Les années 50 touchent à leur fin, Elvis Presley enregistre Heartbreak hotel et pour une majorité d'américains c'est le comble de l'avant-garde, un cran au delà de l'acceptable. Au même moment à New York, Yoko Ono pose son désordre dans un loft sinistre sur Chambers street, Lower Manhattan, délabré, dépourvu du moindre confort, mais suffisamment grand pour y accueillir les misfits de la ville. D'abord pour peindre ses murs lépreux, ensuite pour des performances mêlant musique, danse contemporaine, poésie, performances, projections de films et idées folles.
"A ce moment là je fréquentais pas mal de monde et j'ai réalisé qu'ils n'avaient aucun endroit où exprimer leur travail, alors qu'ils incarnaient l'esprit même de New York"
"J'ai pensé que ce serait une bonne idée de les faire profiter de l'espace dans lequel je vivais, il n'y avait pas besoin que ce soit trop grand ou quoique ce soit, juste un endroit"
"Ce n'était qu'un hangar glacial dans un quartier à l'abandon, en plein hiver sans rien d'autre que l'arrivée d'eau froide. Je me suis branchée sur l'électricité de la ville et un voisin m'a donné un gros radiateur, avec ça j'avais tout ce qu'il fallait pour que John Cage et David Tudor donne un concert"
1961, à l'instar des expérimentations menées par Monte La Young, John Cage, David Tudor, Henry Flynt...Yoko Ono performe et conceptualise à tout va, Cough Piece, un quart d'heure de toux sur fond de bris de verre, Kitchen piece, peinture sur toile à base de restes culinaires, forcément aléatoire selon les légumes de saison, Shadow painting une toile blanche sur laquelle une fenêtre projette l'ombre du jour qui se modifie au fil des heures. Touch piece, dans une salle plongée dans l'obscurité, chaque participant est invité à toucher son voisin pendant dix minutes. Et parfois deux heures.
Elle collabore à des happenings avec le compositeur Toshiro Mayuzumi, pour qui elle réalise la pochette de l'imposante Nirvana Symphony, se voit exposée pour la première fois à la toute récente, mais déjà en faillite, AG Galerie de George Maciunas.
"J'étais déterminée à exister, je faisais une exposition ou un concert chaque mois et j'avais une liste de deux cent personnes à prévenir, il me semblait que réunir 200 personnes était un succès. Ce que je ne savais pas c'est que dans un monde parallèle des chanteurs réunissaient des milliers de fans à chaque concert."
Trois ans passent, entre chiens et loups, avant qu'elle ne publie Grapefruit, l'ouvrage qui exprime sa vision. A travers une série d'instructions à l'interprétation libre, elle propose une somme d'oeuvres conceptuelles à concrétiser selon l'inspiration de chacun. Comme les 4mn33 de silence proposées par John Cage laissent l'environnent sonore devenir une oeuvre musicale sans cesse renouvelée, les peintures instructions de Yoko Ono incarnent l'esprit de ce que George Maciunas définit sous le nom de Fluxus mouvement anti-art dans son manifeste de 1963. La particularité de Fluxus est de considérer que seule la vie est artistique, que la matérialisation d'une oeuvre n'est en rien obligatoire pour reconnaître sa valeur.
"A quoi bon sculpter une statue, sinon prendre de la place et flatter son égo ?"
Avoir l'idée d'une oeuvre suffit pour qu'elle existe et soit transmise par l'écrit ou la parole pouvant ainsi être concrétisée par une multitude de personnes, de différentes cultures, en différentes époques, demeurant ainsi une oeuvre sans cesse inachevée, et donc vivante.
Mais en ce début des années 60, New York reste frileuse envers ses plus audacieux rejetons, le milieu de l'art croupit sous le poids des siècles, le MOMA n'a de moderne que le nom. Yoko Ono et John Cage filent au Japon le temps d'une tournée, bâtissent un pont entre l'est et l'ouest qui sera parmi les premiers signes de rapprochement entre deux cultures qui, pire que s'affronter, n'avaient jamais su communiquer.
Née en 1933, Yoko Ono est de par sa mère descendante des Yasuda, une famille parmi les plus riches et influentes du Japon d'avant guerre. Elle découvre la vie américaine en 1936, son père occupe alors un poste au sein de la banque fondée par le grand-père de sa femme. L'attaque de Pearl Harbor change la donne en 1941, la banque Yasuda est expulsée du sol américain et la famille Ono rapatriée au Japon avec pertes et fracas. Emprisonné et mis sur la paille, le père de Yoko laisse une famille à la dérive. Proche de l'autobiographique nouvelle La tombe des lucioles d'Akiyuki Nosaka, superbement adaptée en dessin animé sous le titre Le tombeau des lucioles par Isao Takahata, l'enfance de Yoko Ono se confond dès lors avec les souffrances endurées par l'ensemble du peuple japonais subissant les incessants bombardements de l'armée américaine, qui culmineront avec l'utilisation de la bombe atomique sur les villes de Nagasaki et Hiroshima. Evacuée vers les campagnes pour fuir la dévastation et les déportations, Yoko, livrée à elle-même à seulement 12 ans, traverse la guerre dans un état fantomatique qui forgera ses engagements futurs.
"Mon jeune frère et moi avons échoué dans une ferme à la campagne, car il ne restait plus rien de notre ville. Nous étions affamés et tenus à l'écart par les autres enfants qui me surnommaient l'espionne américaine. Je survivais en regardant le ciel, rassurée qu'il soit toujours bleu, malgré les bombes qui en pleuvaient. J'en avais fait mon univers. Mon frère était désormais désespéré et confus. Je ne savais quoi faire pour lui donner espoir, quand il m'est venu une idée. Imagine le menu de tes rêves, lui ai-je dis et nous avons ainsi créé dans l'air un menu élaboré, mangeant avec appétit des plats imaginaires."
Lorsqu'elle retrouve ses parents à la fin de la guerre, quelque chose est définitivement brisé, jamais elle ne se conformera à l'avenir tout tracé qui devait être le sien.
