Le cinéma se porte au plus mal et, comme à l’accoutumée, les exécutifs des studios Hollywoodiens comptent sur la technologie pour le relancer.
Après l’accumulation des effets numériques qui squattent à outrance une large partie de la production cinématographique actuelle, le nouveau gadget à la mode se nomme la 3D. Soit un concept qui remonte aux années 50 et qui, déjà à l’époque, n’avait été qu’un effet de mode passager et anecdotique (mais très chère à Lux Interior).
Le plus bel exemple de ce nouvel engouement est Avatar le dernier film de James Cameron.
Tout le monde nous bassine avec les fascinantes prouesses techniques de ce métrage à longueur d’articles ou de reportages télévisées. Pour ma part, rien que de voir des créatures grotesques, aux couleurs canard WC océan, évoluées sur grand écran me procure la plus profonde hilarité.
Car soyons sérieux tant que des scénarios dignes de ce nom, des réalisateurs qui ne confondent pas leur caméra avec un shaker et des acteurs ayant autre chose à apporter que leurs physiques avantageux ne seront pas aux commandes, en aucun cas nous n’auront des films de qualité.
D’ailleurs notre cinéma contemporain basé uniquement sur de l’esbroufe provoquerait le plus violent mépris chez les anciens du métier.
Si on avait proposé à Gabin un tournage sur fond vert avec, en guise de vêtement, un justaucorps sur lequel est apposé une multitude de capteurs, il serait parti du plateau avec distribution massive de mandales à la clé !
Quant à Robert Taylor, acteur américain injustement méconnu, il aurait affiché son sourire le plus narquois face à une telle absurdité.
De son vrai nom, Spangler Arlington Brugh ( !), né en 1911 à Filley au Nebraska (décidemment, notre homme cumulait les difficultés...), il débute sa carrière d’acteur dès l’âge de 23 ans en 1934.
Considéré comme un jeune premier repéré uniquement grâce à sa belle gueule et son maintient aristocratique, Robert se gausse de ses détracteurs et, dès 1935, il prouve avec Le secret magnifique de John Stahl qu’il peut être un comédien de haut vol. Dans le rôle d’un dandy richissime insouciant et coureur de jupon, il fait des merveilles : tout à tour charmeur, canaille, comique et touchant il illumine l’écran de sa présence dans ce mélodrame réussi.
En 1938, dans Trois camarades de Franck Borzage, il confirme son aisance dans le registre dramatique.
Mais Robert ne sera au pinacle de son art qu’une dizaine d’années plus tard lorsqu’on lui proposera des rôles d’hommes virils. Car un gazier venant du Nebraska ne peut s’enfermer à vie dans des rôles de coquets.
En 1949, dans L’île au complot de Robert Z Leonard, il incarne, auprès de la divine Ava Gardner, un agent fédéral qui a pour mission de démanteler un réseau maritime de trafic d’armes.
Comme le Robert ne fait pas les choses à moitié, il a pour adversaires Charles Laughton et Vincent Price. L’intrigue se situe aux Caraïbes (reconstitué en studio…) et les deux coquins sus mentionnés ne feront pas long feu face à un Robert qui déjoue, un à un, tous les pièges risibles qui lui sont tendus avec un panache exemplaire, sans ciller une seule fois du regard.
Robert commence a trouvé ses marques d’homme d’aventures et, en 1951, dans le western Westward the women de William A Wellman, il renforce son jeu de mâle impassible au regard impénétrable. Chargé de faire transiter, en pleine conquête de l’ouest, tout un convoi composé exclusivement de femmes (l’horreur suprême en somme pour notre homme peu enclin à endurer les jacasseries féminines !), il impose une discipline de fer à ses dames. Que l’une d’entre elle ose commettre le moindre écart et il la fouette sans ménagement ; quant aux hommes, s’ils ont le malheur de vouloir roucouler, il les abat froidement ! Le Robert ne tolère pas que l’on passe outre les règles qu’il a établie, bordel ! Pour autant, après une lutte âpre contre lui-même, il finira par se laisser conquérir par une de ces donzelles, non sans l’avoir dressé au préalable.Ce n’est qu’en 1951, dans Quo Vadis de Mervin Le Roy, qu’il trouve le rôle de sa carrière.
Commandant en chef d’une légion romaine, dès son retour d’une campagne, il s’emporte contre Néron (incarné par Peter Ustinov) qui refuse de le laisser rentrer dans Rome, pour un repos bien mérité, lui et ses troupes. Et quand il s’agit de se faire aimer d’une femme, esclave et chrétienne de surcroît, il n’y va pas par quatre chemins, il l’embrasse de force après l’avoir giflé!
