Mes récentes élucubrations autour des albums extrêmes de Hank III m’ont amené à ausculter, pour la première fois, les fameux trois albums que le label Curb avait fait paraître sans son accord, après leur rupture mouvementée. Le fondateur du label, Mike Curb, est le genre de gentleman sudiste passé un peu partout, même chez Motown pour faire ses classes, avant de bâtir une solide success story à la californienne. Mike Curb est un républicain bon teint, élu californien dans les baskets du gouverneur démocrate Jerry Brown, le fameux fasciste zen de Jello Biafra. Tout ça est un peu cryptique, j'imagine. Faudrait un débat pour y voir clair tellement les notions américaines de démocrates et républicains diffèrent de notre conception droite/gauche de la politique. Ce que l'on considère vu d'ici comme démocrates cool sont ceux qui ont voulu censurer le rock et le rap pour aboutir au fameux sticker sur les pochettes de disque. Mike Curb est du bord inverse, tout en leur ressemblant comme deux gouttes. Le mec est un prestidigitateur, il soutient Reagan tout en défendant les droits des homosexuels, il signe la descendance d'Hank Williams sur son label tout en étant farouchement anti-drogues. Voyez le topo ? Il finira président du monde, Mike Curb. Avec sa raie sur le côté, sa bonne mine et ses accointances avec les mormons. Mike Curb c'est le mec qui déboule dans les partouzes avec sa poupée gonflable.
En 1996, il flaire la bonne aubaine en sortant Three Hanks, un album dans la tendance du moment avec des duos virtuels venus d'outre-tombe. Son concept est balèze, faire chanter le légendaire Hank Williams, à ce moment-là mort depuis 40 ans d’une overdose, avec son fils Hank Williams Jr, défiguré après une chute de 150m de hauteur qui le laissa au pied de la falaise avec un trou dans le crâne si gros qu’on lui voyait le cerveau, un oeil exorbité et le nez arraché, la mâchoire en miettes. Pour mettre un peu de glamour dans le sordide Mike Curb mise sur le fils de Jr, Hank III. Le môme venait de se découvrir un père qu'il avait jusque-là regardé à la télé et qui soudain lui mettait le pied à l'étrier dans le circuit de la musique. Selon la conception américaine d'une bonne histoire, celle-ci est une des meilleures. Sauf que ça ne dure pas. Hank III se révèle d'un talent protéiforme et d'une personnalité farouche aussi troublée et abruptement contrariée que celle de son grand père. Les discours évangélistes de Mike Curb se font déchausser les gencives par les textes hardcore des albums que le gamin commence à sortir comme on dévore un paquet de smarties. Le clash arrive dès le troisième album. Après avoir retardé pendant des mois la sortie de Straight To Hell à cause de textes qui obligeront finalement le label à livrer une version bippée du disque aux revendeurs les plus traditionnalistes, Curb refuse tout net de sortir l’album de metal extrême que sa vedette dissidente lui soumet en suivant. On est dans le genre de conflit que Neil Young avait eu avec Geffen. Liberté artistique contre pragmatisme bienveillant. Rupture de contrat, procès, tout le toutim et Hank III se retrouve un peu plus paria encore. Hérédité, fatalité.
Le comble de l'histoire étant que depuis la rupture de contrat, Mike Curb publie régulièrement les bandes dont il dispose sous forme de disques plus subversifs encore que ceux qu'il reprochait à Hank III d'enregistrer ! En représailles de quoi à chaque parution d'un des trois disques en question, Hank appelle son public à le boycotter. Chose que je respectais. Non seulement je ne les achetais pas, mais je ne les avais même jamais écouté. Je viens de le faire et le fait est que les chutes de studio de Hank III, ou ses duos avec les Melvins, sont des tueries.
Le plus beau, après cette longue introduction, c'est que je ne suis pas là pour vous causer de Hank III !
C'est pour son fils que je suis venu, IV And The Strange Band. J'avais expédié son cas en deux écoutes en le trouvant vaguement ennuyeux, je m'étais fourvoyé. Le truc c'est que j'ai du mal à concevoir que le talent puisse être héréditaire en cascade. Hank III lui-même, au début, je l'avais regardé de travers. On n'est pas franchement habitué à ça par ici, quand on se voit refiler les fils Souchon, non ?