"Mon père était un pianiste virtuose et ma mère était d'une beauté qui lui ouvrait toutes les portes, elle aurait pu devenir comédienne, elle était aussi une peintre talentueuse et une musicienne accomplie. Ils ont renoncé à une carrière artistique à cause du poids des traditions et du respect qu'ils avaient envers la volonté des Yasuda de retrouver le pouvoir qui était le leur avant guerre" "Mais pour moi, ils avaient trahi ce qu'ils avaient de meilleur en eux."
De retour en Amérique, elle abandonne rapidement ses études, épouse en 1957 le pianiste d'avant-garde Toshi Ichiyanagi, ce qui lui vaut d'être répudiée par sa famille. Les années d'errances peuvent commencer.
"J'avais été l'espionne américaine, j'étais maintenant une japonaise en Amérique. Aux yeux de beaucoup, j'aurais pu tout aussi bien avoir bombardé Pearl Harbor moi-même."
Le couple vit d'expédients, participe à de rares happenings. Yoko donne des cours d'origami à la librairie japonaise de New York, déserte le lit conjugal, avorte tant de fois qu'on lui prédit le pire. La bohème n'a rien de glamour pour les marginaux de la grosse pomme qui ne se reconnaissent pas dans le mouvement beatnik. Trop jazz pour les folkeux, trop free pour les jazzeux, trop individualiste pour les luttes sociales, Fluxus devra attendre l'avènement d'Andy Warhol, qui toute sa vie se tiendra amoureusement proche de Yoko, pour s'entendre revendiqué par John Cale et Lou Reed. Et attendre plus longtemps encore pour que quiconque prête attention à ce que revendiquent John Cale et Lou Reed.
En 1962, la peau sur les os et l'esprit passablement désorienté, mais encouragée par l'accueil reçu lors de la tournée avec John Cage, Yoko retourne au Japon où le milieu de l'avant-garde et de la contre-culture lui semble plus vivace qu'à New York. Fausse bonne idée. L'embellie sera de courte durée, après une tentative de suicide sa famille reprend la main et la fait interner en asile psychiatrique.
L'histoire aurait pu en rester là si Anthony Cox n'avait pas choisi ce moment pour entrer en scène. Le frémissement suscité par les premières expositions de Roy Lichtenstein et Andy Warhol ont timidement ouvert les galeries d'art à leurs contemporains et Anthony Cox est bien décidé à saisir cette opportunité pour devenir agent artistique. Il a même un plan pour arriver à ses fins, retrouver cette artiste japonaise qui l'avait séduit, autant qu'intrigué, un an auparavant lors d'une soirée sans lendemain.
Nulle trace d'elle à Manhattan, qu'il écume de fond en comble, désespéré, mais pas abattu, il finit par apprendre qu'elle est internée depuis 8 mois au Japon. Désormais entièrement dévoué à sa cause, il prend le premier vol low cost en direction de l'incertitude, la retrouve abrutie de cachets et plaide pour sa libération auprès du directeur de l'institut psychiatrique. Cox y va plein pot, invente une exposition prestigieuse qui lui serait consacrée, un New York branché qui attend avec anxiété le retour de cette grande artiste japonaise. Balivernes et fariboles, mais ça marche lorsqu'il promet d'assumer l'entière responsabilité de Yoko, mieux encore, de l'épouser ! Et il le fait sitôt Yoko libérée, mais encore trop larguée pour se souvenir qu'elle est déjà mariée.
1963 commence sous de meilleurs auspices, Yoko Ono, enceinte à contre cœur, est dorénavant dotée d'un agent surmotivé qu'elle épouse une seconde fois, après avoir enfin divorcé de Toshi Iychiyanagi. Durant son absence, l'avant garde a connu une amorce de reconnaissance, les noms de John Cage, Angus McLise, Charlotte Mourman, Nam June Paik, La Monte Young se sont infiltrés au delà du strict cercle des initiés. Elle, qui avait tant fait pour porter le mouvement à ses balbutiements, a dorénavant la sensation d'être restée à quai.
Une performance finit par la faire remarquer en 1964, d'abord à Kyoto et Tokyo, puis l'année suivante à New York où Cut Piece lui apporte l'attention de la presse et fait porter un regard nouveau sur Grapefruit qui est réédité dans la foulée, devenant le compagnon de poche, et de route, d'une génération de jeunes femmes désireuses de s'épanouir par l'esprit.
On peut voir beaucoup de choses dans Cut piece, la voracité des êtres, l'oppression du faible, le mépris, le racisme, la domination sexuelle, qui ne dit mot consent. Cut piece incarne la passivité que la société exige des femmes. Le féminisme tel que Yoko Ono le conçoit la tiendra à l'écart des groupes féministes qui s'attribueront la parole dans les années 70.
"Je ne veux pas l'égalité, je veux pouvoir être qui je suis. Notre société est construite sur une seule moitié de l'humanité et nous constatons chaque jour à quel point c'est un échec. La société doit maintenant utiliser les sensibilités féminines que sont l'intuition et la pensée empirique plutôt que la sensibilité masculine qui est logistique et idéologique. Le but n'est pas de réduire les hommes au rang auquel ils nous ont réduit depuis des siècles, mais de prendre conscience que la race humaine n'est pas uniquement composée d'hommes"
"Je propose la féminisation de la société; l'utilisation de la nature féminine comme force positive pour changer le monde. Nous pouvons nous changer nous-mêmes avec l'intelligence et la conscience féminine en une société essentiellement organique, non compétitive, basée sur l'amour plutôt que sur le raisonnement. Le résultat sera une société d'équilibre, de paix et de contentement. On peut évoluer plutôt que se révolter, avancer ensemble, plutôt que de revendiquer l'indépendance, et ressentir plutôt qu’analyser. Ce sont des caractéristiques qui sont considérées comme féminines, caractéristiques que les hommes méprisent chez les femmes. Mais les hommes ont-ils vraiment bien fait d’éviter le développement de ces mêmes caractéristiques en eux ?"
