jeudi 24 septembre 2015

KeiTH RiCHaRDs, cRosSeYED HeaRT



La première chose qui m'a saisi, c'est le son. Une beauté. Un bail que j'avais pas entendu un vinyl aussi aéré - depuis le Rock'n'Roll Time de Jerry Lee Lewis en fait - et c'est incroyable ce que ça peut faire comme bien. 
Remballez votre compression, vos infra basses et même votre Low-Fi pour branchés, semble être le message qui nous est adressé. Analogique style avec un mastering réalisé spécialement pour le pressage vinyl. Du travail d'orfèvrerie en déférence envers les auditeurs. Une salutaire intention à une époque où l'on nous reproche de télécharger du mp3 dégueulasse, mais où aucun effort n'est fait pour que les disques sonnent autrement que  débités à la chaine.


Crosseyed Heart amène un éclairage nouveau au travail de Keith Richards, aussi surprenant que cela puisse paraître venant d'un mec de 71 balais, mais c'est bien le cas. La voix est en avant comme jamais auparavant, c'est une bonne chose, Keith Richards se présente dorénavant en tant que véritable chanteur. Là où, longtemps, il plaça sa voix comme lorsqu'il harmonise derrière Mick Jagger, haute et braillarde, articulée autour des riffs de guitare, il ose dorénavant la poser, jouer avec les modulations. La voix de Keith Richards, on l'entend depuis 50 ans sur une bonne moitié, peut être plus, des chansons des Stones mais c'est sur cet album ci qu'elle se dévoile avec le plus d'audace. Le délicieux Robbed blind en est une parfaite illustration.


Le reste m'emmerde un brin, je suis coincé aux entournures. Je me questionne sur l'approche à avoir. Si je m'enflamme comme pas mal de titres de ce disque méritent que je le fasse, vous allez me cataloguer fan indéboulonnable et classer cette chronique au rayon des obligations morales. C'est faux, je ne suis pas un fan. Ni de lui, ni des Stones. C'est juste un groupe de musiciens dont je trouve le travail remarquable. Et le premier qui sourit se prend mon pied au cul. D'un autre côté, si je m'aventure à vous expliquer que le disque contient son lot de remplissage, Trouble, le single qui m'avait fait redouter le pire, Something for nothing, tout est dans le titre, et dans une moindre mesure Blues in the morning, sorte d'inédit des sessions Hail Hail Rock'n'Roll sur lequel Keith nous déballe son catalogue de plans à la Chuck Berry et dont la seule utilité est de nous faire entendre une dernière fois le regretté Bobby Keyes, vous allez en profiter pour vous dire que le disque ne vaut même pas la peine d'être écouté. Je le sais, vous n'attendez qu'un prétexte pour faire les durs à cuire en dénigrant le vieux.



Crosseyed Heart est un vrai plaisir. Parce que plus grand monde ne sait, ou ne se donne la peine, de produire une musique aussi limpide, dépouillée d'artifices. Des chansons et basta, bien écrites, interprétées de façon délicate, avec amour, respect et quelques bonnes idées pour ne pas sombrer dans la routine. Les trois derniers morceaux sont les premiers sur lesquels j'ai accroché, Goodnight Irene, tout en saveurs acoustiques et élégance distinguée, Substantial damage, un funk sale comme pas permis avec un Keith Richards qui se prend au jeu et pose sa voix comme Mick Jagger sur Hot stuff. En harangueur de bordel. Lover's plea clôture l'affaire  sur un lit de cuivres et un fond d'orgue Hammond, ça pourrait être produit par Willie Mitchell, Keith Richards pourrait être Al Green et moi Otis Redding, on ferait un duo du tonnerre là dessus. 
Et depuis quand une chanson ne pourrait-elle pas faire rêver un peu ? 
Ces trois titres là forment une sorte d'extension de l'album, ils semblent incarner une alternative potentielle vers laquelle le guitariste aurait pu s'engager, le prolongement de son travail sur The nearness of you. Keith Richards crooner des Caraïbes dans le Cuba de Lucky Luciano, peut être une incarnation en devenir.


La face 2, une fois débarrassée de Trouble, est peut être la plus réussie finalement. La version de Love overdue de Gregory Isaacs est impeccable, avec pile ce qu'il faut de dub et de savoir faire dans le placement des cuivres. Il m'en fallait pas plus pour ressortir More Gregory. Nothing on me arrive sans tarder avec ses faux airs de Beast of burden sur une mélodie qui emprunte aussi à Demon. Aucun soucis pour moi, je m'affole comme une pucelle sur ces morceaux en équilibre entre sensualité prude et audace. La face s'achève par Suspicious, une chouette ballade au ton grave et aux guitares amoureusement entrelacées. L'arrangement est encore une fois saisissant, c'est ce genre de chansons qui font qu'un disque vieillit bien, qu'on le fréquente comme un coup de nostalgie qui ne vire pas au coup de blues.


