jeudi 30 janvier 2014

We aRe dE PoIsOn


Oualà un ti moment que l’aut vérole de thatcher est morte et si ce papier n’est pas tombé plus tôt, c’n’est en rien par respect ou quelconque grande morale pour la vilaine dépouille de l’aut’ truc mais parc’que Jop Haut, qui n’en reste pas moins un Fred, m’a branché sur un bouquin « Les Dépossédés » qui nous replonge dans l’Angle Terre modelée par la dame de fer et qui, contrairement à ce que son écrivain pensait dans le prologue prend aujourd’hui, 20 ans après son écriture, toute l’ampleur de sa misère sur not’ territoire, en tout cas vu d’ici en Haute Normandie, pays bien similaire, tant au niveau du climat, de l’architecture et de l’industrie à Britton Land. Un papier a plier en hiver donc.

La bête est morte, chah !
Mais qu’est-c’que c’est supposé m’faire, moi ti français ?
Plein d’trucs !



Tout d’abord j’me suis toujours demandé qu’est-c’que les angles avaient pu bien faire comme salop’rie pour mériter un tel fléau, c’est vrai quoi, même en partant du principe sacro-saint et tout Marcel que quand tu jettes une enclume, elle te retombe inéxorab’ment sur le coin d’la gueule, là faut r’connaît’ qu’ça a été du très Lourd !!
Puis, sur un second plan, ça me replonge dans not’ médiocrité, de c’coté ci du Channel. Pas facile de traiter les brittons de putain d’hypocrites quand par chez nous la « paix sociale » s’achetait à grand renforts de subventions pour tout et rien, d’allocs et touti quanti.


Les Dépossédés
Verset I : le livre (Robert McLiam Wilson)

L’Angle terre du début des années 90, plus aucune trace de folie, un bled morose et une population sous antidépresseur.

Pour m’êt’ rendu en angle terre au début et à la fin des années 80, des changements étaient déjà bien visibles, misère, colère, tristesse. Le livre du Jop Haut « les Dépossédés » y fait une plongée, début 90, au travers de quelques foyers ou individus, rencontrés ici ou là, dans des quartiers tristouilles de Londres, Glasgow et Belfast.

L’auteur s’y ballade de quartiers décrépis en familles ou individus démolis, de situations personnelles aussi simples que tragiques en un état de fait contre lequel personne n’a de réponse, pas plus en 90 qu'aujourd’hui.


Guide pratique de la vie de merde, plus d’travail, le foyer et la vie d’couple qui se barre en vrille, plus d’logement, plus d’amis, plus de nom, une vie pour rien. Certains en auraient fait des chansons, là c’est un livre, des pages, des mots et des photos.
Tranche d’histoire, les uns se dépatouillent autant qu’ils le peuvent pour replonger deux pages plus loin, d’autres le vivent avec une philosophie d’traine lattes patentés.
La faute à qui ?
Le monde qui change, la terre qui tourne, des patrons trop gourmands, la finance qui dirige le monde, des individus qui bug devant un caillou sur la chaussée. Au centre de toutes les discussions un élément en commun, l’aut’ monstre de thatcher !


Sa politique de merde, son manque total d’humanité, de compassion.
La fermeture des usines, les coupes dans le shitstem d’allocations, familiales, logements, chômages, the full monthy !!

Pudique, ému mais complèt’ment prit dans l’ouvrage, l’auteur y est bon pour des fois se retrancher dans une chambre d’hôtel, loin, jamais assez, de ces personnages sur qui le destin semble s’acharner joyeus’ment.

Le livre est touchant, à lire, même si on connait l’truc par cœur, ou devrait. Vraiment je le conseille, en plus y permet de replonger l’nez dans la discothèque sur quelques galettes, celle-là même qui ont pris comme un coup d’vieux, comme les Engagements, les Convictions et Vérités d’hier.