Cut Piece aura par la suite plusieurs incarnations à travers le monde, notamment Charlotte Moorman, avant que Yoko Ono ne l'interprète une nouvelle fois à Paris en 2003.
En 1965, elle joue dans Satan's bed de Michael Findlay, un film mêlant sexe, bas fonds et trafic d'êtres humains, sans rapport avec Fluxus mais parfaitement raccord avec le cinéma underground new yorkais, tendance slasher, qui sera plus tard popularisé par les premiers long métrages d'Abel Ferrara et Shaun Costello. Dans les années 70, Michael Findlay sera à l'origine de Snuff, un film, par ailleurs plutôt réussi, connu pour sa scène finale, ajoutée par son producteur en dépit de toute cohérence, montrant l'amputation, puis la mort, d'une actrice afin d'exploiter la rumeur, alors vivace, de l'existence des snuff movies qui culminera avec Cannibal Holocaust.
Fin de l'aparté gore.
Londres, 1966, Paul McCartney finance la librairie Indica de Peter Asher, Barry Miles et John Dunbar avec pour mission d'importer illégalement en Europe la littérature américaine la plus subversive, celle de William Burroughs, Allen Ginsberg, tout deux interdits de presse sur le sol anglais. Blasés par les fermetures administratives, la petite bande d'associés décident d'élargir leurs activités en aménageant une galerie d'art dans le sous-sol de la librairie avec les moyens du bord et la bonne volonté de chacun. La rumeur d'une japonaise qui se tient immobile sur scène pendant que le public découpe ses fringues jusqu'à la laisser nue traverse l'Atlantique en même temps qu'Anthony Cox qui cumule son rôle d'agent avec celui de parent unique de Kyoko, Yoko refusant tout bonnement de remplir son rôle de mère.
"Je n'avais que de mauvais souvenirs de mes rapports avec mes parents. Des nourrices étaient en charge de m'éduquer et les seules choses que me disait ma mère, qui était si belle, fine et élégante, était que je ne lui ressemblerai jamais, que j'avais les os trop gros. Quant à mon père, il soutenait que je ne serais jamais une pianiste virtuose à cause de mes doigts trop courts. Je ne voulais transmettre de tels gènes à personne, si je n'avais pas avorté, c'était uniquement parce qu'on m'avait dit que j'en mourrais."
"Anthony était tellement dévoué à Kyoko qu'elle ne manquait de rien. Plus tard lorsqu'il a disparu avec elle et que John a engagé un détective pour les retrouver, j'étais tétanisée. Je savais que son père s'occupait merveilleusement d'elle, je les devinais terrorisés à l'idée d'être traqués. J'avais l'impression que c'était devenu, pour John, une question d'égo et de pouvoir. Le kidnapping de Kyoko, le procès et tout ce qui a suivi me rendait malade, je ne savais pas comment faire comprendre à John que je pouvais accepter qu'elle soit heureuse sans moi. Même si en vérité, je souffrais affreusement chaque fois que je devais côtoyer un enfant."
Indica l'invite pour une performance de Cut Piece suivit d'une exposition à la galerie. Le petit monde de la Pop est sur le point de connaître un chamboulement auquel il n'était clairement pas préparé. Une scission entre les amateurs de sensations peu conventionnelles et une large frange finalement très conservatrice. Le schisme se produira 2 ans plus tard lorsque Lennon imposera sur le double blanc Revolution N°9 depuis devenu l'oeuvre d'avant garde la plus connu du grand public. Ainsi que la plus vendue. Pour la première et peut être unique fois, un artiste profitait de sa position pour proposer autre chose qu'une oeuvre commerciale. Si Yoko Ono a participé en quoi que ce soit à la séparation des Beatles, ce n'est qu'en laissant Lennon prendre conscience que, malgré Revolver, malgré Strawberry fields forever, malgré A day in the life, son public était resté un public de midinettes. 18 mois après leur rencontre à Indica, leur premier rendez-vous intime en mai 1968 accouche de Two Virgins, un enregistrement dont l'édition sur disque va provoquer une onde de choc. Là où les déclarations de Lennon sur Jesus Christ avait provoqué le courroux des opposants à la contre culture, Two Virgins va lui provoquer la désapprobation dans le camp même des fans. Et cela dès sa désormais iconique pochette.
"John a montré la pochette à Paul, George et Ringo. George et Ringo n'ont pas dit grand chose, mais Paul lui a demandé de ne surtout pas faire ça. Je pense qu'il avait raison, mais c'est ce qui a convaincu John de le faire."
Enregistré en une nuit Unfinished music 1 : Two Virgins entame une série de trois disques dont il est techniquement le plus expérimental. Collage de sons et de voix, de bandes jouées à l'envers, accélérées ou ralenties, fidèle à l'esprit oeuvre inachevée de Fluxus, il propose un matériau malléable à loisir, de même que par son idée il préfigure ce à quoi ressembleront les enregistrements durant les décennies suivantes, assemblages de sons éparses et de samples plus que transcription fidèle d'une oeuvre collective.
Harcelé par la justice anglaise pour une histoire de shit, descendu dans les médias, endeuillé par une fausse couche, le couple traverse les turbulences sous les insultes ouvertement racistes proférées sans complexe. Lennon est profondément choqué par l'accueil réservé par les anglais à celle qui n'a d'autres torts que celui de l'aimer. Ainsi vont les choses en ces temps de fanatisme aveugle, qui là encore préfigure ce que notre époque à de pire à offrir. Unifinished music 2 : Life with the lions paru en mai 69, deux mois après leur mariage, documente et exorcise tout cela. Rien ici n'est fait pour séduire, ni sa pochette, photographiée durant l'hospitalisation de Yoko au recto et à leur sortie du tribunal au verso, et encore moins Cambridge 1969 qui donne à endurer sur toute la première face feedbacks furieux et cris hérétiques captés lors d'une performance live. La seconde face, enregistrée sur cassette dans la chambre d'hôpital, s'ouvre sur No bed for beatle john au long duquel le couple règle ses comptes avec EMI, sur le ton ironique d'une revue de presse, suite au refus de la maison de disques de distribuer Two Virgins. Baby's heartbeat est, comme son nom l'indique, l'enregistrement des battements de cœur du bébé, tandis que Two minutes silence s'apparente à un hommage à celui qui perdra la vie avant de naitre. On le voit, c'est pas la joie. Le disque se conclut sur Radio play, 12mns durant lesquelles Lennon tourne le bouton d'une radio entre deux stations pour illustrer l'incommunicabilité.
