jeudi 16 décembre 2021

La SéQueNCe du SPecTateuR

 


De film pour le cinéma, le projet Get Back a finalement muté sous la forme de trois épisodes diffusés sur Disney Channel (et ailleurs, pour ceux qui savent). Ce qui n'est pas plus mal, pour ne pas dire carrément mieux. Alors, certes, l'idée de se farcir quasiment huit heures de répétitions d'un groupe de rock mal embouché peut rebuter quiconque a déjà assisté à une répétition de groupe de rock, même bien embouché. A vrai dire, une bonne moitié du premier épisode confirme ces craintes, regroupé dans les studios de Twickenham sans adhérer au projet, flou, du réalisateur, le groupe, ou plutôt la somme de ses individualités, peine à trouver motivation. Et c'est rien de le dire. Lennon, allergique aux horaires imposés par le chef scout McCartney, ne se pointe que lorsque ça lui chante, le plus souvent vers midi pour annoncer qu'avant toute autre chose, il va aller becter. C'est là que l'affaire a commencé à me plaire. C'est là aussi que chacun va en faire sa tambouille, les pros McCartney trouveront scandaleux de le faire poireauter depuis 9 heures du matin dans le froid d'un hangar inhospitalier avec Linda et ses cancans comme seule compagnie. Les pros Lennon argueront qu'un rocker n'obéit à aucune sorte d'horloge. 




Il ne s'est écoulée qu'une petite heure qu'on rigole déjà devant les mines déconfites. Michael Lindsay-Hogg initiateur du projet peine à convaincre, son idée de filmer le groupe de la première répétition jusqu'à leur pharaonique retour sur scène au pied des pyramides d'Egypte (celle du Louvre n'existait pas encore en ces temps immémoriaux) amène plus d'interrogations que de certitudes. Ringo est catégorique, ça se fera en Angleterre ou ça ne se fera pas. Quelqu'un évoque la possibilité de le faire sur un bateau de croisière, même ça on leur doit ! Et puis un concert, mais pour jouer quoi ? Love me do ? Help ? Et comment ? Comme hier ? Quel autre choix ont-ils ? Aucun des morceaux les plus récents du groupe n'est jouable sur scène sans être réarrangé de fond en comble. Revisiter Strawberry fields forever... Vous la sentez monter la mayonnaise ? Le plus raisonnable est encore de composer une setlist toute neuve et de profiter du concert pour en faire un nouvel album. En avant toute! Sauf qu'il est déjà tard et qu'on verra ça demain. 



La faim ouvrant l'appétit, on a dévoré la suite en se retenant de ne pas tout s'enfiler d'un trait. Au bout du compte, ça aurait pu durer huit heures de plus, on serait toujours collé à l'écran! Oh la, ne croyez pas qu'il se passe quoi que ce soit. Loin de là. Tout juste si les boys s'amusent du malaise ambiant pour prendre Peter Sellers à son propre jeu. Je vous le dis tout net, si vous êtes friands de l'acteur faudra vous y faire, sa carrière n'y survit pas. L'hydre trouve là son premier terrain d'entente. Fin du round d'indifférence. Harrison va en faire les frais. Si une chose est claire, c'est bien que Lennon et McCartney ne sont là que pour se torturer mutuellement, démontrer à qui le veut qui est le leader. Exacerbés par la présence des caméras les égos enflent en silence, malheur à celui qui perdra son self-control. Il est fascinant de voir comment ces deux là vont réussir à se reconnecter en se poussant à bout sans jamais s'attaquer frontalement, avant de se ressaisir lorsque Harrison refuse de remplir plus longtemps le rôle de dommage collatéral, qui avait été celui de Ringo lors des sessions du White album.



La suite est fascinante, la façon dont ils parviennent à construire les chansons laisse rêveur. A aucun moment, ces mecs là ne travaillent avec bon sens, sitôt que le feeling est bon, qu'ils sont à deux doigts d'aboutir, Lennon se lance dans des pitreries, sitôt qu'un consensus pointe le bout de son nez sur l'endroit où donner ce foutu concert sans cesse ajourné, McCartney affiche ses doutes, tergiverse, ne sait pas, ne sait plus s'il existe encore. On connait la fin, je spolie pas grand chose en révélant à quel point ils sont bons lorsqu'ils se branchent enfin sur le toit d'Apple. Ce que Get Back nous fait découvrir, c'est à quel point ça tient du miracle. Tout comme ça tient du miracle qu'aucun des trois n'ait étranglé McCartney lorsqu'il attaque Let it be pour la centième fois. Surement qu'il devait y avoir de l'amour dans l'air. Bien plus qu'ils ne voulaient le montrer.


