mardi 29 août 2017

BoB EzRiN, LaRMe MaGNéTiQUe




Si les années 70 n'en finissent plus de s'imposer comme essentielles en matière de culture moderne, c'est aussi parce qu'elles ont été longtemps difficiles à percevoir dans leur titanesque globalité, tant nos esprits ont été cloisonné depuis. 
Les années 70 sont ce moment où la musique a proposé une lecture plus cynique de la société qu'elle ne l'avait fait auparavant, d'aucun diront plus adulte. Assurément plus second degré. 
Soudain, il fallait être initié pour saisir toutes les arcanes d'une chanson. Il ne s’agissait plus de gober un acide, il fallait un vécu, une culture. Le champ de vision s'élargissait, le cinéma, la littérature, la mode, la philosophie devenaient sources nourricières. L'album, voire le double album, devenait la norme et avec lui la notion de concept, le développement d'un propos. Le Rock n'était plus seulement un exutoire, il s'imposait en tant que média. Le succès commercial d'une œuvre passait dorénavant après son désir de postérité. 

Le premier coup de génie de Bob Ezrin fut de comprendre avant tout le monde que les temps futurs allaient être sans pitié envers la postérité. Que l'important était d'être consommable, sans être jetable. Qu'il fallait suffisamment de compromis à une œuvre pour qu'elle puisse être assimilée immédiatement, tout en lui donnant plusieurs niveaux de lecture afin qu'elle perdure. Bob Ezrin est celui qui colla un beat disco sur l'un des titres les plus sombres et complexes de Pink Floyd.


Son second coup de génie fut de s'en tenir à un seul et même propos. Comme tous les grands, il n'eut de cesse de rabâcher la même chose, de creuser plus en profondeur le même trou. 
Quel que soit le groupe phare pour lequel il travailla, Bob Ezrin ne parla jamais que de l'enfance. L'enfance maltraitée, niée, mise sous assommoir, l'enfance broyée par ceux censés la protéger jusqu'à l'éclosion de l'adulte. Et inévitablement à travers ce spectre, il dressa le portrait des tortionnaires. La psyché, les parents, la société.

En 1971, l'Amérique mange ses enfants. La nation envoie sa progéniture se faire massacrer dans la boue du Vietnam, s'offrant par là même un avenir peuplé d'estropiés, de traumatisés, un paysage de corps alignés sur les tarmacs d'aéroports, de monuments commémoratifs, de cimetières à perte de vue. Le parfait théâtre pour l'apparition d'un personnage sulfureux, incarnant les tabous d'une société qui refuse le reflet chargé d'inceste, de fanatisme, de sexualité déviante ou d'addictions que le miroir lui renvoie : Alice Cooper. Plus sulfureux encore fut celui qui signa la mise en scène. Bob Ezrin va réussir l'alliance du chrome et de la noirceur la plus profonde. L'alchimie du polish pour les radios et de la dopamine pour les cerveaux anesthésiés d'une adolescence dépressive.


Lorsque Warner Bros. désigne Bob Ezrin, ingénieur du son canadien de tout juste 21 ans, pour tenter de donner un semblant de forme au groupe dépenaillé dont la maison de disque ne sait que faire, elle provoque la rencontre de la glycérine et de l'acide nitrique. Alice Cooper a jusque là enregistré deux disques pour le label de freaks de Frank Zappa, deux disques dont pas grand chose ne subsiste. Mais le groupe s'est dans le même laps de temps imposé sur scène avec un show si sournois qu'il leur fit gagner le respect du public de Detroit. Pas une si mince affaire que ça, en 1969.
L'opération de séduction des masses est établie en deux actes, le premier vise à calibrer un single pour asseoir la légende. Le genre de titre imparable dont rêve chaque groupuscule, un hit d'une évidence telle qu'il en devient instantanément un classique : I'm Eighteen.


