lundi 25 mai 2020

PuRPLe PRoFoND


Crise du disque ou pas, rien n'empêche la commercialisation d'obscures références sur des labels dont on se demande d'où ils sortent, qui ils sont. Façade au blanchiment d'argent ? Investissements à pertes programmés pour abattements d'impôts ? Caprice de fils à papa ? Allez savoir. Peut être que les maisons d'éditions raclent tout simplement les fonds de tiroirs. En tout cas des cd cagneux, souvent live, il en sort toujours autant. Champion toutes catégories depuis 40 ans, Deep Purple. Le mec qui collectionne les versions de Smoke on the water doit avoir une sacrée piaule. Parfois, moi-même je m'y colle, pas tant pour smoke on the water que pour la déverse d'outrances saturées que Jon Lord ne manque jamais d'offrir. 



1976, Deep Purple est pire que jamais, bedonnant d'alcool, bouffi de coke, semelles archi compensées, t.shirt au nombril, moustaches baveuses, cheveux jusqu'au cul, bagouzes émeraude du diamètre d'une pièce de cinq francs, futal pattes d'éléphant moule bite. Les gars sont rétamés, sur la brèche depuis des années, des bars de Londres aux stades du monde sans transition, sans sommeil. Ils font même peur à la jeunesse, qui va rapidement décréter que s'en est trop, qu'il faut impérativement se ratiboiser les tifs et imposer une tenue codifiée. Musicalement c'est la même, ils misent tout sur le forcing, le volume est assourdissant, les titres dégueulent sur des improvisations hors piste, le chanteur peut aller se repoudrer, renverser de la binouse sur son bide et se faire sucer dans les coulisses, il a 20 bonnes minutes devant lui. C'est l'orgie. 



Phoenix Rising documente tout ça dans les grandes largeurs. Un cd plus un dvd. Sur le cd un concert à Long Beach, 8 titres en 70 minutes, ça pousse des cris de hyènes affamées à tout bout de chant, ça tabasse tant que ça peut, ça se perd dans des riffs qui sortent d'on ne sait pas où, puis ça retombe sur un qu'on connait par cœur et c'est le bonheur. C'est fabuleux, c'est fabulon. Y a même plus Blackmore, c'est l'ultime formation cheap avec le guitariste surdoué tellement ravagé par la poudre qu'il laisse les soli au clavier, lui se contente de faire du bruit en frottant ses cordes suramplifiées contre tout ce qu'il croise dans sa déambulation de funambule, son Marshall ou le pied de micro, va savoir quoi. Ça change rien, c'est du génie. La puissance sonore est démente, rien d'autre ne compte. Le dvd ajoute l'image au son sur 5 titres captés au Japon et propose surtout un documentaire comme on en rêve. Jon Lord et Glenn Hughes ont que dalle à vendre, ils sont là à confesse, façon Tony Soprano chez le Docteur Melfi. Avec une étonnante lucidité, vu le contexte. Faut pas trop leur en demander non plus, ils ont des trous dans la tête malgré toute leur bonne volonté. On voit bien qu'ils n'ont pas fait semblant de charger la mule. Le roadie qui meurt en tombant dans la cage d'ascenseur pour une histoire de dope ou de bakchich, ils n'en savent plus trop rien. C'était à Jakarta en 1975. Qui peut raconter ce qui est arrivé à une bande d'anglais dépravés, livrés à la junte d'une dictature indonésienne ? Quelques mois plus tard la nouvelle vague décrètera que vivre dangereusement c'est dire fuck à la télé anglaise... 



Dans l'ordinaire de la vie de Deep Purple, les concerts se font narines chargées de pure devant une rangée de dobermans démuselés tournée vers un public de miséreux hystériques tentés de profiter de l'occasion pour saigner à blanc du tortionnaire corrompu. Deep Purple attaque le show par Burn et advienne que pourra. Dans les coulisses des toubibs prévoyant leur collent des shoots de cortisone dans la bite, les putes s’agrippent à eux, se tapent dessus, ils en consommeront autant que possible avant le salutaire coma du petit matin. Et le jour d'après sera semblable à la veille. Bien content de tenir encore debout. Le reportage est sous titré en français pour qu'on ne rate rien, le message est simple; on savait bien qu'on faisait n'importe quoi, mais c'était une chouette façon de crever.

Hugo Spanky




vendredi 8 mai 2020

DaViD GoODiS



Il ne se passe rien dans un livre de David Goodis, ou alors pas grand chose. Surtout pas d'intrigues sinueuses, arithmétiquement irréprochables, comme sait en forger Raymond Chandler. Pas plus que l'on ne trouve dans ses pages l'american way of life de vices, d'adultères et de haine au sein duquel Jim Thompson nous accueille. David Goodis n'a ni la violence de Chester Himes, ni le sens du héros de Dashiell Hammett. A vrai dire, David Goodis n'a même pas un sidérant talent d'écriture, il n'est pas de ceux qui épatent, il ne transcende ni le style, ni la trame, tout juste s'il se distingue par les allusions au Jazz qu'il glisse au détour d'un dialogue. On sort d'un livre de Goodis de la même manière qu'on y est entré, hésitant, incapable d'en faire un résumé convaincant, de savoir dans quelle combine il nous a ballotté. Illusionniste du verbe, ce sont les mots qu'il n'a pas écrit  qui racontent l'histoire.