Faut quand même que je vous touche deux mots de Illusion, la chanson qui fait frissonner la hype, le duo avec Norah Jones, la Vanessa Paradis intersidérale, la madone des Audi. Placée en conclusion de la face la plus dispensable, elle m'a de prime abord donné l'impression de faire doublette avec Suspicious. Ça m'arrangeait bien que les morceaux dont j'ai rien à foutre soient tous bien regroupés. La coda, pliée en deux temps, trois mouvements, semblait me le confirmer, Keith avait torché ça pour avoir les critiques dans sa poche et que la maison de disque puisse placarder un sticker ronflant sur la pochette.
Sauf que je me suis fait baiser, comme on devrait tous se faire baiser si Illusion passe en radio. C'est du venin à assimilation lente.


Ah, les rocks tiennent bien la route, eux aussi. Pas très nombreux, ce qui évite les redites fatales à la seconde face de Main Offender. L'enchainement de Heartstopper, avec son gimmick de piano malin comme un singe, et Amnesia est impeccable, mais globalement le disque charme plus par son aspect rustique et son authenticité qu'il ne cherche à secouer par une quelconque urbanité qui ne pourrait que sonner affectée. Crosseyed Heart n'est pas un leurre, il chope Keith Richards à ce moment de sa vie, en promenade dans sa forêt du Connecticut, au milieu des bois humides et des odeurs du temps qui se fige. Une respiration suspendue dans un monde qui va trop vite. Je signe.

Hugo Spanky 

samedi 19 septembre 2015

LiVE ENeMY


J'aime pas les Live. Combien de fois j'ai entendu dire ça ? Si on m'avait payé un verre à chaque fois, j'aurais chopé une cirrhose. Il est donc possible et raisonnable d'être amateur de Rock et de ne pas aimer Live at Leeds et Get Yer Ya-Ya's Out ? Ne pas aimer les Live, en bloc, c'est aussi con que de ne pas aimer les albums Studio ou les Homemades ou les Mobile records ou les Château d'Hérouville. Quand ça le fait pas, ce ne sont pas les Live qui sont mauvais, ce sont les groupes.



Parfois même des groupes qu'on adore et qu'on regrette, malgré tout, de n'avoir pas vu en concert. Prenons Clash, deux Live officiels sont dans le commerce, nazes les deux. En les écoutant, on a l'impression de regarder passer les trains. Plutôt que d'officialiser un bootleg sanguinolent qui aurait fait le bonheur d'une poignée d'acharnés, Sony nous a refilé un concert de fin de parcours, un best of au son ronflant dans la sono des Who, mais avec un groupe qui joue en mode automatique. L'anti-thèse même du véritable disque Live. Pire, un concert SANS Topper Headon. Autant dire Clash sans l'aventurier du lot. Le jazzeux de la bande, celui qui transformait les enclumes en vol planés. Et un Live sans aventure, ça ne peut pas être bon. Pourtant ça devait être beau de voir Clash sur scène, rien que de les voir en photo c'est beau. Mais une fois couché sur la cire et retranscrit dans mon salon, bernique. On ne voit pas les cordes qui sautent quand Strummer fait ses pompes, on ne voit pas la mèche de cheveux qui tombe sur le regard ténébreux du Paulo, pendant qu'il joue White riot tandis que les trois autres en sont à London's burning.
Une fois les spotlights éteint, la sono rembarrée dans le semi remorque et le coup de balai passé sur les canettes vides et les mégots, une fois qu'il ne reste plus que le diamant sur la wax et vous en face sur le canapé, il vaut mieux que le concert capté ait offert son pesant d'aventure musicale doublée d'un minimum de panache dans l'interprétation. Le disque Live ne pardonne rien. C'est bien pour ça qu'ils mettent aussi longtemps à sortir. Le seul qu'on peut pas accusé d'avoir triché, c'est Toots Hibbert. Enregistré le soir à l'Hammersmith, pressé dans la nuit, son album Toots Live de 1980 était en bacs de Londres dès le lendemain matin.