Hugo Spanky





vendredi 26 novembre 2021

ZNoRT !

 


Mal distribués, isolés sur leur marché national, sombres dans le ton, les italiens étaient les plus créatifs. En mal de renouvellement malgré une domination sans conteste depuis le milieu du vingtième siècle, les belges déclinaient lentement dans un respect des ainés teinté de lassitude. Enferrés dans les comics, les américains ne parlaient qu'à eux-mêmes lorsqu'ils se risquaient à autre chose, Crumb, Shelton, les provocations satiriques de l'underground US paraissaient bien inoffensives envers Nixon et ses sbires, vu d'un pays où la mort du Général De Gaulle se trouvait brocardée en une d'un journal autrement plus corrosif. 

Les années soixante-dix prennent l'affiche, Tintin, Astérix, Gaston Lagaffe, Blake et Mortimer ronronnent en albums, tandis que le reste se fréquente avec désinvolture sous forme de brèves disséminées dans les dernières pages des journaux. Le temps de la révolte a sonné ! La mutation de Jean Giraud en Moebius anticipe le mouvement, la création des Editions du Fromage fondées par Claire Bretécher, Gotlib et Mandryka pose la première pierre d'un édifice vite renforcé par Les Humanoïdes Associés de Jean-Pierre Dionnet, Moebius, Philippe Druillet et Bernard Farkas, plus tard remplacé par Philippe Manoeuvre pour la partie relation publique. 

Ces deux éditeurs au professionnalisme tout relatif vont propager une nouvelle forme de récits plus en accord avec la culture rock que leurs ainés de Pilote, dont ils furent membres dissidents, ne surent l'être. A travers les magazines Metal Hurlant pour les Humanos et L'Echo Des Savanes pour les Fromagers, une ribambelle de nouveaux auteurs et dessinateurs va déferler en bousculant les conventions, forgeant une alliance avec leurs homologues transalpins. Et lorsque Gotlib claque la porte des Editions du Fromage pour fonder Fluide Glacial en s'inspirant des satires de l'underground américain, ce sont toutes les formes de la bédé universelle qui converge vers une France enfin à la pointe d'une culture en phase avec son époque. 


Dix ans durant, de 1975 à 1985 date à laquelle Dionnet quitte le navire, notre pays va rayonner dans le domaine des cases à bulles, triomphant au delà du raisonnable jusqu'à se faire dévorer tout cru par les investisseurs de tous crins. La vente du titre Metal Hurlant aux américains en 1977 sera le premier écueil, Heavy Metal connaîtra un tel succès que dès lors il ne sera plus question que de chiffres et rentabilité. Bye bye les ambitions artistiques commercialement casse-gueule, adieu les Editions Speed 17, émanation en littérature des Humanoïdes Associés qui permis de découvrir Charles Bukowski, Hunter S.Thompson, Hubert Selby et pas mal d'autres sans parvenir à s'installer durablement dans le paysage. Too much, too soon. A l'orée des années 80, les Humanos s'offrent une renaissance sous forme d'albums aux allures cheap puisant leur inspiration dans un quotidien de sales gosses aussi inoffensifs qu'attachants, Margerin (Lucien), Tramber et Jano (l'inégalable Kebra) puis Tramber seul (William Vaurien), Dodo et Ben Radis (Les Closh), Charlie Schlingo (Trip Slip), Peter Pluut (Richard Crève-Cœur), Pierre Ouin (Bloodi) rencontrent un large succès populaire, tardivement accompagné par la brève existence du magazine Rigolo, là où les précurseurs, Druillet (La Nuit), Moebius (La Folle Du Sacré-Cœur, L'Incal), Chantal Montellier (Andy Gang), Dick Matena (La Fille du Prêcheur), Serge Clerc (Rocker!), Loustal (Cœurs de sable) ou Denis Sire (Bois Willys) n'avaient conquis que la frange la plus élitiste du public rock.


