lundi 12 août 2019

The BeaTLeS


Déblatérer sur les Beatles en 2019, si ce n'est pour évoquer éventuellement le remixage du double blanc par le fiston de George Martin, et signifier d'un même coup qu'il va récidiver avec Abbey Road d'ici peu, se résume à enfoncer une porte ouverte aux quatre vents. Les Beatles, pensez donc, même ma mère a un avis dessus. On peut vouloir jouer les gros durs, prétendre des énormités pour faire le mariole, au final on aura toujours ce foutu groupe capable de placer un titre comme Rain en face B d'un single ou s'abstenir d'inclure Strawberry fields forever sur le moindre album. Il y a quand même moins risqué pour se ridiculiser que de dénigrer une œuvre qui aujourd'hui encore se redécouvre sous des aspects insoupçonnés. Suffit de dégainer la version mono de leur discographie pour transcender jusqu'au plus faiblard de leurs morceaux. Je me suis chargé de vérifier l'été dernier, fini la voix connement isolée à gauche tandis que le groupe sonne en dilettante dans le canal de droite, avec la mono la baston se déchaine au milieu du bar à putes de Hambourg qui vous sert de salon. Vous pouvez balancer vos Dr Feelgood.


Cet été, j'ai rechuté en me plongeant dans le Revolution In The Head de Ian McDonald, un bouquin qui, à la suite d'une passionnante mise en contexte, peut être ce que j'ai lu de plus pertinent sur les sixties, passe en revue tout ce que le groupe a enregistré comme chansons, reprises comprises. Et ça fait mal à la concurrence. D'autant qu'inévitablement on ressort les albums pour vérifier les dires et affuter les désaccords, nombreux en termes de préférences. Et comme j'ai un grain, j'ai embrayé sur l'intégrale des Purple Chick, ces dossiers maousse costauds qui regroupent pour chaque album la version stéréo, la mono, les inédits restés en rade, les faces B de singles, ainsi que tout ce qui présente intérêt (même minime) dans les sessions d'enregistrement, les répétitions et autres jams impromptues. Je me suis enfilé au casque à 3 plombe du matin 1h10 de Revolution en mode mise en place acharnée, avec Yoko Ono qui commente ce qui se passe par dessus la musique. J'ai basculé dans une autre dimension sans avoir eu besoin d'Alice pour me faire une tisane. The Beatles Go Too Far que ça s'appelle, si pour vous aussi la musique est autre chose qu'un divertissement, si l'archéologie vous passionne, vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas que ça existe.

Forcément qu'à m'imbiber ainsi le buvard, j'en ai tiré des conclusions. Les Beatles ne sont jamais meilleurs, à écouter aujourd'hui, que lorsqu'ils jouent rock, qu'ils y vont franco dans le cradingue tendance loose. Ok, pas grand chose n'égalera jamais les sommets Pop que sont Strawberry fields forever, A day in the life et I am the walrus, c'est dit, je n'y reviens plus. Mais, olala le gros mais que voila, c'est quand même le White Album qui rafle la mise. Album shooté, visionnaire dans son minimalisme branleur, ses morceaux casse-gueules auxquels on s'accroche par où on peut. Lennon est incroyable de bout en bout. Après trois années sous LSD, le voilà qui soudainement sevré éjacule une vingtaine de chansons dans un ashram en Inde qu'il rentre illico enregistrer à Londres en s'injectant autant d'héroïne qu'il peut. Lennon ne faisait rien à moitié. Il en résulte des machins cyniques dans lesquels l'ironie le dispute à l’abattement, Yer blues (il veut mourir), Julia (elle est morte), Sexy Sadie (le maharashi est une salope), Dear Prudence (la frangine cloitrée de Mia Farrow rendue à moitié zinzin par la méditation), Happiness is a warm gun (bang bang shoot shoot), Glass onion (foutage de gueule des fans obsessionnels, qui finiront par avoir sa peau), Everybody's got something to hide except me and my monkey (réponse cinglante aux médias qui traite Yoko de guenon), Revolution 1 (il torche les révoltes estudiantines à la mode en 68 tout en se grattant une belbe sans réveiller l'autre), Revolution 9 (8mns de terreur d'un monde cocotte-minute), Cry baby cry (chiale, tu pisseras moins), I'm so tired (vous m'avez tous gonflé), Goodnight, rideau, basta, foutez moi peinard. Le double blanc, c'est John Lennon au firmament de sa mise à nu.



McCartney, du coup, s'aligne sur la férocité en balançant Back in the USSR, Birthday, Why don't we do it in the road et Helter Skelter, joue l’apaisement avec Blackbird, Mother nature's son, reste le garçon prévoyant que l'on connait en assurant un hit à un album aussi peu commercial que possible avec Obladi Oblada et nous pète un peu les noix avec Honey pie, Rocky Raccoon et Martha my dear. Tandis que Harrison, après un Piggies dont je n'ai jamais su quoi penser, s'en sort mieux que d'habitude en fourguant Savoy truffle, While my guitar gently weeps et le fabuleux Long long long. Avec le double blanc, c'est bien simple, même les sessions de travail sont fascinantes et les démos sommairement enregistrées à Esher dans la maison de Harrison sont aussi indispensables que l'album finalisé. Une bonne idée que de les avoir éditées officiellement l'an passé dans le quadruple vinyl (ou triple cd) commémorant le 50eme anniversaire du disque.