Bref, je m'y colle. Coleman Williams est donc le fils de Hank III. Comme je l'ai expliqué dans le post précédent, il n'utilise pas son pseudo Hank IV sur les pochettes parce qu'un cousin du Texas l'utilise déjà. C'est un bordel, je vous dis pas. Même la sœur de Hank III fait des disques. C'est donc IV et rien de plus. Quand je dis rien de plus, je parle de l'intitulé, parce que rayon musique c'est une morsure à infusion lente que j'ai reçu dans mes mollets de coq. Avec son trémolo dans la voix et ses mélodies qui collent à la peau, IV vient de faire basculer ma fin d'année dans la mélancholie. Je ne vois plus le ciel de la même couleur et le bitume brille sous la pluie. Son dernier album, Hang Dog, qu'il a enregistré avec Shooter Jennings à la production (le disque sort sur son label BCR), m'accompagne partout où je vais. Dans la cuisine, au lit, dans la cuisine, au salon, dans la cuisine, au lit, dans la voiture, au lit, j'ai l'âme vagabonde, je m'assoie même dans l'escalier pour en écouter un bout entre deux mood. I'm sailin' on, sail on, sail on. Je marmonne, je grince des dents, je ressens ses coups de sang, je me traîne un blues je vous dis que ça. Sitôt sa reprise des Bad Brains éteinte, je réenclenche sur le premier morceau. Son coup de génie est là, le mec finit son disque sur le morceau qui relance la machine. Et comme le premier morceau est d'une évidence addictive, ça forme une boucle.
De prime abord, la production est standard, les compositions routinières, si ce n'était ce fichu trémolo dans la voix le disque serait passé de la découverte à l'étagère sans avoir eu le temps d'encombrer la platine. Mais il y a cette voix qui dérange, qui me fait revenir pour mieux tendre l'oreille jusque derrière la porte verte et il s'y passe des choses. Des fioritures dans les arrangements, des effervescences planquées dans le mixage qui posent une atmosphère de roman. A la troisième écoute, ce n'est plus deux titres qui se distinguent, mais quatre ou cinq. J'ai pigé l'affaire, transféré le dossier dans l'android et depuis on fait chemin dans la main. Hang Dog est un disque frontalier, ni country au kilomètre, ni hillbilly défroqué. Comparé à l'agitation épileptique de son géniteur, il y a une forme de sagesse tranquille qui se dégage de IV. Pas le genre solidité sans faille, mais on sent que le type prend le temps de la réflexion. IV est diplômé littéraire, il a été enseignant avant de se consacrer pleinement à son destin. Est-ce pour ça que ses chansons semblent enracinées au plus profond ? Chaque sonorité fait sens, les effets sont pertinents, jamais gadget tape à l'oeil, le sentiment prédomine. IV construit des disques comme on pose un exposé, il y a l'ambiance, il y a le déroulé, les larmes, les coups bas et pas tellement de franche rigolade. Le gars trouve le moyen d'utiliser le yodel de façon nouvelle et ses arrangements sont si bien agencés que le genre redevient créatif (Neskowin ranger). Si Hank III, versant country, est dans la droite lignée du hillbilly à l'âme déchirée du Hank originel, IV délimite plus strictement son territoire, son univers est infiniment plus unitaire, ses chansons font bloc, son disque a une couleur définie dont il ne s'éloigne jamais plus que necessaire à l'avancé de l'action. Pas de coup feu hystérique entre deux ballades boisées, pas de dérapage dans le fossé après une ligne droite à grande vitesse. Le tempo est le même, l'humeur est invariable, violon tzigane ou pedal steel sont les seuls ajustables. Des titres pour aller à la pêche ? Septic, Hang dog, The bleed, Sailin' on...je mets le lien vers sa chaîne youtube en dessous de ma signature.
Par acquis de conscience je me suis aussi penché sur son premier album, Southern Circus, moins produit, plus turbulent (Deep down), ébréché aux angles, un vrai premier album avec ce que ça apporte comme fraicheur, maladresses et spontanéité.
Donc on dit quoi ? On en reprend pour une année ? Une semaine ? Une écoute ? Perso, je vais garder un oeil sur les dates de concert, l'espoir est faible de voir l'hexagone concerné mais IV et sa bande annoncent leur première tournée européenne pour avril 2026.
Hugo Spanky
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