Le second acte est d'une toute autre ambition, mettre en musique les névroses les plus intimes de l'Amérique en utilisant, de manière cinématographique, le format d'une chanson. C'est avec Dead babies sur l'album Killer que le producteur va réussir le coup de maître qui va définir son art. A partir d'un texte d'une simplicité infantile, il va créer une ambiance oppressante décrivant de manière sardonique la mort d'une enfant par négligence de ses parents. Les bébés morts ne peuvent pas attraper les cachets de maman sur l'étagère. La basse conduit le thème, lugubre, le refrain est introduit par des pleurs puis ponctué par de guillerets chœurs de comptine, le break est sans pitié, obsessionnel, mêle valse et orchestration macabre. De toute façon nous ne voulions pas de toi. Le titre s'imbrique sur fond de lynchage à l'ultime pièce du disque, Killer, proche des Doors, le chanteur se met dans la peau du tueur sur la route de Riders on the storm. Orgue d'église, voix de l'esprit, cris d'agonie, le producteur impose sa signature en un enchainement bluffant. Plus rien ne sera jamais plus pareil, le Rock vient d'entrer dans sa phase terminale, celle qui lui fera atteindre le sommet pharaonique de The Wall en même temps que l'inaccessibilité qui en sera le talon d'Achille.

Avant cela, c'est avec Lou Reed que Bob Ezrin va porter un peu plus loin dans l'intimité de l'auditeur son goût pour la souffrance humaine. Flirtant avec l'insanité mentale et la pharmacopée à outrance, les deux hommes vont s'illustrer en créant avec Berlin, un disque viscéralement rejeté par le public autant que par la critique.

A l'origine se trouve une suggestion que Bob Ezrin fit à Lou Reed: développer l'histoire du couple évoqué dans la chanson Berlin sur le premier album solo du chanteur. Quelques semaines plus tard, Lou Reed confie au producteur une série de maquettes qu'il vient de composer, le squelette de ce qui deviendra l'album. La désintégration d'un couple de junkie racontée à la première personne par celui qui regarde froidement sa femme se détruire et mourir, sans qu'il n'ait ressenti la moindre émotion. Un portrait sans fard, ni jugement de la part de l'auteur, de l'être humain quand le smack begins to flow.


Depuis School's Out, l'album d'Alice Cooper paru l'année précédant l'enregistrement de Berlin, Bob Ezrin a pris pour habitude de travailler en studio avec deux guitaristes lyriques et agressifs issus de la scène de Detroit, Dick Wagner, ancien leader de Frost, et Steve Hunter du groupe Detroit de Mitch Ryder. A cet assemblage, Bob Ezrin adjoint une rythmique anglaise, sèche et virtuose, Aynsley Dunbar, alors batteur des Mothers Of Inventions de Zappa, et l'ex bassiste de Cream, Jack Bruce. En s'appuyant sur cette base capable de tout interpréter, Bob Ezrin, lui-même pianiste, va laisser libre court à son inspiration. Formé au classique, capable d'écrire des partitions complexes, le producteur va signer des arrangements chiadés, d'une sobriété glaçante malgré leur enchevêtrement alambiqué nécessitant l'adjonction de nombreux autres musiciens. Je voulais mélanger des orchestrations de théâtre à la Kurt Weill avec les guitares sales du heavy rock.


Un titre tient particulièrement à cœur à Bob Ezrin, The kids, qui évoque le moment où la société, incarnée par les services sociaux, vient retirer ses enfants au couple. Après la négligence de Dead babies, l'abandon. Invariablement réductrice, la légende retiendra que pour donner un maximum de crédibilité à l'ambiance, le producteur enregistra les pleurs de ses propres enfants. Au même moment, la femme de Lou Reed, Bettye Kronstad, s'ouvre les veines dans leur chambre d’hôtel. Elle a survécu sera le seul commentaire du chanteur qui divorce peu après, se taille une croix gammée sur la nuque et se console de l'échec commercial de son chef d’œuvre en débitant par centaines de milliers d'exemplaires son disque suivant, Rock'N'Roll Animal, capté live pendant la tournée Berlin, donnant la part belle à ses deux guitaristes et offrant un lifting au répertoire suranné du Velvet Underground.