Les Editions du Fromage devenues Echo Des Savanes sous le contrôle d'Albin Michel prennent la tête du peloton en optant pour des albums affriolants aux allures luxueuses, l'érotisme gothique d'Alex Varenne (Erma Jaguar), Martin Veyron (L'Amour Propre) et son arrogant Bernard Lermite, La Survivante de Paul Gillon, Torpedo de Berthet, Le Déclic de Manara qui vire phénomène de société tout comme Vuillemin et ses sales blagues récupérées par canal plus, Les 110 Pillules de Magnus (mais aussi Necron), Pauvres mais Fiers de Didier Tronchet, Léon La Terreur de Theo Van Den Boogaard, 
Squeak the mouse de Mattioli... Bizarrement, c'est le moment que le magazine choisit pour réduire sa part de bédé à la portion congrue au bénéfice de reportages potaches parfumés de  nudité aseptisée. Le crash suivra rapidement.





Les Editions Glenat font illusion un temps avec quelques séries particulièrement réussies, Eva Medusa d'Ana Mirallès qui préfigure Djinn avec bien plus de mordant, la mise en abyme Raoul Fulgurex de Tronchet, le sommet étant sans doute atteint par Les Passagers du Vent de François Bourgeon dont les six premiers volumes, parus entre 1979 et 1984, nous plongent dans le contexte colonial des dernières années de la royauté et l'esclavagisme qui va avec. Autre grosse claque avec Les Eaux de Mortelune de Patrick Cothias et Philippe Adamov même si rien ne suffit plus pour éviter l'inévitable. Comme la musique, la bande dessinée se convertit au numérique, perd son grain, l'anarchie de ses cases, se découpe en niches artistico-mes-couilles. Les éditeurs indépendants plient boutique, quelques uns sont intégrés par les institutionnels. Je me raccroche aux séries Dinosaur Bop et Je suis une Sorcière de Jean-Marie Arnon, inspirées des Cramps autant que de Jack Kirby, mais aussi excellentes soient-elles, c'est bel et bien la queue de la comète. Chacun y va de son format bien ordonné, de son génie régional subventionné, le ton (re)devient bêta, au nom de l'épure les dessins s'émancipent du détail. Une case blanche, deux coups de crayon et on s'ébahit devant tant d'audace. Et je parle même pas des scénarii nombrilistes où neuneu y va de sa petite névrose dans l'air du temps. Bouffonnerie que tout cela.


Mais, mais, attendez un peu, on ne va pas se quitter là dessus. On s'en fout de ces glaires, il reste les inamovibles, ceux que le temps n'effleure même pas. A traquer aux puces, à l'ancienne, LES INDISPENSABLES !



Qui ? Dis nous qui ! me hurlent les voix en panique sans se rendre compte que la première des réponses trône depuis plus de 15 ans en proue de ce blog : RanXerox, bordel ! Créé de toutes pièces, scénario et dessins, par l'italien Stefano Tamburini en 1978 Rank Xerox et sa dulcinée Lubna font leurs premiers carnages dans les pages des magazines transalpins Cannibale puis Frigidaire avant que la collaboration avec le dessinateur Tanino Liberatore ne leur donne l'allure définitive qu'on leur connait (et qu'une menace de procès du fabricant de photocopieur ne modifie le Rank Xerox originel en RanXerox définitif). En deux albums, Ranx à New York (1981) et Bon anniversaire Lubna (1983), le duo va retourner cul par dessus tête tout ce qui a pu se faire jusque là en matière d'outrage et d'ultra violence. Le cinéma va s'en inspirer, l'univers du rock en général (Zappa en tête qui leur fera réaliser la pochette de The Man from Utopia), Ranx sera l'aboutissement d'une logique enclenchée avec Orange Mécanique, ainsi que l'acte de naissance d'un underground gore joyeusement décérébré. Le plus incroyable étant que tout cela ait pu exister, profitant d'une faille spatio-temporelle entre la fin de la censure de Mad Max et avant celle du Déclic de Manara. Avec Ranx tout est permis, l'âge indécent de Lubna et ses copines, le lynchage en règle d'handicapé, le sexe affiché énorme et dressé de l'androïde, les shooteuses ensanglantées, rien n'est glissé sous le tapis. L'aventure prend hélas fin trop vite avec la mort par overdose de Stefano Tamburini en 1986, véritable moteur transgressif de l'affaire. Un troisième album poussif, Amen, finalisé par Alain Chabat à partir d'un scénario inabouti de Tamburini confirmera qu'il vaut mieux en rester là.
En plus de réunir les trois albums, une Intégrale (encore merci Harry Max pour le cadeau) publiée en 2010 par Glenat permet de retrouver les premiers strips dessinés par Stefano Tamburini longtemps inédits en France.






