vendredi 21 juin 2024

SuBWaY To HeaVeN : DaViD BoWiE

 


Avec quel disque de David Bowie voulez-vous passer l'éternité ? Une simple formalité sur ce coup là, j'allais bille en tête étaler mes certitudes sur une cinquantaine de lignes, habiller l'ensemble d'une poignée de photos et publier dans la foulée. Il ne me restait plus qu'à réviser les oeuvres majeures du rouquin, manière d'aborder tout ça avec une fraicheur renouvelée. Je suis tombé de haut. Le constat est navrant, plus grand chose ne tient debout. Je ne me faisais pas tellement d'illusions sur la période post Let's Dance, sinon quelques titres éparpillés que je savais trouver sur mon chemin. Absolute beginners, This is not America, Under pressure, Cat people, Jump they say. Guère plus pour ce qui est des singles imparables. Quant aux albums, ils sont insupportables à écouter dans leur intégralité. Et ceux qui ne l'étaient pas le sont devenus. J'avais accroché sur Outside à sa sortie et longtemps ensuite. Ce retour en catimini vers quelque chose de plus artistique amorcé avec Black Tie White Noise avait de quoi séduire. David Bowie s'amusait à nouveau à des jeux dont il inventait les règles. C'est finalement ce qui flingue Earthling, toutes ces règles qui cadenassent ce qui n'avait de charme que sauvage. Bowie uniformise son propos en usant d'un Drum'n'Bass trop systématique pour ne pas devenir pénible. Reeves Gabrels n'arrange rien à l'affaire, l'omnipréssence de son jeu tape à l'oeil m'a filé des envies de meurtres. Au final, cette autre trilogie ne vaut plus un clou. Pour invoquer la nostalgie des années 90, les disques de Prodigy font mieux l'affaire. Ou une compilation de hits Dance. 

Ceci réglé, je me suis penché sur l'avant, inévitable avant, fièrement campé sur ses fondations, dressé en pyramide de vinyl noir. Du haut de ces névroses, dix années de génie nous contemplent. C'est pas Napoléon qui le dit, c'est le service promotion de RCA. Dix années largement rééditées et augmentées, remasterisées et remixées pour des raisons diverses avec des résultats discutables. A moins que ce ne soit l'inverse. Autant le dire d'emblée, deux albums se distinguent, parfaits chacun dans leur style. The Rise and Fall Of Ziggy Stardust, d'abord et encore. J'aimerais pouvoir le déboulonner ne serait-ce qu'un peu, par vice plus que par plaisir, mais y a pas moyen. Rock'n'roll suicide n'a certes plus la définitive beauté du baiser de la mort, mais Five years prend du volume au fur et à mesure que grandit la distance qui nous sépare de sa création. On peut déblatérer de tout notre soûl, prendre des positions idéologiques, rien n'y fera, poser ce disque sur une platine réduit à néant les objections. Et tant mieux parce qu'on ne peut pas en dire autant de la fameuse trilogie pseudo Berlinoise (en fait majoritairement Franco-Suisse) dont le vernis de façade craque de toute part. Même condensé sur la B.O de Christiane F, c'est devenu imbitable. Lodger, déjà bassine d'eau tiède à sa parution, conserve son charme pastel. Je pourrais encore le défendre celui ci, par contre Low et Heroes ont basculé cul par dessus tête. Les sonorités prétendument avant gardistes agacent, encombrent parfois de bonnes chansons, masquent souvent un vide intersidéral. 


Du coup, le second album qui se distingue est celui qui balaie devant sa porte. Lassé d'Iggy Pop, débarrassé d'Eno, Bowie revient aux fondamentaux avec Scary Monsters (and Super Creeps). Terminé les branlettes pour alimenter la prose d'Yves Adrien. Scary Monsters est une boucherie. David Bowie refait enfin ce qu'il fait de mieux, transformer de bonnes chansons en un rock moderne, nerveux et provocateur. Créer des titres qui alimentent les radios, consolent les peines de coeur, donnent envie de danser le samedi soir et de pleurer le dimanche matin. De quoi occuper le terrain des médias et garder le rock en vie. Autant dire tout ce dont on aurait bien besoin. Scary Monsters est une version kärcherisée de Station To Station que l'on a accueilli en faisant un triomphe à Ashes to ashes. Et puisse que j'en parle, allons-y pour le duo plastic-soul du coeur des seventies. Young Americans et Station To Station restent de bons disques, des candidats sérieux au titre suprême seulement disqualifiés par trop d'emprunts, même sublimés. Le premier suce la moëlle du Philadelphie sound, fait ses courses chez Luther Vandross et doit son hit single pour moitié à John Lennon, le second brille intensément par la reprise de Wild is the wind, sans laquelle il ne serait qu'une jam entre musiciens au pinacle de leur génie. Mais je l'ai dit, ce sont de bons disques. Que Scary Monsters et ses super creeps annihile d'une pichenette, fa fa fashion.