L'autre grand album à surnager du lot lors de cette inspection surprise, c'est Revolver. Encore un dominé, des tripes et de l'esprit, par Lennon. Même si paradoxalement c'est l'un des disques pour lesquels il fournira le moins de titres. Sauf que ce sont ceux là qui donnent le ton. I'm only sleeping, She said, she said (description du premier trip de l'auteur effectué en compagnie de David Crosby, Roger McGuinn et Peter Fonda), Dr Robert (fournisseur des pills qui aujourd'hui encore assassinent Prince, Tom Petty et compagnie), And your bird can sing (passage à tabac de ceux pour qui les Beatles ne sont qu'une nichée d'oisillons à frange) et ce Tomorrow never knows dont personne ne s'est jamais remis. A côté de ça McCartney livre trois de ses plus belles mélodies, Eleanor Rigby, Here there and everywhere et l'inégalable et vachard For no one (And in her eyes you see nothing, no sign of love behind her tears) adressé à l'indomptable Jane Asher
Fidèle à lui-même il ne peut se retenir d'être casse bonbon avec le barbant Got to get you into my life et un Good day sunshine bien inutile. Par contre Harrison cogne sec avec Taxman (la version mono s'impose), I want to tell you et l'alien Love you to qui ouvre la Pop aux saveurs de l'Orient transcendantal sans que je ne trouve à m'en plaindre. 



En conclusion reste l'album que je n'avais pas vu arriver, celui sur lequel je ne m'étais jamais donné réellement la peine de me pencher et qui finalement a vieilli avec malice. Je parle de Let It Be. Et devinez qui tient les rênes de l'affaire ? Sur la lancée du double blanc, dont les sessions pour Let It Be seront la continuité directe, Lennon poursuit son travail de sape en épurant jusqu'à l'os des compositions qu'il gratte avec un son de guitare ravagé. Pour la première fois depuis des lustres, concept d'enregistrement live oblige, il va collaborer étroitement avec McCartney, leur partage du micro et la tension qui en résulte font des merveilles sur I've got a feeling. Ailleurs, ils ressortent du tiroir une de leurs plus anciennes compositions, One after 909, pour en délivrer une remuante version qui retrouve intacte la gniaque des débuts. Un Maggie mae bastringue et un Two of us couleur country débraillée plus tard et il est temps de les retrouver dans des travaux plus personnels. 




Pour beaucoup, les deux grandes chansons du disque sont griffées McCartney, Let it be, rubber gospel s'il en est, et le conflictuel The long and winding road, que le bassiste rêvait dépouillé, mais que son trublion d'acolyte se chargea de rendre dégoulinant de chantilly en donnant carte blanche à Phil Spector au comble de sa démesure orchestrale. Personnellement, tout en appréciant grandement les qualités de ces deux là, ce sera plutôt le bluesy Dig a pony, registre que Lennon alimente depuis peu, donnant ainsi un nouvel éclairage à un groupe qui jusqu'à Yer blues avait montré, en terme de black music, un intérêt nettement plus porté sur Motown que sur Chess, et surtout le sublime Across the universe que je porterais aux nues.
Harrison maintient le niveau avec un For you blue déglingué et l'entêtante valse I me mine qui sera l'ultime enregistrement des Beatles, malgré l'absence de Lennon (Starr étant absent de Because, il faut remonter à juillet 69 et She came in throught the bathroom window pour trouver la dernière trace enregistrée du quatuor au complet). C'est néanmoins Get back qui, en terme de cohésion et de parution, peut être considéré comme la dernière grande chanson exécutée par les Beatles (avec Billy Preston en guest), c'est elle qui conclut cet album souvent mal aimé, à tort. 
Let It Be, crânement je m'en foutiste, même les titres les plus empreints de classicisme sont bourrés de pains et autres joyeuses fausses notes, est le disque foutraque que les Rolling Stones de Beggar's banquet, Let It Bleed et Exile On Main Street n'ont jamais réussi à concrétiser, faute d'avoir suffisamment de cet arrogant talent qui permettait aux Beatles de massacrer une chanson avec panache sans parvenir à la rendre mauvaise pour autant. En cela l'association du génie musical inné de McCartney pour la mise ne place savante et celui turbulent, destructeur et instinctif de Lennon pour dérégler ce qui sans lui manquera souvent de folie n'a eu aucun équivalent. 
C'est pourquoi, je suis là, encore, en aout 2019 comme au temps de la découverte des doubles rouge et bleu, piochés au pifomètre et en cassettes sur le présentoir tourniquet d'Intermarché en des temps immémoriaux, à écouter les Beatles après les avoir cent fois rejetés, adorés à nouveau, reniés puis dévorés. Tout change dans la vie, tout casse et tout passe et tout lasse, tout sauf les Beatles.

Hugo Spanky