jeudi 27 décembre 2018

MiCHaeL DouGLaS



La Défense Lincoln, vous avez vu ce film ? Réalisation neutre, scénario astucieux puisé dans un roman de Michael Connelly. Le protagoniste en chef est un avocat aux méthodes infaillibles que les évènements insistent à dépeindre en bad boy hissé, à force de malice, du caniveau jusqu'au prétoire. Il est flanqué d'une ex-épouse prompte à retrouver l'état liquide sitôt qu'il effleure son appétissant postérieur, l'indispensable buddy est un ancien flic à la cool qui devait être à Woodstock le jour de remise des diplômes, le méchant une parfaite tête à claques conforté dans son arrogance par sa maman bourrée de flouze. La victime est une pute en quête de repenti, et un innocent dort en prison parce qu'un mexicain qui se tape une pute en quête de repenti sans la tuer ensuite, ça n'existe pas. Vous suivez ?

Le héros, c'est Matthew McConaughey. Une belle gueule de héros, modèle Gary Cooper relifté sans ambiguïté pour nos années lisses. Pas de doute sur sa sexualité, il est si hétéro qu'on n'a même pas besoin de voir les nénés de Marisa Tomei pour s'en convaincre. Même si on le regrette un peu, beaucoup. Il traverse le film sans une tache sur sa chemise blanche, il est beau, intelligent, il pose à la perfection, il ne tremble devant personne, il est très intelligent et même très beau, et il est beau aussi. 


La Défense Lincoln, vérifiez si vous voulez, promet énormément sans rien concrétiser. C'est d'autant plus rageant, qu'il eut été facile d'en tirer tout autre chose en offrant tout simplement le rôle principal à Michael Douglas. Pas une minute du film il n'a pas quitté mon esprit, mes rétines devenues alchimistes transformaient en or pur l’affligeante interprétation délivrée par McConaughey. Ainsi la rencontre avec la mère du suspect, que le fade bellâtre expédie en deux bons mots, devenait subitement irrespirable de tension sexuelle. Ce face à face sans saveur avec Frances Fisher, à qui Matthew McConaughey ne donne même pas l'occasion d'exister, aurait tracé une voie royale vers la nomination aux Oscars si seulement elle avait eu à la réplique un Michael Douglas métamorphosant cette scène soporifique en une version hardcore de rendez-vous en terre inconnue. Sueur lascive, plan serré sur cette femme troublée prête à s'offrir corps et âme pour sauver son fils dégénéré, révulsé de l'avoir découverte ligotée, dénudée et hurlante, abandonnée l'entrecuisse offert dans une maison déserte, victime d'un viol sauvage.

Un viol sauvage dans une maison déserte...un potentiel pareil et le film n'en fait rien. Bordel, refilez ça à Michael Douglas et il vous en fait oublier la scène déculottée de Basic Instinct. Michael Douglas est le seul acteur capable de voler la vedette à la chatte de Sharon Stone. En un regard paroxysmique planté dans celui de la toute puissante matrone, il aurait révélé le plaisir coupable ressenti par cet iceberg, soudain à la dérive, d'avoir été ainsi violemment défroquée. Un Oscar, je vous dis. D'un imperceptible mouvement de tête, on aurait capté que le fils dégénéré pourrait parfaitement être l'auteur du viol, vengeance du mépris que cette mère vénale lui a inculqué comme seul sentiment humain. Au lieu de quoi, le vide intersidéral. Matthew Mc Conaughley semble tout content d'avoir mouché la vioque, et c'est ça tout du long. Le gars ne regarde jamais aucun acteur dans les yeux, il fuit les réparties, ignore ses partenaires, se couche avant le coup de feu, s'avère incapable de mener à bien une scène de sexe et monologue sans fin avec la nuque de son chauffeur. Je soupçonne les seconds rôles d'avoir joué les scènes communes en son absence. Sa doublure à dû avoir un planning de tournage deux fois plus long que le sien. Résultat, j'ai viré le film et me suis concocté une sélection d'une toute autre tenue.