Restons au chapitre lacrymal pour évoquer Chaland, Yves de son prénom. Celui dont la disparition en 1990 d'un accident de voiture à 33 ans laisse le plus d'interrogations sur ce qu'il aurait pu devenir tant, dans son cas, le talent se mesurait à l'intelligence. Dès sa découverte par Dionnet à la fin des années 70, Chaland apparait d'un antagonisme acharné. Pensez donc, au milieu des aliens bubonneux aux couleurs fusionnelles, des tripes et du sang, de la chair opulente, du néo-réalisme plus vrai que vrai (au point de flirter avec la photo dans le cas de Claeys) voila t-y pas qu'un drôle de zigoto se met à pondre des Spirou. Adepte de la ligne claire, style que l'on croyait alors aussi enterré que les tapisseries à fleurs, Chaland va ressusciter un univers qui n'avait finalement jamais connu l'âge adulte. Car si son style graphique est d'un classique estampillé, sans ambiguïté, par la maison mère Bruxelles, l'irrévérence de son ton n'en demeure pas moins incroyablement peu consensuel. Et c'est rien de le dire. Chaland, c'est Blondin et Cirage de Jijé, le Hergé de Tintin au Congo première édition dans le texte, non content d'en retrouver le trait, il exploite à fond les manettes tout ce qui, au fil des ans, sera décrété d'un mauvais goût inacceptable. Je m'explique. Âmes sensibles s'abstenir, il faut ici autant de second degré que de bon goût. L'univers de Chaland, celui de Freddy lombard, Captivant, Adolphus Claar, Bob Fish et, plus sardonique encore, du Jeune Albert, est celui des années du racisme banalisé, des réflexions impitoyables, des mesquineries meurtrières. On meurt enfant chez Chaland, on triomphe salaud, on apothéose la crasse derrière l'élégance du trait. Le pire étant que dire tout ça est terriblement réducteur. Il faut lire Chaland, se goinfrer de ses dessins, s'esclaffer de ses dialogues. Son intégrale tient en quatre volumes dont on ressort l'esprit affuté et virevoltant, révolté aussi, un peu plus encore, par l'ineptie de nos censeurs. Chaland éveille une part de nous qu'on ne cesse de vouloir mettre sous cloche, l'impertinence.

En hommage à Jijé et Franquin Chaland aura l'occasion de signer une aventure de Spirou, Cœur d'acier, qui, trop clivante, fera reculer Dupuis qui envisagea un temps de lui confier le personnage. Cette ultime aventure sera interrompue en plein cours par l'éditeur, avant de connaître de nombreuses péripéties aboutissant en 2013 par la parution de l'intégralité des planches, enfin, chez Dupuis. A ce moment là, Chaland sera mort depuis longtemps et c'est à nous, maintenant que c'est essentiel, d'user et d'abuser de notre liberté de ton. Et laisser les cons, les bêtes et les ignares pour ce qu'ils sont. 






Toute passion à son déclic et c'est par le biais de quelques planches publiées dans le magazine Phenix que Crepax me déniaisa. Pour la première fois je voyais la bédé autrement que comme une sorte de tradition dont on hérite en même temps que des albums d'Astérix de son grand frère, et qu'on poursuit sans trop se sentir concerné. Mon oncle Hubert avait éveillé un début d'intérêt en me refilant ses Tanguy et Laverdure, mais rien de comparable au choc que je reçus en découvrant Anita.  Tantôt tendue, tantôt défaite, traits d'encre noir aux mouvances psychédéliques, violée par son écran télé l'espace d'un récit que je mettrais des années à compléter, faute d'en connaître l'auteur. Ainsi allait l'enfance avant l'encyclopédique internet, en quête d'un vague souvenir on découvrait en chemin mille autres merveilles.