Mais enterrer tous les Live parce que quelques uns de nos chouchous n'ont pas été à la hauteur ? Non. Il existe trop de contre-exemples. Il existe même des groupes qui n'ont été bons que le temps d'un Live. De ceux que le studio intériorisent, des qui ont besoin de s'oublier dans l'odeur de la sueur, les hurlements de la foule pour se lâcher totalement. Les meilleurs Live sont ceux des années 60/70, quand les mecs réinventaient carrément leurs chansons pour la scène, s'autorisaient à improviser, à tordre le cou des hits calibrés à 2mns30 pour les radios mais qui devenaient des moments épiques, des chevauchées fantastiques, une fois joués en concert. C'est ce moment d'osmose qu'arrivent à choper au vol certains Live miraculeux. Un Live, c'est un fait de société en plus d'être un moment de musique vivante.


Tout ça, c'était avant que les groupes ne s'aperçoivent que les fans deviennent hystériques rien que de les voir prendre la pose. Peu importe ce qui sort en façade. On peut remercier les punks pour ça. En voila qui misaient tout sur l'attitude, rien sur l'accordage. Tout le monde peut le faire. Et oui, ce que tu fais, tout le monde peut le faire. Ce que faisaient les Thin Lizzy ou le J.Geils Band, ça limite déjà un peu plus le nombre de gonzes susceptibles de s'y coller. 
D'ailleurs les Live sont morts dans les années 80, avec l'arrivée des playbacks. Plus aucune utilité de sortir un Live, vu que c'était pareil en concert qu'en studio. Comme ça t'es pas emmerdé. Y a bien eu l'exception Bruce Springsteen pour, enfin, s'y coller mais c'était même pas un Double Live colérique, outrageux et tire-larmes. Une rétrospective qu'il nous a pondu. Un putain de Quintuple Live ! Mais bon, c'est le Boss. Il fait ce qu'il veut.



Finalement, une fois de plus, sur qui on peut compter de nos jours pour ressusciter les traditions et transmettre le foutu message ? Hein ? Ben oui, je sais que je vous le radote tous les six mois mais il ne reste que Public Enemy ! Les seuls en piste. Et c'est pas une piste cyclable, plutôt le genre de macadam pour Dragsters à kérosène. Mazette, planquez-vous aux abris, Public Enemy Live from Metropolis Studios, c'est pas du trafiqué pendant six mois en studio, comptez pas qu'ils nous aient épargnés quoique ce soit de la  tranche de barbarie qui leur tient lieu de concert. No overdub ! Ils n'ont pas eu besoin de le marquer sur la pochette, on le comprend vite. Un bonheur.


Je vous l'ai déjà dit mais au cas où, je répète : Ça fait des lustres que Public Enemy ne se trimballe plus sur scène avec simplement un sampler et une paire de platines, depuis 2002 ils ont un groupe, un vrai. Un qui fait du raffut, qui fout des taches de sauce tomate sur les chemisettes. Dans le lot, il y a Khari Wynn, guitariste de Memphis, Tennessee, fils de Ron Wynn, un écrivain spécialiste du Jazz et de la Soul, une pointure qu'à pas dû éduquer son fiston en lui faisant bouffer du branleur de manche qui fait tout à l'épate. J'imagine. Parce que quand on l'entend piquer en vrille sur Black steel in the hour of chaos, c'est Band of Gypsys qui vient à l'esprit. Ou le Carlos Santana  incandescent de la période Lotus. Quand il lâche ses riffs sur Fight the power/Soul power, c'est l'esprit de Catfish Collins qui est à convoque. Khari Wynn, c'est le genre de guitariste qui ne se dégonfle pas quand Chuck D l'invoque pour rendre hommage aux trois King, Freddie, Albert et B.B sur une version de Harder than you think qui nous arrache des hurlements d'extase à Milady et moi, le son de l'auto radio à la toque, trépanés que nous sommes par la puissance de feu de ce disque dévastateur. Et j'exagère même pas.




Deux mois à peine après un nouvel album studio, Man Plans God Laughs, à classer parmi leur plus époustouflantes réussites, Public Enemy sort ce double Live capté l'été dernier à Londres, témoignage vivant d'un groupe qui refuse de rendre les armes. Mieux que de continuer d'exister, Public Enemy continu d'avancer, de créer. Faut entendre, Chuck D et Flavor Flav s'invectiver sans cesse, superposant leurs flows, haranguant sans répit un public tétanisé par tant d'énergie déversée. Public Enemy en concert, c'est le Vésuve sous amphétamines. Hoover music, Bring tha noise, Shut 'em down façon bulldozer dans ta gueule, certes. Pourtant, ce n'est pas juste ça. Public Enemy sait aussi taquiner le groove jusqu'à la transe. Faut se ramasser I shall not be moved derrière les oreilles pour comprendre. 