Dans La Guerre des Rose, Basic Instinct, Harcèlement, Liaison Fatale, Wall Street, j'en passe, Michael Douglas définit avec mesure et justesse une incarnation de l'homme moderne dans toute sa complexité. Avec lui, les irrésistibles stentors ne font définitivement plus le poids, l'heure est aux nuances, au flou sentimental. Dans Liaison Fatale, il fait naitre d'une histoire résumable en deux lignes (dont une consacrée au sexe) un insoutenable sentiment de culpabilité dans toute l'espèce masculine, en même temps qu'il fait peser sur les femmes un trouble sentiment de négligence. Michael Douglas est cet acteur qui réussi le tour de force d'être adulé par la gente féminine tout en lui faisant accepter l'idée que s'il se retrouve à crapahuter Glenn Close, c'est uniquement parce que sa femme ne le comble pas. Donnez une Femen à Michael Douglas et elle sera heureuse d'avoir une tenue de soubrette pour Noël. En inventant de toutes pièces cet être fragile sous sa carcasse d'homo novus, victime, osons le dire, d'une horde de harpies s'octroyant à coups de becs, à coups de griffes, ce qu'il reste de libido à un homme mutilé par les assauts égalitaire, Michael Douglas, en Christ hyper sexué rédempteur de nos pêchés lubriques, a projeté l'homme au plus profond de son enfer intime et l'en a fait rejaillir avec les roubignoles rutilantes d'un nouveau né. 


Avant lui, tromper sa femme était la norme, tout au plus une forme d'insouciance du héros hollywoodien à laquelle John Wayne ajoutait volontiers quelques claques sonores sur les fesses d'une Maureen O'Hara toute épanouie d'être portée sur l'épaule tel un sac de patates. On en était là. Avant Michael Douglas. En osant incarner dans Harcèlement cet homme soumis par la domination totale d'une Demi Moore en capacité de réduire sa vie sociale et professionnelle en un amas de souffrances, Michael Douglas nous a allégé du fardeau de la responsabilité. Grace à lui l'impensable germa dans les esprits, il était soudain possible que l'agresseur soit une femme, qu'elle s'en vante et se pavane devant ses victimes avec la même arrogance que Jack Palance en des temps immémoriaux. Un film peut dès lors se finir sans que l’héroïne soit lavée de ses manigances, sans qu'elle se repente, et s'il reste encore une once d'espoir de survie à l'espèce mâle, on le doit à Michael Douglas qui, le dos griffé, le torse mordu, le sexe dressé malgré sa volonté farouche de ne pas succomber à l'appel du vice, sert d'ultime rempart à l'implacable génocide. Tandis que pendant ce temps là, Matthew McConaughley chope une gueule de bois après trois whisky Coca. 


Variante dans le registre avec Chute Libre. Michael Douglas s'éloigne des rôles libidineux mais reste victime des femmes en donnant corps au burn out meurtrier d'un homme brisé par un divorce sadique et une mère intrusive qui ne brille pas franchement par son esprit. Son incarnation de D-Fens, un américain pur jus malmené par l'effondrement des valeurs traditionnelles, cousin de Travis Bickle, traverse Los Angeles en semant un maladroit chaos provoqué par le dégout que lui inspire une succession de personnages tous plus pathétiques les uns que les autres. Et lorsque dieu en personne (Robert Duvall pour les intimes) apporte une conclusion à son errance, c'est un peu de chacun de nous qui bascule dans la baie de Venice. Chute Libre c'est l'étape d'après, lorsque le sexe ne sert plus de soupape au trop plein de désespoir, lorsque plus rien ne retient la bête. Sous nos yeux impuissants, sans un rictus de trop, sans une once de cabotinage, Michael Douglas signe le portrait d'une personnalité en phase de dislocation, de cet instant de trop qui déclenche le processus jusqu'à l'inexorable délivrance.



A l'instar de Jane Fonda avec qui il partagea l'affiche d'un de ses premiers films significatifs, Michael Douglas a su, avec du temps et parfois en ruant dans les brancards, s'émanciper d'un géniteur que l'on peut qualifier sans exagération de légende. Malgré une crédibilité qui lui sera accordée avec plus ou moins d'entrain, il a contribué à l'émergence d'une nouvelle classe sociale, les Yuppies, favorisée financièrement, mais consciente du monde qui l'entoure. Ce seront les années No Nukes fédérées autour de l'incident de Three Miles Island, une prise de conscience du risque de pollution nucléaire symbolisée auprès du public par un concert réunissant le gotha du rock américain et le film de James Bridges, Le Syndrome Chinois. Depuis, Michael Douglas occupe une place ambivalente dans le monde du cinéma, jamais réellement intégré au Nouvel Hollywood (même si il fut producteur de plusieurs films du mouvement, de Vol au dessus d'un nid de coucou de Milos Forman à L'Idéaliste de Coppola), il s'est néanmoins gardé avec sagesse de se revendiquer membre de la dynastie hollywoodienne à laquelle son ADN aurait pu l'apparenter. Franc tireur, Michael Douglas le fut dès ses débuts, à un opportuniste tapis rouge il préféra faire ses classes à la télé dans Les Rues de San Francisco, puis dans des séries B entre dénonciation et anticipation d'où se distingue les excellents Morts Suspectes et La Nuit Des Juges. Il s'est ainsi tracé un parcours, que je revisite avec le même plaisir, peuplé de rôles à son image, celle d'un homme agité par ses contradictions, mais fidèle à ses convictions. Impeccablement humain.