Les Dépossédés

Verset II : Original grain d’sable

Pas vraiment la peine d’aller si loin, des situations tout à fait similaires j’en est croisées à plus savoir où les ranger toute ma « tendre » jeunesse dans ma banlieue, Bezons, Argenteuil, Nanterre, Montreuil, Colombes même misère, même combat et j’suis sûr qu’à Vaulx en Velin, Vénissieux, Empalot et partout ailleurs où les jolis réverbères des grandes villes ne brillent jamais des situations identiques piquaient les yeux. Le seul distingo est que par chez nous, la banlieue, au lieu d’êt’ bourgeoise et douce, habitée de jolies maisons avec des arbres bousculés par la brise, concentre la misère dans des tours aussi moches que bétonnées où ne subsiste que les noms des ces putains d’végétaux, les Sycomores, les Peupliers …Z’ont dû enlever les branches pour que personne ne s’pende, Strange Fruit !


La vérole de thatcher jouait elle à un autre niveau, bien plus élevé, bien plus cruel mais au moins complètement assumé, l’intérêt du parti et du pays avant ses habitants. Si pour ça fallait mentir, tricher sur les chiffres, soutenir qu’il n’y avait aucun problème dans le pays, pas un chômeur à l’horizon et des thunes plein les porte-money alors la vilaine se dressait sur ses ti talons et de sa vilaine morgue annonçait à l’humanité toute entière les bienfaits de son régime de merde sur la santé des sujets de l’empire. Evil Empire !!

Maintenant que ma liste de vacherie sur la bête est bien entamée, un autre regard s’impose, que je l’aime ou pas n’a que peu d’intérêt, et si on regardait les bienfaits de sa gouvernance du pays dont onze ans comme Premier Sinistre.


N’est-ce t’il donc pas à cette immonde crevure que nous devons tous une bonne moitié de not’ discothèque et, à travers la musique une bonne partie de not’ individu ?
Que son règne ai été insupportable, on a connu bien plus moche depuis, pour une large partie de la population est un fait des plus tristes mais souvenez vous, de quoi ont été faites ces 11 longues années de 79 à 90, des deux cotés de la manche.

Thatcher, sans le moindre état d’âme a plongé son pays dans la sinistrose aiguë, haut la main mais très sérieus’ment, qu’est-ce qu’il se passait-il donc chez nous ?
Fin 70 début 80, pas de chômage ? Des porte-monnaie pleins ? Un avenir radieux avec maison, bambini, crédits et berger fridolins ?
Les anglich ont vus leur empire s’écrouler comme une merde avec l’aut’ sorcière équipée d’une scie égoïne et de son sourire vampirique manipulant les lois, les chiffres, les syndicats et j’en passe, mais de ce coté ci du bordel, un pharaon, enfant pourri, imposteur d’la dynastie Jaurèssikh troquait l’industrie contre la paix agricole commune, créait le nouvel emploi du 20ème siècle, le travailleur social, parasite à haute déclinaison, garde chiourmes en bas des immeubles, agent d’occupation pour hypothétique recherche d’emplois qui n’existent plus, aide à l’assistance en tout genre pour une nouvelle génération d’humanoïde, Homo-assisté, fatigué, déprimé un peu tout, sauf guerrier !


La vilaine dame, assise côte/côte du crétin reagan, dessinait le 21ème siècle, sans ménagement, sans vaseline pour causer plus cru, ouais, le monde de nos parents était fini. Ils s’étaient fadés une guerre mondiale, plus celles qui portaient pas d’noms lors des décolonisations, puis les fameuses toutes petites « trente glorieuses ». Les miens étaient d’avant guerre, 1932/33, le grondement de l’orage suffisait à leur crisper le visage, la peur du manque et cette seule et unique valeur, le Turbin !





