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lundi 1 février 2016

Temps X


Au début de l'histoire, est Hugh Hefner. Lorsqu'il fonde son magazine Playboy en 1953, deux photographes débutants se mettent sur les rangs pour le fournir en jolies filles sagement dénudées sur des clichés qui s'évertuent à contourner l’œil implacable de la censure. Pas de poils pubiens, mais des fesses et des seins à volonté. Le premier des deux photographes fera sa signature des poitrines outrageusement opulentes, et quand avec ses premiers bénéfices, il décida de tourner son premier long métrage, plus  personne ne pût l'ignorer. Russ Meyer venait d'inventer le celluloïd à haute tension érectile.





Le second photographe de Playboy est affaire de femmes, depuis entrées dans la légende et devenues piliers de notre culture déviante, Bunny Yeager derrière l'objectif et Bettie Page en offrande. A elles deux, aussi belles l'une que l'autre, elles vont s'évertuer à graver dans l'argentique l'esthétique des fantasmes masculins. 





Après le succès de son précédent livre, Please Kill Me, Legs McNeil a choisi d'appliquer aux protagonistes historiques du porno le même principe qu'il avait appliqué aux Rockers décadents de New-York. Leur faire raconter la saga, et nous la livrer telle quelle, d'un genre qui secoua les corps et échauffa les esprits avec bien plus de subversion que notre Rock'n'Roll chéri qui, soyez en sûr, ne manqua pas de s'inviter à la fête. Dès les premières pages de The Other Hollywood, la très dévergondée Tempest Storm, alors star du burlesque, mêle Elvis Presley à l'histoire, et bien plus tard c'est Gregg Allman qui se charge de déniaiser la téméraire mais bien trop fragile Savannah, poupée de papier mâché, brulée par l'incandescence d'un rêve californien aux revers de cauchemar. Le L.A Woman de Jim Morrison, celui du Dahlia noir et des corps comme monnaie d'échange.



De l'apothéose du porno, tout au long des années 70, à sa lente agonie sur internet, on suit le parcours d'hommes et de femmes à visage encore humain, en comparaison des chairs désincarnées que la toile nous impose entre deux clics, dans toutes les positions et situations imaginables, principalement celles que l'ont se passerait bien de voir. Dépourvu du désir, privé des trépignantes, mais essentielles, scènes d'inaction qui faisaient de l'actrice une femme comme les autres, le porno gore d'internet est au film X ce que se payer une pute est à la drague de la fille de ses rêves. Cliquer sur un gangbang à 3 plombes du matin est aussi bandant que de rentrer à la maison avec la soularde du bar du coin.


The Other Hollywood, paru aux incontournables éditions Allia, donne la parole à ceux qui savent, ceux et celles qui étaient là à l'origine de ce qui deviendra l'un des business les plus rentables du divertissement. La plupart d'entre eux, pour ne pas dire tous, n'en récolteront jamais les fruits, mais ils n'en ont pas perdu le sens de la dérision. Les conflits, les ruptures, les ambitions, la drogue, les imbroglios entre provocation et absurdité, rien de bien différent de ce à quoi l'on est habitué avec les groupes de rock, tout nous est confié sans pudeur, avec humour et franc parler. L'humain dans tout ce qu'il est. Même les flics se mettent à table. Et ce n'est pas rien que de suivre les pérégrinations des pieds nickelés infiltrés dans le milieu, qui finissent immanquablement infiltrés par le milieu.
On suit au fil des ans, toute une bande de mecs et de nanas souvent venus à New-York dans l'espoir de faire carrière dans un tout autre cinéma, et qui, de galères en découragement, par manque de talent ou de sérieux, se retrouvent sur la 42ème rue, haut lieu des perversions les plus diverses. L’endroit même où il faut alors trainer pour être recruter comme acteur de loops, ces très courts-métrages en 8mm, tournés en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire dans des appartements cheap aménagés en studio de fortune. La plus efficace façon de se faire 50$ en un clin d’œil. On est en pleine époque hippie, personne ne se formalise de rien, et lire les confidences de Marilyn Chambers ou de l'impayable et rocailleuse Sharon Mitchell n'a rien de cafardeux. Loin de la mélancolie nostalgique de notre début de siècle anémié, on est plongé avec The Other Hollywood à un moment où les combines pour se sortir d'une mauvaise passe se cherchaient au coin de la rue plus souvent qu'à Pôle Emploi.


Le flirt avec la folie des frères Mitchell, l'omniprésence de la mafia, les rebondissements incessants de l'épopée tumultueuse du couple Chuck Traynor, Linda Lovelace, des anecdotes hilarantes, d'autres qui donnent froid dans le dos, des mélo-drames, Gerry Damiano et la religion, The Devil in Miss Jones, des révélations, de la timidité vaincue à coups de rails de coke, tout cela et bien d'autres choses encore sont au sommaire de The Other Hollywood. Jusqu'au crash final d'un milieu déjà bien fragilisé par les luttes intestines, les couples qui se défont, la came et le sida, avec la découverte par le FBI de l'âge légal de son ultime égérie, la mythique et insurpassable Traci Lords.