En novembre de la même année, le couple sort Wedding Album sous la forme d'un coffret comprenant coupures de presse, crobars, photos du mariage, livret et même une part de gateau. Pour ce qui est du disque, on continu dans le domaine du bizarre avec pour unique morceau de la face 1 John & Yoko, sorte de reprise psychotique, sur fond de battements de cœurs, les leurs, du single satirique de Stan Freberg, John & Marsha, qui connu un beau succès en 1951 en s'inspirant d'un sitcom en vogue. Peut être pour démontrer que vingt ans plus tôt le public avait l'ouverture d'esprit et le second degré qui semble tant manquer à la génération des enfants fleurs, pourtant auto proclamée libérée et tolérante.
Amsterdam occupe toute la seconde face. Enregistré durant le premier bed in, on y entend le couple, alors en lune de miel, répondre à des interviews sur la paix, discuter entre eux, mais aussi chanter et gratter une guitare.
En parallèle Yoko Ono poursuit ses performances, elle distribue une paire de fesses sur papier A4 avec pour instruction de l'afficher dans les toilettes de bars et autres lieux public de préférence mal famés, puis de revenir la photographier toutes les semaines jusqu'à ce que la photo soit entièrement couverte de graffitis ou totalement détruite.
En 1971, lassée que le MOMA de New-York laisse porte close à l'avant-garde, elle annonce qu'elle expose au Museum Of Modern (F)Art. Les visiteurs sont invités à imaginer l'exposition.
Le cinéma occupe aussi une part conséquente de ses réalisations.
"J'étais cinéphile… A l'école préparatoire à Tokyo (à la fin des années 1940), on était censé rentrer directement chez soi après l'école. Mais la plupart d'entre nous allait souvent au cinéma. Nous avions l'habitude de cacher nos badges scolaires et de nous faufiler dans la salle. Il y avait un groupe de filles qui aimaient les films américains et un autre groupe de filles qui se considéraient comme des intellectuelles et allaient voir des films français. J'étais dans le groupe du cinéma français. On allait voir Les Enfants du paradis, ce genre de choses. C'était une période très excitante. J'adorais ces films. Ceux qui se rapprochaient le plus du surréalisme étaient les films de Cocteau, La Belle et la Bête et Orphée. Ces films m'ont vraiment inspirée."
Grapefruit contenait des idées de scénario qui furent parfois concrétisées plus tard, mais les premières traces de Yoko sur pellicule sont une interprétation de Cut piece de 1964 filmée par les frères Maysles et une autre de Wrapping piece, deux ans plus tard, qui la montre recouvrir de toiles blanches la statue du lion de Trafalgar square.
"Le cinéma implique tellement de choses - obtenir une caméra, une table de montage, peu importe. Je n'ai eu accès à rien de tout cela. Donc je n'étais pas du tout dans le cinéma, mais j'avais des images cinématographiques dans la tête. J'ai commencé à me lancer dans une forme de film qui ne se fait pas physiquement, mais juste avec des consignes. Ce qui signifie qu'il pourrait y avoir de nombreuses versions différentes."
"Même si quelqu'un copie l'idée de quelqu'un d'autre, elle sera toujours légèrement déformée, légèrement différente - et cela en soi est intéressant."
Parmi les projets évoqués dans Grapefruit se trouve A walk to the Taj Mahal qu'elle concrétise en 1966 sous forme de film muet montrant en caméra suggestive un homme saoul qui déambule sous une tempête de neige.
"Vous ne voyez pas le gars ivre, mais la caméra suggère qu'il est ivre de la façon dont elle bouge. Il marche et se balance, et finalement la caméra se lève vers le ciel…"
La même année, elle expose Sky TV, une caméra fixe reliée à un téléviseur filme et diffuse une vue du ciel 24h/24.
La même année, elle expose Sky TV, une caméra fixe reliée à un téléviseur filme et diffuse une vue du ciel 24h/24.
A partir de 1968, John Lennon remplace Anthony Cox dans la vie de Yoko, mais aussi comme collaborateur de ses réalisations. Ensemble, ils vont finaliser plusieurs idées plus ou moins cinématographiques, mais invariablement perchées. La première à prendre forme est Smile, soit le visage souriant de Lennon filmé durant 3minutes puis ralenti jusqu'à atteindre 52 minutes de projection.
"L'effet recherché était de projeter sur un mur une photo de son visage qui se modifie lentement jusqu'à afficher un sourire."
Two Virgins donne à voir une superposition de leurs visages sur fond de ciel (une idée que Yoko réutilisera pour la pochette de Imagine) et se termine sur un long baiser, tandis que Self portrait filme la bite de Lennon durant 42mns. Bien meilleur est Rape filmé à Londres pour le compte de la télévision autrichienne. Réalisé par Nic Knowland sur des instructions de Yoko, le film couleurs de 77mns (dispo sur youtube) montre une jeune fille harcelée par une caméra se faisant plus menaçante au fil des minutes. D'abord intriguée et amusée, puis un instant complice, avant de progressivement sombrer dans un agacement paranoïaque lorsque la caméra la suit puis l'accule chez elle au bord de la crise de nerfs. Outre son sujet d'anticipation sur l'omniprésence des médias jusque dans la sphère intime et les modifications de comportement que cela engendre, les mouvements de caméra, ainsi que son caractère hyper réaliste, fond de Rape une sorte de précédent à Blair witch.