Les « Dépossédés », je connais par cœur, j’avais à peine plus d’dix ans quand j’ai appris c’qu’était l’chômage, la pochette du 2 Millions Voices d’Angelic Upstarts j’ai grandi avec, en direct. Tous les matin à partir de 5 heure 20, mon père et ses collègues se rejoignaient, à l’entrée d’la cité, loin des fenêtres, casquettes et ti chapeaux vissés sur la tête, gabardines avec ou sans col en mouton, le sac avec la gamelle arrimé à l’épaule, la papier maïs au coin d’la bouche, en silence, une poignée d’main et hop, au chagrin, mais ça c’était avant !


La « rencontre » avec le Jop Haut, qui est toujours un fred, s’était faite sur des coms de félicitations à Cousin Hugh qui était descendu en pleine nuit et en claquettes, masser l’entrecôte d’une bande de chiens à punk un tantinet trop bruyant pour de braves cons qui se lèvent à quatre du mat. Bien sûr, comme c’est souvent l’cas, d’ « ignobles fachos » nous nous sommes vu habillés, même pas mal, pour citer du Jean Gabin, MC Jean Gabin, la Vérité nous, on l’a connaît, j’t’emmerde !!
Mais heureus’ment une « rencontre » qui n’s’est pas limité à ça !

On les a vécu toutes ces années où de bons gars se sont retrouvés comme des cons, sans rien pas vraiment, mais sans ce seul truc qui faisait d’eux des mecs vivants, le taf. On les a vu s’étioler, perdre toutes envies, sombrer. Des types durs comme des rocs, se foutre en l’air, passer par la f’nêtre, pendu dans la cave ou biberonner du 5 étoiles, toujours en silence, debout dans la cuisine, caché derrière les rideaux.
Réelle coupe franche, rien à voir avec tous ces « fier de ne rien faire », « les ouvriers sont des cons », on est des gosses d’ouvriers, j’revendique et les collègues avec j’en suis sûr !



J’étais r’monté sur Londres à la mi 80, toutes ces manifs, ces sittings, ces concerts en faveur des mineurs et des métallos. Leurs bonnes femmes avec les mômes, coincés entre deux banderoles, vendant tout et n’importe quoi pour subsister, eux, leur famille, celle des autres.
Les concerts allaient bon train, du groupe de Rock le plus marteau pilon aux chanteurs sucrés à la cons du top of the pops, la vilaine maggie avait créer un vrai mouvement, non aux fermetures tout azimut de l’industrie, à la vie sous perfusion d’assisté, Coal not Dole !

La politic c’est comme le pognon, des trucs qui m’intéressent pas, mais comme le pognon, que je suis bien obligé de compter chaque jours, toutes leurs conneries politrickeuses, je les vois, les comprend et les subies au quotidien, alors du coup, même si ça m’fait chier, et ça m’fait chier, parlons en !


En France il était d’bon ton de chier sur la dame thatcher, jusqu’à not’ Renaud national qui avait dû signer là sa dernière vraie bonne chanson, Miss Maggie, bien sûr quand même avec l’accord du pharaon d’l’élysée, diplomatie et suçage de noix oblige.
Pour la frange plus Rock, le mimétisme des groupes anglo-saxons obligeait à en faire de même, conspuant le château et ses habitants, oubliant juste de parler aux vrais gens, des vrais gens. C’est comme ça qu’en pleine grève à rallonge des métallos et la dégringolade, déjà, de l’industrie chez nous mi 80, c’est un Lavilliers qu’a remporté l’pon-pon avec ses « Mains d’Or », pas quoi la ram’ner hein !!

La Maggie si faut la détester, c’est pour c’qu’elle a fait, elle autant qu’les aut’. Le Libéralisme, elle l’a pas inventé, promotionné oui, envers et contre tous, avec le plus grand cynisme, oui, sans la moindre compassion pour les gens mais sincèr’ment, même les crèves qui dirigent la barque aujourd’hui passeraient pour d’ignob’ libéraux au devant d’la morale de l’époque !!