Hugo Spanky



vendredi 21 décembre 2018

PRiNCe ☮ 3 STePs To HeaVeN


Dans ma boule de cristal, je vois. Je vois 2019, je vois Prince lové sur ma feutrine. Ses albums parus entre 1995 et 2007, pour certains épuisés depuis des lustres, pour d'autres distribués en leur temps de façon confidentielle seront réédités en format cd, édités pour la première fois en vinyl et disponibles en streaming sur la plupart des plateformes par salves mensuelles de trois à compter du 8 février. Ça ne va pas laisser grand chose pour exister au menu fretin qui osera s'y frotter.

Musicology, Planet Earth, 3121 feront offices de faire-part inaugural. Est-ce un choix pertinent ? Oui. N'importe quel choix le serait. Est-ce une arnaque à 80€ le vinyl ? Non, les doubles seront à 26€, il semble que les simples aussi, et je croise les doigts pour que ça en reste là lorsqu'il va s'agir de s'atteler à Crystal Ball (5 cd à l'origine) ou Emancipation (3 cd seulement, mais d'une durée de 60mns chacun). On aura le temps d'y penser puisque la seconde rafale sera composée de The Rainbow Children, The Gold Experience et Rave Un2 The Joy Fantastic couplé à son jumeau, mais bien supérieur, Rave In2 The Joy Fantastic, ses remixes percussifs et cette merveille de Beautiful strange qu'il est seul à abriter. Les jumeaux selon Prince ne se ressemblent guère. L'un est ordinaire, l'autre novateur, dans les deux cas la présence de Chuck D fait monter la tension. 



Comme tout ceci serait encore trop simple, tournons-nous maintenant du côté de Jay Z et sa plateforme Tidal. Prince, taquin et peu enclin à traiter avec les maisons de disques, avait scellé un accord verbal d'exclusivité avec le copain de Barack Obama afin de rendre disponible son œuvre en streaming. Un accord verbal ! Avec un copain à Barack Obama ! Monsieur Beyonce  je vaux des milliards de dollars Jay Z ! On mesure l'embrouille lorsque les héritiers ont voulu reprendre la main appuyés par les plus gros labels de l'industrie. Niveau mic-mac judiciaire, on plane nettement au dessus des broutilles de l'héritage Hallyday. On passe directement du roman-photos Nous Deux au blockbuster Hollywoodien. Jay Z, c'est du calibre à bloquer les tribunaux pour des décennies si un courant d'air vient faire tinter ses babouches à breloques. Si le mec te dit qu'il a un accord verbal avec Prince, tu dis merci pour l'info et tu traces ta route fissa. Que ton blaze soit Sony, Warner ou que tu sois issus du même embryon de sperme que The Artist formerly blah blah as Prince, c'est la même. Fort heureusement, lorsque brillent les joyaux de la couronne le monde ne se divise plus en deux catégories et invariablement le partage du gâteau prime sur le risque de voir le temps de cuisson en gâcher la dégustation. Sony et Warner ont donc autorisé Jay Z à utiliser des morceaux enregistrés sur une période...dont personne ne détient les droits ! Et les héritiers ont dit merci d'avoir dorénavant trois sources de revenus. C'est pas beau, ça ? Les Hallyday feraient bien de s'en inspirer.



2019 verra donc paraître un album entièrement constitué d'inédits puisés dans The Vault, livrés tel qu'en l'état, sans retouche, ni post production. On n'en sait pas plus pour l'instant, mais vu le niveau de l'anthologie mise en ligne par Tidal l'an passé, on peut s'attendre à du bon boulot. Vous allez me dire que Tidal, c'est bien joli, mais on sait pas ce que c'est. Et vous aurez raison, c'est typiquement le genre de truc dont on se contrefout par ici. D'après ce que j'en ai compris, c'est un concurrent au système que Neil Young tente de fourguer, une plateforme type Spotify mais dotée d'une qualité d'écoute de niveau pro et d'un catalogue d'exclusivités à filer des angoisses nocturnes aux collectionneurs. En résumé, Tidal c'est l'ennemi ! Un merdier supplémentaire visant à faire de la musique sur internet la même vache à lait que les bouquets satellites pour la télévision. On se dirige vers un monde d'abonnements à n'en plus finir. 