Désormais accro à l'héroïne, interné à plusieurs reprises pour soigner des dépressions, Bob Ezrin n'assume pas et cache son addiction en se cloisonnant derrière les murs des studios. Avec les gars d'Alice Cooper, j'étais dans mon élément, c'étaient de bons vieux américains buveurs de bières et de whisky. Ils aimaient regarder la télé en se saoulant vautrés sur un canapé. Avec Lou Reed, je me suis retrouvé dans un tout autre environnement, très glauque, très réel. Ce n'était pas du spectacle, il carburait vraiment à la défonce. Et j'ai plongé.
De plus en plus régressif, il incite Alice Cooper à incarner un rôle d'enfant autiste terrorisé par le monde des adultes, Steven, sur l'album Welcome To My Nightmare, une super-production parfaitement maitrisée qui servira de maitre étalon à la seconde partie des seventies. Un disque pour lequel il limoge le groupe originel et impose définitivement ses propres hommes sur la totalité du projet. On peut facilement penser qu'il en fit de même l'année suivante lorsqu'il est embauché à grand frais pour donner de la consistance à la discographie de Kiss avec l'album Destroyer, astucieusement conçu comme un Teen movie de série B. Accident de voiture et romance à l'eau de rose inclus. 



Il enchaine les productions souvent sélectionnées selon des critères d'approvisionnement en dope et de rentabilité et se retrouve ainsi de mèche avec Dr John, lui aussi sévèrement addict. Les deux compères en perdition encaissent l'avance du label pour enregistrer un album studio et se contentent de capter une jam session pliée en une nuit. La carrière du Night Tripper aura du mal à s'en remettre. Bob Ezrin, lui, continu de plus belle et fonce tête baissée vers l'abîme. Les collaborations avec Alice Cooper se succèdent. Le chanteur, dorénavant convaincu que trois entités distinctes vivent dans son esprit (le très social Vincent Furnier, l'enfant autiste Steven et le terrifiant Alice Cooper) entretient un train de vie d'empereur romain, se gave du meilleur cognac, s'affiche à la table de la jet set, devient compagnon de beuverie de Keith Moon, muse de Salvador Dali et confident de Groucho Marx. Tout va bien, le fric abonde dans les caisses, depuis le carton de Only women bleed chaque nouvel album est porté par un slow calibré qui fait un malheur en single. Associés indissociables, Bob Ezrin et Alice Cooper dealent un show télé pour la chaine ABC, le résultat, pas franchement impérissable, fait un carton d'audience. Un film à destination des salles de cinéma suit afin de rentabiliser au maximum l'énorme spectacle qui parcourt les Etats-Unis, puis l'Europe, à raison d'une centaine de concert durant l'année 1975. La combine semble juteuse, les deux hommes se lancent dans la production d'un nouveau concept centré sur le personnage de Steven, Alice Cooper Goes To Hell, une adaptation ultra malsaine du Magicien d'Oz. Le disque est sublime, la production somptueuse, pétrie d'influences Funk, mais la tournée est annulée pour raisons de santé et remplacée par des apparitions télé grotesques. Après un ultime album, Lace And Whiskey, Alice Cooper se fait enfermer en asile psychiatrique. Le gouffre est tout proche. Sentant l'odeur viciée du vent qui tourne, Bob Ezrin remet le cap sur l'Angleterre et s'installe dans le Londres des Heartbreakers. Son cauchemar peut continuer.


Bien que toujours entouré de Dick Wagner et Steve Hunter, il se renouvelle en 1977 en côtoyant Robert Fripp pour le premier album post Genesis de Peter Gabriel sur lequel les synthétiseurs trouvent une place nouvelle dans l'univers jusque là très orchestral de Bob Ezrin. Ce sera son dernier bol d'air avant longtemps. 

Dès l'année suivante, il plonge en apnée dans le projet le plus démesuré de sa carrière en acceptant le poste de producteur d'un Pink Floyd en pleine guerre intestine. Comme il l'avait fait pour Berlin, il va d'abord élaguer les maquettes de Roger Waters, agissant comme un metteur en scène de cinéma confronté à un scénario brouillon. Il imagine les enchainements, se charge de rendre le concept lisible, écrit les arrangements et compose le grand final. Le sujet le ramène une fois encore à son obsession pour les conséquences que les actes des adultes ont sur l'enfance. Bob Ezrin va cette fois pouvoir aborder de front toutes les variantes possibles, mère abusive, père absent, professeur tyrannique et les répercussions sur l'adulte devenu, étouffé par une société oppressive, un manager infantilisant, une femme adultère et castratrice. Contre l'avis du groupe, il colle un chœur d'enfants sur le refrain d'Another brick in the wall, à l'écoute du résultat son choix est validé. Il bataille pour imposer le Confortably numb de David Gilmour à Roger Waters qui veut conserver l'exclusivité des compositions. Envers et contre tous, le producteur parvient à maintenir une cohésion musicale, le résultat, d'une minutie d'acrobate, est un raz de marée qui va marquer d'une brique blanche indélébile les esprits de plusieurs générations.
Bob Ezrin sort lessivé par les mois d'enregistrement, la gestion des égos paranoïaques d'un groupe disloqué, celle des addictions diverses, dont la sienne. Plus jamais, il ne s'attaquera à un projet aussi titanesque. Peut être qu'il n'en a jamais existé d'autre. Publié en décembre 1979, The Wall est la mirobolante conclusion d'une décennie qui fut à la musique ce que le Hollywood des 50's fut au cinéma. L'ère stéréophonique des péplums en cinémascope, Color by DeLuxe, avec Bob Ezrin dans le rôle de Cecile B. DeMille.