Et donc reste la période Glam, celle du rouquin maigrichon qui ne sait pas s'il est homme ou femme, terrien ou extraterrestre. J'ai évoqué le cas Ziggy Stardust et le moins qu'on puisse dire, c'est que lui pondre un successeur n'était pas une mince affaire, à tel point que Bowie va s'y reprendre à deux fois. D'abord avec Aladin Sane, que j'ai beaucoup écouté sans jamais trop savoir pourquoi. A l'exception de Time, Lady grinning soul et du morceau Aladin sane, illuminés par les audaces de Mike Garson, l'album est une vulgarisation de Ziggy Stardust conçue pour capter le marché américain. De sa semence naitront le Rocky Horror Show, Phantom of the Paradise et Kiss. Marketé dans une pochette iconique aussitôt déclinée en une invasion de merchandising, Aladin Sane est un produit savamment pensé. Les chansons, vidées de toute fioriture, soutenues par une énergie communicative et des refrains minimalistes instantanément mémorisables, défilent comme à la parade en revendiquant leurs gros sabots. A coup de suck, baby, suck et de Jean Genie loves chimney stacks, les garces nous couchent dans leurs draps tachés. Bizarrement, Aladin Sane pourrait être le meilleur album 70's des Rolling Stones. 

Ensuite il sort Pin Ups. Celui là démerdez vous avec, je n'en dirais aucun mal. Ken Scott, Hérouville, un groupe soudé par une énorme tournée, une poignée de hits des sixties intelligemment sélectionnés, que peut-on reprocher ? Dire que toutes les reprises ici présentes surpassent les originaux serait excessif, pourtant je le dis. Ce I can't explain ralenti à l'extrême est chargé d'un groove sexuel menaçant qui viole la niaiserie adolescente de l'original. See Emily play, roulé dans la boue, se révèle un rock puissant sans ses oripeaux pédants, et il en va ainsi de tous les autres morceaux. Dynamique, frais et vicieux, Pin Ups est un album brillant emballé dans une pochette divine. Seule Sorrow casse un peu les bonbons au milieu de la mitraille, mais il fallait bien un single.


Ce qui m'amène tout naturellement à Diamond Dogs, album crucial qui permit à son auteur de transcender le phénomène de mode. Devenir autre chose que Taylor Swift. Allez demander à Marc Bolan si c'est chose facile. David Bowie vise la postérité, zigouille Ziggy Stardust devenu trop réducteur et tant qu'à y être dégomme les Spiders From Mars pour engager, enfin, un groupe de mercenaires qu'il dirige en occupant le poste de guitariste doublé de celui de producteur. Le résultat est inoxydable, simple dans ses riffs, mais ambitieux dans ses mélodies échevelées et sa construction labyrinthique. Disque vampire, Diamond Dogs fait la synthèse du glam rock mortifère et se revitalise par l'apport d'un souffle disco. Ainsi en équilibre entre les éléments de son succès européen et ceux de son opération séduction, Diamond Dogs est un disque de transition. C'est une pile dans laquelle on cherche rarement les chef d'oeuvres. David Bowie n'aura pas été à une excentricité près.

Tout ceci est bien joli, mais la gifle qui m'a retourné le cerveau n'est pas tant venue de Diamond Dogs que de Space Oddity. Celle là, je ne l'avais pas vu venir. Parmi mes certitudes, une me semblait indéboulonnable : La discographie de David Bowie commence à Hunky Dory. Et c'est en dégainant du fourreau cet album là que je pensais conclure mes révisions. The Man Who Sold The World étant une daube infâme, je ne reviendrai pas là dessus, j'ai vérifié. Surprise, pour la première fois Hunky Dory ne m'a pas collé une poussée d'urticaire, preuve s'il en est que si les temps ne changent pas tant que ça, les hommes eux vieillissent. Johnny Hallyday plus visionnaire que Bob Dylan, ça non plus je ne l'avais pas vu venir. 


De quoi éveiller un doute en moi, si Hunky Dory n'est pas aussi naze que je le pensais, Space Oddity ne vaut-il pas mieux que l'indifférence que je lui porte ? J'avais chopé mon exemplaire au temps de l'adolescence, séduit par sa pochette et conservé depuis pour le hit qui lui fait office d'étendard. Sans aller plus loin dans la découverte. J'aime bien ça, le disque qui végète dans son coin et qui me pète à la gueule 40 piges après la bagarre. Intrigué, j'ai soudain abordé son cas dans les grandes largeurs, allant tel un geek sous Temesta jusqu'à traquer les démos et autres BBC sessions et surtout comparer la version originale avec le remix de 2019 réalisé par Tony Visconti. L'objectif d'adapter un enregistrement bringuebalant de 1969 en produit calibré pour Spotify a été atteint. Visconti a sorti les muscles et discipliné la stéréo farfelue du mixage d'époque, couteaux et fourchettes sont dorénavant du bon côté de l'assiette. Les trois guitares qui virevoltent dans le spectre sur l'excellent God knows I'm good bombardent comme des B52. Je ne dénigre pas, ça fonctionne. On sait que les chaines hifi sont une espèce en voie de disparition et que l'écoute sur ordinateur fait du son caractéristique des sixties l'équivalent d'une fraise de dentiste. L'avenir n'est plus aux disques play it loud. Par contre, on peut appeler un morceau Janine sans que ça gène personne. 



