mardi 1 novembre 2016

MasTeRS oF SeX


Les Lui de nos pères, les Hara-Kiri de nos grand frères, le carré blanc à la télévision, Le strip tease des copines, les voisines impudiques, les VHS des vidéo-clubs. Le parcours initiatique à la sexualité était un haletant chemin parcouru les mains tremblantes, l'esprit troublé par l'audace trouvée dans quelques verres d'alcool ou la fumée d'un joint. La frustration comme point de départ, la satisfaction dans la mire, et cette leçon ainsi apprise que la vie, c'est pas du cinéma.


Le sexe, source de tout, qui s'expose et se revendique, qui se cache derrière chaque intégrisme, chaque voile, chaque intolérance. De Couvrez ce sein que je ne saurais voir à Voilez cette femme dont je nie l'existence, tout n'est question que d'apprentissage de soi. La lente prise de conscience que la sexualité, comme la marche à pied, la parole, ou pisser dans le pot, ça s'apprend. Et de la même façon que l'on conserve son timbre de voix, aucun ne nous ne sera mieux loti que l'autre, simplement différent. On est en 2016 pour une poignée d'instant encore, et il n'est, vu l'état du monde, pas si superflu de le rappeler. Le sexe est le seul plaisir que l'on porte en nous, alors parlons-en. Puisque mondialisation il y a, puisque nous devons nous piétiner les arpions sans qu'aucune frontière ne clôture nos divergences, alors réglons nos montres sur la même heure. La même date. L'incompréhension n'en sera que moins généralisée.


Avec ses crises conjugales, ses troubles de l'érection, de la fécondité, à travers l'homosexualité, la prostitution, le fétichisme et autres piments de l'existence, Masters Of Sex, la série Showtime en cours de quatrième saison, propose de mesurer, non pas le minimum requis pour honorer madame, mais l'évolution des mœurs qui mena un nombre inexorablement croissant d'esprits à désirer plus d'autonomie dans les choix que la vie nous offre. 



1956, les peurs indomptables d'une existence sous la menace de l'explosion atomique, d'un aller simple vers le Vietnam, d'un réveil matinal auprès de la même personne un jour de trop, celle d'un gosse taré qu'on vous colle dans les pattes par convention plus que par envie, font fuir comme des dératés une génération entière d'individus des deux sexes vers un monde qui se veut moderne. Les poumons veulent se gonfler d'un air nouveau, délacer les corsets. Dans Bus Stop, Marilyn Monroe apprend la civilisation aux cowboys, avec Heartbreak hotel, Elvis Presley informe l'humanité que l'on peut mourir de se sentir seul, différent et abandonné. Même à vingt ans. Dans les foyers s'installe un nouveau meuble qu'il faudra nourrir d'images toujours plus saisissantes, de débats populaires sur des questions dont personne n'osait imaginer qu'elles puissent avoir des réponses. Le sexe quitte les salons feutrés et descend dans la rue. Fidèle à ses habitudes, L'America fait sa révolution avec le tapage d'une production hollywoodienne. Et l'Europe de tendre l'oreille.


Bill Masters est accoudé au bar, le visage bouffi d'une barbe qui ne lui ressemble pas, il boit pour raviver ses pensées, comprendre et non pas oublier. Comprendre comment un scientifique en adéquation parfaite avec les désirs de ses contemporains, mis au banc du système, jeté à la rue par sa femme au nom des idéaux qu'il lui a lui même inculqué, peut négocier ce qui ressemble à une ultime sortie de route. Comment un homme de science devenu victime de ses propres découvertes, Docteur Frankenstein aux créatures innombrables, toutes désireuses de plus d'orgasmes, peut dompter un destin qu'il croyait à l'abri de toute irrationalité. Bill Masters s'est égaré sur la plus capricieuse des zones érogènes, le cœur.


La saison 3 de Masters Of Sex était une chute en apesanteur, la saison 4 sera celle du rebond. Bill Masters et Virginia Johnson, premiers scientifiques de l'Histoire à s'être posé les bonnes questions sur la sexualité, se retrouvent, après s'être déchirés jusqu'à la rupture, avec Hugh Hefner comme conseiller conjugal. Aux actualités télévisées, les féministes brulent leurs soutien-gorges, réclament le droit au cunnilingus. Si ça c'est pas un point de départ qui met en haleine, alors n'en parlons plus.