"La fille du film ne savait pas ce qui se passait. Seule sa sœur était dans le coup, alors quand elle l'appelle au téléphone, sa sœur se moque d'elle et la fille ne comprend pas pourquoi elle ne la prend pas au séreux. Nic Knowland a fait le tournage alors que j'étais hospitalisée, en regardant les rushs je n'arrêtais pas de le pousser à aller plus loin. Il a vraiment fallu que je le pousse dans ses retranchements comme sa caméra l'a ensuite fait à cette fille."
"J'avais élaboré cette idée avant que John et moi ne soyons ensemble. C'est intéressant parce que d'une certaine manière, les Beatles étaient dans cette position et John était évidemment dans cette position, constamment suivi par des caméras. C'est aussi ce qui arrive au Biafra et ailleurs lorsque nos journaux télé viennent filmer leur misère et leurs agonies de façon totalement intrusive."
Parmi les autres films qui font sens, Freedom montre 2mns de Yoko luttant avec acharnement pour arracher son soutien-gorge, symbolisant ainsi la difficulté des femmes à se libérer des carcans. Les mains tordues et rougies par l'effort, le film s'achève sans qu'elle y parvienne.
Souvent confondu avec Bottoms de 1967 qui filme des fesses en guise de message pacifiste, illustrant de façon soft le principe qui veut que chacun d'entre nous est identique dans sa prime activité matinale, Up your legs forever de 1970 filme lui des jambes indifféremment célèbres ou inconnues, depuis les pieds jusqu'en haut des cuisses.
Comme Up your legs forever, Fly, surement le plus connu des films de Yoko Ono, a été réalisé pour être projeté en 1971 à la librairie du cinéma de Jonas Mekas dont le projet était de rendre visibles, et d'archiver, les nombreux films réalisés en dehors de tout circuit commercial de distribution. Membre de Fluxus et proche collaborateur, dès les années 50, de Yoko Ono, George Macunias, Andy Warhol, Dali ou Allen Ginsberg, Jonas Mekas fut arrêté pour obscénité en 1964 après avoir projeté The flaming creatures de Jack Smith, donnant à voir le wild side des drag queen. Trainé devant les tribunaux, Mekas diffuse Un chant d'amour de Jean Genet au cours d'une soirée organisée pour réunir de quoi payer les frais de procédure. Avec pour résultat d'être à nouveau arrêté et poursuivit en raison du caractère homosexuel du film ! Bien des choses qui nous semblent indéfectiblement acquises ne l'ont été que par la persévérance des uns, soutenus par le courage des autres. Et une bonne dose d'inconscience, aussi.
Si Fly ne valut d'arrestation à personne, il n'en demeure pas moins le plus équivoque des films de Yoko. Une mouche parcourt le corps nu d'une femme allongée et immobile filmée du gros plan au plan large sous différents angles.
"La grande difficulté du tournage était l'incompétence de sa star, la mouche. Nous avons du en utiliser une centaine afin d'obtenir qu'elles aillent là où on voulait qu'elles aillent et surtout qu'elles y restent sans s'envoler."
En parallèle à son activité cinématographique, Yoko imagine le concept d'un groupe dont les membres seraient des instruments et non des musiciens, avant que l'idée ne prenne la forme, sous l'influence de Lennon, du Plastic Ono Band, formation aux membres interchangeables (ce qui deviendra finalement le cas de la plupart des groupes tel que nous les connaissons aujourd'hui).
Alors que Nixon joue la surenchère en intensifiant la conscription pour le Vietnam, le couple profite de la médiatisation de sa lune de miel pour organiser au printemps 1969 à Amsterdam un happening qui aura un retentissement international, avant de se muer en icone de la rock culture. Le Bed in les voit accueillir les journalistes du monde entier dans leur chambre d'hotel pour des après midi de discussions, d'interviews, de chant aussi, dans l'unique but de promouvoir la paix. Après une semaine à Amsterdam, le Bed in se déplace à Montréal où sera enregistré le 1er juin 1969 live dans une chambre d'hotel le single Give peace a chance/Remember love, premier d'une série à comporter un titre de Yoko Ono en face B.
Quelques mois plus tard, le 15 décembre, ils donnent à Londres un concert au bénéfice de l'unicef au cours duquel ils lancent une nouvelle campagne pour la paix. Le slogan War is over (if you want it) est placardé dans onze métropoles et un grand nombre de journaux et magazines. Il sera réactivé deux ans plus tard avec la sortie du single Happy Xmas (war is over).
En décembre 1970, Yoko Ono/Plastic Ono Band, premier album entièrement conceptualisé par Yoko, parait simultanément à celui de John, sous pochettes jumelles. Son origine provient quasi intégralement d'une furieuse jam d'une heure et demi, réunissant Yoko, John, Ringo Starr et Klaus Voormann, enregistrée par Phil Spector durant la session du 10 octobre 1970. Des années avant l'apparition des samplers et de Pro Tool, Yoko découpe les bandes, les accélère, fait des boucles avec les sons, ajoute des effets. Un travail de création dont on peut mieux mesurer l'étendu depuis l'édition en 2021 de la jam dans son intégralité virginale sur le coffret consacré au Plastic Ono Band. Totalement survolé par les cris et modulations de Yoko, le disque est d'une énergie inouïe, qu'elle explose littéralement comme sur Why ou qu'elle prenne la forme d'une transe sur le sublime Greenfield morning I pushed an empty baby carriage all over the city sur lequel Yoko a ajouté une boucle de sitar créée à partir d'un enregistrement de George Harrison.
"J'ai ajouté tellement de sons et mis tellement d'effets sur Greenfield que je pourrais écrire un livre sur le sujet."
Aux enregistrements de la jam session, elle ajoute AOS capté live pendant la répétition de son concert avec Ornette Coleman.