Ses personnages sont des taiseux qui parlent trop. Au mauvais moment. Invariablement aux mauvaises personnes. Doués pour se foutre dans la merde et s'y enfoncer plus encore. David Goodis n'avance aucune justification à la médiocrité de ses personnages, pas l'ombre d'une vengeance ancestrale, d'un racisme assassin, même les cocus s'en accommodent. On est témoin, un instant, de solitudes qui s'entrechoquent, profitant d'une faille dans le continuum, embarrassé d'être là, dans une intimité qui s'exprime sèchement, toute blafarde d'impudeur. Comme la cavalerie, on arrive trop tard, les corps sont froids, la passion asphyxiée. Les protagonistes errent dans l'après, titubent en attendant que sonne le glas. Ramasser les morceaux ne fait pas partie de leurs compétences. S'il ne s'encombre pas pour choisir ses mots, David Goodis sait en faire un bitume épais qu'il nous ingurgite. Il se fout de la noblesse du geste, survivre est une peine bien assez conséquente pour avoir à se soucier de dignité. 



Le casse, La lune dans le caniveau, Cauchemar, Descente aux enfers, Tirez sur le pianiste, Rue barbare pour ceux qui ont imprimé la pellicule, de bien différentes manières. Vendredi 13, La pêche aux avaros édités chez Folio en traduction Gavroche, Obsession, La blonde au coin de la rue, Retour à la vie, Cassidy's girl, référencés Rivages/Noir, envoutante collection aux couvertures hollywoodiennes à gros grains, couleurs pastel. Découvrir David Goodis à l'âge où Stephen King ne suffit plus, le relire une pile de décennies plus tard, constater que rien n'a comblé le vide. Les héros s'esquintent, la violence s'use, les vices évoluent, lui reste, avec ses histoires cagneuses, ses romances avortées, ses casses minables. Méandre pour méninges avides, Lucky Strike, gin, bourbon, Dizzy Gillespie à la radio, Lauren Bacall à l'écran, cartes postales de blondes obsessionnelles, quel foutoir ! Paumé dans une époque fictive aux repères filoutés par plus malin que soi pour fourguer du frisson à l'ennui, comme autant d'étapes vers le grand nulle part. David Goodis ne parle jamais que de nos errances.


David Goodis, dont on ne sait rien. Sinon ce qu'il livre de lui-même, soigneusement dissimulé au détour d'un chapitre. Ce fratricide dans Vendredi 13, l'a t-il envisagé ? Lui au dessus de qui, le frère interné, malade mental, plane, sournoise angoisse d'être pareillement frappé de schizophrénie. Rien, sinon ce que Philippe Garnier nous a ramené de Philadelphie avec son Goodis, La vie en noir et blanc, finalement pas grand chose, un bon livre dont l'auteur ne se remettra pas, auréolé qu'il fut pour une écriture qui empruntait à son modèle plus qu'il ne le voulut. De sa tombe creusée en 1967, David Goodis avait vampirisé son biographe. Ce qui est au final tout ce que l'on a besoin de savoir avant d'ouvrir un de ses bouquins; il va nous bouloter la caboche. Ainsi va David Goodis dont on se demande aux premières pages ce qui peut bien nous avoir attiré là. 

Hugo Spanky


vendredi 1 mai 2020

HaBLa AfRica


Pour les américains, l'Afrique est un fantasme, pour les européens, elle est une voisine, pour d'autres, elle est une source. Mais aucun ne sait trop quoi en foutre. On aime l'idée de l'Afrique. On aime surtout l'idée d'aimer l'Afrique. Tout le monde est d'accord pour dire que Blues, Funk, Jazz lui sont redevables, et par extension la plupart des musiques qui en découlent. Le groove, la transe, le feeling, vous trouverez toujours un expert pour vous signer l'attestation, ça vient de Mama Africa et de personne d'autre. Et que les indiens d’Amérique aillent se faire voir ailleurs, ils ne sont pas à un pillage près. 

Et puis, attention, le rythme, la cadence, ça nous connait, y a qu'à voir bouger un chanteur de rock pour s'en assurer. Vautré dans le canapé, on sait reconnaître si c'est de la musique de danse ou pas. C'est important, la danse. Get on the good foot, malheur, avec qui voulez-vous lutter ? Le murder on the dancefloor, c'est surtout quand j'y atterris pour exposer mon déhanché. C'est quoi le disque africain qui s'est le mieux écoulé dans les rayons de nos supermarchés ? C'est lequel de nos rockers qui a utilisé des musiciens africains ? Et pour en faire quoi ? Damon Albarn ? Tony Allen vient de calancher, paix à son âme, le gugusse de Blur l'avait replacé sur l'échiquier avec The Good, the Bad & the Queen, sauf que ma grand mère aurait pu jouer les percussions sur ce disque. 