Masters Of Sex réussi la difficile équation de parler de sexe sans être ni moralisateur, ni racoleur. Dans le monde de 2016 et ses centaines de chaines de télés, toutes alignées sur le consensuel, uniquement soucieuses du dénominateur commun qui nous mènera docilement jusqu'à la ration publicitaire, voila de quoi se réjouir. La série allie humour et charme sans pour autant se dépourvoir de sens. Où se place le curseur de la normalité ? Derrière la tronche de cake de Bill Masters et les tétons pointus de Virginia Johnson, toute une foule de personnages cherchent une réponse à cette angoissante question, soucieux de ne plus se considérer silencieusement comme des monstres de foire parce qu'il leur faut regarder les escarpins de madame pour atteindre le nirvana.


L'étroitesse d'esprit de l'establishment des années 50 fait commencer l'histoire du côté des bordels, avant qu'au fil des épisodes ne s'officialise ce qui n'était jusque là qu'audace de jeune scientifique en herbe. Vouloir décoder le plaisir sexuel, ou expliquer son absence, à coup d'ébats sous capteurs sensoriels. Avec des codes esthétiques qui rappellent Mad Men et un casting du tonnerre, Masters Of Sex nous trimballe au fil d'une époque que l'on connait sur le bout des doigts, mais dont rien ne semble capable de nous défaire. L'Amérique et son chahut culturel, cet espace temps unique durant lequel des individus vont chercher de nouvelles réponses pour des questions longtemps refoulées. Ce moment d'égarement, sans plus rien qui rentre dans les cases d'une société soudainement dépourvue de solutions toutes faites, d'avenir pré-mâché à refourguer en même temps qu'un abonnement à l'usine, désemparées par la fulgurance de son peuple


Là où Masters Of Sex se distingue de l'ordinaire, c'est en abordant le sujet à la lumière de deux points de vues antagonistes, qui ne peuvent se défaire l'un de l'autre. L'ordre établi d'un côté, l'individu de l'autre. Les intrigues intimes font résonance aux conséquences sociétales d'une libération des mœurs et des pensées qui dépasse ceux là même qui en sont le fer de lance. Masters Of Sex parvient à être subtile, parfois un brin cérébrale, agréablement bavarde sans rien perdre de sa friponnerie. Autant dire bien des choses que l'on n'associe plus avec le sexe sur un écran depuis fort longtemps.



Et c'est là qu'il faut saluer le casting, Michael Sheen (Bill Masters), dont je ne sais absolument rien, sinon qu'il n'a rien à voir avec la dynastie d'acteurs du même nom, joue les andouilles comme personne (il est anglais...). La lente agonie de ses principes de vie, au fur et à mesure de ses avancées scientifiques, mêle hypocrisie, naïveté et mensonges jusqu'au paroxysme du supportable pour un seul homme. A ses côtés, deux femmes, l'officielle et l'officieuse, Caitlin Fitzgerald (Libby Masters), inconnue au bataillon mais délicieusement addictive avec son air pincé et son intrépide curiosité, et Lizzy Caplan (Virginia Johnson), qui m'avait auparavant laissé des séquelles avec ses apparitions dans une poignée d'épisodes psychédéliques de True Blood. Ces trois là sont le pivot autour duquel vont se cristalliser petites péripéties et grands bouleversements, avec en trame de fond le lien toujours plus fragile qui les fait osciller entre amour et futilité. Le plaisir est-il soluble dans le mariage ? L'adultère est-il un dédoublement de la personnalité ? Que faire d'un mari pédé lorsque l'on est une femme de plus de cinquante ans ? La marijuana améliore t-elle la qualité des fellations ? Les rapports interraciaux favorisent-ils l'avancée des droits civiques ? Une ancienne prostituée peut-elle devenir un bon père de famille ? Les questions sont posées, la science s'occupe de votre cas. 


Hugo Spanky