"Ornette était déjà un gars très, très célèbre et respecté en tant que musicien quand je l'ai rencontré à Paris. Je faisais un happening et quelqu'un a dit, Oh, Ornette Coleman est là et il aimerait te voir– d'accord. Je disais eh bien, bonjour. Merci d'être venu. Ce genre de choses embarrassantes. Et il répondait, eh bien, ok, c'est super. Puis il a dit qu'il allait aller faire un concert à Londres et m'a invitée à le faire avec lui."
Révolutionnaire et révolté, bien qu'inévitablement méprisé, l'aura de cet album qui ne ressemble à aucun traverse le temps sans rien perdre de son éclat. Il demeure un de ces rares instants de liberté absolue durant lesquels toutes considérations autre que l'expression sous sa forme la plus crue, instinctive et sincère sont exclues. Yoko Ono délivre sans crainte des jugements une performance ahurissante.
Ahurissante, elle le sera à nouveau sur Fly, double album enregistré en parallèle à Imagine. Fly est l'album le plus significatif de l'esprit Fluxus, ainsi que celui qui montre Yoko s'investir dans un univers musical plus traditionnellement rock (Midsummer in New York) moins déroutant pour l'auditeur lambda que son travail sur Plastic Ono Band. Et si Mrs Lennon, splendide ballade largement pillée par Alex Chilton pour Holocaust, n'est jamais citée parmi les plus beaux classiques du répertoire rock, ce n'est jamais que par ignorance crasse. Le funky Mind train rappelle l'atmosphère de jam du précédent opus, Hirake/Open your box et Don't worry kyoko décapsulent les cerveaux, tandis que Air male, Don't count the waves et You (plus The path et Head play sur l'édition cd) sont basés sur les sonorités autonomes, répétitives et aléatoires produites par les automates musicaux mis au point par le très Fluxus Joe Jones du Tone Deaf Music Store.
Si pour les novices Fly n'est pas le plus facile des albums de Yoko Ono, il est aussi le plus novateur, celui dont le rayonnement influencera le plus concrètement la musique électronique. Ok, le morceau titre, qui sert aussi d'illustration sonore au film du même nom, est une épreuve difficilement supportable, 23mns de Yoko imitant une mouche ça peut déglinguer jusqu'au plus impassible des bouddhistes, mais à cette exception près, le double album est un des disques les plus passionnants qui soient, pour qui aime être propulsé dans les sphères de l'étrange. Pour l'anecdote, ceux qui ont connu le téléphone filaire seront heureux d'apprendre que les pressages du disque utilisent pour Telephone piece la sonnerie propre à leur région du monde.
Débarqués à New York, le couple rencontre David Peel dans une rue de Manhattan. Cinglé local ou journaliste du quotidien, c'est selon, David Peel ne se produit et n'enregistre que dans la rue où il interprète des chansons satiriques inspirées par l'actualité la moins reluisante. Immédiatement séduit, le couple l'invite au David Frost show, puis "produit" sur Apple son album The pope smokes dope ainsi que le single Amerika, un brulot enregistré en duo avec Yoko Ono qui mêle appel à l'insurrection et génocide indien, dont on trouve une version longue de 9mns sur l'album John Lennon for president. La rencontre avec David Peel sert de point de départ à Some Time in New York City qui utilise un ton, et un visuel, journalistique pour dénoncer les conditions d'emprisonnements (Attica state), l'oppression sociétale (Born in a prison), la maltraitance des femmes (Woman is the nigger of the world), des opposants politiques (Angela, John Sinclair) et des irlandais (The luck of the irish, Sunday bloody sunday). Un des temps forts de l'album, Sisters O sisters, exhorte les femmes à bâtir un monde nouveau basé sur la sagesse, la liberté et l'écologie. Le très rock New York city commente mi amusé, mi acide, la fâcheuse habitude qu'ont les institutions de se mêler du quotidien de chacun. La loi pour les uns, la morale pour les autres, la censure pour tous.
La notoriété de David Peel ne dépassera jamais l'underground new-yorkais, mais son influence méconnue sur Joey Ramone (qui lui emprunte plus que son timbre de voix) ou GG Allin (qu'il découvre et publie sur son label) ne sont que quelques exemples d'une démarche à laquelle le punk doit plus qu'il ne le saura jamais.
L'échec commercial sans appel de Some Time in New York City exacerbe les tensions au sein du couple déjà mis sous pression par l'administration Nixon. Si Yoko Ono évolue dans l'underground comme un poisson dans l'eau, l'égo de son mari souffre du manque de reconnaissance et s'accommode mal des chiffres de vente en berne. Tandis qu'elle signe avec Approximately infinite universe son plus bel album, doublé d'un manifeste pour un féminisme différent, Lennon titube et s'égare jusqu'à leur inévitable séparation.
Les années qui vont suivre Approximately Infinite Universe Yoko Ono, seule ou à nouveau avec Lennon pour l'injustement mésestimé Double fantasy, va s'orienter vers des compositions plus proches des standards du rock dont Season Of Glass en 1981 sera un autre acmé créatif. Après l'échec de sa tournée mondiale Starpeace de 1986, annulée en grande partie faute de locations, elle s'éloigne du monde de la musique.
"Ce fut une déception, mais il était clair que je n'intéressais pas le public."
"John s'est beaucoup impliqué pour ma reconnaissance, mais il se confrontait à deux problèmes majeurs. Le premier c'est que personne ne voulait entendre parler de moi. Le second c'est que j'étais très fière en tant qu'artiste. Il voulait interpréter certaines de mes chansons, mais je refusais parce que les gens auraient cru que ce sont les siennes. Il voulait que je fasse des photos avec le bon éclairage, le bon maquillage, les jolis tenues. Je suis féministe, je lui disais que je n'avais pas à faire ça. Il y allait sur la pointe des pieds chaque fois qu'il abordait cette question. Avec le recul, une part de moi s'en veut de ne pas lui avoir fait ce plaisir, ça lui tenait tellement à cœur que j'aurais pu être moins exigeante."