Durant tout le métrage, Robert arbore un visage crispé rehaussé d’un regard plein de fureur, car le christianisme met à mal toutes ses convictions (ah voir Robert brisé sur ses genoux une croix en bois, subir les déclarations incohérentes de Néron ou tomber en pâmoison devant la lumière divine est un spectacle délectable).
En 1952 avec Ivanhoé, puis en 1953 avec Les chevaliers de la table ronde et enfin en1955 avec Les aventures de Quentin Durward, trois films réalisés par Richard Thorpe, il se lance dans un cycle moyenâgeux. Il y côtoie Elisabeth Taylor et y retrouve Ava Gardner et se donne sans compter dans des joutes, des duels à l’épée, et des batailles homériques tout en portant fièrement l’armure rutilante.
Retour au western en 1953 avec Vaquero de John Farrow. Homme de main implacable d’Anthony Quinn, il administre une magistrale gifle à Ava Gardner qui commet l’impair de se jeter dans ses bras alors qu’elle incarne une femme mariée (Robert, homme de principe, ne saurait accepter une telle conduite, non mais ! Ce n’est pas un vulgaire gigolo, qu’on se le dise.). Déjà qu’il doit supporter les jérémiades de Mr Quinn qui joue un chef de bande lâche et jaloux, merci bien !
Avec La vallée des rois de Robert Porish, en 1954, auprès d’Eleanor Parker, il arpente l’Egypte pour y effectuer des fouilles archéologiques. Aventurier bourru, pour qui s’encombrer d’une femme lors d’une expédition est une hérésie, il fait contre mauvaise fortune bon cœur, tout en affrontant de vils pilleurs de tombes qu’il mettra rapidement au pas au terme de pugilats expéditifs.
En 1955 dans la comédie d’aventure Many rivers to cross de Roy Rowland, il est un trappeur revêche qui a fort maille à partir avec une hystérique (Eleanor Parker à nouveau) qui veut le marier de force.
Constitué de bagarres dantesques, de quiproquos extravagants et d’affrontements contre des iroquois forcément belliqueux le moins que l’on puisse dire c’est que ce long métrage n’engendre guère la monotonie. D’autant plus que le doublage français avec l’accent et l’argot marseillais est proprement impayable.
En 1956 dans La dernière chasse de Richard Brooks, Robert nous offre une interprétation savoureuse de plus. Encore trappeur de son état, détestant les indiens, il s’oppose à Stewart Granger qui vient chasser sur son territoire et qui à l’outrecuidance de sortir avec une squaw. Débordant de haine envers les peaux rouges, Robert ne cesse de provoquer cette lavette de Granger à coups de phrases assassines et de combats à mains nues. Au comble de sa folie, en pleine tempête de neige, il décide d’aller exterminer les bisons afin que les peaux rouges meurent de faim ! Il finira congelé de froid, le fusil à la main et le regard toujours emplit d’une rage froide.
Dans ce rôle de salaud intégral, Mr Taylor fait de étincelles et démontre, à tous les pitres qui le vilipendent, toute l’étendue de son talent.
Retour au romantisme en 1956 avec Au sixième jour de Henry Koster. Dans ce film de guerre, Robert joue un capitaine de l’armée américaine qui, pour cause d’invalidité, se retrouve en Angleterre. Il doit se confronter aux quolibets des Anglais qui voient d’un mauvais œil cette intrusion dans leur pays. Toujours aussi plein de tact, il drague ouvertement une femme membre des Women Royal Army Corps Subaltern. Pour ajouter au scandale, cette dernière est déjà mariée et a comme père, un officier de l’armée ! Bref, rien de tel pour se faire apprécier dans un pays étranger. Mais Robert se contrefout des quand dira-t-on et n’hésite pas à molester le mari de la dame qui, quel toupet, se permet de lui reprocher les avances faite à sa femme délaissée...C’est vrai quoi le Robert est plein de bon sens, si ce triste individu s’occupait mieux de sa compagne elle n’irait certainement pas voir ailleurs (car la bougresse bien évidemment ne résiste pas bien longtemps à son regard charbonneux et son sourire coquin).