Alors, on fait quoi ? Pour l'album Jay Z, on change rien. Soulseek n'est pas fait pour les chiens et il est d'ores et déjà prévu qu'une sortie physique soit mise en place après un délai d'exclusivité en ligne. Pour le reste, chacun aura ses fétiches. The Rainbow Children, Musicology et 3121 forment le haut du panier, tandis que Planet Earth et le binôme Rave Un/In2 The Joy Fantastic n'intéresseront que les aficionados. Et s'il faut n'en garder qu'un seul, que ce soit The Gold Experience
Album mal connu, embourbé par les salamalecs des changements de noms, éclipsé par le single The most beautiful girl in the world noyé par la cadence effrénée des sorties -en un an Come, The Black Album et Exodus le précèdent- The Gold Experience n'en est pas moins un ambitieux projet flirtant avec des influences Hard Rock, P-Funk et Jazz entremêlées dans une farandole de sons, de rythmes fracasses, de cuivres incandescents et de mélodies concoctées par un Prince porté aux nues par l'amour de Mayte Garcia. Utilisé à pleine puissance le New Power Generation fait preuve d'une force de frappe à couper le souffle. Les irréductibles de la période The Revolution en sont pour leurs frais, rien ici des élégants tarabiscotages de l'ère Pop n'a de descendance. Le disque est racoleur, séducteur, frontal, frimeur comme un paon faisant la roue. Les idées se chevauchent, se confrontent, s'emboitent et se déboitent dans une partouze de sensations vertigineuses. L'immense Billy Jack Bitch défie simultanément Duke Ellington et George Clinton en un grand écart stylistique unissant les cuivres de la sainte tradition aux irrévérencieux synthés des païens sans que rien ne détonne. Si The Gold Experience doit absolument être rapproché d'un classique pour en donner une plus juste idée, alors que ce soit de Sign ☮ The Times pour sa similaire profusion de circonvolutions jouissives. Au delà de son impact immédiat, The Gold Experience demande du temps et de la concentration pour en saisir toutes les nuances, c'est bien simple la cassette a tourné en boucle tout un été sans que ni Milady, ni moi, ne songions à l'éjecter de l'auto-radio. The Gold Experience donne du grain à moudre, aujourd'hui comme hier et en attendant la suite. N'empêche que ça fait bizarre, des années après avoir annoncé la mort d'un mec de passer son temps à en donner des nouvelles. Faudra un jour trouver un sens à tout ça.

Hugo Spanky






mercredi 5 décembre 2018

BasHuNG-The GOoD, THe BaD & THe QUeeN



Il y a un bail de ça, The Good, The Bad and The Queen sortait un premier album qui offrait une crédibilité à Damon Albarn. Pour une fois, le gonze pondait autre chose qu'un gadget pour garnir le sommaire de la presse anglaise. Même s'il avait tendance à plonger ses auditeurs (nous fumes peu nombreux) dans une somnolence dominicale parfaite pour accompagner la digestion, le disque dégageait un feeling particulier puisé quelque part dans les ruelles sombres du Londres du 19eme siècle, celui des calèches sur les pavés, de Jack l'éventreur, de la misère populaire. Les chansons étaient ciselées, l'interprétation sobre et on était content d'avoir des nouvelles de Paul Simonon.
Enregistrer un second album semblait être une mauvaise idée, le disque originel fonctionnait parce qu'il était rare d'entendre ce genre de registre, le répéter ne pouvait donc que le déprécier, tandis que le faire évoluer serait un non-sens. Le mieux est l'ennemi du bien. Et ça n'a pas raté, Merrie Land dénature complétement le concept. Damon Albarn déroule ses gimmicks pop, largement périmés pour la plupart, sur des chansons d'où la magie est absente et discrédite le souvenir de sa seule offrande à la postérité en la barbouillant de tout ce qui faisait de Blur et Gorillaz du consommable jetable. A l'image de la marionnette à son effigie sur la pochette du disque, j'aurais préféré qu'il se taise.



La chanson française souffre du mal opposé, dépourvue de la moindre once d'imagination, elle s'enferre dans un carcan autrefois délimité par la mise en sons de La nuit je mens. Que l'on peut définir comme étant du Jean-Claude Vannier post-ColdWave. C'est donc logiquement à Edith Fambuena des Valentins que Chloé Mons a confié la mauvaise idée de cuisiner des démos de Bleu Pétrole à la sauce de ce qui fut son dernier succès commercial. Sauf que la logique et Bashung ça fait pas bon ménage. 

Edith Fambuena fait pour En Amont ce qu'elle fit pour tant d'autres et c'est bien le problème. Les albums de sa production sont interchangeables, Higelin, Thiéfaine ou Françoise Hardy, même combat, aucune personnalité n'y survie, seule la voix diffère.
En figeant ainsi Bashung dans une structure qu'il s'était empressé de fuir dès L'Imprudence, comme il le faisait quasi systématiquement à chaque nouvel enregistrement, elle donne la désagréable impression que l'artiste était en pleine régression. Bleu Pétrole n'est pas son œuvre la plus indispensable, c'est un minimum que de le dire, même si les circonstances me l'avait finalement fait accepter et partiellement apprécier. Bashung ne s'y montrait guère que par intermittence, mais il avait su procéder à des choix et si il n'avait pas voulu que son ultime tour de piste serve de caution à tout un pan des tristes sirs qui se pressaient à sa cour avant l'extinction du feu, ce n'est peut être pas pour rien. 