Yoko reprend alors le chemin des galeries, multiplie happenings et expositions. Le travail de la japonaise détestée de tous est dorénavant reconnu comme une valeur sûre de l'avant garde et nombreux sont ceux que son parcours interroge. En effet miroir, le label Ryko réévalue sa musique et commercialise le coffret OnoBox en 1992 pour lequel elle remixe une partie de son oeuvre et déterre des raretés trop longtemps égarées sur d'anciennes face B de singles, ainsi qu'un album entier (A story) resté jusque là inédit. Distribué en France par Harmonia Mundi, le coffret trouve son public et Ryko édite l'ensemble de ses albums pour la première fois en cd. Parallèlement à cet inattendu regain d'intérêt les Pet Shop Boys remixent le sublime Walking on thin ice, et le single se retrouve N°1 des charts Dance ! Voila Yoko Ono devenue reine de la techno, icone du milieu homosexuel qui se reconnait dans ses messages de diversités et tolérance, une fois encore elle se retrouve figure de proue, préfigurant de vingt ans le mouvement LGBT. Les DJ's s'arrachent ses morceaux et les remixent à qui mieux mieux, il s'ensuit une palanquée de maxi 45tours qui investissent le haut des charts américains et anglais avant de se voir compilés sur les cd Open your box et Onomix.
"J'ai pour la première fois eu la sensation d'avoir à faire à des gens qui ont compris ma musique. Qu'il soit ainsi réinventé, remodelé à l'infini, est l'essence même de mon travail. Je n'impose aucune forme définitive, tout ce que je fais est inachevé et livré à ce que d'autres voudront lui ajouter ou retirer"
En 1995, c'est son fils Sean Lennon qui la décide à enregistrer le monumental Rising sur lequel figure l'une de ses plus belles interprétations, Kurushi, indescriptible chanson évoquant la lente agonie d'une enfant irradiée à Hiroshima. Les ventes sont confidentielles, qu'importe, soutenue par Sean elle reprend les concerts en se faisant accompagner par des membres des Melvins, de Ween et Porno For Pyros. En 2001 elle récidive avec Blueprint For A Sunrise, peut être son album le plus indispensable.
"J'avais conscience que l'on me prenait pour folle de vouloir parler de St Pétersbourg et du Japon de la seconde guerre mondiale sur mon disque, mais créer est primordial pour ma santé émotionnelle et physique et c'est l'inspiration que j'avais. Alors je me suis dit que je devais le faire, même s'il y avait de fortes chances que je passe pour une vieille paranoïaque. Et c'est ce qui est arrivé."
Depuis, Yoko Ono a enregistré plusieurs disques, tous essentiels, que j'ai déjà chroniqué ici même. Le plus récent, Warzone, nous livre sa voix captée sans effet, en 2019 à l'âge de 85 ans, avec un accompagnement dépouillé, incorporant des chants d'animaux, et donne à entendre toute la sensibilité du grain déposé par une vie chargée en émotions fortes.
Au fil des années 2000, ses collaborations avec Iggy Pop, RZA, Anohni, Moby, Ween ou Sonic Youth lui ont conféré la reconnaissance de la scène musicale. Un élégant album tribute est sorti en début d'année, Ocean Child, sur lequel l'intelligentsia rock joue des épaules, David Byrne, Yo La Tengo, Flaming Lips, Death Cab for Cutie...sans réussir à combler son absence. Ses oeuvres sont exposées à travers le monde, l'auditorium de l'université de Liverpool porte son nom, chaque année du 9 octobre au 8 décembre sa Imagine Peace Tower commémore depuis l'Islande le souvenir de son homme et illumine le ciel de la plus belle des utopies, celle d'un monde en paix.
"Nous sommes une espèce pacifiste dans son immense majorité, pourtant ce sont les guerres et les tueurs en séries qui font la une des médias, cela nous affecte dans notre façon de penser, d'agir et inconsciemment dans la façon dont nous décidons de mener notre vie. Nous percevons la réalité à travers le prisme des propagandes"
En 1992, elle crée Endangered Species à Berlin, une oeuvre de 22 pièces, l'année suivante elle publie Acorn un second livre d'instructions dans l'esprit de Grapefruit et participe avec une inventive version de Georgia stone à A Chance operation, un album en hommage à John Cage. En 1994, elle crée une comédie musicale à Broadway. En 2009 la Biennale de Venise lui décerne un Lion d'Or pour l'ensemble de sa carrière. A quelques mois de là, elle donne un sidérant concert au Ornette Coleman's Meltdown Festival à Londres, durant lequel elle délivre une époustouflante version de Kurushi avant d'être rejointe par Antony Hegarty, depuis devenue Anohni, pour offrir au public un de ces moments d'émotions qui donnent foi en la musique en interprétant Toy boat , Moving mountains et I'm going away smiling. L'impact est tel que la direction du festival l'invite à revenir en 2013 et lui donne carte blanche pour la programmation.
La même année 2013, elle fête ses 80 ans avec une rétrospective à Francfort qui expose plus de 200 de ses travaux et donne un concert à Berlin. En 2014, elle est à l'affiche de Glastonbury avec Yo La Tengo en backing band. Elle prête sa voix et son nom en 2018 à un personnage de L'île des chiens, le film d'animation de Wes Anderson. Ses disques ont été une nouvelle fois réédités et sa musique est disponible sur les plateformes de streaming.
Dans les médias son nom n'est plus systématiquement associé à celui de John Lennon.
Une flopée de livres sont parus pour étancher une soudaine soif de découverte. Parmi les plus complets Lumières de l'aube édité lors de son exposition lyonnaise et Yes Yoko (en anglais uniquement, mais gratifié d'un cd inédit).
Il semble que son oeuvre ait enfin trouvé son temps.
