vendredi 1 mars 2019

UfO, RoDéO DaNS L'eSPaCe



Tout le monde s'en fout, tout le monde s'en foutait déjà à l'époque où il aurait été important de s'y intéresser, pourtant UFO est un groupe essentiel. Une de ces formations cantonnées à la série B, toujours à deux doigts de décrocher la timbale, d'obtenir LE hit qui fait succomber les States, mais qui, comme Thin Lizzy, ne se hissera jamais au sommet. Faute de discipline, de sobriété et de démagogie. Hé, attendez un instant, ça ne serait pas l'essence même du Rock'n'Roll ?
Voyons les choses autrement, les gars d'UFO étaient tapageurs, casque à boulons patentés, ils se torchaient tellement la tronche qu'ils déblatéraient n'importe quoi aux journaleux avant de les virer manu-militari des coulisses de leurs shows. Les UFO n'avaient pas d'amis. Ou plutôt si, ils étaient potes avec ceux qu'il valait mieux éviter, Johnny Thunders, Motörhead, Thin Lizzy, Pink Fairies. La bande à born to lose. UFO ne pouvait pas réussir le crossover qui fait les milliardaires, ils étaient trop vivants pour ça, pas assez cadenassés, je ne suis même pas certain qu'ils aient eu un manager digne de ce nom. 

A la mutation des 60's, ils pilotent à l'aveugle dans le même espace lysergique que Hawkwind et une poignée d'autres fréquemment localisés outre-Rhin. Sur disque comme sur scène UFO fait côtoyer Eddie Cochran et Space Rock, le cocktail est audacieux. Trop bourrins pour le Progressif, trop planants pour les heavy metalleux, le groupe manque cruellement d'une diva, d'un guitar hero qui simplifie la donne en tirant la couverture à lui. Un Jimmy Page, un Ritchie Blackmore, un mégalo qui tape sa frime sur son manche autant qu'il se pavane sur le devant de la scène. Faute de quoi UFO n'attire que des soulards en quête de défouloir, des Acidfreaks rétamés qui se foutent sur la gueule en faisant marrer les deux leaders du groupe, Pete Way et Phil Mogg, respectivement bassiste et chanteur, parfaitement représentatifs de leur public le premier est un alcoolique chevronné tandis que le second s'illustre aux championnats de boxe de Londres. La perle rare, ils vont la décrocher en Allemagne, seul pays à leur faire un triomphe avec le Japon, dans l'entourage de leur pote Conny Plank, le producteur visionnaire qui met au monde les premiers albums de Kraftwerk, NEU!, Cluster, et grosso merdo tout ce que le Krautrock compte de valable (et le premier album des Rita Mitsouko, c'est lui aussi).



Conny Plank vient alors de tenter de dégrossir Scorpions, un groupe encore plus embourbé dans les inconciliables que ne l'est UFO,  l'album de leur collaboration Lonesome Crow ne convainc pas le public et Michael Schenker, de nature impatiente, plaque son grand frère Rudolf et grimpe dans l'ovni en direction de Londres. Et la lumière fut. Michael Schenker est un original, un talent unique, son jeu mélodique deviendra la définition du succès pour des dizaines de groupes de Hard Rock qui se forment dans le sillage de ses premières apparitions sur les scènes anglaises. La fameuse New Wave Of British Heavy Metal lui doit tout ou presque. Son propre frère recrutera un clone docile, Matthias Jabs, et rackettera dès lors les charts mondiaux en déclinant une version aux griffes manucurées d'UFO.