Chloé Mons semble en avoir décidé autrement, qu'importe la volonté du mort, on va quand même devoir se fader les restes, voir les signatures des rapaces dégueulasser le parcours en se conférant une crédibilité sur le dos du macchabée. Si peu pourvu de dignité qu'ils n'en refusent pas de se voir ainsi accoquinés post-mortem au nom de celui qui n'avait pas jugé bon de donner suite à leurs appels du pied. En Amont n'a de Bashung que la voix, et encore, une voix de démo, fatiguée par la maladie et le peu de motivation que lui inspirait le matériau proposé. Les arrangements musicaux greffés dessous par la valentine sont au mieux des pastiches, le plus souvent des souffrances. Faut-il que L'Imprudence soit si difficile à dompter pour que la veuve veuille en délivrer une version appauvrie afin de mieux capter des oreilles habituées à la médiocrité ? Ne vous laissez pas leurrer, l'ultime salut de Bashung fut cette oraison crépusculaire et farouche, l'indomptable imprudence d'un casse-cou sans filet. Que pour les bonnes pages de télérama, Chloé Mons et Edith Fambuena se soient chargées de faire du gringue à un public de croque-morts n'y changera rien. Elles peuvent continuer à faire des branlettes, les éjaculations ne viendront pas saloper ma platine.


Hugo Spanky


jeudi 29 novembre 2018

SiGUe siGUe SPuTNiK



Sigue Sigue Sputnik ne m'inspirent aucun superlatif,  Sigue Sigue Sputnik ne sont les meilleurs en rien, mais on a été un peu vite en besogne pour voir en eux les pires de tous. Le rocker lambda n'a pas son pareil pour se comporter en petite vieille, après tout, rejeter Sigue Sigue Sputnik en 1984, c'était comme s'effrayer des New York Dolls dix ans plus tôt.
Ok, ils sont laids comme seuls les anglais peuvent l'être, leurs dégaines, leurs provocations à deux balles, leur insistance à vouloir être nimbés en permanence d'une aura de scandale, tout ça, et les publicités entre les chansons, n'a pas vraiment aidé à leur donner la crédibilité que l'on accordait sans broncher à, je sais pas, défoulez-vous, U2 ? Pourtant en matière de crédibilité rock, le groupe se pose là, baptisé à Paris en première partie de Johnny Thunders, parrainé par Mick Jones, fondé par son ancien complice des London SS, Tony James, éminence grise de Generation X, l'homme qui composa Russian roulette pour Lords of The New Church, c'est quand même pas trop mal comme bulletin de naissance. Generation X ! Un des groupes les plus sous-estimés du punk, malgré des albums qui vieillissent en conservant leur charme d'origine. Tiens, bien vieillir, c'est un peu ça le fond de ma pensée. Sigue Sigue Sputnik, comme Big Audio Dynamite, vieillit bien. Ils ne sont pas des caisses à avoir cette qualité, encore moins parmi ceux qui ont misé sur la modernité, chose, on le sait, qui lasse aussi vite qu'elle a pu surprendre.


L'apanage le plus communicatif de Sigue Sigue Sputnik fut l'enthousiasme. Dans une Angleterre livrée à la dépression gothique, voila qui faisait un bien fou. Les gars cumulaient les moues d'Elvis Presley, posaient les riffs minimalistes de Marc Bolan sur la rythmique hypnotique de Suicide, maquillaient l'ensemble à coups de samples puisés dans le répertoire Deutsch Grammophon et envoyaient le tout dans un hyper espace de manga porno. Tony James, Prince, Mick Jones, j'en reviens toujours là sitôt qu'années 80 riment avec réussite artistique, ont pigé le topo, plutôt que d'ignorer les technologies, soumettons-les, plutôt que de s'apitoyer sur le désastre, réveillons les méninges.


Le 20eme siècle a écrasé les peuples par la guerre d'abord, par l'argent ensuite, Sigue Sigue Sputnik est une satire de ce constat, des missiles passent au dessus des piscines de Beverly Hills pour s'écraser sur les ghettos. Le groupe fera un triomphe au Brésil. Encore un point commun avec Big Audio Dynamite, Rio rocks! et Sambadrome, comprenne qui voudra. Autres similitudes, le goût pour les maxi singles, les remix extended qui rendent maboules, les reprises inclassables (I could never take the place of your man de Prince, Always on my mind de Presley, toutes deux impeccablement réussies), les formations mutantes, l'utilisation du web comme mode de distribution et les comebacks improbables.