Suivre l'histoire du porno c'est aussi vivre au rythme d'une société en ébullition, secouée dans ses fondements par des mœurs qui évoluent si vite que rien ne parait pouvoir les dompter. Dès 1972, Behind The Green Door montre sur grand écran la copulation sans retenue de la très blonde Marilyn Chambers et du très noir Johnnie Keyes. Pressions politique, corruption, acharnement judiciaire, associations de défense aussi diverses et obtuses que parfois farfelues, vont s'évertuer à contenir le déferlement désinhibé qui, des célébrités du Studio 54 aux anonymes revendicatifs de leur liberté individuelle, touche les classes les plus éloignées de notre société soudainement atteinte d'une soif irrépressible de modernité.


On est quelques-uns encore à se souvenir du rideau opaque qui séparait le recoin pour adultes des vidéos clubs du reste de la boutique, ce rideau devant lequel on hésita longtemps, prenant la mesure du pas qu'il représentait dans nos esprits adolescents. Comme la première cigarette, il faisait partie d'une volonté de tourner définitivement le dos à l'enfance. S'en était fini, une fois franchi la porte verte, de venir chouiner dans les jupons de maman. On savait dès lors trop bien ce qu'ils cachaient.


Découvrir le film X, c'était comme s’attarder là où d'ordinaire la caméra s'éteint. Assister pleinement à ce que Brian De Palma ne nous laissait qu'entrevoir. The other Hollywwod. Oui. L'autre versant d'Hollywood, faute de pouvoir en dire l'autre visage puisque de visage il n'était guère question. Et pourtant qu'elles étaient belles, les actrices de porno. Belles et brièvement naturelles, avant que le silicone, l'épilation à outrance, le botox et l'amas des corps ne les défigurent et les formatent jusqu'à les rendre interchangeables. Anonymes au point de n'avoir jamais existé. Bien loin de nos stars de VHS, Victoria Paris, Annette Haven, Serena ou Ginger Lynn, toutes bien plus funky et bien moins gourdes que les Top Models décérébrés que la décennie suivante va imposer comme incarnation de la féminité. Dans toute son absence.

 


Je ne vais pas vous dire que le film X donna vie à des chef d’œuvre du 7ème art, même si bon nombre de réalisateurs plus tard renommés s'y firent les dents, mais il fut un temps où les décors, les tenues et coiffures, les mouvements de caméra, et jusqu'au scénario, étaient équivalents à ceux d'un épisode des Feux de l'amour
Avec peut être une ambition supplémentaire à l'occasion.  
Take Off, avec Georgina Spelvin, s'inspire du Portrait de Dorian Gray, nous balade au fil du siècle et s’achève dans une ambiance parfumée de haschich où un poster de Jimi Hendrix trouve naturellement sa place. Derrière La Porte Verte, et ses effets hallucinogènes aux relents de remontée d'acide, accompagne à merveille l'écoute d'un album de Jefferson Airplane. Debbie Does Dallas, parfaite adaptation au genre des clichés des teen movies en vogue, cheerleaders, beautés blondes et couleurs saturées incluent, se délecte au mieux avec un disque de Glam Rock posé sur la platine. Le sourire ravageur de Bambi Woods vaut bien celui de Nancy Allen, et elle a l'avantage de nous offrir le spectacle intégral.


Et comme pour une fois la France ne fut pas à la traine, j'en profite pour vous glisser quelques mots sur la parution ce mois ci, le jour de la Saint Valentin, du KikoBook. Un ouvrage signé par le réalisateur Gérard Kikoine, qui durant une décennie filma et sublima les plus belles de nos plus sulfureuses actrices, Brigitte Lahaie et Marilyn Jess en tête.

 

De la seconde moitié des années 70, au milieu des années 80, ils ont été une dizaine d'acteurs et d'actrices, et une poignée de réalisateurs, à fournir en pellicules à fantasmes, via Alpha France et Marc Dorcel, cinémas coquins souvent glauques et vidéos clubs plus glamour, afin de combler notre insatiable désir rarement dépourvu de sentiments croquignolesques envers ces beautés qui nous accompagnaient si souvent jusqu'au premier sommeil.


Le film X de chez nous fut le seul à tenir la dragée haute face à la production américaine, allant même jusqu'à la surpasser en alignant des bijoux comme Adorable Lola, Pensionnat De Jeunes Filles ou le chef d’œuvre du genre, La Femme Objet de Frédéric Lansac. A tel point que c'est en France que Traci Lords viendra se faire oublier de la mafia américaine et tourner son ultime métrage, Traci I Love You. Son seul film d'après le scandale. Un classique du genre dans lequel, après avoir expédié l'incontournable Alban Ceray, elle œuvre, pour un duel au sommet, avec Marilyn Jess.

Je vous parle d'un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître. Avant que la productivité imposée par l’avènement du pay per view, et en France de Canal +, ne réduise le genre  à un sinistre business de la surenchère qui fera très vite le succès de l'internet naissant. Un temps que Gérard Kikoine a choisi de nous faire partager au plus près avec son autobiographie, ce KikoBook où l'on croise Jean-Pierre Armand, Brigitte Lahaie, Olinka, Cathy Ménard, bien sur Alban Ceray et Marilyn Jess mais aussi Jess Franco auprès de qui Gérard Kikoine a fait ses premières armes. 


Ce livre n'a de défaut que son prix, inévitablement 69 euros, qui se justifie par la présence de luxueuses photos de plateau et le récit, comme dans The Other Hollywood, de ce bref moment où l'évolution des mœurs prit de court les répressions. Un dernier instant d'impudeur revendiquée avant que l'individu ne soit définitivement noyé dans la masse informatisée de nos identités virtuelles.



Hugo Spanky 
Ranx de A à X