Avec Michael Schenker, beau, blond, timide, le groupe attire enfin les filles à ses concerts, le gosse est la parfaite incarnation de ce dont le Rock européen est privé en ces instants d'exil des rockstars vers les cieux bleus de Californie. Glitter cool, pattes d'eph, khôl aux yeux, Flying V entre les cuisses, torse glabre qu'il affiche nu sur scène, Michael Schenker ringardise les gilets afghans de Robert Plant et Roger Daltrey, qui soudain paraissent avoir cent ans.
Mieux encore, le guitariste canalise les excès musicaux et rend d'une tranchante efficacité des boogies comme Doctor doctor ou Rock bottom. A partir de Phenomenon en 1974, jusqu'à Obsession en 1978, chaque album du groupe sera meilleur que le précédent, plus subtil, plus varié, mieux produit et chacun contenant son lot de classiques du Hard Rock (Love lost love, Too hot to handle, Only you can rock me), de reprises bien senties (Alone again or) en même temps que la mise en place de la formule magique qui fera triompher le genre à travers le vaste monde, celle de la Ballade qui brise les cœurs de cuir (Try me). Une recette que Scorpions aura vite fait de transformer en escalier pour le paradis des dollars, faisant pleurer des stades entiers tandis qu'UFO sera retourné à la routine des arcades sourcilières fracturées, des salles empestées de tabac froid.

Leur diva, les gars d'UFO n'en auront pour ainsi dire rien eu à foutre, pour eux le gamin Schenker n'est qu'un casse couilles qui non seulement leur pique les plus belles nanas, mais en plus a des exigences. Phil Mogg, en bon hooligan qu'il est, ne va pas s'en laisser compter et tabasse à tour de bras son précieux sésame pour la gloire. Peter Frampton ne l'en remerciera jamais assez. Les gnons volent dans les loges, sous les railleries alcoolisés du reste de la troupe. Les tournées se multiplient, interminables tunnels durant lesquels les formations sillonnent l'Amérique dans l'espoir de devenir le prochain Led Zeppelin. La concurrence est féroce, aucun faux pas n'est toléré.

UFO rate le côche lorsque Lights Out déboule dans le Top 30 du Billboard durant l'année 77. Le groupe a le vent en poupe, de la poudre plein le nez, et les nerfs à fleur de peau. Un énième uppercut décide Michael Schenker à claquer la porte en pleine tournée américaine, malaise, Paul Chapman le remplace au pied levé, rien n'y fait, les filles hurlent le prénom de l'éphèbe teuton. Michael Schenker est réintégré, Phil Mogg fait des promesses, le reste du groupe ricane. L'affaire vire au chaos lorsqu'en plein concert, au moment de jouer ses solos, le guitariste tend sa Flying V au chanteur, avant de tourner les talons et d'abandonner le groupe face à une salle surexcitée. Les annulations succèdent aux émeutes, la routine est dévastatrice. Ils ne le savent pas encore, mais ils viennent de cramer leur meilleure occasion.



L'année suivante c'est la douche froide, Obsession, enregistré en grande pompe à Los Angeles peine à se vendre. La distribution de gifles reprend de plus belle, et lorsque parait Strangers In The Night leur double live capté à Chicago, Michael Schenker a rejoint Scorpions. Paul Chapman le remplace définitivement. UFO continuera à sortir de bons disques, Pete Way et Phil Mogg sont des compositeurs trop doués pour qu'il en aille autrement, aucun ne connaitra le succès en dehors de l'Angleterre. A l'orée des années 80, alors que le Hard Rock sous la forme qu'ils ont défini fait un carton, remplit les salles et garnit les playlists de MTV, UFO tape le bœuf au Marquee avec Johnny Thunders, Phil Lynott et Hanoï Rocks.  
Déjà alcoolique Pete Way s'esquinte dans la dope, contrairement à son vieux pote de Thin Lizzy, il n'y laisse pas sa peau, seulement sa carrière. Aujourd'hui encore, il survit entre cirrhose, ablation, coma et AVC.  Phil Mogg, devenu sosie de Vladimir Poutine, vient d'annoncer sa retraite à 70 balais, après 50 ans de folies au service de la bonne musique. Il semble encore suffisamment en forme pour plomber n'importe quelle mâchoire. 