Entre les prénoms à la con et cette fichue guitare folk, je vous accorde que Space Oddity a des allures de ménestrel qu'il faut savoir outrepasser. Plus encore lorsque Tony Visconti débarque avec sa flute sur An occasional dream, sans toutefois parvenir à flinguer le morceau. Ne me demandez pas d'où je sors tant d'indulgence. Bien plus réussi est l'arrangement de cordes réalisé pour Wild eyed boy from Freecloud qui habille le morceau d'une séduisante emphase dramatique. Et puisque je rode sur la face B, Memory of a free festival, qui s'étire sur sept minutes, s'avère être un drôle de trip. D'abord recueil harmonium et voix, puis chorale défroquée sur fond de rock bastringue, avant que la coda ne ramène tout le monde au point de départ. Est-ce que la qualité de la composition supporte un tel méli-mélo ? A vrai dire, c'est sur ce titre que j'ai pigé que l'intelligence de Bowie turbinait déjà plein gaz, car il faut évidemment prendre le problème à l'envers. 

Avec la délicate mission de succéder au hit interstellaire qui ouvre l'album, Unwashed and somewhat slighty dazed prend le contre-pied de la sophistication qui le précède. Six minutes de folk rock hargneux pour nous ramener les pieds sur terre, un matraquage en rogne qui aurait pu trouver sa place chez Led Zeppelin, si Robert Plant n'était pas si angélique. Après quoi Letter to Hermione passe comme à La Poste et nous mène tout droit à Cygnet commitee. Je ne pige pas comment j'ai pu rater un tel morceau. Neuf minutes qui s'inscrivent dans un registre que Bowie affinera bientôt avec Five years, Rock'n'roll suicide ou Wild is the wind. Brouillon ou pas, on est à ce niveau là dès 1969. Parlez d'une révélation, je me l'injecte trois fois par jour depuis une semaine. 

Hugo Spanky

mercredi 22 mai 2024

eNTRe LeS DeNTs

 


Dans la foulée du papier précédent, j'ai traqué sur la toile tout ce qui pouvait assouvir ma soif de Blues. On trouve un paquet de concerts tardifs, tenues correctes exigées dans des clubs où touristes et gloires locales se partagent les tables. C'est extra pour des artistes qui échappent aux bouibouis à l'automne de leurs vies. Je ne sais pas si on peut dire qu'ils obtiennent ainsi le respect tellement ça ressemble à un numéro de cirque. 

Je suis aussi tombé sur les rescapés du Blues Boom anglais et autres texans nés du bon côté de la couleur de peau. Je vais faire vite, l'authenticité du Blues blanc je n'y crois pas. Johnny Winter, Stevie Ray Vaughan, Eric Clapton sont dignes d'interêt, leur virtuosité, leur feeling, leurs facultés d'assimilation les ont fait briller et je ne crache pas dessus. J'aime leurs albums, il m'arrive même de les écouter. Je n'attends pas d'eux qu'ils inventent quoique ce soit, juste qu'ils reproduisent à leur sauce un état d'esprit qu'ils ne font qu'effleurer. 

Il suffit des quelques minutes pré-générique du long métrage Le Blues Entre Les Dents pour piger ce qui leur manquera toujours. Et tant mieux pour eux. On ne s'attribue pas les souffrances de l'esclavage, l'humiliation des viols dont on est témoins silencieux sous peine de finir au bout d'une corde. Le Blues Entre Les Dents mélange film et documentaire, je dis bien film, pas fiction. La partie romancée du métrage tisse le contexte, au cas où la scène initiale captée parmi les pensionnaires d'un pénitencier n'aurait pas suffit à nous mettre au parfum. On suit donc un couple bringuebalant, l'homme traine sa misère en vivant aux crochets de sa mère comme le morpion de base, la femme s'ennuie ferme et occupe son temps libre en écoutant le Blues dans le bar du quartier. Et c'est là qu'on a du bol.


Sur des scènes sans lustre, grandes comme des timbres postes defilent au pinacle de leur forme Sonny Terry & Brownie Mc Ghee (le Toots Sweet d'Angel Heart), Roosevelt Sykes, Junior Wells, Bukka White, Buddy Guy. Et BB King aussi. Ça c'est pour les noms ronflants, ceux qui mènent la danse de bien redoutable façon. Faut voir (et entendre surtout) Buddy Guy qui prend son envol sur les ailes de Junior Wells. Ils sont quoi ? Quatre ou cinq gars emboités comme des Légo sur l'équivalent d'une table de jardin, pas besoin de superflu, ils commencent par faire chauffer l'harmonica, derrière ça se met en place par quelques licks et cris sauvages. Les gars viennent de choper le groove, ils ne vont plus le lacher. Le morceau se met à monter comme une chantilly, juste avant de vous éclater à la gueule en une bordée de notes furibardes. Junior Wells fait un pas en arrière (pas deux sinon il tombe de scène), Buddy Guy fait un pas de côté et c'est un Boeing qui vous transperce le crane pile entre les deux yeux. Faut voir ça une fois dans sa vie. Après quoi, on relativise avant de parler d'efficacité pour le moindre Angus Young qui passe.