En 1958, dans Le trésor du pendu, western de John Sturges, c’est Richard Widmark qui cherche des noises à Mr Taylor. Ancien bandit de grand chemin, Robert s’est rangé et a même endossé l’étoile de sheriff. Mais ce fourbe de Widmark ne l’attend pas de cette oreille car il veut récupérer le butin d’un de leur ancien vol lorsqu’ils étaient encore complices et pour lequel seul Robert sait où se trouve la cachette, où il est enfoui. Widmark a beau le martyrisé, celui-ci égal à lui-même, ne bronche pas et se moque d’un sourire sarcastique des pitoyables tentatives du blond décoloré pour l’intimider ! D’ailleurs cet agaçant blondinet finira par mordre la poussière, criblé de balles par un Robert toujours stoïque même dans l’action.
En 1958 avec Traquenard de Nicholas Ray, Robert revient au polar. Dans la peau d’un avocat véreux qui fricote avec la pègre, il atteint des sommets. Tombant amoureux de la sublime Cyd Charisse (on le comprend !), il s’engage dans la voie de la rédemption pour les beaux yeux de la belle. Pour lui plaire, alors qu’il est atteint d’un handicap certain, une jambe plus courte que l’autre ( !), il subit une intervention lourde qui lui remet tout d’appoint mais au terme d’une souffrance considérable (ah voir Robert le visage crispé de douleur, avec des gouttes de sueur qui se répandent le long de ses joues, tandis que son regard demeure impassible, quel bonheur ineffable !).
Mais lorsqu’il s’agit d’abandonner ses douteux employeurs les affaires se corsent. Ces crapules le tourmenteront plus que de raison (ils menaceront même de lancer de l’acide chlorhydrique sur sa chère et tendre !).
Le Robert saura contrecarrer haut la main tous les tours pendables de ces fripouilles de bas étage.
Grâce à son interprétation hors pair, la profession reconnaîtra enfin à sa juste valeur le talent dont peut faire preuve Mr Taylor quand on lui en donne l’opportunité.
En 1959 dans Les aventuriers du Kilimandjaro de Richard Thorpe (son réalisateur fétiche), ingénieur des chemins de fer, Robert est chargé de finir une voie à travers la brousse. Des esclavagistes se mettent en travers de sa route et sabotent son travail. Il mettra rapidement au pas ces indésirables, sans faire montre du moindre sentiment. Même face à une dizaine de crocodiles, son sang froid sera inébranlable et il les éliminera avec un calme olympien. Car oui, le Robert est ainsi, le danger ne lui procure pas plus d’effet que la cuisson d’un œuf dur. Lorsque des indigènes s’amusent à tester sa bravoure en lui envoyant des lances de plus en plus près de sa personne, il se contente de fumer nonchalamment une cigarette. Autant dire que ces nigauds d’autochtones resteront comme deux ronds de flan face à un tel roc !
Jusqu’en 1968 Robert tournera pour le cinéma, et il aura même sa propre série télévisée, The detectives starring Robert Taylor, entre 1959 et 1962.
On l’aura compris le leitmotiv less is more est l’adage préféré du grand Bob. S’il serait encore en vie, il se moquerait à loisir des tous ces pitres actuels (Colin Farrell, Orlando Bloom et consorts) qui sur-jouent encore plus que Jack Nicholson et s’agitent tel un troupeau de gazelles ayant des lions aux fesses.
Quant aux effets numériques, lui, en adepte des magnifiques décors hollywoodiens d’époque, il trouverait cette pratique d’un ridicule patenté.
L’autre certitude le concernant c’est qu’il ne faut surtout pas se fier à son air frustre car le sacripant était un homme à femmes.
Marié à la pourtant splendide Barbara Stanwyck, il la trompait allègrement avec Lana Turner et Ava Gardner (excusez du peu !). Concernant Ava, il l’amenait chez sa mère pour pouvoir assouvir ses appétits sexuels dans son ancienne chambre d’enfant ! La miss Stanwick finira par s’apercevoir de ses infidélités répétées et demandera le divorce. Qu’importe Robert ira se consoler dans les bras d’Eleanor Parker. Plus tard, en seconde noce, il épousera une actrice allemande Ursula Thiess ( ?).
Lorsqu’en plein mac-carthysme le gouvernement américain le soupçonnera de sympathie communiste, il affichera son plus grand sourire de mépris face à ces lamentables détracteurs.
Seul un cancer du poumon viendra à bout, en 1969, de ce grand fumeur devant l’éternel. Gageons qu’il a exhalé son dernier souffle le sourire aux lèvres avec son regard toujours aussi railleur.
Harry Max