Je pourrais ici tartiner cent lignes sur la bédé friponne, vous réciter tout un paragraphe sur les seins de Blanche Epiphanie, l'orpheline tourmentée de George Pichard, j'en suis fana. Mais Crepax reste à part, souvent sans grand sens autre que celui qu'on veut bien donner à des histoires cousues de motos longilignes, de cuirs, de fouet, de mini-jupes juchées tout en haut d'interminables paires de jambesson style demeure unique. Anita, Valentina, Bianca, Crepax a des perspectives lysergiques. Ailleurs, il donne trait à des classiques de la littérature et soudain Emmanuelle n'est plus un film, Histoire d'O, Dr Jekyll et Mr Hyde, La Venus à la fourrure, Justine...de quoi s'évader sans désir de retour.


Et parce que c'est jamais fini, tant que c'est pas fini, il y a Blueberry. Une trentaine d'albums (si on inclut La Jeunesse) pour une vie entière depuis la guerre de secession jusqu'aux prémices du vingtième siècle. Celle d'un déserteur, un opportuniste qui s'endurcit au fil des coups durs, demeure pacifiste dans l'âme, traverse l'agonie d'un monde, tandis qu'un autre s'éveille. Entre spaghetti et John Ford, La prisonnière du désert et Il était une fois dans l'ouest, Blueberry ouvre une voie. Devenue licence à la mort de Jean Giraud, fuyez les albums qui ne portent pas sa signature, mais ne négliger aucun des autres. Pour en saisir toute la portée, il convient de commencer par le début, Blueberry ayant la particularité de vieillir au fil de ses aventures. Ce qui en fait le personnage qui nous ressemble le plus.






L'intégrale de Blueberry se justifie, comme celle de Corto Maltesse pour d'autres que moi, mais la bédé c'est aussi des coups de cœur. Parmi ceux là, La Comtesse Rouge fantasmagorique adaptation par George Pichard du sanguinaire parcours de la Comtesse Bathory, La Femme du Magicien dessiné par Boucq sur un scénario de Charyn édité par Casterman dans la collection (A Suivre), un pur moment de grâce sublimé par des traits d'une finesse qui confine à l'irréel. Battaglia raconte Guy De Maupassant dans un registre totalement différent et tout aussi captivant, et pour en citer un de récent, parce que c'est mérité autant que rare, Little Odyssée de Fred Bernard chouette histoire crayonnée de mobylettes, d'ennui et de mauvais choix qu'on n'a pas le temps de regretter. Puis il y a le cas Loustal, pour lequel j'ai pas les mots, sinon ceux que vous avez déjà lu ailleurs. Démerdez-vous avec ça. Côté ricain, il faudra y revenir pour causer comme il se doit du Conan de John Buscema et de son Surfer d'Argent, du Iron Man de John Romita Jr (Le diable en bouteille), glorifier le trait révolutionnaire de Jack Kirby, en glisser une sur les démentiels scenarii d'Alan Moore, étonnamment le seul anglais du lot, et ses séries V pour Vendetta, Watchmen, son épatant From Hell, sans oublier The Killing Joke peut être son chef d'oeuvre et sans doute le meilleur des Batman.

Plus j'en ajoute, plus j'en oublie.


Hugo Spanky



dimanche 26 septembre 2021

SuBWaY To heaVeN : IggY PoP



Subway to heaven, toujours le même principe, choisir un album et un seul dans une discographie richement fournie. Peu importe ce qui motive ce choix, raisons personnelles ou musicales, irréfutables ou discutables, bonnes ou mauvaises. Parfois une seule raison suffit. Dans le cas Iggy Pop, elle seront mauvaises aussi nombreuses soient-elles, parce qu'Iggy Pop est mauvais. C'est même son fond de commerce. D'où l'erreur souvent commise en cherchant le meilleur de son œuvre de désigner ses disques les plus barbants. J'en ai connu qui défendaient mordicus des machins comme American Caesar. Je vous jure que c'est vrai. 