Dans les années 80, le son se fait plus étriqué, minimaliste. Boite à rythmes, batteries électroniques, synthétiseurs, rien qui ne nécessite l'acoustique d'un studio, encore moins le prodige d'un producteur capable d'écrire des arrangements pour un orchestre complet. Bob Ezrin fait partie des rares dont on peut dire qu'ils ont inventé leur propre façon de faire sonner un disque, quel que soit l'artiste qu'ils enregistrent. Dorénavant en vain. Entre deux internements psychiatriques, il embarque Lou Reed pour travailler sur un fumeux concept album destiné à Kiss, Music From The Elder. Ce serait en dessous de la vérité de qualifier le résultat de ratage, c'est une inqualifiable merde. Puis Virgin lui confie en 1982 la destinée de Téléphone, espérant capitaliser leur récente signature avec un album capable d'émoustiller le marché américain. Contraint par avidité de faire sans ses troupes, Bob Ezrin, qui a pris pour habitude d’exiger 50% sur les recettes des disques qu'il produit, en plus d'un salaire exorbitant, pousse les quatre musiciens au delà de leurs limites, ce qui leur inspire le titre d'un disque inégal au fil duquel la production souligne régulièrement la faiblesse de compositions qu'elle écrase par son emphase. Elle en sublime aussi quelques-unes, parmi lesquelles Cendrillon. Encore une histoire d'enfant qui grandit mal. A la même période, il travaille à nouveau avec Alice Cooper et Dick Wagner pour l'album DaDa. Un disque totalement anachronique en grande partie composé par Bob Ezrin lui-même et survolé par Former Lee Warner, petit bijou névrosé, évocation par son frère d'un enfant aliéné enfermé dans le grenier familial. Le splendide instrumental qui ouvre l'album, et lui donne son titre, est également à classer parmi les grandes réussites du producteur. 
DaDa fait un bide, Alice Cooper entre en désintox. Lou Reed traduit quelques titres de Téléphone pour une sortie américaine de Dure Limite, à l'écoute des prises vocales en anglais de Jean-Louis Aubert le projet est annulé. Bob Ezrin tente le même coup visant à implanter sur le marché américain un groupe inconnu en dehors des frontières européennes en 1984 avec les finlandais Hanoï Rocks. Tous junkies et passablement rétamés par une fréquentation trop assidue de Johnny Thunders, ils enterrent leur batteur sitôt le disque dans les bacs. Le naufrage est définitif. Bob Ezrin trouve sa place sur l'étagère des souvenirs.


De temps à autres, ce qu'il reste de Pink Floyd, Alice Cooper ou ses Hollywood Vampires font appel à lui pour donner un vernis d'authenticité à des albums singeant un passé que personne ne semble en mesure d'égaler. En 2008, son fils David Ezrin, clavier, compositeur et amant de Lita Ford, se suicide à 42 ans, après des années de lutte contre la schizophrénie et les troubles obsessionnel compulsifs. Il était l'un des enfants que l'on entend pleurer sur The kids. Deux ans plus tard, son père propose à Alice Cooper de donner une suite à Welcome To My Nightmare. Certains démons ne dorment jamais.