Flaunt It est une sorte de classique à l'échelle de 1984, une curiosité qui entre une pub pour L'Oréal, une autre pour NRJ, donne à entendre une musique hybride aux modulations évolutives. Produit par Giorgio Moroder, le disque dévarie une formule établie par Eddie Cochran et Buddy Holly, sans rien en renier. A l'image du monde qu'il annonce, le notre, avec ses écrans géants convulsifs, Flaunt it overdose consciemment l'auditeur, exige de lui une attention permanente pour mieux lui laver le cerveau comme le font les médias livrés aux publicitaires, les jeux vidéos obsédants. Sigue Sigue Sputnik est un concept parfaitement exécuté par une horde de gremlins ricanants.
Dress For Excess, leur second album est celui qu'il vous faut pour piger le génie de la chose. Un make-up technologique raisonnablement dosé, co-produit par Tony James et Neal X le disque délaisse quelque peu l'oppressive agressivité de son prédécesseur et tape au cœur de la cible. En offrant une plus large place à la guitare de Neal X, en soignant des mélodies pas si mal branlées, en samplant Who et Led Zeppelin plus souvent que la Toccata de Bach, le groupe délivre un album qui aujourd'hui encore, et peut être aujourd'hui surtout, apporte une fraicheur salutaire. Un parfait reset pour tous ceux qui ont l'impression persistante d'avoir serré du bulbe.


Avec des têtes de gondoles comme Rio rocks!, Hey Jane Mansfield superstar, Supercrook blues, les sublimes Albinoni vs Stars Wars et Dancerama, Boom boom satellite, conclut par un Is this the future en forme de résurrection de Ziggy Stardust, en flirtant avec les mélodies caractéristiques des 50's pour mieux les détourner, Sigue Sigue Sputnik incarnent ce que les Beach Boys de Surfin' USA furent au Chuck Berry de Sweet little sixteen. Dress For Excess est le disque que les Cramps n'ont jamais eu l'audacieuse inconscience d'enregistrer. C'est dommage pour eux, mais rien n'indique qu'il faille l'ignorer plus longtemps. 

Hugo Spanky


samedi 24 novembre 2018

BiG AuDiO DYNaMiTe 📣 PReMièRe BaLiSe aPRèS muTaTioN



Mine de rien, c'était pas si simple que ça, au début des années 80, pour un dingue de musique. L'écoute se pratiquait dans le salon sur la chaine stéréo familiale, les rares fois où il était déserté, ou alors dans sa piaule, comme un creva, sur un magnétophone pourrave. Dans quelques rares bistrots, quand ils n'étaient pas monopolisés par les concours de coinche. Autant dire, qu'il fallait aimer ça, s'y accrocher quitte à passer pour un excentrique dépourvu de vie sociale.

L'arrivée du walkman changea la donne. Un peu. Le walkman était cher, très cher. Chacun usa de son imagination et de son audace pour s'en procurer un. Encore fallait-il trouver la musique qui va avec. Walkman et Ghetto Blasters ne sont pas des outils pour symphonies planantes, ils évoluent dans un milieu hostile aux mélomanes, moteurs impatients, hurlements de klaxons, cris et brouhaha. Vous ne voulez pas fermer vos gueules, bordel, j'écoute Tangerine Dream !!!! Aucune chance que ça le fasse. La bête ne se nourrissait pas de frappes chirurgicales. Le Hard Rock ne fonctionnait pas trop mal pour si peu qu'une grosse caisse disco tamponne le tempo et que les guitares ne manquent pas d'épaisseur. Highway to hell était nickel, ZZ Top aussi et Van Halen. Mais sorti de là, balancer du rock énervé dans les écouteurs était l'assurance de se vriller les tympans, l'équivalent de la craie sur le tableau qui vous traverse le ciboulot. L'outil a façonné la musique, la guitare devenue subalterne, place aux basses suramplifiées sur cassettes chromdioxid. Sauf que de ce côté ci de l'Atlantique, à Londres comme à Toulouse, hormis les compilations Sugarhill que Vogue distribuait dans nos supermarchés, des groupes qui avaient anticipé la donne, y en avait pas.