Une fois n'est pas coutume, je vais tacher de commencer par le début, ça ne prendra pas trois plombes vu que sa discographie ne m'a plus intéressé le moindre du monde au delà de Zombie Birdhouse en 1982. Le début, j'ai dit, et voila que je disgresse. Les Stooges, donc. Fun House, celui par qui le désastre m'a atteint. J'y ai aiguisé mes crocs de jeunes hardos sur celui là. Je dois reconnaître qu'il m'avait fait forte impression en ces temps éculés où la fougue adolescente confond aisément fantasme et réalité. J'en ai aimé le son massif, la basse qui se contorsionne dans les interstices, le groove poisseux et la guitare qui colle des coups de boule. Faut dire que je pratiquais le coup de boule moi-même, ça crée des liens. Sauf que tout lasse, même le plaisir de voir tituber les caïds de terrain vague. Fun House m'a bien fait dix ans, remarquez, ça mérite les honneurs, alors que 1969 n'a guère passé le cap du premier hiver. Je l'ai ressorti plus tard, lorsque les psychotropes sont entrés dans ma vie et que We will fall a eu ma prédilection pour exorciser les psychoses des premiers trips. Là encore, ça n'a fait qu'un temps. Raw Power s'est lui avéré plus résistant, je vénère le mixage sublimement foutraque de Bowie, cette guitare qui sort des limbes, vous crache à la gueule et disparait aussi sec en ricanant comme une hyène. La solitude de la caisse claire, le misérabilisme des fûts, cette grosse voix très en avant, la guitare acoustique qui racle dans un coin, la basse qui tient le tout pas exactement debout, mais à peu près en équilibre, c'est parfait. Si j'avais dû enregistrer un disque, c'est le son que j'aurais voulu. Search and destroy, Gimme danger (Gimme danger!!!), I need somebody (ma préférée de toutes), Your pretty face is going to hell, Penetration et...et voila. Cinq titres démentiels, outrageux, terribles. Inégalables. Cinq titres sur huit, une excellente moyenne pour Iggy Pop. Shake appeal est sympathique, et de fait hors propos, Raw power fait illusion, mais n'est jamais qu'une formule, aucune des deux ne me donne le grand frisson. Je vous épargne mon avis sur Death trip, je sais qu'il pourrait froisser les suicidaires d'opérette qui se cachent parmi vous. 




Tant qu'à taper dans la période James Williamson, New Values est finalement plus consistant. A tout dire, les quatre albums alignés entre 1979 et 1982 sont ceux que j'ai le plus consommé. New Values est l'indispensable du lot, principalement parce que les compositions sont toutes potables. Five foot one, Tell me a story, I'm bored, New values sont mêmes mieux que ça, des petits classiques d'un certain rock. Le format est moderne, ça ne s'étale pas indéfiniment, l'interprétation suffisamment sobre pour être gratifiée de new wave, la production est claire et de fait indémodable. En prime Endless sea est un vrai bijou et Angel une chouette surprise, la première est une relecture novo de Dirt, la seconde une sorte de Johanna de gala. Les secondes gâchettes que sont Girls, Don't look down, Curiosity, How do you fix a broken part ne mordent pas la poussière, tandis qu'African man amuse la galerie. Et comme Iggy Pop en fait toujours trop, on a droit à un Billy is a runaway dont on se serait volontiers passé.