Hugo Spanky

jeudi 17 août 2017

DiON Di MucCi, a BRoNX TaLe



Voilà quelques mois, Norton records annonçait la sortie d'un mystérieux "Lost album" de Dion Di Mucci... Je les croyais à terre : l'inondation de leur stock de disques lors de l'ouragan Sandy, puis le décès de Billy Miller, l'un des deux co-fondateurs.  
Billy (des Zantees) et Miriam Linna (première batteuse des Cramps), c'est une histoire qui remonte aux années 70's. Tous les deux fans de r'n'r et de r'n'b avec une nette préférence pour les barjos. Ils ont passé leur vie à sortir des disques magnifiques et à mettre en valeur l'aspect le plus sauvage du rock and roll. Dion sur Norton avec un album inédit : de quoi faire rêver.  
Dion, Je l'ai découvert avec une photo dans BEST de Strummer et Jones au début des années 80's (avec qui j'ai tout appris, on peut dire). Ils se tenaient devant des rayons de disques. L'un avait un disque de Hank Williams et l'autre une compile de Dion and the The Belmonts que j'ai fini par trouver... Il y avait donc des trucs avant London Calling ??? Pour un ado de 16 ans, c'était tout une histoire à découvrir. Tout le rock and roll magique de ce disque avait des antécédents. Je ne le savais pas encore en 80, mais j'en vivais la fin.



Dion, le roi des rues de New York, le prince du Bronx, l'idole de Lou Reed... Un immense vocaliste avant tout, à la hauteur des meilleurs Sinatra, Elvis ou Del Shannon. Particulièrement oublié ou peu cité en France. On ne sait pourquoi? L'autre quartier italien de New York se situe encore dans le Bronx, près de Arthur Avenue dans la section Belmont du Bronx. D'où le nom. Les Belmonts, deux potes avec qui il monte un groupe de Doo Wop comme il y en a pleins dans le coin. Ils signent chez Laurie records et décrochent un hit I wonder why et sorte un album majeur Presenting Dion And The Belmonts. Ils participent à la Winter Dance Party où meurt Buddy Holly, Ritchie Valens et the Big Bopper. Son salut n'étant dû qu'à un manque de moyens financiers pour prendre l'avion fatal. Dylan l'a vu lors de la tournée et Lou Reed l'écoute déjà. Derrière la sucrerie Doo Wop se cache un problème. Dion est accro à l’héroïne depuis son adolescence. 


Le groupe explose et Dion continue en solo pour quelques tubes encore chez Laurie. Runaround Sue, The wanderer. Toutes une imagerie rock and roll qui influencera jusqu'aux New York Dolls, Thunders ou Springsteen. Difficile d'y échapper quand on est de la côte Est. Ces titres de légende en feront LA figure du rock'n'roll à New York. Columbia est un peu léger en rock and roll à l'époque et cherche à en signer un. Pas un allumé comme Chuck ou Jerry Lee... Un type propre sur lui qui fera du pognon. Dion est parfait pour le rôle. Et c'est la que les choses intéressantes se produisent. Dion mal à l'aise dans son rôle d'idole pour teenager est en fait un fan de blues. Entendons-nous bien, quand je dis blues il s'agit de Robert Johnson ou de Sonny Boy Williamson... Sur Columbia il enregistre une version de Ruby Baby langoureuse et sulfureuse. Est-il sous l'emprise de substance ? Le tempo lancinant et la voix trainante font de ce morceau une réussite. Le vieux blues pointe son nez derrière la star Bubble gum. C'est à ce moment que l'album de Norton est enregistré, vers 1965. Dion connaissait bien Tom Wilson le producteur de Highway 61 de Dylan et d'après les notes de pochettes, c'est même lui qui lui a conseillé d'électrifier le Bobby. Fasciné par la version de House of the rising sun des Animals, Dion aurait demandé à Tom Wilson d'infliger le même traitement à Dylan. A savoir, ajouter guitares électriques et claviers sur son folk acoustique. On connaît la suite. 



En tous cas, Wilson décide de booker une session avec Dion d'où est tiré cet album. Le voici en studio avec à peu de chose près la même production et le même son que Highway 61. Les belles reverbs de twin fender sur les guitares, la pureté des claviers, Les chansons oscillant entre folk rock et blues urbain, le tout couronné par cette voix proprement magique. La session n'est pas éditée sur le moment, excepté quelques singles dont Kickin Child. Bon nombre de morceaux sortiront toutefois, en 1969, sur l'album Wonder Where I'm Bound d'où un certain abus de langage quand Norton intitule son album "Lost album". Il n'en reste que Dion est à son sommet dans ces enregistrements. La suite n'en demeure pas moins fascinante : Une reformation avec les Belmonts avec un très bel album chez ABC qui fait un flop, un retour chez Laurie pour un carton avec Abraham, Martin And John pour finir les années 60. 