Tout ça c'est bien joli, pourtant l'essentiel est ailleurs. L'acmé du film ce sont les anonymes, les anciens dont on voit bien que l'entourage se demande jusqu'à quand papi, tonton ou maman va faire son numéro. Dans un salon exigu, dans une cuisine basse de plafond, dans un coin de bistrot entre billard et percolateur, démonstration est faite de ce qui ne s'apprend pas. Le Blues prend corps au fil des mots, les notes égrainées à coups d'ongles, de pulpes et de coudes font rougir les mamies, mouiller les gamines. Le Blues est un langage, cru, prophète, roublard. Tout ce qui vient l'enjoliver le dénature. 

Le Blues Entre Les Dents de 1972, production française, réalisateur grec, des protagonistes qui de l'Afrique à l'Amérique ne sont chez eux nulle part. Faites leur une place dans votre lucarne, le lien est juste là. 

Hugo Spanky

Le Blues Entre Les Dents

Warning Zone

jeudi 9 mai 2024

RuSH HoUR



Marre d'attendre le nouveau messie, les anciens me feront l'affaire. C'est armé de cette résolution que je m'en suis allé, tel Ulysse, naviguer vers des rivages depuis trop longtemps ignorés. J'ai alpagué le Blues ! 

Halte aux fous ! Oubliez de suite vos espoirs de lire ici une communion avec les mijorés. BB King était tout ce qu'on voudra et nombre de blanc-becs vous le serviront en référence. Ce n'est que parce qu'il a eu la malice de les flatter. En ce qui me concerne, il a les défauts de Ray Charles (ce qui ma foi vaut bien des qualités), ce sont des passeurs. Plus important pour conquérir le public que pour la musique. L'un et l'autre sont gorgés de talent, et je peux comprendre que les excessifs parlent de génie concernant Ray Charles sur Atlantic. BB King a même enregistré de bons disques, alors qu'il portait encore des shorts sur scène. Ils furent aussi le vers dans le fruit. 


Par contre, je peux faire l'éloge de John Lee Hooker. Mais qui ne l'a pas déjà fait ? Je peux tout aussi bien faire l'apologie de Howlin' Wolf et Muddy Waters. Chopez-vous les volumes qui leur sont consacrés dans la série jamais surpassée des Chicago Golden Years de Chess Records. Des double albums garnis jusqu'à la gueule de blues inusables. Que dis-je, de blues historiques ! Et au delà.


Tant qu'à brandir d'emblée la botte secrète, faites vous du bien en ratissant dans la même séries les volumes mettant en exergue Sonny Boy Williamson III et Little Walter. Vous m'en direz des nouvelles. Les amateurs de Blues & Rhythm peuvent aussi se purifier le conduit en se penchant sur Little Milton. Pas une seule baisse de régime sur aucun de ceux là. Des tranches d'Histoire, croyez moi.






Et puis il y a ceux qui m'ont fait prendre le clavier en ce jeudi d'Ascension, d'embouteillage au Perthus, d'outrances gastroéconomiques, d'éthylisme immodéré. Rien de tout celà ne me concerne. J'ai mangé des endives, de la brandande de morue et arrosé l'ensemble de vinaigre et d'huile d'olives. Otis Rush suffit à mon plaisir et JB Lenoir en convient. De l'un comme de l'autre nul ne s'est donné la peine de conter le destin. A moins que ce ne soit inutile, tant il se conjugue avec celui que le 20eme siècle a infligé à leurs semblables. Nés noirs au Mississippi, morts à Chicago. Et basta, pierre tombale, rideau. Qui en a à foutre du Blues en nos temps spotifyisés, clic clac, dacodak ? J'en prédis le retour, pourtant. Le Blues d'Otis Rush sur Cobra Records, de JB Lenoir sur Chess. Le premier, pillé sans crédit par des anglais. Entre parenthèse, une question, pourquoi n'y a-t-il jamais eu de bluesman noir et anglais ? Fermer la parenthèse. Le second, trop impliqué socialement pour être soigné, lorsqu'un accident de la route le tue à petit feu. Chanter Vietnam Blues, Eisenhower Blues, I'm in Korea, Korea Blues, Alabama Blues, Move This Rope, Shot on James Meredith, Born dead se paye cash dans l'Amérique d'Easy Rider. 1967, je sors de l'oeuf, JB Lenoir décroche l'éternité et attend patiemment l'heure de venir me hanter.



