Alors que
l’on désespérait d’avoir un jour l’occasion de jeter un œil
à « Quatre mouches de velours gris » de Dario Argento,
voilà qu’enfin il est disponible en DVD. Ce film méconnu du
maestro transalpin de l’horreur clôt sa célèbre trilogie dite
animale de giallo.
Tout a
commencé en 1970 avec « L’oiseau au plumage de cristal »,
le premier film de ce diable de Dario. D’emblée avec ce qui peut
déjà être considéré comme un coup de maître, il met en place
les jalons qui vont parsemer son œuvre si singulière. Alors que les
règles du giallo avaient déjà été établies par Mario Bava (avec
« La fille qui en savait trop », un faux film de meurtres
et « Six femmes pour l’assassin », qui propose des
crimes dans le milieu du mannequinât), Dario les malmène en
ajoutant une large touche de sadisme et de perversité dans son film
inaugural (les crimes sont perpétrés à l‘arme blanche et sont
donc particulièrement sanglants). Il apporte également une élégance
dans sa mise en scène (fluidité des mouvements de caméra) et un
soin à la photographie (les couleurs sont superbes) qui le distingue
du tout venant de la série B italienne. Quant à l’intrigue,
retorse à souhait, elle maintient un suspense et une angoisse
constante et son dénouement nous laisse pantois. Avec ce premier
galop d’essai, qui mélange habillement œuvres d’art, violence
graphique, musique lancinante (du grand Ennio Morricone) et travail
sur la mémoire, il amène un souffle nouveau aux codes usés des
films de genre.
Fort de
ce succès, il récidive en 1971 avec « Le chat à neuf
queues » dont le casting s’enorgueillit de deux acteurs
américains: le falot James Franciscus, dans le rôle d’un reporter
et l’exceptionnel Karl Malden, dans celui d’un ancien journalistedevenu aveugle. Cette fois ci, l’intrigue repose sur la génétique
(rien que ça!) et élabore une théorie (bien fumeuse tout de même…)
sur les prédispositions à la violence. Toujours aussiprompt à
nous délivrer des instants de terreur qui nous rivent ànotre siège
(chaque fois que l‘assassin entre en scène, on voit en gros-plans
ces yeux, gimmick redoutable d‘efficacité), Dario s’amuse même
à détourner un des fondamentaux des films horrifiques gothiques de
la Hammer: l’incontournable scène nocturne se déroulant dans un
cimetière. Moins réussi que son prédécesseur ce film est surtout
un moyen pour lui d’affûter son style si immédiatement
identifiable et envié par tous les tâcherons qui se targuent de
vouloir nous faire peur alors que même Mamie Nova ne frissonnerait
pas un iota face à leurs ridicules effets de manche dépassés (Wes
Craven et Scott Derrickson se reconnaîtront…).
Après ce
long métrage, Dario aurait bien voulu s’attaquer à un autre genre
de film mais comme « La chat à neuf queues » cartonna
lui aussi au box office mondial, pressurisé par ses producteurs, il
du se résoudre à réaliser un autre giallo. Et, en 1972, arrive
donc sur les écrans « Quatre mouches de velours gris »,
son film maudit par excellence. Invisible depuis des années pour
d’obscures raisons de droit, on peut enfin juger sur pièce de sa
qualité grâce à la bienheureuse initiative de l’éditeur Wild
Side de le sortir sur le marché français. Ce long métrage nous
prouve de façon indiscutable qu’Argento mérite sa place aux plus
hautes marches du panthéon des réalisateurs qui ont révolutionné
le septième art.
Tout dans ce film met à mal le confort du
spectateur. Dès le générique, le montage alterné entre des
musiciens qui jouent un instrumental biscornu et la vision d’un
cœur mis à nu qui bat, fait voler en éclats tous nos repères. Un
sentiment d’étrangeté ce dégage de cette scène annonciatrice du
malaise qui nous prendra en otage tout le long de ce film.
D’ailleurs, afin de nous déstabiliser encore plus, Dario mélange
allègrement instants de terreurs pures (les scènes de meurtres sont
toujours aussi inventives et baroques) et humour lourdingue typique
de la comédie italienne au bord du gouffre des 70‘s. Mais ce n’est
pas tout, son montage empreint de folie contribue également à
rendre son film particulièrement excentrique: lors d’une scène en
faux raccord (volontaire), on passe subitement du jour à la nuit et
lorsque le héros se rend chez un détective, on alterne entre sa
conduite en voiture et la montée des marches qui mènent au logement
de celui-ci. Ce dispositif bouleverse la temporalité du film et de
brusques accélérations des mouvements de caméra nous perdent même
géographiquement dans certains plans.
Quant au casting, hétéroclite
à souhait, il accentue de plus belle notre sensation de perdition
totale. Car nous avons là Michael Brandon qui incarne le héros
bellâtre de service, Mismy Farmer qui, lors du final, part
complètement en vrille, Bud Spencer (!) dans le rôle d’un type
qui se fait appeler Dieu (!!) et, cerise sur le gâteau, Jean-Pierre
Marielle (!!!) qui interprète un détective efféminé (une
caricature d’homosexuel digne de Michel Serrault dans« La
cage aux folles ») dont la particularité est de n’avoir
jamais résolu une seule de ses affaires (84 échecs à son passif,
autant dire que l‘on a pas affaire à Columbo là!). On l’aura
compris, Dario Argento nous délivre un film totalement fou et alors
que l’on pourrait croire que tant d’audaces visuelles et
scénaristiques pourraient nuire à l’ensemble, elles apportent au
contraire une incroyable fraîcheur à ce giallo définitivement
atypique dont la scène finale dévoile en outre une maîtrise
technique admirable.
Lorsqu’on
revoit ces trois pépites, on se rend compte à quel point Dario a
marqué à jamais notre imaginaire avec ses visions, certes
cauchemardesques, mais d’un style si puissant qu’elles nous
retournent les rétines de joie. D’ailleurs, en guise de
conclusion, on peut émettre l’hypothèse qu’un certain Brian De
Palma a dû s’abreuver à la source de ces images chocs et qu’elles
lui ont inspirées ses propres compositions hallucinantes qu’il a
rehaussé d’une forte tension sexuelle encore plus prégnante et
dérangeante.
Pardon, vous n'auriez pas vu une jeune femme avec de cheveux longs, et un imper beige svp ?
RépondreSupprimerBonne année 2013 à toute l'équipe Ranx ze vox.
RépondreSupprimerSerge
Meilleurs vœux à toi aussi ainsi qu'à tes proches.
SupprimerT'as eu un com' sur La bouche du pistolet.
A+
Hugo