Au début des années 70's, l'heure est au folk. Dion pond quatre albums superbes dans le style chez Warner dont on peut faire l'acquisition pour des prix dérisoires. La rencontre évidente devait forcément se produire : le roi des charts des années 60, l'inventeur du mur du son NE POUVAIT QUE LE PRODUIRE. C'était écrit. Dion et Spector ensemble : la voix et le son!!!! Au première note de Born To Be With You, on reconnait la pâte du grand producteur. C'est comme s'il retrouvait le son des années 60 qu'il avait un peu laissé de côté avec Lennon. L'écho sur la batterie ENORME. Le tempo lent et Dion qui entre en scène magistralement avec tout le sens tragique de la vie qu'il est capable de faire passer. le disque est une splendeur. Spector rééditera l'exploit deux ans plus tard en 1977 avec Léonard Cohen avec la même production. la suite amorce une descente en douceur. Streetheart l'album suivant est plus soul, bourré du feeling New Yorkais. Un disque tout en douceur et moelleux qui vaut le détour. Le son de ses enregistrements suivants sera un peu gâté par l'horrible production des années 80's. Mais le niveau reste toujours bon jusqu'en... 2017 avec une prédilection pour un retour au blues ou au gospel. Une discographie quasi impeccable qui s'étale sur une cinquantaine d'années. 




Dion aura survécu à tout le monde, à la drogue, à La Winter Dance Party, à Lou Reed (un de ses plus grands fans) et à tous les aléas de la vie avec un secret tout simple : la fidélité. Fidélité au rock and roll, à sa famille, à sa religion, à sa ville et même à son quartier. Toujours debout, il continue à sortir des disques plus qu'honorables et à taper le doo wop à l'occasion avec ses copains du Bronx avec un feeling intact. New York toujours en arrière-plan et les rues du Bronx qui m'auront tant fait rêver.

Serge Fabre 

dimanche 6 août 2017

Sous le SoLeiL De JuDaS


Lorsque la canicule devient harassante pour l'esprit, qu'elle plonge mes pensées dans un coma d'où ne subsiste plus que l'instinct de survie. Lorsque chacune de mes actions se réduit à l'essentiel, que chacun de mes choix exige d'être le bon, alors me vient immanquablement une envie de riffs acérés, de grooves venus des profondeurs des limbes. Envie de plonger dans un bain de chrome liquéfié par l'astre suprême. Envie de métal.
Et c'est là que le drame menace, que l'inconscience prend le dessus sur la réflexion. Au mépris de ma longue expérience me voila tenté par une séance de replay Arte : Deep Purple au Hellfest en 2017 ! Ça pourrait avoir de la gueule, les légendes cramoisies du heavy rock en live au nouveau rendez-vous incontournable de la branchitude hexagonale. Des types pour qui le moment le plus excitant d'un concert est celui où ils décrochent le ticket à prix d'or en cliquant comme des demeurés sur des sites saturés dès la mise en vente. Si les concerts des 70's se définissaient par la puissance des sonos, ceux du nouveau siècle font leur renommée par la rapidité à laquelle ils affichent complets.
Après quoi, on a ce qu'on mérite. Deep Purple en concert en 2017 équivaut à une visite à son papy sénile en résidence aux Sénioriales. J'ai tenu dix minutes, le pouce bloqué sur la touche avance rapide. Jon Lord, décédé il y a cinq ans, est assurément plus vivant que  ces mecs là. Le pompon revient à Ian Gillan qui marmonne de façon inintelligible tout en tachant tant bien que mal de conserver un équilibre précaire. Il ne s'est pas risqué à Highway star, encore moins à Child in time. Merci pour ça. 
Certaines choses ne changeront jamais, les choix éditoriaux d'Arte resteront un mystère insondable pour moi.
N'empêche que toutes ces conneries auront attisé un peu plus encore mon appétit destructeur. Direction YouTube, calibrage de la quête entre 1972 et 1985, et voyons ce que le machin a de disponible comme tripailles. 