Elle et son pote reagan ont redessiné le modèle économique dans l’quel on baigne, ou se noie, c’est selon. Elle, puisque c’est d’elle que j’cause, avec son affreux sourire, a regarder son pays, et l’europe avec, couler dans la crasse, s’enfoncer dans la merde, avec la douce idée que ceux qui le désirent, ceux qui auront la force, pourront s’en extraire.

Merci à elle, je lui dois mes disques les plus intéressants après ceux de 77, pour lesquels au passage elle n’y était pour rien. L’angle-terre qui y est décrite ne respire déjà plus rien d’attirante et de faste. En réponse à la réaction de la vilaine toute une population s’est construite entraînant avec elle musique et idées, des espèces de scottish dégingandés ficelant une Soul moderne et colorée, la communauté antillaise de Londres qui explose les Dance hall avec des Basses de goinfres et construit des ponts avec le monde du Rock jusqu’alors bien blanc, face au nazionalisme et à l’homo-phobie, déjà bien en place, des groupes ouvertement gay chip’ront la première place des hits parade et, même dans c’qui se faisait de plus médiocre et mercantile un soupçon de civism’, de conscience anti-establishment trouvait ça place. On ne peut malheureus’ment pas en dire autant après son départ du 10 downing street.
Les angliches ont passés 11 ans à lutter contre cette folle, chacun à leur façon, avec leurs armes, et par chez nous ?


Pas besoin de lutter contre l’état, c’est vrai si bon et généreux. Le grand changement de 81 a vue un pays sortir de la crise économique, trouver le plein emploi et les richesses s’accroître, non j’déconne !
Si une était facile a identifier comme vipère, j’ai personnell’ment passé 14 ans à me demander si on avait tous de la merde plein les yeux ou un putain d’vaccin contre l’venin.
La jeunesse utilise la musique pour exprimer des idées, faisons leur des zéniths et une fête de la musique, leurs « Idées » n’sauraient y résistés.
Il reste une frange incorruptib’, alternative, quelques subventions, labellisez moi l’nom et passagez moi ça en radio, une fois qu’tout c’beau monde aura sur la tête son bonnet à manu tchao… la suite on la connait.

La politrick ne m’intéresse pas, j’ai juste mes convictions. Je me fou de la couleur, politic ou individuelle d’une personne, tous les jours mon seul et unique critère de jugement reste ce délicieux proverbe Africain « On est s’qu’on Fait, pas ce qu’on Prétend », armé d’un truc pareil j’crains rien ni personne, juste des fois un peu moi, quand j’m’emporte…

Avec Ranx Ze Vox on a poussé l’truc jusqu'à se trouver l’étiquette politrick ultime,
Les réacs de gauche, et nique tout !!


Les bienfaits de l’age et de la tempe grisonnante, voir d’une légère calvitie pour certain, nous détache du cortège de couards qui courent en meute, on pense et vie comme on s’le sent, on dit s’qu’on veut et on n’écoute s’qu’on veut, définitiv’ment pas dans l’moule. Le grain d’sable dans la machine. We Are de Poison.
Des Rockers pour les hippys, des skins pour les Punks, des trop noirs pour les trop blancs, des trop réacs pour les trop ouvert d’esprit, juste une poignée d’lascars qui font avec c’qu’y z’ont, avec s’qui a été compris, avec s’qui a été subit.
Les Dépossédés, ont auraient tous pu en écrire au moins un chapitre, tous, nous comme vous qui lisez ces lignes.
La faute à qui ?
Thatcher, Reagan, Giscard, Mite-errand ou les aut’ qu’ont suivis, not’ date de naissance, p’t’êt’ juste nous.
La cinquantaine se profile délicat’ment, je décarre tous les matins à 4.30 pour aller gratter à l’usine pour 1098 €uros par mois et non, toujours pas de Rollex ni le moindre pinc’ment pour les « fier de ne rien faire ». Kriegspiel Station !

