samedi 22 janvier 2022

PosT RéFleXioN




J'ai fini par piger ce qui me bloquait avec les bd post années 80. D'abord, j'ai collé la cause de ma désaffection sur le numérique, l'absence de grain, le vide intersidéral des scénarii. Remarquez bien que tout ça n'est pas exactement faux. Sauf que Manara ou Kebra, c'était pas vraiment tellement moins creux, simplement ça me parlait.
Puis je suis tombé sur un blog qui en publiant des ebooks tout azimut m'a permis de me plonger dans les productions récentes, disons de moins de 10 ans en arrière. Et c'est là que j'ai pigé. Le soucis, c'était ma pomme. Je reprochais à la bd de ne plus être celle que je connaissais sur le bout des doigts. Elle avait poursuivi sans moi son évolution, la bd avait fait ce que je reproche au rock de ne pas faire, et je trouvais encore moyen de me plaindre ! j'étais vexe, on était passé à l'ère du roman graphique et j'en savais rien. les salauds ne m'avaient pas prévenu.
Mieux encore, la bd s'est féminisée, ce qui est mon souhait le plus immuable dans à peu près tous les domaines. Le salut viendra de la femme, ça sera pas pour de suite dans la mesure où sitôt qu'elles sont en position de changer quoi que ce soit la plupart commencent par se masculiniser. Ce qui est le comble de la connerie. Mais j'ai espoir, ça viendra. Fini le temps où Chantal Montellier et Claire Bretcher faisaient figure d'exception, au dessin, au scénario, les femmes sont en place et d'ici demain plus personne ne les cantonnera à ne parler que d'elles-mêmes. 


Devant l'ampleur de mon retard, j'ai, pour aborder mes recherches, commencé par trier dans le nombre en éliminant tout ce qui est nanas avec des flingues sur la couverture, idem pour les mecs d'ailleurs. Les polars, j'ai donné, pas question de rechercher ce dont j'avais déjà fait le tour. J'ai aussi ignoré les biographies, plus encore celles consacrées aux groupes de rock. Et ça fait du vide ! Putain, c'est devenu un vrai business cette affaire, ramones, velvet underground, motörhead, bowie, nick cave...ils y sont tous passés, réduit à leurs propres clichés en 50 pages. Dans la foulée, j'ai dit non aux machins pseudo historiques, c'est prétexte à n'importe quelle connerie. Vu que j'ai jamais trippé science fiction, vaisseau spatial, golgoth et compagnie, là aussi ça a fait du vide. Faut voir ce qu'on se trimballe comme angoisse pour nos lendemains à venir. Sans moi, j'en ai assez avec celles du jour. Je biaise en piochant dans le registre anticipation, quand c'est bien fichu, ça me va. Avec parcimonie, mais ça me va. Le trop plein de texte, critère de renoncement également, let the dessin do the talking ! Une bd qui nécessite des paragraphes entiers de rédaction est synonyme d'auteur qui s'est gouré de métier. Alan Moore ou pas, quand c'est trop bavard c'est qu'y a maldonne.

Fallait s'y attendre, je me suis retrouvé avec une jolie collection de couvertures roses et bleues, des bd girlie à conscience émotionnelle perturbée. L'équivalent sur papier blanc des disques de T.Rex, Roxy Music, de Katy Perry aussi, des clips de Miley Cyrus lorsqu'elle fait des pirouettes avec sa voiture. Un univers entre True Blood, les films de Sofia Coppola et ceux de Gregg Araki. A ce petit jeu, deux talents se distinguent, atteignant tous deux leur pleine maturité avec leurs plus récentes publications, après quelques encourageant tirs d'essais.

L'espagnole Maria Llovet en premier lieu avec son Faithless en trois tomes (le troisième est pour 2022). Son trait d'inspiration manga trouve une assurance pleine de sensualité soulignée d'une touche de fantaisie haute en couleurs qui manquait un brin à Heartbeat, son précédent ouvrage. Avec un scénario fignolé par l'américain Brian Azzarello, qui s'est imposé avec le machiavélique 100 bullets comme une signature phare, Faithless a tous les ingrédients pour faire des ravages. En combinant les points forts de la bd européenne, sexy et pertinente, avec ceux des comics, efficacité et noirceur, cette série est la salutaire bouffée d'air frais dont le genre avait sérieusement besoin. Difficile d'en dire plus sans être réducteur tant les auteurs s'amusent avec les thèmes les plus classiques du romantisme gothique, sorcellerie, sexualité, épouvante, si ce n'est que tout cela fonctionne miraculeusement par la grâce des personnages qui en contrechamp nous racontent tout autre chose et parviennent à nous questionner sur la valeur que l'on donne à ce qui n'a d'importance que si on lui en accorde. Parfois au point de tout sacrifier pour entretenir une illusion.