New York a montré la voie. Le Hip Hop, l'Electro -l'Electro HipHop en fait- ont calibré la formule, viré les agaçants mediums, placé des ribambelles d'aigus qui tourneboulent dans la stratosphère autour d'une planète d'infrabasses sismiques. Le pied intégral. Et la panique totale chez les rockers. Cette fois ci, il n'était plus question d'attaque générationnelle, de jeunes loups qui viennent pisser sur les mollets des Apollons, rien à voir, ceux qui ont choisi d'attendre que ça se passe sont morts momifiés. On ne lutte pas contre le progrès. Et c'est là que Big Audio Dynamite (le nom résume tout ce que j'ai dit jusque là) fut grand. Et indispensable. BAD ! These are the things that drive me crazy (crazy, crazy...) BAD ! Oh putain, ça secouait sacrément le bastringue cérébral. 
Un ghetto blaster, Mick Jones s'en trimballait un depuis un bon moment déjà, et pas seulement pour prendre la pose devant les photographes, le bougre s'en servait. Forcément qu'il avait pigé la forme à refiler aux cartouches pour qu'elles soient efficaces. Il avait pigé si vite, qu'aucun autre n'avait commencé à y réfléchir. Il fonde Big Audio Dynamite en 1984, recrute sa troupe avec la créativité pour unique critère de sélection. Mick Jones ne cherche pas des virtuoses, hors de question d'organiser des auditions, il veut un groupe à l'image des gens qu'il côtoie dans les clubs, venus de tous les horizons, déterminés à exprimer leur originalité. Il s'appuie sur Leo E.Zee Kill avec qui il collabore depuis l'année précédente au sein des éphémères TRAC. Redoutable bassiste, E.Zee Kill est le musicien le plus accompli du lot, on ne badine pas avec la basse quand on ambitionne de faire danser les foules, Mick Jones ne le sait que trop bien. Greg Roberts complète la rythmique en prenant en charge toute une panoplie de percussions pas franchement catholiques. Inspiré par les crews Hip Hop de New York autant que par l'école jamaïcaine, Don Letts toaste, rap, porte le contre-chant, écrit la plupart des textes et prend la position de bras droit. L'indispensable consigliere, c'est lui. Cinéaste amateur et DJ au Roxy durant les premières heures du punk, incollable sur la mode, le cinéma, le reggae et le funk, il a pour mission d'habiller les morceaux d'un maximum d'effets spéciaux, dialogues de films, flash info, tout ce qui pourra rendre plus concret l'aspect real world de la musique du groupe. Et comme Big Audio Dynamite est moderne et bien décidé à ne rien faire qui n'a déjà été fait, Dan Donovan venu les photographier pour la pochette de l'album se voit confier les claviers et le visuel des concerts. Pour mener ses ambitions à bien, le groupe s'arme du premier sampler de l'histoire du disque, d'une batterie électronique, d'une boite à rythme, d'un rétro-projecteur et instaure comme principe de ne lire aucun mode d'emploi.  



L'album sort en octobre 1985, l'onde de choc est sidérante même pour un jeune rocker ouvert d'esprit, pour la première fois j'ai l'impression d'entendre une musique inqualifiable. Une musique qui tire vers le haut, sollicite l'esprit autant que le corps,  remet en cause l'auditeur, le désarçonne, le harcèle, le somme de s'inscrire dans le mouvement. Ou d'aller se faire foutre. This is Big Audio Dynamite est un maelstrom, un joyeux merdier, 43 minutes de barouf interactif, ils jouent, tu danses. La difficulté est d'expliquer la façon dont ils s'y sont pris. D'abord en consommant un maximum de ganja, ensuite en expérimentant chaque idée qui leur traverse l'esprit. Les percussions mitraillent, les extraits de films canardent, Know as the rat, tuïyouïyou, zzkrink, sweulkk, ratatata, Medecine show que ça se nomme et c'est un remède de cheval, ça tombe bien the horses are on the track, schbling, voici The Bottom line. Sikk rututututoum aaaïïï Sony est en perpétuel mouvement, vaut mieux avoir l'estomac bien accroché, le pilote à des sautes d'humeur. Chaque morceau est doté de mélodies allumeuses zébrées par des attaques super-soniques. A party ne ressemble à rien de descriptible et c'est pourtant le morceau le moins déroutant du disque. Je citerai bien Sugarhill Records pour situer BAD ou le Dirty Mind de Prince pour Sudden impact, le groupe en est fan et conclut ses concerts par une reprise de 1999, sauf que ça reviendrait à comparer Mars à Venus. Démerdez-vous avec ça. Big Audio Dynamite a trop de personnalité, un son si particulier qu'il annihile les comparaisons. La plus nette influence de ce disque sont les films avec Clint Eastwood, avec ses rafales de samples Don Letts donne l'impression que le groupe a enregistré en laissant brailler une télé dans un coin du studio. Les nombreux maxi-singles qui encadrent l'album ajoutent à la confusion, multiplient les versions, varient les éclairages, étirent les titres en exacerbant leur outrancière vitalité, Big Audio Dynamite est une apocalyptique machine à danser. 



