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dimanche 4 septembre 2016

ALaN VeGa


Alan Vega était une potiche. Ne croyez pas ce que l'on peut lire comme conneries ici ou là sur son prétendu génie musical aussi unique qu'avant-gardiste. Alan Vega c'était Nico dans le Velvet Underground, Annie Lennox dans Eurythmics, Dave Grahan dans Depeche Mode, Joe Strummer dans Clash, la partie identifiable de l'iceberg, l'élément fédérateur. Il n'était ni Lou Reed, ni Dave Stewart, ni Martin Gore, ni Mick Jones, Martin Rev se chargeait d'être ceux là, peut être même les quatre à lui tout seul. 
Est-ce que ça enlève quelque chose au talent et à l'importance historique d'Alan Vega ? Foutre non.

Zombie masochiste hoquetant son rockabilly en luttant pour extirper sa voix des agressions sonores dont le bombardait sans trêve le Prophet 5 de son sadique complice, Alan Vega fut l'incarnation la plus intrigante des fantasmes glauques du New-York cauchemardesque que l'on ne finira jamais d'aimer. Il faudra les Cramps de Bryan Gregory pour retrouver pareil affrontement entre un chanteur et un instrument devenu outil d'anéantissement.



Alan Vega était la résultante des paranoïas de l'Amérique de la guerre froide, l'irradié des bas fonds au cerveau rongé par le LSD, aux dents éclatées par les carences, le juif communiste secoué par d'inquiétants tics nerveux. Un cauchemar pour l'establishment, un emblème pour les déviants. Mais que justice soit rendue à Martin Rev, même si on l'aime avec déraison, ne serait-ce que pour cette impayable tronche de vieille pute, Alan Vega ne fut jamais celui qui fit de Suicide le groupe qui posa les bases de la musique électronique, du terrorisme bruitiste. Et s'il faut vraiment l'affubler d'un titre de précurseur de quelque chose, alors que ce soit de MTV. Comme aucun autre avant, il anticipa la main mise progressive, puis définitive, de l'image sur le son. Alan Vega fut le premier logo humain. Ce que Lou Reed, pas si dingue, refusa à Nico, Martin Rev l'offrit à Alan Vega. Et le chanteur de remplir à merveille son rôle de figure de proue déglinguée, vecteur publique de souffrances intimes. Au point d'en voler la vedette au créateur.


Contenant qui surpasse le contenu, Alan Vega fut l'avenir avant la date. Il accepta d'être cheap, limite ridicule avec ses lamés, ses bottines blanches, son foulard sur le front, son voguing et ses paillettes. Son génie, et sa perte, fut d'assumer tout cela au premier degré, sans chercher à se draper d'une aura de poète, roi lézard, sex-symbol à la con ou big boss de la nation. Alan Vega fut celui qui débarrassa le Rocker de sa panoplie de super-héros, de demi-dieu intouchable. Mise en scène du loser clodo, plus proche des personnages de Selby que du  glamour romantique de ses potes des New York Dolls, Alan Vega, clairement plus Joan Crawford que Marilyn Monroe, injecta les traumas d'une vie régie par le manque et les figures imposées dans un rock en pleine dérive hollywoodienne. 



Ses deux premiers albums solo, les seuls qui comptent vraiment, sont aux disques de Suicide ce que Gaby oh Gaby est à Play Blessures, pour faire une comparaison avec celui qui fut le premier à importer par ici l'esthétique du New-Yorkais. 'Alan Vega' et Collision Drive ont le même vice et une attirance similaire pour les destins flingués, les personnages à la Stallone, ces américains brisés par le Vietnam, par l'alcool, la boxe, la dope et les rêves, les misfits. Deux albums pour un choix, celui de souligner d'eye-liner disco les clins d’œils au rockabilly, plus proches de Bubba Ho-Tep que des Sun sessions, plutôt que les lames de rasoirs rouillées de Mr Ray. Et il a raison, ses disques n'en sont que plus supportables. On peut aimer le café noir sans vouloir se bruler la langue à chaque gorgée. 


Tout le monde se réclame de la douleur de Suicide mais personne ne se risque -à tort- sur Baby oh baby, Nineteen 86, Asia ou Temptation, sommets de la No-Wave torturée signés Martin Rev sur un premier album solo qui, en 1979, délivre pourtant le méchant feeling dans toute sa plus froide insolence.
L'image plutôt que le son, l'interprétation plutôt que la brutalité de l'authenticité, ce sera le choix du public comme des rock critiques, et c'est Alan Vega qui incarnera la légende dans les pages des canards. Et tant pis si Shadazz passe à la trappe au profit d'une Magdalena qui n'a que la moitié de son charme.


Oui, Alan Vega fut une potiche. A tel point que sa séduction sur le public français puise son origine dans la diffusion muette du clip de Juke box baby aux Enfants du Rock, victime d'une coupure de son dont notre télé nationale détenait alors le secret. Qu'importe, la seule vue des attitudes hallucinées du monomaniaque de Brooklyn, obsédé par Elvis karaté, suffira à convertir à sa cause un public qui plus tard fera un triomphe au C'est lundi de Jesse Garon, reprise masquée de Juke box baby qu'il serait grand temps de revendiquer.


C'est finalement ailleurs que dans la musique qu'il faut souligner l'importance d'Alan Vega pour lui rendre justice au mieux, dans ses sanglants happenings extrémistes, ses foutraques sculptures aux néons, dans cette façon d'imposer sa vision de soi en méprisant les rejets, dans le lien qu'il créa, via sa galerie d'art dès le tout début des années 70, entre les protagonistes des diverses formes d'expressions qui feront de New-York le fer de lance des nouvelles cultures. Alan Vega, comme Paul Zone, Jayne County, Yoko OnoRammellezee ou Lou Reed fut un coupeur de tête ne laissant aucune chance aux esprits étroits. Un de ses personnages qui, armés d'un courage suicidaire, définissent les mœurs, les pratiques et les pensées que les sociétés légifèrent le siècle suivant. Un de ceux, précieux, qui permettent à la rue d'avoir toujours un temps d'avance sur les palais. 

Hugo Spanky

Ce papier est dédié à Carine Ortega.