Tout ça pour en arriver à Carlos Santana et Rick Rubin dans un studio avec l'Afrique pour concept. Rick Rubin, c'est pas difficile à constater, quand il fraie avec les anciens, il se fait bouffer tout cru par ses fantasmes d'adolescent. Avec AC/DC, il tente de refaire Whole lotta rosie, War pigs avec Black Sabbath, sauf que ces braves gens ne savent plus comment ils s'y étaient pris la première fois. On s'emmerde à l'autre bout de la chaine. Alors il allait faire quoi avec Carlos Santana ? D'autant que notre homme ne l'avait pas attendu pour réveiller la foudre en regroupant sa troupe originelle pour l'incandescent Santana IV paru en 2016. Ben, merde alors, voila que Rick Rubin allait devoir se coltiner une idée originale ou périr. Va pour l'Afrique. Et le dépaysement est réel, non pas que Carlos ait changé quoi que ce soit à son jeu, pas plus qu'il n'a sacrifié sa moustache. Le défi étant de sonner un minimum de la brousse, il a rameuté Buika. Et vous allez me dire, c'est qui celui là ? Le frère de King Sunny Ade ? Un Fela de contrebande ? Ok, on y verra plus clair quand je vous aurais dit que son blase complet est Maria Conception Buika. Il est comme ça Carlos, pour faire cainfre, il prend une espagnole, chanteuse de flamenco. Le plus beau, c'est que ça marche plein pot.
La nana a un timbre à coller de l'urticaire à n'importe quel afrikaner nostalgique du temps béni des colonies, Africa Speaks est son disque à elle aussi. Elle a du corps, de l'âme, elle ne retient aucun coups, elle signe les textes, compose ses mélodies, vous serez charmés ou révulsés. Concha Buika, je peux chambrer tant que je veux, même si à une exception près tout le disque est chanté en espagnol, elle incarne l'idée qu'on se fait d'une chanteuse africaine, et pour cause. Si elle est née à Palma de Majorque, c'est de parents équato-guinéens ayant fui la dictature et le génocide qui va avec. Ce qu'elle a enregistré avant ce disque, j'en sais rien, il se peut que ça soit bien, j'irai sans doute vérifier.




Là où souvent le bât blesse avec nos braves héros des lointaines sixties, c'est au rayon compositions. Il suffit de se pencher sur ce que des cadors comme Pete Townshend ou la paire Jagger/Richards en sont réduit à enregistrer pour s'en convaincre, torcher un bon morceau est un savoir qui se perd. C'est la seconde surprise d'Africa Speaks, Santana a mis la main à la pâte en s'appuyant sur du solide. En faisant tourner en boucle dans le studio une playlist puisée dans ses disques africains de référence, Carlos a pioché ici un tempo, une tournerie hypnotique, là un changement d'accords, ailleurs une ligne de basse et le groupe imprégné de ce feeling s'est mis à jouer, live. Barra barra de Rachid Taha et Steve Hillage sert de base à Los invisibles, le flagrant single du disque, pour le coup je ne pige pas qu'il n'ait pas cartonné plus que ça celui ci, c'est une tuerie. Breaking down the door avec son accordéon et son trombone puise dans le Abatina de Calypso Rose et Manu Chao, Luna hechicera est une collaboration avec le sénégalais Ismaël Lo, Candombe cumbele s'appuie sur le Agboho du nigérien Easy Kabaka Brown, figure méconnue de l'AfroBeat des 70's. Tout ceci plane à haute altitude et atteint l'hyper espace avec deux titres, un quart d'heure de musique à eux deux, Yo me lo merezco inspiré de Jay U Xperience, AfroBeat nigérien là aussi, et le sidérant Blue skies cosigné par Mike Odumosu, ancien bassiste d'Osibisa, sur lequel Laura Mvula vient mêler sa voix à celle de Buika sans parvenir à arracher la part du lion à Carlos lui-même. Deux titres mouvants, jouant sur les nuances de teinte, sur les atmosphères, la tension et la relâche. Africa Speaks est un fichu disque. 


Et Carlos Santana dans tout ça ? Pfff, oubliez la question. Il sonne sale et puissant comme on l'aime, camouflé dans le mix, en embuscade derrière le Hammond, en rafale entre les percussions, Carlos est inspiré. Rick Rubin a épuré la donne, deux guitares, basse, batterie, le Hammond et un percu, et c'est marre, pas de synthé, pas de section de cuivres, pas d'électronique, ni flute, ni tapis volant, blam, ça tranche dans le lard. Bernie Grundman a réalisé le mastering, du coup on est exempt de cette foutue compression dont le producteur s'était fait le triste champion. Pas de ça ici. On ne compresse pas Carlos Santana. Faut pas déconner.

Hugo Spanky