Soldier est plus inégal, les titres composés par Glen Matlock dominent l'ensemble de la tête et des épaules. Bowie supervise vaguement l'enregistrement et glisse un alléchant Play it safe qui ne tient pas toutes ses promesses. Après New Values enregistré à Hollywood, Soldier, enregistré aux studios Rockfield en pleine campagne galloise, tient lieu d'album anglais. Un disque en transit plus que de transition, bâclé mais également doté de bonnes idées (Ambition, Dog food) avec en point culminant ce Mr Dynamite sur lequel la patte du pygmalion vairon se fait nettement sentir. Supérieur aux deux autres dans ses temps forts, mais aussi plus quelconque par moments, Soldier a développé son pouvoir d'attraction au fil des ans sans doute parce que Bowie en a viré la plupart des guitares après une sévère altercation avec Steve New à propos d'une Patti Palladin trop girondine pour qu'on ne lui résiste. Ainsi partiellement soulagé de la caution punk, le disque s'en retrouve plus intemporel que bon nombre de ses contemporains, même s'il y subsiste de sévères cagades (I'm a conservative, I snub you) qui gâchent quelque peu l'écoute de l'ensemble. Cap sur New York pour Party, le favori de ma chérie. Je peux la comprendre. On est dans le registre Patti Smith période Easter. Un gros son, Thom Panunzio est à la console, des interprétations carrées, le disque porte bien son nom, on n'est plus en pleine orgie, on vomit aux toilettes et on se rince la bouche avant d'en sortir. Rayon chansons, je défendrai Pumpin' for Jill jusque sous la torture, je suis dingue de la version de Sea of love et, ma foi, Bang bang n'est pas si mal branlé. Rock'n'roll party est indéniablement cucul sur les bords, mais Houston is hot tonight pourrait encore faire son effet si une radio avait la bonne idée de diffuser de la musique digne de ce nom. Pour faire simple, il n'y a rien de déshonorant sur Party, si ce n'est qu'on pique du nez avant la fin. Autant dire que pour passer l'éternité avec, ça fait court.


Zombie Birdhouse conclut ce qu'il faut bien se résigner à désigner comme la période la plus consistante d'Iggy Pop. Enregistré à quatre avec la partie branchée de Blondie, Chris Stein à la basse, Clem Burke à la batterie (avec un minimalisme bienvenu aux antipodes du registre panoramique qui le caractérise derrière Debbie) et Rob DuPrey à la guitare, aux claviers et aux compos. Pas totalement un inconnu ce DuPrey, puisqu'il figurait au menu de Party, mais presque. N'empêche qu'en déplaçant le centre de gravité vers les claviers plutôt que la guitare, il pige un truc que Bowie avait pigé avant lui, et qu'on pourra largement vérifier par la suite; poser la voix d'Iggy Pop sur un mur de guitares est d'un chiant intersidéral. Alors que si vous la laissez dominer son monde avec des bidules et des bricoles qui dissonent en arrière plan, elle vous fait prendre l'Angélus pour les trompettes de l'apocalypse. Si aucune des chansons qui le composent ne se distingue vraiment, Zombie Birdhouse à l'intelligence de proposer une musique qui prend la tangente vers des horizons différents et donne à l'album une fraicheur dont son auteur n'est guère coutumier. Hélas, ce que j'ai pris à sa sortie pour le début prometteur d'une ère qui verrait Iggy Pop évoluer loin des poncifs édictés par des journalistes qui ne voient en lui que le sempiternel parrain du punk se révéla être le point final de sa créativité.




Avec tout ça, on n'est guère plus avancé. Je le reconnais. Dans mon chapeau ne reste plus que The Idiot et Lust For Life. The Idiot capte le chanteur mieux qu'aucun autre album. En lui faisant poser sa voix sur une bande son faussement monocorde, mais réellement envoutante, David Bowie a permis à Iggy Pop de se révéler autrement qu'en clown camisole. Sister midnight, Funtime, China girlNightclubbing, Dum dum boys, Mass production, The Idiot affiche le potentiel d'Iggy Pop au delà, bien au delà, des clichés réducteurs. Ne serait-ce qu'avec Tiny girls on pige ce à quoi on aurait pu avoir droit s'il avait été assez humble, par la suite, pour admettre son besoin d'être sans cesse aussi solidement encadré qu'il le fut pour ce disque où la prédominance du beat surclasse la barbarie des guitares d'antan. 

Lust For Life, je peux vous le résumer en un mot, bof. Après que The Idiot ait fait flipper les crétins, Bowie expédie l'affaire, ressort les gimmicks des Stooges (Lust for life) avant de nous livrer successivement du Iggy Pop pour fillettes encanaillées (Sixteen), pour ménagères engrossées (The passenger), pour romantiques névrosés (Tonight) le tout entremêlé avec ce qui pourrait être une chute de Diamond Dogs (Some weird sin) et un tas de merdier qu'il aurait jugé indigne d'utiliser sous son nom comme face B de singles. Il apparait clair à l'écoute de Lust For Life que Bowie avait tout misé sur The Idiot dont l'échec auprès des critiques et du public a réduit à néant l'intérêt qu'il portait à l'entreprise de rénovation du mythe. 