C’que je possède n’a pratiquement aucune valeur marchande, c’est juste à moi, c’est juste moi. Du premier album du Clash au dernier I.A.M., ma trop encombrante filmographie Lino Venturesque et aut’ dialogués par Audiard, mes bandes Dessinées et ma batterie de gamelles de cuisine. Je fais l’même nombre de kilomètres quotidien avec la Ka qu’avec une Jaguar, juste plus mal au dos et plus humble quand je sors du véhicule .
Les années sont passées, par dizaines, les trucs auquel tu t’accroche, les engagements comme les idéaux, y’a rien qu’a résisté.
Les Godfathers du Punk servent de générique à des experts télévisuels, les mamies avec qui je gratte se font des coupes et des mèches de couleurs à te faire pâlir les nœud nœuds qui ornent les pochettes paink & désordre… Won’t Get Fooled Again, Hum ?


Toutes les années 80 ont été marquées par la peur du grand satan avec ses grandes oreilles, la guerre froide, s’ta z’uni nous écoute, nous espionne, ont est fichés, ont est plus qu’des numéros.
What’s my name ?
Toutes ces années ont été marquées par un seul “engagement”, l’individu, la reconnaissance de l’individu, arracher, s’arracher l’étiquette avec le matricule agrafé sur l’oreille, pour en arriver où ?
Passer des journées entières le nez collé sur un portab’ ou un ordi, à lire ou raconter chacun d’tes gestes, d’tes paroles. Les mêmes qui « militaient » pour le respect d’l’individu qui aujourd’hui applique leur emprunte digitale pour allumer leur basar. Z’ont plus peur d’êt’ fichés, sont bien sûr d’êt’ aut’ chose qu’un code barre ?

Dépossédé, une notion bien relative quand en fait tu alimente toi même la chaudière qui t’brûle les pieds.


samedi 25 janvier 2014

TReMe 4, Bye Bye NeW-ORLeaNs



Cinq épisodes pour la quatrième et ultime saison de Treme. Cinq épisodes avant que les caméras cessent de sillonner les rues de New-Orleans pour tenter de nous en transmettre, plus que l'état d'esprit, la réalité.
Cette chère vérité qui nous tient tant à cœur, tant New-Orleans incarne l'essentiel des plaisirs humains. La musique, la bonne bouffe, l'alcool, la chaleur, la fainéantise. New-Orleans est si incroyablement humaine qu'elle en incarne aussi les pires vices. Belle pute aux charmes ancestraux, Femme fatale tout droit venue de l’éden originel. La Nouvelle-Orléans, éternelle terre de France quoiqu'en disent les administrations. Terre d'une France qui n'exista jamais, une France qui aurait mêlée le sang de ses colonies à celui de sa métropole en le faisant bouillir dans une marmite à Gumbo. Une France idéalisée qui aurait brandi Django Reinhardt en étendard, laissé le peuple danser sous les oripeaux de ses théâtres parisiens. Une France qui aurait aimé les épices, le rythme et les odeurs fortes tout en conservant crânement cette élégance qui nous fait honneur.




En suivant les quatre saisons de Treme, on se dit que l'on vivrait mieux sous les latitudes de Big easy, que jamais on ne voudrait s'en éloigner. Oui, en regardant Treme, on se ment avec délectation, on se câline d'un bonheur qui se meurt. On croit croquer un morceau de vie, on assiste à un enterrement.
Treme est une série vicieuse comme sa ville, vicieuse comme le monde. Derrière les bassins qui se déhanchent, se joue une tout autre histoire. Le Jazz, le Blues ont déserté Bourbon Street, Rampart Street, tout comme la roulotte de Django ne trône plus sur la plaine en friche de St Ouen. Quelle plaine ?
New-Orleans s'est mangée Katrina dans les pierres et il ne subsiste plus, une fois les eaux retirées, que cette unique question : Selon quels critères doit-on rebâtir la Nouvelle-Orléans ?