Ecoutez la guitare d'Otis Rush qui racle et renâcle, le falsetto de JB Lenoir qui commente et dézingue. Il en fallait une grosse paire pour ramener sa gueule sur des sujets aussi bouillants que la conscription des noirs, envoyés au front sur les rives du Mékong, manière de leur fait passer l'envie d'avoir des droits civiques. Faut garder ça à l'esprit. Deux intransigeants, dont la flamme vacille mais tient bon. Et s'abandonner à la vibration, aussi. Laisser le feeling parcourir les sens. Mettre en éveil. Important ça, l'éveil.

Hugo Spanky

Blues flux mp3 (Drop)

Blues flux mp3 (Mega)

JB Lenoir & Fred Below TV 1965

vendredi 22 mars 2024

TicKeT chOC


Les productions françaises progressent indéniablement niveau séries et téléfilms, ça c'est dit. France Télé et TF1 se refilent un bourbier d'acteurs et actrices impeccables, de seconde zone, on ne fera cracher le prix d'un ticket de cinéma à personne pour aucun d'eux, mais ils sont impeccables. J'ai même mes préférences. Dans le même temps, le cinéma devient pathétique. Les castings sont soit flagorneurs envers de vieille peau lessivée (Isabelle Adjani) que des producteurs essorent en les acoquinant avec de jeune raté (Pierre Niney) pour un résultat ridicule (Mascarade), soit révolutionnaires de salon en tentant de relancer des formules qui ont fait leurs preuves il y a 30 ans. Les succès de conneries monumentales comme Anatomie d'une chute ou Yannick en sont de bons exemples. Acteur tête à claques, contexte post-branchouille, scénario branlette. On m'explique que c'est voulu pour favoriser l'improvisation. Au final, un réalisateur de kermesse pique la trame d'Un Après Midi de Chien, colle ça dans un théatre et affuble l'ensemble d'acteurs dont j'ai vu défiler toute la carrière en l'espace de 5mns. Je vous le dis tout net, Raphaël Quenard est, au mieux, le nouveau Paul Préboist.

Quelques noms m'ont, un temps lointain, donné à espérer, tous se sont vautrés. Hazanavicius consacre tellement d'énergie à faire oublier OSS117 et The Artist qu'il perd tout ce pour quoi il était doué. Une cure de modestie lui serait profitable. Quant à Jean Dujardin, il semble que personne ne sâche quoi en faire. Yvan Attal persiste à réaliser des Super 8 familliaux qui n'interessent que lui et Guillaume Canet s'est fait laminer par le système. Son cas est d'autant plus regrettable qu'il avait du potentiel des deux côtés de la caméra. Ok, c'était pas le Cassavetes français, mais il y travaillait. Devenu en deux films girondins la coqueluche du métier, au point d'en être un brin agaçant, Rock'n'Roll l'a balancé cul par dessus tête. En mettant de la sorte un miroir face à ceux là même qui l'avaient créé, Guillaume Canet dressa le portrait peu flatteur d'une machine à fabriquer des monstres. Mordre la main nourricière impose un succès commercial sans contexte, seule façon de rendre l'insulte désinvolte. Pas de bol, tout en étant son meilleur film, Rock'n'Roll s'est mangé le mur. Humour acide, sujet provocateur, interprétations décapantes et longueur excessive ont dérouté un public qui, jusque là, aimait à se reconnaitre dans les tranches de vie niaises et nostalgiques dont il s'était fait le spécialiste. Comme disait l'autre, c'est dur d'être aimé par des cons. Après quoi se voir offrir le renouvellement de la franchise Astérix était le baiser de la mort. 


Au milieu de ce marasme se dresse un sémaphore, Benoit Magimel est son nom. Tel Attila, tel Othello, le Marlon Brando français contemple l'immensité du vide. De la médiocrité ambiante, il fait son affaire. Benoit Magimel est de ceux dont la prestance éclipse les réalisations hasardeuses, les scénarios creux, rares sont les acteurs dont la carrière perdure après autant de mauvais films. La sienne ne s'en porte que mieux, les navets le bonifient. A l'instar de Sandrine Kiberlain (qui aura l'idée de les réunir ?), Magimel l'esquinté, Magimel le Alain Prost des boulevards, Magimel le drogué! suffit pour qu'un film soit sublimé. Qu'on me le fasse avaler en gastronome du 19eme siècle (!!!) ou en mari cocu, je prends. Même en Louis XIV, je prends. Benoit Magimel tourne trois films par an, la plupart n'ont ni queue, ni tête, qu'importe, lui s'y balade en toute décontraction. Défoncé jusqu'aux yeux, rafistolé par la chirurgie, enflé par les abus, on ne sait jamais dans quel état on va le trouver. Du coup, ça fait sujet de discussion. Avec Milady, on constate, on commente, et quand on a fini la première demi heure du film est déjà passée. La plupart du temps, Benoit Magimel n'a pas changé une seule fois d'expression. Parfois, il tient deux heures durant sans bouger d'un cil. Marlon Brando, je vous dis. Vous le posez là, vous plantez une caméra en face, vous avez un film. Un génie. Si seulement il se trouvait une Elizabeth Taylor, il serait Richard Burton. Un prince. Faute de quoi, il est Benoit Magimel. Et ça suffit à notre bonheur.