Michael Schenker a depuis son départ du groupe à peu près tout connu, win et lose. Star au Japon avec son MSG, il perce brièvement aux States au temps des décollements de racines du Hard Sunset strip. Camé, pochtron, colérique et mégalo, il lui manquera quelques crochets de Phil Mogg pour garder la tête froide et se maintenir au sommet. Malgré tout son talent, il vit dorénavant de formations éphémères, de super groupe tape à l’œil, association de noms aperçus au dos des pochettes des plus légendaires disques de Hard Rock, aujourd'hui amalgamés pour remplir les clubs européens, les festivals nostalgiques.

Phenomenon, Force It, No Heavy Petting, Lights Out, Obsession, Strangers In The Night, ils ne sont pas si nombreux que ça, les groupes à pouvoir se vanter d'autant d'albums indispensables pour qui veut comprendre les 70's anglaises autrement que par les prismes pré-chiés du Glam, du Punk, du Progressif ou du Pub-Rock. Les mecs d'UFO, ceux de Thin Lizzy, marchaient à l'ombre des mouvements, se contrefoutaient de l'air du temps, des coupes de cheveux à la mode, des sapes de Kings Road, chacun d'eux avait trop de personnalité pour enfiler des panoplies. 'Cause it's the natural thing you feel at the start, Natural blood starts to flow... Putain, ce que c'était bon.

Hugo Spanky


9 commentaires:

  1. Alors que ce matin j'écoutais précisément Phenomenon voilà-t-y pas que je vois que tu viens de consacrer un papier à UFO; ça ne pouvait pas mieux tomber !
    C'est grâce à toi qu'il y a déjà sept ans j'ai découvert ce groupe et, depuis lors, je ne me lasse jamais d'écouter les albums que tu cites; aussi essentiel que Thin Lizzy, Whitesnake ou encore Journey ces bonhommes au tempérament ardent méritent largement ce bel hommage et d'être redécouvert à leur juste mesure.

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    1. UFO une fois que tu as amorcé la pompe, c'est impossible de ne pas les aimer. Les chansons sont tout simplement trop bonnes. Comme Phil Lynott, la paire Phil Mogg/Pete Way a toujours impeccablement fonctionné pour composer de véritables mélodies, qu'ils savaient en plus agrémenter d'arrangements surprenants, sans avoir peur de sortir les violons. Sur The wild, the willing and the innocent, il y a ce Lonely heart sur la face B avec son intro à la Backstreet et son solo de sax, on sent bien où ils ont pêché ça et pourtant au final c'est un pur morceau d'UFO. Et comme un peu plus loin il y a Profession of violence et que la face A est parfaite, ça fait d'un album mineur, un indispensable de plus.
      Phenomenon et Force It, c'est par ceux là que j'avais découvert le groupe, ils ont un feeling unique ces disques, un truc indéfinissable qui les fait ressembler à aucun autre. Ça plombe jamais, ils sont toujours dans la fluidité, la guitare n'écrase pas le reste. Ils ont toujours eu un petit côté vieillots et en même temps ils ne vieillissent pas. C'est toute la magie de cette musique.

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    2. En y réfléchissant bien, en fait c'est Flying que j'ai connu en premier, chez un vieux hippie qui avait une collection de dingue. J'avais complétement craqué sur Prince Kajuku, terrible ce morceau. Et du coup sitôt que j'ai croisé les deux autres albums, bim, dans le sac. Je suis aussi rapidement devenu dingo du morceau Anyday (sur No place to run) et sa démentielle partie de basse. Encore une superbe idée d'arrangement.

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  2. Je vais revenir, mais j'attends ma copine et du coup je me replonge dans celui que j'avais aimé de suite FORCE IT. Marrant c'est la voix du chanteur qui m'avait de suite accroché, FREE BAD COMPANY un rock que j'aimais bien, mais effectivement, bien plus varié que BAD CO, mais eux avaient su avoir le sticker sur le vinyle "N° 1 AUX USA" l'enfer à décoller. Donc je m'en va suivre tes judicieux conseils A+

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    1. Bad Co a carrément fait toute sa carrière aux States, ils cartonnaient bien plus là bas qu'en Europe, mais il faut aussi dire que leur musique était franchement américaine.
      C'était une époque passionnante à ce niveau là, la conquête de l’Amérique était la condition sine qua non pour qu'un groupe puisse vivre confortablement de son statut de rockstar et les seules solutions pour y parvenir était un hit radio et bouffer de la route 10 mois par an en sacrifiant le public européen. Pas mal de groupes se sont embrouillés dans l'application de cette équation à base de grand écart. The Clash notamment en firent les frais. It's a long way to the top comme disait l'autre.
      Depuis il y a internet et les rockstar n'existent plus, comme quoi finalement rien n'est jamais simple.

