Les riffs de guitares
saturés, les tempos rapides, m'ont fait marrer un temps. Celui des
surboums. Mais avec l'age où s'amuser seul ne suffit plus viennent
les premiers moments de spleen, les aurores embrumées sur les berges
de la Garonne à entendre mourir les chevaux, du temps où les
abattoirs côtoyaient mon bar préféré et déversaient leurs sangs
dans les flots boueux. De ces moments qui vous donnent le goût de
la soie, l'irrépréhensible besoin d'entendre une ballade, une
vraie. Une de ces chansons qui plus jamais ne vous quittera.
En ces mots, je n'évoque
pas la chose pop, je serai clair sur ce point, lorsque je cause
ballade je fais dans la distinction, j'épure à l’extrême. Autant
dire que les anglais passent à la trappe direct. Si je prends la
parole ce n'est pas pour causer de faibles mélopées au chagrin
modeste, mais pour évoquer l'Homme dans sa part la plus désespérée,
celle où se loge les souffrances que rien n’amoindrit. C'est
ainsi, je ne m'attache qu'à ceux qui savent soigner leurs émotions,
les exprimer de sorte qu'elles deviennent miennes.
La ballade n'est pas un
slow mou du genoux prétexte à des tripotages aussi divers que
déplacés, la ballade est une affaire intime, l'évocation d'une
blessure, une confidence à l'oreille, un truc à en faire dégueuler
le cendrier.
Il peut rock'n'roller de
tout son saoul, c'est dans sa capacité à évoquer l'odeur du tabac
froid qu'un chanteur se sublime. Ou se ramasse à la pelle. Elvis,
Gene Vincent, Sam Cooke, Otis Redding doivent leur immortalité à
Love me, Unchained melody, Sad mood, Coffee & cigarettes et des
dizaines d'autres friandises tout de rose poudrées. Délicieuses
tortures. Jerry Lee Lewis s'il est surnommé le Killer c'est aussi
pour la façon qu'il a de vous planter les banderilles dans
l'épiderme. Impérial dans les ballades country, l'auteur de Great
balls of fire reste avant tout le plus bel interprète de Middle age
crazy.
Le critère est valable
même pour les plus retors. Pas de Ramones sans I remember you, Pet
semetary, She talks to rainbow. Je me contrefoutrai d'apprendre que
je n'entendrai plus jamais Born to lose de ma vie, cela pourrait même
me réjouir mais qu'on ne me prive jamais de It's not enough. Pas de
Johnny Thunders sans I only wrote this song for you, Diary for a
lover, Two times loser.
Qui peut encore se fader les Stray cats de Sexy & 17 ? Alors que leur I won't stand
in your way devient plus beau et patiné à chaque écoute. Même le
talentueusement turbulent Hank III se déguste avec plus de
délectation encore dès qu'il tombe le cuir et envoie l'émotion,
Country heroes et tout récemment Ghost to a ghost, le désignent
comme notre plus précieux espoir, peut être bien le seul.
Et puis il y a les
orfèvres du genre, les cadors de la pupille humide, en tête
desquels Bruce Springsteen, Bob Seger, Chris Isaak et trop de
chanteurs Country pour n'en citer que quelques-uns.
D'abord sombre et torturé
le temps de l'intouchable Silvertone, Chris Isaak héritier de Roy
Orbison et Buddy Holly deviendra dès son magnifique Forever blue
fataliste mais apaisé. Comme chacun de nous. C'est l'un des charmes
des ballades, elles vieillissent avec vous, prennent un sens nouveau.
La ballade c'est cœur et âme, et même l'auto-proclamé Sex
machine, James Brown, ne tutoiera jamais autant le sommet qu'avec son
ode à la Femme, It's a man's man's world. La ballade c'est le feu du
désir plus que la satisfaction d'une excitation assouvie. C'est
l'éternel face au consommable, les bras serrés plutôt que les
jambes ouvertes en quelque sorte. La ballade c'est la confirmation
que se préférer seul que mal accompagné n'exclut pas la douleur.
Et en matière de
douleur, Bruce Springsteen se pose là. Avec l'homme du New Jersey la
rivière est asséchée, les usines sont fermées, les destins
piétinés, les promesses rompues. Lorsque le boss fait du
tourisme c'est destination le Nebraska pas la Floride. Bruce
Springsteen c'est l'obscurité totale directement venue des plus
grands de la Country, un Hank Williams à forte transpiration. Les
rares fois où il cherche l'interrupteur, c'est vers dieu qu'il se
tourne.
Bob Seger c'est les
petits matins à la gare routière, quand le café ne réchauffe que
le palais. Jody girl, Against the wind, Beautiful loser, Fire lake,
No man's land, Turn the page, Good for me, argh, n'oublions jamais
Bob Seger. Encore moins en hiver.
Surtout, il y a le Doo
Wop et ses dérivés, l'Eden, un morceau de paradis arraché aux
étoiles. Les mélodies y virevoltent comme des flocons de neige,
toutes plus scintillantes les unes que les autres. Beauté et
poésie, Stand by me et Tracks of my tears, des milliers
d'autres d'autant d'artistes parfois éphémères mais jamais
dispensables. Chopez vous ces vielles compilations vinyle des 70's,
elles recèlent de trésors. Rassasiez-vous de Doo wop, des Girls
groups, Motown, Atlantic, Aznavour, Mink DeVille, la musique délicate drapée
de velours rose et d'amours rouge sang.
Des chansons comme il n'y en
aura peut être plus jamais. This magic moment, Over the rainbow,
Don't play that song, You really got a hold on me, Teardrops must
fall, You better move on, You'll lose a good thing, Under the
broadwalk, Heart & Soul, I broke that promise, La plus belle pour aller danser, Can't do without it, My
girl, Who's lovin you, jusqu'à l'infini.
Bénis soient ceux qui en
ont écrit autant afin que je ne me lasse jamais d'aucune.
Enfin, au dessus de tout
ça, il y a Frank Sinatra. L'Original one, celui par qui le scandale
arrive, l'homme qui a survécu à tout et à toutes. Il en tirera It
was a very good year, la plus belle d'un répertoire pourtant
fortement chargé en romance, jamais mélodie n'aura eu meilleure
voix.
Sinatra, c'est les bars
où l'on va seul pour ne surtout rencontrer personne. Only the
lonely. Une œuvre entière consacrée à la quête de l'inaccessible
étoile.
Hugo Spanky
Une belle livraison d'émotions en collissimo, je signe et le met bien au chaud, à gauche, tout près.
RépondreSupprimerT'façon les anglais... à part nous refiler leur brouillard à la con et accessoirement les Stones, le bonheur des volants à droite et et et Oxford, bien sûr...
RépondreSupprimerBref ! super papier Hugo !
je te retrouve mon loulou,heureux de te lire à nouveau avec ta sensibilité à fleur de peau:yes man vive HUGO!!!dja bises
RépondreSupprimerEn vieillissant, la ballade est devenue indispensable. Chez les auteurs récents, l'ombrageux Mark Lanegan a enregistré quelques magnifiques ballades crépusculaires. Celles de Calexico teintées de mélancolie tex-mex me font du bien. Costello, The Tindersticks, John Hiatt ou encore Paul Quinn ont gravé de bien belles choses.
RépondreSupprimerWelcome back....
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