Récemment, on l'a regardé dans Pacifiction : Tourment sur les îles. Dites moi quel autre acteur ouvre un scénario avec un titre pareil ? Je suis certain que lui non plus ne l'a pas ouvert. J'avais vu Amants quelques jours plus tôt, je suis incapable de vous dire la moindre nuance de jeu entre les deux films. Millionnaire cocu ou haut dignitaire de l'Etat, c'est kif kif bourricot. Je suis tout aussi incapable de vous dire lequel des deux films est pire que l'autre. Il se peut que les deux soient bons. Démerdez-vous, en ce qui me concerne un film avec Benoit Magimel est au delà de toute évaluation. L'important est ailleurs. Pour vous donner une idée, Pacifiction : Tourment sur les îles, c'est Coup de Torchon revisité par un réalisateur espagnol à la ramasse, ça dure trois plombes, j'ai fait une sieste au milieu, à mon réveil j'étais toujours dans le coup. Un chef d'oeuvre, à mon avis. Le cadrage met Benoit Magimel en valeur, les décors lui vont bien au teint, c'est parfait. Il est droit comme un i, se vautre dans la saloperie, met à l'amende ceux qui débordent de trop, il règne sur son île comme sur le film. A tel point que les seconds rôles sont inexistants, il a fallu que je vois son nom au générique pour m'apercevoir que Sergi Lopez était du lot. Benoit Magimel est éblouissant à ce point là.

Hugo Spanky



dimanche 3 mars 2024

CaRBoN/SiLicON


Une envie de faire dans l'utile me prend. Balancer à qui en voudra une vingtaine de titres des méconnus Carbon/Silicon. Du rock moderne élevé dans la tradition. Comprendre un groupe qui sample le riff de Street fighting man, colle le refrain de Mama we're all crazee now par dessus et parvient à un résultat qui ne ressemble en rien aux Rolling Stones, encore moins à Slade. Ailleurs, ils flanquent une secousse à You really got me. Je vous laisse le plaisir de découvrir les autres samples, ces types ont du bagage. Tenez-vous bien, ils font aussi des morceaux qui ne doivent rien à quiconque. 

Carbon/Silicon décroche le pompon dans la catégorie des groupes injustement passés inaperçus, ce qui est plutôt con dans la mesure où pas grand chose d'autre de bandant n'a émergé durant leurs dix années d'existence, de 2003 à 2013. Et pas moyen d'invoquer le prix du disque pour excuser le public, les leurs étaient gratuits !

Toqué d'internet, motivé par l'association des mp3 et du P2P, le duo ne s'est pas emmerdé à démarcher des labels, ils ont créé un site alimenté par leurs enregistrements. Au fil du temps une quinzaine de EP et six LP (dont un live) vont ainsi être mis à disposition avec tout ce qu'il faut pour assembler sa propre copie, la pochette recto/verso aux dimensions qui vont bien et même le label à coller sur le cd. Sans spam, sans inscription à un compte à la con, sans donation à verser, on n'est pas chez Bruce Springsteen. Les EP font office de laboratoire, bordéliques à souhait, usant de samples frauduleux défigurés par la mise en boucle, calés sur des morceaux dont le rock anglais à perdu la recette. C'est souvent cradingue comme une démo et parfois impeccablement abouti, on suit l'évolution de certains morceaux en clandestin planqué dans un coin du studio. J'adore ça. Pour situer, le son global est celui que Mick Jones a collé au premier album des Libertines, associé à un fatras d'électronique à deux balles. 

D'abord simple duo, Tony James/Mick Jones, deux guitares à fond les ballons, un sampler et une boite à rythme, la formation s'étoffe pour les concerts avec bassistes et batteurs intérimaires recrutés parmi les potes disponibles (dont Topper Headon le temps de quelques dates) sans que ça crée de grands chabardements dans le processus. Carbon/Silicon fait dans le basique, deux mélodies, un riff et ça creuse le morceau. Il leur arrive de partir en vrille en cours de route, le riff devient boucle, des effets se fracassent sur le beat inamovible, on flotte dans une bulle ecstatique.


