrément mieux. Alors, certes, l'idée de se farcir quasiment huit heures de répétitions d'un groupe de rock mal embouché peut rebuter quiconque a déjà assisté à une répétition de groupe de rock, même bien embouché. A vrai dire, une bonne moitié du premier épisode confirme ces craintes, regroupé dans les studios de Twickenham sans adhérer au projet, flou, du réalisateur, le groupe, ou plutôt la somme de ses individualités, peine à trouver motivation. Et c'est rien de le dire. Lennon, allergique aux horaires imposés par le chef scout McCartney, ne se pointe que lorsque ça lui chante, le plus souvent vers midi pour annoncer qu'avant toute autre chose, il va aller becter. C'est là que l'affaire a commencé à me plaire. C'est là aussi que chacun va en faire sa tambouille, les pros McCartney trouveront scandaleux de le faire poireauter depuis 9 heures du matin dans le froid d'un hangar inhospitalier avec Linda et ses cancans comme seule compagnie. Les pros Lennon argueront qu'un rocker n'obéit à aucune sorte d'horloge. 




Il ne s'est écoulée qu'une petite heure qu'on rigole déjà devant les mines déconfites. Michael Lindsay-Hogg initiateur du projet peine à convaincre, son idée de filmer le groupe de la première répétition jusqu'à leur pharaonique retour sur scène au pied des pyramides d'Egypte (celle du Louvre n'existait pas encore en ces temps immémoriaux) amène plus d'interrogations que de certitudes. Ringo est catégorique, ça se fera en Angleterre ou ça ne se fera pas. Quelqu'un évoque la possibilité de le faire sur un bateau de croisière, même ça on leur doit ! Et puis un concert, mais pour jouer quoi ? Love me do ? Help ? Et comment ? Comme hier ? Quel autre choix ont-ils ? Aucun des morceaux les plus récents du groupe n'est jouable sur scène sans être réarrangé de fond en comble. Revisiter Strawberry fields forever... Vous la sentez monter la mayonnaise ? Le plus raisonnable est encore de composer une setlist toute neuve et de profiter du concert pour en faire un nouvel album. En avant toute! Sauf qu'il est déjà tard et qu'on verra ça demain. 



La faim ouvrant l'appétit, on a dévoré la suite en se retenant de ne pas tout s'enfiler d'un trait. Au bout du compte, ça aurait pu durer huit heures de plus, on serait toujours collé à l'écran! Oh la, ne croyez pas qu'il se passe quoi que ce soit. Loin de là. Tout juste si les boys s'amusent du malaise ambiant pour prendre Peter Sellers à son propre jeu. Je vous le dis tout net, si vous êtes friands de l'acteur faudra vous y faire, sa carrière n'y survit pas. L'hydre trouve là son premier terrain d'entente. Fin du round d'indifférence. Harrison va en faire les frais. Si une chose est claire, c'est bien que Lennon et McCartney ne sont là que pour se torturer mutuellement, démontrer à qui le veut qui est le leader. Exacerbés par la présence des caméras les égos enflent en silence, malheur à celui qui perdra son self-control. Il est fascinant de voir comment ces deux là vont réussir à se reconnecter en se poussant à bout sans jamais s'attaquer frontalement, avant de se ressaisir lorsque Harrison refuse de remplir plus longtemps le rôle de dommage collatéral, qui avait été celui de Ringo lors des sessions du White album.



La suite est fascinante, la façon dont ils parviennent à construire les chansons laisse rêveur. A aucun moment, ces mecs là ne travaillent avec bon sens, sitôt que le feeling est bon, qu'ils sont à deux doigts d'aboutir, Lennon se lance dans des pitreries, sitôt qu'un consensus pointe le bout de son nez sur l'endroit où donner ce foutu concert sans cesse ajourné, McCartney affiche ses doutes, tergiverse, ne sait pas, ne sait plus s'il existe encore. On connait la fin, je spolie pas grand chose en révélant à quel point ils sont bons lorsqu'ils se branchent enfin sur le toit d'Apple. Ce que Get Back nous fait découvrir, c'est à quel point ça tient du miracle. Tout comme ça tient du miracle qu'aucun des trois n'ait étranglé McCartney lorsqu'il attaque Let it be pour la centième fois. Surement qu'il devait y avoir de l'amour dans l'air. Bien plus qu'ils ne voulaient le montrer.


Hugo Spanky