Je pioche le Speedy's coming des Scorpions en playback télé en 1974 et constate avec bonhommie que ça n'a pas pris une ride. You like Alice Cooper, you like Ringo Starr, you like David Bowie...speedy's coming you live in his heart. Doués pour habiller de mélodies purement pop leur rock baroudeur, là où les métalleux de l'époque en étaient encore à beugler le belouze, les Scorpions, sans avoir inventé le fil à couper le beurre, ont décroché la timbale en misant sur la séduction tout azimut. Si Led Zeppelin ne songeait qu'à labourer l'intimité de votre petite sœur, les Scorpions se sont chargés de faire du gringue à toutes les générations de la famille. 
Pourtant c'était pas gagné d'avance comme le démontre un surprenant clip de 1972 exhibant un Klaus Meine barbu et lourdement chargé en hallucinogènes, sautillant primesautièrement sur la crête d'une colline au rythme d'un extrait de leur premier album : Lonesome Crow. Le seul de leur généreuse discographie à avoir été produit par feu Conny Plank, l'homme qui fit du Krautrock ce qu'il est (je ne me mouille pas) et qui aura eu le mérite dans un même élan de révéler Kraftwerk et de sortir Bowie de l'ornière du Glam-Rock. Ce qui en matière de grand écart ne doit pas mener loin de la déchirure.

Par association d'idées (hallucinogènes, Michael Schenker, pochettes sexy), je me retrouve face à UFO défouraillant Prince Kajuku à la télé allemande en 1973. Cherchez pas plus loin où Bon Scott a trouvé sa dégaine de marlou torse poil, Phil Mogg vous le démontre par l'image, tandis qu'à sa droite Pete Way intronise le slim à rayures qui fera le bonheur de Steve Harris. Un Rock bottom devant un public au comportement pour le moins psychotique dans ses réactions et un Lights out plus loin et je ne décolère plus : UFO est le groupe le plus sous-estimé de la création. Au même titre que Thin Lizzy. Putain, Thin Lizzy. Johnny the fox meets Jimmy the weed, du heavy funk sucré comme une orange de Californie, assaisonné à la sauce worcestershire. Le nectar des genres. Les riffs peuvent être plus saignants qu'une fémorale sectionnée, Phil Lynott n'en perd jamais son cool. UFO, Thin Lizzy, c'est de ceux là qu'il faut biberonner les gamins si on veut espérer, un jour, vivre une relève de la garde.





Chaud bouillant, le casque dégoulinant de cérumen, je hausse tempo, volume et démesure en sélectionnant sans trembler une tétanisante version de Kill the king par le Rainbow de Ritchie Blackmore capté sur scène à Munich en 1977 avec au micro l'illuminé Ronnie James Dio en complète osmose avec le cosmos. Quel foutu personnage que celui ci. En 1977, alors qu'il accède au rang de superstar mondiale du métal, Dio a déjà vingt ans de carrière derrière lui, depuis son premier single en 1958, le caverneux Conquest, un rockabilly à la Link Wray signé Ronnie and the Red Caps, avant la mutation Doo Wop de Ronnie and The Prophets, puis l’avènement hard blues de ELF. C'est au sein de cette besogneuse formation qu'il est repéré par Roger Glover, bassiste de Deep Purple, qui lui fait enregistrer Love is all pour l'album conceptuel The Butterfly Ball and the Grasshopper's feast. Personne n'y a échappé, la voix de la grenouille de l'interlude télé de notre enfance, c'est lui !



Et comme Ritchie Blackmore n'est pas homme à mégoter sur l'addition des talents, c'est rien de moins que l'immense et regretté Cozy Powell qui tabasse les fûts derrière ces deux là. Un homme libre ce Cozy Powell, batteur novateur, précis et surpuissant, il préféra toujours mener des missions en mode commando furtif plutôt que d'établir un plan de carrière. On le retrouve sur des albums de Jeff Beck, de Whitesnake, du MSG ou de Black Sabbath, sur les plus importants de Rainbow bien sur et il œuvra aux côtés d'Emerson et Lake en remplacement de Palmer. Cozy Powell ne connaissait pas le point mort, il mena sa vie pied au plancher et en trouva la conclusion dans une sortie de route à pleine vitesse, tandis qu'il conduisait sa voiture de sport en téléphonant à sa chérie. N'empêche que son nom sur une pochette de disque reste un critère de sélection plus fiable que les litanies des spécialistes.