Leur premier morceau se nomme MPfree manière de bien situer (MPfree, vous l'avez ? MP3 prononcé à l'anglaise. On est bon, je continue). MPfree est une démo qui désosse My generation façon tribal. Quand je dis tribal, je ne parle pas du genre musical, mais des tribus qui vous réduisent le crâne, avant de faire rotir vos cuissots. Le titre a été publié en 2002 dans un élan de générosité censé ralier les masses populaires à leur cause. En avant toute vers une panacée de musiques libérées des contraintes mercantiles. Quand ils ne sont pas dans leur studio, les Carbon/Silicon sont sur la route, ils ont repiqué au truc, incitent le public à filmer et diffuser leurs concerts sur la toile. Le coeur des clubs bat encore, sans nostalgie, Mick Jones n'est pas du genre à rabacher, quant à Tony James c'est un ancien de Sigue Sigue Sputnik, il en sait plus long sur l'avenir que sur ce qu'il a fait la veille. Sans manager, sans soutien, sinon le bouche à oreille, le groupe donne une quarantaine de concerts qu'on ne diffusera pas dans les écoles de musique. En 2005, un premier album, A.T.O.M (A Twist Of Modern) est mis en ligne. Les samples sont abandonnés, le son devient moins fourre-tout, une cohésion s'affirme. Quelque soit l'assemblage, les compositions de Carbon/Silicon ont en commun une solidité mélodique typique de Mick Jones à laquelle s'additionne quantité de surprises dans la mise en place. On connait le bonhomme, fragile niveau justesse, si ce n'est qu'il déverse tellement d'émotion et de conviction qu'on se fout pas mal du reste. D'autant que c'est pas avec sa guitare qu'il va faire plus propre. Tony James se charge de l'électronique et accessoirement en rajoute une couche dans l'approximatif. L'année suivante Western Front prend la relève avec la même arrogance.



En 2007, ils se cotisent et montent leur label pour commercialiser deux EP (The news et The magic suitcase) en préambule à un album distribué en circuit traditionnel. The Last Post présente de nouvelles versions de titres auparavant parus sur le net. Bouillonant et nerveux, le disque capte l'essence du groupe, tout en lui appliquant une production dopaminée. Ils en profitent pour faire de la promo en France, séance de dédicaces, showcase, concert à Paris. Les seuls qui se sont bougés pour en parler sont les mecs de Médiapart, dont la démarche est similaire à celle du groupe, utiliser internet comme l'espace de créations et de liberté qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être. On est beau avec notre supermarché virtuel. Il en reste un reportage qui traine encore sur youtube. Le duo de base en goguette à Paname, avec leurs sourires à flanquer des syncopes aux dentistes.


The Last Post file tout droit dans les bacs de soldes, malgré une belle édition française en double cd, avec l'apport d'un live, sur l'éphémère label Archambault. A ce rythme là, c'est retour au système D pour l'ultime album du groupe, et aussi le plus finement ciselé, The Carbon Bubble mis en ligne en 2009 après une tournée des clubs anglais, une autre en Amérique et quelques participations à des festivals, SXSW au Texas et Coachella en plein après midi. C'est un truc auquel je me suis habitué en regardant youtube, la plupart de ceux qui m'interessent suffisament pour que je traque les publications des allumés qui filment les concerts avec leur téléphone, jouent à l'heure de l'apéro du midi. Remarquez que ça doit être cool, à 14h t'es peinard, tu peux te faire une bonne bouffe et écluser au soleil en tirant sur des spliffs. C'est pas comme si Tony James et Mick Jones s'étaient connus la veille. Ils étaient déjà complices à l'époque des London SS, avant que l'un forme Clash et l'autre Generation X, ça remonte à l'acné juvénile, doivent avoir des sujets de conversations. Ils ont évolué en parallèle, branchés sur l'actualité des clubs, l'esprit grand ouvert sur les possibilités d'évolution. Sigue Sigue Sputnik les a réuni une première fois lorsque Mick Jones mettait leur son au point, avant de fonder Big Audio Dynamite. Ces deux là doivent avoir de quoi remplir des carnets, si la skunk leur a laissé des souvenirs, je ne cracherais pas sur une autobiographie commune. 




En attendant, je suis en mission d'utilité publique, sans guitare mais avec des mp3. Je vous ai sélectionnné vingt morceaux de Carbon/Silicon, parmi la cinquantaine qu'ils ont publié. Leur site a été vidé en 2010, après la mise en ligne du titre Big surprise, une merveille de  pop anglaise. La révolution internet a du plomb dans l'aile, l'illusion fut belle. On a bien le droit de rêver. 

Pour ne pas se quitter sur une fausse note, je ressuscite l'esprit du groupe, ne les ratez pas une seconde fois. Vous ne serez pas volés sur la marchandise. 

Hugo Spanky

CarbonSilicon mp3 (box)

CarbonSilicon mp3 


mercredi 31 janvier 2024

En sTuDiO aVec BaSHuNG



On ne peut pas se tromper à tous les coups, l'oeuvre posthume d'Alain Bashung jusqu'ici malmenée par une série de publications navrantes vient de se dôter d'un album de haut vol, En Studio avec Bashung. Un document cohérent dont la parution est totalement justifiée par sa sidérante qualité musicale. Et historique, aussi, mais on s'en fout. De l'historique, on en avait déjà eu avec le composite De Baschung à Bashung en majorité constitué d'enregistrements des années soixante, portraits d'un artiste qui se cherche, n'ayant rien à apporter au mouvement dominant de son époque et dépourvu des aptitudes nécessaires pour évoluer dans sa marge. La principale qualité de cette compilation, par ailleurs généreuse, reste de proposer une sélection de titres parmi ceux gravés la décennie suivante avec Dick Rivers sous l'estampille du Rock Band Revival. Une série de reprises de classiques du rock'n'roll par un groupe fictif destiné à alimenter anonymement le marché du disque discount, vendu 15 francs dans les rayons des mousquetaires de la distribution aux côtés des Testament du Rock et autres merveilles hautement éducatives. C'était sympa, ça swinguait dur.