Et il faudrait que je vous décrive comment DJ Lord décapite les casquettes à coup de scratchs incessants tandis que la machine tourne à plein régime. Non, pour de  vrai, Public Enemy en 2015 c'est mieux que le passé ou le futur, c'est l'actualité du Rock tel que plus personne ne sait le jouer. A en hurler sous la lune, réalisant qu'au milieu des démissionnaires de tous crins, il reste toujours une poignée de furieux animés par la foi. Même John Fogerty a pigé ça !


Public Enemy Live from Metropolis studios existe en double vinyls, en dvd, en blu ray et en cd. Et y a même une édition DeLuxe qui regroupe tout ça dans une belle pochette à trois volets.
Un vrai double Live carnassier pour la rentrée. Sans déconner.

Hugo Spanky 
 

samedi 12 septembre 2015

ScoTT H. BiRaM, SaNGuiNe ViTaLiTé


Quand j'en ai marre de patauger dans la routine, je sais pouvoir compter sur le Texas. Ils ont le chic, là bas, pour nous pondre des illuminés jusqu'au-boutistes qui, quelque soit le siècle, quelque soit la mode, persévèrent inlassablement à produire du son brut. A une époque où authentique signifie souvent foutage de gueule, ça peut servir d'avoir quelques bonnes pistes à explorer.

Scott H. Biram, le dirty one man band (comprendre qu'il s'attache -parfois- un tambourin à la cheville et tabasse une grosse caisse tout en foutant un maximum de bordel avec sa guitare) est un de ces excentriques intemporels, un de ceux qui se donnent encore la peine de se bâtir une histoire en payant de leur personne. L'anecdote la plus courante le concernant résume bien le type à qui on a affaire. On est en 2004, dans des circonstances que la sobriété n'explique sans doute pas, Scott H. Biram se fait défoncer dans sa voiture par un camion lancé à toute berzingue. Allez savoir comment, il en réchappe. Peut être voit-il dieu ? Peut être qu'il ne veut pas manquer le BBQ mensuel ? Quoiqu'il en soit, il remonte sur scène un mois plus tard, les os brisés, une perfusion dans le bras, assis sur une chaise roulante mais vivant et plus communicatif que jamais auparavant.
De cette expérience dont on peut raisonnablement considéré qu'elle explique certaines aspérités traumatiques de sa musique, il tirera un E.P, Rehabilitation Blues avec une belle pochette le montrant sur son lit d’hôpital. 
Do you understand ?


Et qu'est ce qu'on en a à foutre ? Ben, tant qu'on n'a pas envie de s'envoyer dans le cornet un équivalent tendance blues de ce que Hank III est à la country, je répondrais, rien. Dans le cas contraire, Scott H. Biram est quelque chose comme la meilleure adresse possible. Et pas seulement parce qu'il convoque les fantômes de Hound Dog Taylor et John Lee Hooker. Ce gars sait écrire des chansons, tentez son Sinkin' down vous m'en direz des nouvelles. On trouve cette merveille sur son album de 2009 Something's Wrong/Lost Forever, un disque pour lequel il étoffe son minimalisme habituel en jouant de l'orgue Hammond avec une étonnante délicatesse. 



Tout cela pourrait en rester là, un white trash texan de plus en quête de la note bleue, si Scott H. Biram n'avait pas sorti coup sur coup deux albums sacrément attachants et foutrement brillants. Les qualités de Bad Ingredients en 2011 lui ont fait passer un cap mais c'est le tout récent Nothin' But Blood qui m'a définitivement convaincu qu'il en allait de mon devoir de vous en causer un brin.
Moins torturé dans le son, moins excessif, cet album retrouve les teintes country des tout premiers albums auto-produit du bonhomme. Une vitalité acoustique typique des rives les plus au sud du Mississippi (Gotta get some heaven), de l'émotion forte (Never comin' home), un beau bottleneck bien rugueux (Jack of diamonds), du raffut pour descendre des bières (Alcohol blues), du Folk-Blues savamment troussé (Nam weed), une touche de Dylan (I'm troubled), du grand n'importe quoi bien inutile (Around the bend), trois Gospels dépouillés jusqu'à l'os en bonus (Amazing grace, When I die, John the Revelator) et même une reprise de Backdoor man qui arrive à ne pas être ridicule face à toutes les versions précédentes de ce classique pourtant archi-usé, voila grosso-merdo le menu de ce bien nommé Nothin' But Blood
Scott H. Biram secoue les fondations en affirmant sa personnalité, jamais il ne tombe dans le pastiche revival.


Si vous cherchez la tendance universelle de demain, passez votre chemin sans vous retourner. Si un repas traditionnel à base de transpiration et de cœur aussi fêlé que l'esprit vous convient mieux, alors installez-vous, l'assiette est chaude.

Hugo Spanky