Une unique question à laquelle chaque protagoniste à sa réponse. Toutes différentes de celle de son voisin. Les promoteurs, les politiques veulent mettre le Jazz dans un musé et rentabiliser chaque mètre carré, passant à la chaux le sang noir de la ville, faire de New-Orleans un modèle économiquement viable, un endroit rationnel et gérable. Les musiciens veulent jouer, dans la rue, dans les clubs, dans les fanfares, les collèges, partout sauf dans les musés. Ils veulent retrouver la Nouvelle-Orléans tel qu'ils l'ont rêvé, tel qu'elle fut peut-être brièvement entre la fin de l'esclavage et le début de la modernité à outrance. Ils se heurtent à l'autorité, à l'implacable rhétorique de la raison, celle des chiffres à plusieurs zéro. La population, elle, veut simplement survivre, relever la tête, bâtir un lendemain et qu'importe de quoi il sera fait tant qu'il existe.
Treme fait se croiser tous ces gens, parfois se comprendre mais rarement il ne font un pas vers l'autre, jamais ils ne changent de camp. Car ainsi va l'Homme. Destructeur par fierté.



Treme m'évoque Bubba-Ho-Tep, j'y vois le même message, le même questionnement, le même constat. De tout ce que le 20eme siècle nous a transmis, enfin dompté et finalisé, enfin accessible et compréhensible, comme Savoir et Culture, le 21eme ne veut garder que le plus futile. Le plus mercantile. L'Homme n'est plus considéré que comme une machine obsolète, incapable de rentabilité, d’intérêt, dans un monde qui ne se construit plus suivant son modèle, selon ses critères physiques. Le monde n'est plus notre monde, il est celui de la chimère, celui des illusions que quelques uns tentent d'instaurer en paroles de Dieu. Ainsi va Treme, là bas comme ailleurs, faute de bonheur, on y apprend à regarder ailleurs, à regarder ses pieds puisque jamais l'on ne fera un pas de plus vers l’horizon. 



Par chance ces pieds là dansent encore. Mais si, regardez bien les vôtres, d'abord ce frémissement dans les orteils, puis le sang qui afflue, lui seul capable d'affronter les tempêtes et faire se soulever encore et toujours la masse de chairs inertes. Entendez le battement, la pulsation qui contre le sol émet le rythme cardiaque, le pouls de la vie. Laissez monter le mouvement le long de vos jambes, qu'il s'empare de chaque être et nous fasse danser encore et encore, fusse au bord du précipice. Car c'est là que l'humain est uni et unique, dans la célébration.



Hugo Spanky


jeudi 16 janvier 2014

JoHN FaNTe



Écrire sur John Fante vous parlez d'une affaire. J'aime tellement ses livres, son écriture me touche à tel point que je m'en suis toujours fait une montagne. Comment avec mon vocabulaire de rebut de collège, j'allais pouvoir rendre justice à un tel talent de conteur ? Un type qui sait aligner des mots jusqu'à en faire des chef d’œuvres capables, plus que de vous faire partager une histoire, de vous la faire vivre à ses côtés.
John Fante c'est un peu le Marcel Pagnol italo-américain, avec le froid et la neige du Colorado en guise de Provence, l'odeur du vieux poêle à bois à la place de celles du thym et du romarin, et une famille dysfonctionnelle pour en finir avec les différences. Pour le reste c'est la même vision, celle d'un enfant entre désir d'émancipation et implication forcenée dans la vie de famille, puis d'un homme chahuté par l'obscurité conflictuelle de l'âme humaine.
Surtout, c'est la même vie dans l'écriture, la même façon de faire cogner les mots comme un torrent de sang dans une artère. Ce fond de drame jusque dans le plus sonore des éclats de rire.