J'en arrive au plat du jour. En Studio avec BashungSi ce disque est aussi satisfaisant, c'est qu'il apporte un éclairage différent, faute de nouveau, sur la période la plus fascinante et créative de Bashung, celle d'où émergent les albums Play Blessures et Figure Imposée. Le contexte, Bashung le plante lui-même en quelques mots au début du disque. Fernando Arrabal lui offre un rôle dans son téléfilm Le Cimetière des Voitures et le sollicite pour en composer la bande originale. En échange d'un sourire. A ce moment de sa vie, Bashung est dans un état d'esprit typique des claudicantes années 80. Créateurs et créatures fantasment un trip apocalypstico-post-punk peuplé de craintes illusoires. Les enfants de la nuit ont soudain peur de leurs ombres. Le fumeux romantisme de la lose bat son plein, abandon à tous les étages de toute notion de bonheur. Il faut, pour être dans le coup, afficher Khôl épais, dents cariées, teint jaunâtre et, sublime du sublime, anorexie et depression chronique. Avoir de l'énergie à revendre et un optimisme à tout rompre était au mieux suspect, au pire condamnable. 

Cette mentalité de zombies consentants à principalement donné matière à rire. Elle a aussi engendré quelques instants superbes. Au milieu du carnaval, une maigre poignée d'artistes avait autre chose à soumettre qu'une attitude affectée. Un talent. Bashung en fit partie. Soudainement devenu star des variétés, le compte en banque alimenté par Gaby Oh! Gaby et Vertiges de l'amour, il a tout loisir de se lamenter sur son sort. Notre homme se voit artiste maudit, limite incompris. Lui le rocker, l'amateur de cold wave et de rockabilly, adepte de Manset et Christophe, se voit étiqueté article pour ménagères entre JJ Goldman et Francis Cabrel. Il le vit mal. Se triture l'objet. Trouve prétexte à révolte. 



Le soucis c'est qu'un téléfilm de Fernando Arrabal produit par Antenne 2 dans la France de Mitterand est à peu près aussi révolutionnaire que Toucher la chatte à la voisine. Ce qui n'a ici aucune importance. En Studio avec Bashung est une tuerie et c'est marre. On y trouve l'influence conjuguée de Bruce Springsteen et Mink DeVille sur 'Cause I want you, celle d'Alan Vega sur Rock be me, tandis que le tempo ultra lent de The Hébrides évoque les Cramps de Psychedelic Jungle. Autant dire l'underground vu de l'Hexagone, dans les faits le rock contemporain du moment. Une intense minute de blues en fin de parcours, I don't know, et partout ailleurs des classiques en devenir du répertoire de l'alsacien. Strip now, Bistouri scalpel et Imbécile, pour les nommer, ici dans des versions différentes. Assurément pas moins bonnes, différentes. Elles dégagent une langueur en pente douce, se développent sur toute la durée necessaire à l'émergence d'un climat. Le travail de retape effectué par Michel Olivier, déjà ingénieur du son lors des sessions d'enregistrements, respecte à la lettre cet esprit si particulier oscillant entre analogique et électronique émergeante. On nage en plein rétro-futurisme, tempi mécanos, guitares surf, groupe soudé et chambre d'écho. Bistouri scalpel vampirise le crâne plus qu'elle ne l'incise et la découverte de la version avec voix de Procession est une autre bonne surprise, 'Cause I want you me colle à la peau. Strip now en sort grandie à deux reprises. Sophie refourgue la formule gagnante de  Vertiges de l'amour pour un follow up avorté qui aurait eu de la gueule. En ne forçant pas le trait comme il aura tendance à le faire ensuite, Bashung se révèle chanteur instinctivement crédible dans un anglais imaginaire, assemblage de mots clés finalement similaire à ce qu'il faisait du français, avec lequel il illumine des mélodies dont on retrouve l'écho jusque sur l'album Osez Joséphine que The Hébrides et I don't know évoquent par ce feeling indéfinissable de blues crypto moderne qui fait regretter le virage pris avec Chatterton. Il y avait chez Bashung une tendresse mélancholique que sa pudeur a sacrifié aux pirouettes de l'esthète branché. Si Johnny Hallyday dans ce qu'il a eu de meilleur avait un héritier, c'était sans hésitation Bashung. Capable de planter pile entre les deux yeux ce que le coeur n'exprime d'ordinaire qu'en silence.

En un mot comme en un roman, ce disque est une saloperie. Il me donne un plaisir dont j'apprenais à me sevrer, celui de découvrir, non pas un tire-larmes nostalgique, mais un authentique disque de rock à écouter en boucle.

Hugo Spanky