dimanche 30 mai 2021

HiLLBiLLY SuR SeiNe * THéO LaWReNCe * TOeRaG SeSsioNs


Waylon Jennings disait que Sinatra était un chanteur country. J'imagine qu'il parlait du feeling. Probablement, faisait-il allusion à des chansons comme "One for my baby" ou "It was a very good year" qui n'ont rien de country sur la forme, mais qui expriment profondément la même chose que la plupart des chansons réussies dans ce style, une mélancolie typiquement américaine. Je suis sûr qu'un jeune homme originaire de Gentilly en banlieue parisienne, lui l'a parfaitement compris. Théo Lawrence n'a pas vraiment besoin de se déguiser en cow-boy pour transmettre la sincérité de cette musique. L'air de rien, il trace sa route depuis quelques années. Et c'est avec bonheur que je l'ai découvert voici deux ou trois ans, très impressionné par sa capacité à reprendre quelques standards folks en évitant l'écueil des clichés d'un côté et de l'autre celui de l'americana (concept assez fumeux pour décrire la version indie et progressiste d'une musique qui est précisément le contraire). 

 

 

En 2016, Théo a fait un tube "Heaven to me" avec son groupe les Hearts, que j'ai entendu dans une pub mac do. Un morceau qui aurait pu avoir été écrit par Bob Marley (sans le côté reggae) et calibré pour la clique France inter/fip/rolling stone/arte ou finalement rien ne dépasse. Un album de soul un peu sirupeuse, "Homemade Lemonade" et quelques singles pour se faire la main. Un son ouaté produit au millimètre sans grande surprise. J'ai un peu lâché l'affaire, mais récemment, je suis retombé sur lui au hasard de mes pérégrinations youtubesques. C'est désormais sous son nom qu'il évolue avec un changement de direction notable vers la country, accompagné d'un groupe franchement impeccable.




Un album sort en 2019 "Sauce Piquante" qui tombe un peu dans le piège qui guette cette génération de musiciens élevés à youtube : l'échantillonnage de style. On pioche dans tous les artistes qu'on aime et on cherche à imiter leur son. Ce qui donne souvent un manque d'unité dans certains albums quand le procédé se voit trop. Ici, "Come On Back To My Lover" rappelle Marty Robbins, "Petit cœur" et "Baby Let's Go Down to Bordeaux" (quelle idée de descendre à Bordeaux ? continue ta route jusqu'à Toulouse mon gars) Sir Douglas Quintet ou Freddy Fender. "N.O.I.S.E" a tout du bakerfield sound et on y entend Buck Owens, "The Worst In Me", les Everly Brothers etc... Jusqu'à la pochette qui me rappelle étrangement le label Arhoolie, spécialisé dans les disques "roots". Malgré tout cela, le disque passe comme une lettre à la poste. Le niveau est suffisamment bon nous faire oublier la recette... Mais ce n'est pas par ce bout qu'il faut prendre le bonhomme : en cherchant "Working On the Building" d'Elvis, je suis tombé par hasard sur ses sessions studio Toerag. Un studio anglais complètement analogique dirigé par Liam Watson qui a notamment travaillé sur "Elephant" des "White Stripes". Il est bien possible que Théo Lawrence y ait trouvé la formule qui tue. 

 

 

Les morceaux enfin débarrassés de leur production sucrée sonnent bruts et solides. Les versions d' "Adelita", "N.O.I.S.E" et "The Worth in me" rendent caduques celles de l'album. Sur "N.O.I.S.E", la diction a le froid détachement des chanteurs country et la telecaster déchire l'espace sonore comme le faisait celle de Don Rich en son temps. Sur "Working On The Building", c'est le merveilleux vibrato des Staples Singers qu'on entend. "The Worst In Me" se révèle être une magnifique composition... 

 


 

En parcourant youtube, j'ai vite compris que ces gars étaient mortels en session live. A Bordeaux, c'est «Ain’t The Reapin’ Ever Done" d'Eddie Noack qu'ils reprennent divinement. Le guitariste y égraine des licks scintillants comme les perles d'un collier féminin, sur le phrasé hautain de la voix de Théo. Dans les Cardinals sessions, il interprète un titre de son album "Prairie Fire", un folk près de l'os qu'il a le bon goût de chanter sobrement, seul à la guitare. Ces jeunes gens ont commencé très tôt et en ont encore beaucoup sous le pied. Le potentiel est énorme et les aléas de la vie ne peuvent que rendre leur musique plus authentique. Depuis peu, ils ont un fan de plus qui parie sur leur succès et de bons disques à venir.


Serge Fabre

Theo Lawrence Adelita Live at Toerag

5 commentaires:

  1. Bonjour Serge. Ça m'ennuie pas mal d'écrire ce qui va suivre par rapport au plaisir que je viens de prendre à te lire, mais je n'ai vraiment pas accroché à la musique de ce malgré tout talentueux Theo Lawrence. Je la trouve trop propre, et sans audace. Je trouve qu'elle ne franchit rien, c'est dommage. Enfin tu vois, ça me donne pas envie d'aller creuser plus que ça quoi.

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  2. Je n'ai jamais entendu parler de ce gaillard, mais ce que j'ai entendu sur Youtube est assez épatant.

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  3. J'avais été moyennement convaincu par l'album mais c'est vrai que ça sonne mieux en live.
    Sinon, mon gros coup de coeur du Moment, Colt McCannon, un p'tit jeune qui vient de sortir un sacré disque, qui ramène aux grandes heures de l'outlaw country, et qui devrait plaire aux fans de Townes Van Zandt et Johnny Cash :
    https://youtu.be/Fi__88Cqb_w
    https://youtu.be/f85uAtpA9_g


    Et là j'attends avec impatience le prochain Sierra Ferrell qui arrive fin aout :
    https://youtu.be/wfTnBg7TjPo
    https://youtu.be/GDGaultyNIk

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  4. Je rejoins Serge à propos de l'Americana, ce vaste néant soporifique. Mon soucis c'est que la quasi intégralité de la production actuelle dans le registre Country ne s'en distingue pas vraiment. Et ce truc de la live session, c'est une bonne idée, sauf qu'au final, soyons honnête, Theo Lawrence ou Colt McCannon en live sessions, ça sonne moins live que Buck Owens en studio )))

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  5. Pour les amateurs, s'il y en a ...
    Ca vient de sortir :
    https://youtu.be/DxXLBN4PmRk

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