Avec 47 cordes, Timothé Le Boucher s'est affirmé en 2021 comme l'autre talent à ne pas manquer. D'une délicatesse inversement proportionnelle à son nom, son trait trouve ici sa plus parfaite épure et se hisse enfin à la hauteur de ses intrigues. Après deux albums en constante progression, Ces jours qui disparaissent, aux dessins un chouia trop juvéniles pour une histoire qui justifie toutefois d'y prêter intérêt et surtout l'impeccablement ficelé Le patient publié en 2019, 47 cordes est la confirmation attendue. Le môme sera taillé pour la cour des grands s'il ne se perd pas dans la démesure d'un scénario dont le second tome à venir pourrait bien se révéler casse-gueule à maitriser. Car si il y a un truc qu'il ne m'a pas fallu mille ans à piger, c'est bien la difficulté qu'ont les auteurs à conclure des histoires dont l'ambition dépasse le one shot. 



En parlant de one shot, Karmen de Guillem March atteste, comme Maria Llovet, de la bonne santé de la bd espagnole. Quelques albums en demi-teintes au scénario parfois confus (Souvenirs) et des collaborations pas franchement convaincantes, dont une avec Jean Dufaux qui peine à se renouveler après avoir trop essoré le filon Djinn, m'avaient fait classer Guillem March au rayon des espoirs déçus, d'autant plus facilement que son expérience américaine au sein de l'usine à comics semblait l'avoir définitivement dénaturé. Karmen démontre avec insolence que j'avais été un peu vite en besogne. Le décor est planté dès les premières pages, on arrive trop tard. Une histoire toute simple traitée avec une ingéniosité vertigineuse, des rebondissements placés avec un impeccable sens du timing et des illustrations tout ce qu'il y a de charmantes m'ont transporté d'une émotion à l'autre avec une béatitude complice. Karmen est une gifle en forme de caresse, ou l'inverse. On aime ce qu'on a perdu, faute d'avoir su l'aimer à temps. Pour ne rien gâcher l'album, paru chez Dupuis, est absolument magnifique.





Retour en France avec l'excellent ouvrage de Lucas Harari La dernière rose de l'été. Splendide résurrection de l'école ligne claire toute de couleurs méditerranéennes, le livre est un plaisir renouvelé à chaque case. Un personnage central au ton pastel traine sa nonchalance sans trop savoir ce qu'il fout là, en ce bord de mer trop bleu pour être honnête. Un peu Brian De Palma, un peu Freddy Lombard, il regarde côté voisine et se laisse happer. Je n'ai pas lu L'aimant qui le précède, mais ce deuxième livre place Harari parmi les noms à suivre de près. Il y a de la personnalité dans ce trait qui peut être, enfin, amène l'héritage de Chaland vers un nouvel éden. L'ambiance mouve au fil du récit, d'abord aérée et lumineuse, les angles, le découpage, Harari utilise toutes les techniques, se positionne en réalisateur, donne à ses dessins des perspectives qui accentuent le propos sans utiliser le texte au delà du strict nécessaire. Du beau boulot, assurément.










Autre nom à surveiller, Lucrèce Andreae, cette jeune touche à tout déjà responsable de quelques court-métrages d'animation signe avec Flipette et Vénère un premier album doté d'une intelligence dans les multiples nuances de son propos à laquelle notre époque de fanatiques ne nous a pas habituée. Encore moins sur un  sujet aussi casse-gueule que celui de la conscience sociale et de l'implication de chacun dans son contexte de vie. De loin l'album le plus bavard du lot, sans qu'il n'en souffre grace à des dialogues toujours bien sentis.









Le ton juste également au fil des trois tomes de la série Le bel âge signée Merwan. Très chouette évocation du passage à l'âge adulte à travers les hésitations, les faux pas et les coups de cœur, et de griffes, de trois petites nanas croquées avec tendresse et bienveillance. Les adeptes de la colocation et des randonnées dans les Pyrénées y seront comme chez eux, sans que les autres ne se sentent exclus. Si ça c'est pas une critique limpide, je ne sais pas quoi vous dire de mieux.









Hémoglobine à gaga avec Lady Killer de Joëlle Jones et Jamie S. Rich, comics en deux tomes aux faux airs de Serial mother (A couteaux tirés et Les vices de Miami) qui m'ont régalé avec leur esthétique 50's, traitée avec la modernité nécessaire, autant que par la nervosité d'un récit qui ne sacrifie pas à la facilité. Les allergiques au fleur bleue, c'est pour vous. Je chicane pas sur ma règle pas de nana avec des flingues, elle préfère les couteaux ! Ok, elle préfère tout ce qui lui tombe sous la main, ça charcle sévère dans cette affaire. Un vrai bonheur. Je ne sais pas si la série dont la dernière parution date de 2016 sera réactivée par l'annonce de son adaptation Netflix, mais je n'y verrais aucune objection.

Hugo Spanky