Rainbow et ses flirts avec le classique, UFO et son boogie tout de dentelles, résilles et sequin, c'est bien joli, polychromé, saupoudré d'obscures incantations, de concoctions moyenâgeuses à bases de plantes pas très catholiques, ça vous balade sur toute la gamme, du poing tendu à la larme à l’œil, ça n'en reste pas moins du Hard Rock puisé à la source bleu sombre des deltas boueux. Et c'est de toute autre chose dont j'avais dorénavant besoin.


J'avais envie d'éclater une banque, de crucifier le caissier, voir l'obscurité des villes de grandes solitudes déchirée par l'éclair vif d'une lame de rasoir. Je voulais de la beigne, du coup de boule qui brise l'arête nasale, de la SG qui scie les nerfs, de la Flying V qui taillade l'épiderme, de l'octave en ascension, des menottes et du fouet. Je voulais Judas Priest ! Le plus grand combo de heavy rock depuis l'invention du couteau électrique. Celui qui a régné sans faillir de 1976 avec Sad Wings of Destiny (Victim of changes, The Ripper, Tyrant, Genocide !!!!) à 1982 avec Screaming For Vengeance. Le groupe qui, à lui seul, justifia l'invention du walkman, parce que cela permettait enfin de l'écouter au volume qu'il mérite sans se faire pourrir la vie par : a) ses parents b) ses voisins c) sa copine d) le prof de math en train de donner son cours.




Judas Priest, compagnon idéal pour avaler les kilomètres, pour arpenter les rues, pour saccager l'anniversaire d'un pote new wave, pour ridiculiser les prétentieux, pour trancher dans le vif. Ils avaient la culture nécessaire pour porter à incandescence le Diamonds and rust de Joan Baez, le Green manalishi du Fleetwood Mac de Peter Green, et la virtuosité pour parsemer leurs albums d'une profusion de compositions devenues des classiques du Heavy Metal. Et si chaque aficionado du groupe aura sa préférence (Sin After Sin, Stained Class, British Steel...), la mienne va sans hésitation à leur disque de 1981, Point Of Entry, remarquable d'intelligence, il transcende le genre sans rien perdre de son impact. Quant à Unleashed In The East, leur légendaire album live in Japan de 1979, il peut servir de parfait résumé des premières années du groupe en proposant une version bonifiée d'un répertoire sans temps mort.





Bon, je l'admets, Judas Priest était aussi le groupe idéal pour passer pour un mec chelou sitôt que Rob Halford montrait le bout de sa casquette à clous. Pas super facile à assumer le mec Halford, même entouré d'un sosie de Jean Rochefort à la batterie et d'un autre de Klaus Kinski à la guitare, je ne peux pas dire qu'il passe inaperçu. Peu importe, il a peut être l'air de s'être échappé d'un backroom de Cruising, Rob Halford a du talent à ne plus savoir quoi en foutre. Le concert de 1985 à Dortmund ou celui à l'US Festival en 83 sont tout bonnement incroyables, rien que la façon dont il entre en scène sur Electric eye (son hymne à la paranoïa urbaine) ça vous cale un bonhomme dans la légende. Faut le voir mener la revue avec ses poses voguing, ses rictus tendances troubles obsessionnel très convulsifs et cette voix unique d'égorgeur maniaque mâtiné de Castafiore. Judas Priest était un groupe redoutable, d'une qualité musicale époustouflante, leurs interprétations live ne sont pas seulement impeccables, elles sont carrément supérieures aux versions peaufinées en studio. L'approximation n'a pas sa place chez Judas Priest, aussi ardues ou alambiquées que soient leurs compositions, le metalleux au pied de la scène n'est pas pris pour une buse. 



Ce qui rend d'autant plus regrettable le manque de compétence d'Arte, au lieu de nous saloper nos nuits d'été en programmant la déchéance d'un ramassis de crétins à l'article de la mort, la chaine pourrait nous mitonner une sélection enfin basée sur la qualité (ceux qui se sont fadés le pitoyable concert des Red Hot Chili Peppers diffusé le mois dernier me comprendront). Et si besoin, j'ai la liste.