John Fante n'a écrit que peu de livres, quasiment aucun n'a été publié de son vivant, tous sont essentiels. John Fante a vécu confortablement en torchant des scénarii bâclés destinés pour la plupart à des séries B hollywoodiennes, il ne se le pardonna jamais tout à fait. Du moins pas complètement. Avec lui tout est dans les contradictions. Conscient de son talent, il ne cessera jamais d'écrire des romans, fussent-ils refusés invariablement par les éditeurs, allant jusqu'à dicter le dernier à son indéfectible femme, Joyce, alors qu'aveugle, amputé et diabétique il agonise sur son lit d’hôpital. Pourtant, il choisira de vivre en nabab dans le milieu du cinéma plutôt que de persister à se faire reconnaître comme écrivain. La réussite sociale et financière passe avant tout chez John Fante, quitte à s'en flageller. Il est motivé par une haine de la médiocrité, tiraillé entre les principes de son père, pittoresque maçon venu d'Italie, et son désir de fuir la misère de son enfance. Chacun de ses livres est empreint de cette dualité, qu'elle rende impossible la déchirante histoire d'amour de Demande à la poussière ou qu'elle soit le ciment du couple tumultueux de Pleins de vie ou Mon chien stupide.


Henry Molise ou Arturo Bandini, quel que soit le nom qu'il se donne dans ses romans, ne sont qu'une seule et même personne saisie à différentes périodes de l'existence, face à différents problèmes, incapable d'en résoudre le moindre sans en créer une centaine d'autres. De Bandini à Mon chien stupide, de son premier roman écrit en 1933 (La route de Los Angeles) à son dernier cinquante ans plus tard (Rêves de Bunkerhill) c'est toutes les étapes d'une vie qui défilent, vues à travers le prisme le plus loufoque, désopilant, provocateur, narcissique, bref, le plus sincèrement humain de la littérature. 
Avec John Fante la mauvaise foi ne masque jamais la cruauté, elle la sublime, tout comme la pudeur ne cache jamais les sentiments, elle les habille.


Avec la meilleure volonté, j'aimerai vous dire de lire celui ci plutôt que celui là, vous raconter à quel point Demande à la poussière est le plus poignant, vous dire que Pleins de vie ou Mon chien stupide sont les plus fendards, que Bandini est à l'enfance ce que La route de Los Angeles et Rêves de Bunkerhill sont au passage à l'âge adulte, que rarement on a parlé du père comme il le fait dans L'orgie, Les compagnons de la grappe et un peu dans tous finalement, mais ça serait ne pas citer Le vin de la jeunesse et Grosse faim. Ou le fascinant Correspondance, publication des lettres échangées avec HL Mencken, son mentor qui le premier, dès les années 30, publiera les nouvelles du jeune Fante. Autant dire que ce serait un sacrilège. 
De John Fante il existe dix romans ou recueils de nouvelles, tous magnifiques et intemporels, tous à lire séance tenante. Aucune excuse ne sera tolérée parce qu'il n'en existe aucune de valable.



Son fils Dan Fante, lui même auteur largement respectable sur lequel je reviendrai à l'occasion, a signé le superbe Dommages collatéraux, la plus honnête biographie que je connaisse. Sans concession aucune -les deux hommes passeront une grande partie de leur existence commune dans une incompréhension proche de la haine tant la communication entre eux était ardue- il dresse un parallèle entre leurs parcours duquel s'échappe un respect immense pour celui qui plus que son père sera sa bête de somme, et réciproquement, avant que l'évidence de leur similitude ne s'impose à lui.

John Fante n'est peut être pas le plus grand écrivain de tous les temps, il ne fut certainement pas le meilleur des pères, ni même un mari exemplaire, et il n'y a qu'à sa machine à écrire qu'il n'a pas menti. John Fante fut lâche avec panache, cruel avec acharnement, irraisonnable au possible, égoïste et plus têtu qu'une mule des Abruzzes. Il fut tout cela, son contraire et pire encore. John Fante consacra sa vie à être lui même, seulement lui-même, exclusivement lui-même. Et c'est bien tout ce qui compte.