This is Big Audio Dynamite et le Welcome To The Pleasure Dome de Frankie Goes To Hollywood et Trevor Horn, paru quelques mois plus tôt, inaugurent une décennie pluriculturelle d'innovations débridées enfin débarrassées des complexes rigides du Rock. Plus rien ne sera exactement comme avant. House music, Drum'n'Bass, Hip Hop, des Beastie Boys à Public Enemy, de Deee Lite à Prodigy, tous puisent leurs ramifications dans l'audace de ces deux disques. Le Rock à papa ne sera dès lors qu'histoire de revival. Le monde se divise en deux catégories, les survivants seront ceux qui sauront s'adapter, se reformater pour un nouvel usage, les autres creuseront leur tombe. A New York, Bruce Springsteen fait remixer Born in the USA par le producteur d'Afrika Bambaataa, Arthur Baker. La musique se regarde à la télé, se promène dans votre poche, se danse dans le métro, devient un accessoire du quotidien. Elle se vit au supermarché, se donne en spectacle dans les halls de gare. Les disques ne s'écoutent plus religieusement, ils s'évaluent à l'usage dans toutes les situations. Les révolutions qui pointent à l'horizon sont celles du CD, de la miniaturisation et de l'hyper consommation. Reprenant à son compte le visionnaire cynisme des Who de Sell Out, Sigue Sigue Sputnik, formé par l'ex Generation X Tony James, ami d'enfance de Mick Jones qu'il retrouvera plus tard pour Carbon/Silicon, farcit son disque de messages publicitaires. Bientôt la réalité dépasse la subversion, Run DMC fait exploser les ventes d'Addidas. Les stars du sport se font détrôner par des mômes du Queens. La boite à Pandore est ouverte, les médias accaparent la musique, la tronçonnent en niches distinctes, fabriquent des produits dérivés adaptés à chaque style, plus question de mouvement global. L'ère du merchandising est née. Chaque sous culture doit consommer pour affirmer son identité. L'idéal unitaire de Big Audio Dynamite ne se concrétisera jamais, il n'y aura que sur la pochette de leur troisième album, illustrée par une peinture signée Paul Simonon, que Rockers, Rastas et Ravers danseront ensemble au bord du westway.




Et voila 2018. Combien de temps a passé ? Combien de disques périmés sur l'autel de la mode les années 80 ont-elles engendrées ? Des kilos, tant de kilo qu'on appelle ça des tonnes. Faute de chansons, faute d'être autre chose qu'un nouveau costume sur un cadavre en putréfaction. Faute de talent. Ce fut aussi une période d'une irrépressible audace, des musiques millénaires comme le Jazz ou le Blues connurent leur dernière mutation, Herbie Hancock avec Rock it, Miles Davis avec Tutu. Des groupes protéiformes apparurent, ringardisant définitivement le format, guitare, basse, batterie. Des danseurs intégraient les formations au même titre que les musiciens, Neneh Cherry fera ses armes ainsi, danseuse au sein de BAD. L'Angleterre mena la party, Londres réémergea des limbes de la Tamise, se para des teintes funkadelic d'un nouvel acide pour vivre une ultime utopie, l'Amérique ne fut pas en reste, la grande nouveauté fut de voir notre hexagone trouver une place prépondérante sur la carte. Les 80's n'ont peut être été qu'un feu de Bengale, rien n'y fut conçu pour durer, mais il fut plus rigolo de sauter dans le wagon pour nulle part que d'écouter les Meteors en boucle dans sa turne. Pour la dernière fois, avant l'épidémie d'autisme virtuel, la jeunesse s'en alla danser dans les rues. 



Aussi excentrique qu'il fut, et c'est un euphémisme de dire qu'il le fut, Big Audio Dynamite n'avait pas oublié de se bâtir sur des fondations solides, derrière les éclats d'obus se dressent des compositions capables de déjouer l'érosion. Cet album me surprend par la vigueur de son pouls à chaque fois que je lui prends la tension, jamais il ne faiblit. This is Big Audio Dynamite reste une salvatrice bouffée d'air urbain dans un monde dorénavant aseptisé, il véhicule toujours l'odeur des jungles de béton, celle de la skunk brulée dans le chalice, ce disque vous cueille en souplesse, vous propulse sous le feu avec bienfaisance. Il inspire une ère fantasmée, un sentiment de fraternité qui oblige à faire un pas vers l'autre, Rockers, B.Boys, Rastas, Hippies, Hitman, tous réunis sur le dancefloor, l'esprit libéré, le corps en action.  
Forget the bomb, it's carnal sin. 
 
Hugo Spanky