Hugo Spanky
je ne connais pas tout de ce blog, d'habitude il y a un sacré travail de recherche toujours au service d'une forte personnalité. Mais cette fois.... Tu t'es surpassé, je sais que le sujet te tient. Après avoir tout lu je me suis retrouvé comme d'habitude dans une envie de m'y mettre. Maintenant. mais voilà, pas le bon endroit. Bientôt possible, je me suis mis une alerte pour attaquer la semaine prochaine, un peu comme pour le Carla Bley, j'en prendrai un..album avec la volonté de le chroniquer mais sans me faire du mal. C'est que il y a de quoi éviter de s'y mettre. FLUXUS je connais peu, mon fils qui a fait une fac, touchant au domaine du cinéma (il est dans l'informatique maintenant, comme son papa, mais je m'égare) m'en a dit tout le mal qu'il en pensait, il a été convaincant. Ta description colle avec les parties objectives de ses commentaires.
RépondreSupprimerJ'hésitais à écrire ma pensée confuse concernant ce type de mouvement, si "type" est le bon terme.
Non, en échange je propose te parler de Peter Greenaway, lui aussi à initié un mouvement cinématographique, "Meurtre dans un jardin anglais" a cette faculté d'être regardé comme un film curieux, peut-être pas tout public, mais pas loin. Pour ensuite avoir l'envie non pas de fuir mais de creuser, et du coup c'est une démarche payante. La preuve ce ""Meurtre dans un jardin anglais" de Peter Greenaway - Catherine Millet" https://www.dailymotion.com/video/xmi2o9 une conférence passionnante et éclairante sur le film, j'en suis sorti plus intelligent? Plus sensible? En tout cas, voilà ma participation à ton papier sacrément fourni.
Hop, je me relis pas, tant pis pour les approximations
L'intérêt de Fluxus, comme de Meurtre dans un jardin anglais, c'est qu'on les aime ou les rejette en fonction de notre sensibilité. Et quand une oeuvre touche la sensibilité, alors elle a atteint son but. C'est la différence avec le consommable qui est étudié pour séduire le plus grand nombre sans qu'il n'en reste rien par la suite (manière de pouvoir recommencer aussi sec)).
SupprimerJ'aime les images prises sur le vif des films de Jonas Mekas, The sixties quartet se contente d'aligner des instants d'ennui ou d'excitation de personnes que l'on nous présente toujours sous l'angle de rockstars flamboyantes, c'est sain de les voir dans leur humanité. C'est ce qui m'a motivé à faire ce blog à l'origine, tenter de parler d'eux comme de simples humains et non comme les demi dieux que la presse nous vendait.
J'ai essayé d'être "complet" sans être (trop) barbant avec ce papier, mais je ne vois finalement que ce que j'ai omis d'y mettre, comme par exemple le fait que la première apparition de Yoko Ono sur pellicule (Cut piece) a été filmée par les frères Maysles qui ont ensuite poursuivi avec Gimme shelter qui documente le festival d'Altamont et le dément Grey Gardens qu'il faut absolument avoir vu.
Fluxus était plus une sorte de réseau qu'un mouvement à proprement dit, il permettait de faire circuler des oeuvres auxquelles l'establishment ne laissait aucune place. Il a notamment introduit l'avant garde japonaise dans le milieu underground américain (et vice versa). L'idée générale étant que la paix viendrait de la communication.
Je ne sais pas si écouter un disque de Yoko Ono à de l'intérêt, je veux dire c'est comme Carla Bley, John Cage ou Wagner, si l'écoute n'est pas motivée par une volonté de disponibilité, on reste dans la superficialité. Et la superficialité, c'est pas Fluxus du tout )))
J'ai ajouté les frères Maysles, mais j'ai pas évoqué la création de Nutopia, bordel, vous aurez droit à d'autres papier sur Yoko à l'avenir.
SupprimerDésolé ))))
Je sais me mettre déjà dans un état de concentration ne serait ce que pour identifier le bon état d'écoute pour une prochaine fois. De base les oreilles fraîches du matin pour le non familier, le tout c'est d'y avoir été encouragé par un enthousiaste. A l'opposé tard le soir etc. (un vrai sujet même si chacun son expérience).. mais pour Yoko, en relisant mon commentaire sur "Approximately Infinite Universe" si c'est en + moi l'enthousiaste, je vais m'y remettre.
RépondreSupprimerJe me rends comte qu’il y a un paquet d’artistes sur lesquels j’ai plus lu qu’apprécié les œuvres.
RépondreSupprimerEncore faut-ils qu’ils soient intéressants, les artistes ou les écrits, comme d’hab pas de surprise en venant faire ses courses ici.
Yoko ouais bien sûr, c’est juste que j’ai l’impression que mon canal auditif lui est allergique. La narration de Isle Of Dogs mise à part bien sûr.
Ses créations cinématographiques, bah je suis pas un grand spécialiste, j’ai tenté deux-trois trucs mais j'ai du mal … à part Isle Of Dogs bien sûr.
Enfin, y a bien cette vidéo live où elle casse les oreilles et tout le reste à Chuck Berry si mes souvenirs sont bons, d'une pierre deux coups ...
Yoko visionnaire et engagée, même moi j'en avais une vague idée, rien à ajouter, tout est écrit ici.
Thanxx Hugo pour ce bon moment, de silence certes pour moi, mais si j’ai bien lu le silence n’est pas toujours ce qu’on croit.
Le silence est même ce qui manque le plus à la musique actuelle.
SupprimerAh oui, Chuck. Il méritait bien qu'une femme le fasse souffrir avec toutes les casseroles qu'il se trainait )))
SupprimerCeci dit, elle m'éclate Yoko quand elle y va plein pot, son album Fly est terrible pour ça et j'ai des bootlegs de concerts bien hallucinants. J'aime quand ça déborde du cadre, des morceaux comme I'm dying, Rising ou Kurushi ont un feeling unique. Le seul ennui, c'est qu'après ça tout semble fade.
Suis bien d'accord, pour le silence.
SupprimerAinsi que pour la fadeur, y en a deux-trois qui m'inspirent la même chose.