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  3. Passionnant.
    Comme tu le dis bien, UFO a pondu de bons disques et mêmes d'excellents disques. Manquait juste la petite étincelle pour mettre la fusée en orbite

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  4. QUand je disais avoir changé d'avis sur UFO, alors qu'avant j'en avais pas, c'est exactement ça. Anecdote pour rebondir sur ton papier qui fait que UFO a pris maintenant sa place, en retard pour évoquer des souvenirs d'adolescence, tant pis.
    N'empêche, par exemple, Samedi pourri pour moi, devait voir mon amie, deux semaines sans vraiment se voir, la valise est encore au sol, mais voilà, terrassée par une grippe - une vraie je le crains - je suis cet après-midi comme un con à me demander si je vais me servir un verre de rouge algérien.
    Frustration qui pourrait bien être servi par un bon Jam, époque bien nerveuse où le bras et la main s'agitaient ensemble (le contraire, hein!) y'avait plus qu'à metre un marteau et je te plantais des kilomètres de clous.
    OU?
    Ou je me suis mis à fond - pas pris de risque - FORCE IT et je tourne en rond dans mon salon - toujours pas pris de verre - et c'est bien bon, ça rage, ça schnitte, à faire du air guitare comme un couillon, à se fabriquer des faux souvenirs de gosse. J'ai déjà dit que la voix fait beaucoup, toujours difficile pour moi les Hardeux aux envolées criardes, mais là c'est du bon rauque alcoolisé à la qualité. "This Kid's, Between The Walls" p'tain le riff, ils ont osé, ça faisait bien longtemps .. ha mais quoi, une douceur? Un orgue Mellotron? Pis un solo pas possible.
    Bon, c'est décidé, après ça sera STRANGERS - que Franck me pardonne - et un verre y'a pas à tortiller. UFO ce qu'ul faut (bof bof).
    Un samedi à l'eau (ha ha)?? Non, sauvé par UFO
    ;-)

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    1. Je réfléchissais à mettre un encart après le papier pour mettre en exergue un album en particulier, vu que le papier est plus axé sur l'histoire du groupe que sur ses enregistrements. Du coup, je me suis questionné, faut-il causer du disque qui serait le plus consensuel ? Celui qui inévitablement va faire succomber l'auditeur en incarnant le sommet d'efficacité du groupe, auquel cas ce serait Lights Out, ou partir sur mon favori perso et là c'est No Heavy Petting.
      Il est terrible celui là. C'est le successeur de Force It, le groupe s'est encore amélioré tout en restant encore très brutal. Un clavier amène de nouvelles ambiances, les compos sont démentes Natural thing (meilleur attaque de l'univers), Can you roll her(je suis dingue des espagnolades à la basse sur le refrain), On with the action (ma préférée peut être, texte et menace sous-jacente, elle sent la rue, le désespoir de ne jamais pouvoir échapper à son milieu. Souvent chez UFO on retrouve cette peinture sociale proche des premiers Springsteen), I'm a loser, Reasons love, Highway lady, putain ça bastonne sec. Et puis il y a Belladonna (tout est dit) et le magistral Martian Landscape, le genre d'ovni (je sais, mais j'ai pas mieux) qu'eux seuls savaient torcher avec autant de panache sans jamais tomber dans le pompeux.
      No Heavy Petting est l'album le plus sec de UFO, il sera parfait pour la prochaine bouteille.

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  5. C'est incandescent ce post !
    Admirations...

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