Alors, on dit quoi ? J'embarque The Idiot en exil et on n'en parle plus ? Non. Aussi essentiel soit-il, il lui manque l'ultime composante pour faire mon bonheur. Le zinzin style. The Idiot, désaxé mais capitonné, engendra quantité de Rita Mitsouko de par le monde, ce que Sparks aurait fait de toute façon. Par contre, personne, ni Catherine Ringer, ni les frères Mael ne surent rendre dingues leurs musiciens au point de leur faire cracher l'enfer. Oh, ça n'a pas duré longtemps, dès le milieu des années 80 Iggy Pop se mit à tourner en compagnie d'une ribambelle de pseudo metalleux dont Ozzy Osbourne n'aurait pas voulu pour massacrer Paranoid. N'empêche que le temps d'une tournée en 1977 pour accompagner la sortie de ce disque venu du froid, Bowie lui concocta un groupe dont lui-même ferait bientôt partiellement usage. A la furieuse rythmique des stricts mais déjantés frères Tony et Hunt Sales, il ajoute Ricky Gardiner, guitariste dont on n'attend rien sinon qu'il envoie du riff de la plus tranchante des manières, et s'attribue chœurs et claviers futurisco-cheap afin de servir sur un plateau les ingrédients pour qu'Iggy Pop s'immole en public, se fissure le crane à coups de larsens, s'ouvre les veines pour soulager sa tension de ce sang bouillonnant qui calcine sa chair. Cette formation ne dure que l'espace d'un mois, suffisamment pour couvrir la moitié du disque qui contamine cette folie, celui qui apaise mon appétit lorsque l'envie me prend d'écouter de la musique qui roule sur les jantes. TV Eye 77 est son nom de code, pochette rouge, Iggy Pop en contorsionniste non domestiqué, plus Nijinski que Noureev. Il est là mon nirvana. Il n'est pas enregistré à Detroit, pas plus qu'à New York ou Los Angeles, assurément pas à Paris, Tokyo, ni Berlin, mais à Chicago et Cleveland en mars 77 puis Kansas City en octobre de la même année. Chez les authentiques de l'Amérique frappadingue. C'est ce qu'il faut pour qu'Iggy Pop délivre la version définitive de I got a right, celle que gratifie d'un solo qu'on est en droit de qualifier de killer sans risquer le ridicule cet illustre inconnu de Stacey Heydon, qui prend la place de Ricky Gardiner sur la seconde partie de la tournée illustrée ici par quatre morceaux du concert à Kansas City, tandis que Scott Thurston, déjà présent au sein des Stooges de Metallic K.O, prend celle de Bowie aux claviers. Une boucherie cette version repiquée, comme l'ensemble du disque, directement à la table de mixage. Dans la foulée, les gonzes rendent justice à Lust for life avec Scott Thurston qui alterne harmonica et bastringue pour mieux vous scier les nerfs. Avant ça, le triptyque d'ouverture avait allumé toutes les mèches en salopant comme il se doit TV eye, Funtime et Sixteen. Le brouillard s'épaissit, Nightclubbing fait suite à Dirt pour un lancinant passage peuplé de synthétiseurs maladifs et de déchirures de slide. Devenu blues neuroleptique, avec ce son divinement pourri, devant un public qui siffle et éructe, Nightclubbing retrouve son underground originel, loin du coup de polish que Le Palace et Paris Première lui refileront pour émoustiller la Jet set. La version est shuntée de la pire des façons, qu'importe, I wanna be your dog prend la relève, sévèrement étranglé par la laisse le clébard ne vous lâche pas la guibole, c'est dégueulasse, ça dégouline sur votre bluejean et faudra faire avec.

Hugo Spanky



Note pour les acharnés : Un coffret de 7 cd titré Iggy Pop : The Bowie Years est paru en 2020, en plus de The Idiot, Lust For Life et un cd de version alternatives, il propose le fameux TV Eye 77 dans son jus originel ainsi que l'intégralité du concert de Cleveland avec un son impeccable, ce qui est loin d'être le cas des deux autres concerts captés à Londres et Chicago en ce même mois de mars 1977.