mercredi 14 septembre 2016

♥ oH YoKo ! ♥


Longtemps New York résista au Rock, à une époque où il n'était qu'une musique du sud aux valeurs douteuses. Cosmopolite et communautaire, la ville pouvait se targuer de posséder une scène musicale pour chacune de ses classes sociales, Sinatra pour les italiens, Broadway pour la bourgeoisie, le Doo-Wop pour Brooklyn, le Rhythm & Blues pour Harlem, le Folk pour la beat generation de Greenwich Village. Dans les lofts arty de Manhattan, quelques excentriques universitaires excités par les expérimentations du Jazz le plus free, s’exerçaient sans distinction de discipline en quête de nouvelles formes d'expression, d'absolu et de libre pensée. Yoko Ono était de ceux là.


Inspiré par Marcel Duchamp, le Dadaïsme, le Surréalisme et tout un tas de mouvements du même acabit, le groupuscule provocateur Fluxus va abolir les convenances somnolentes des milieux artistiques et faire entrer New York dans l'ère de l'avant-garde. Lou Reed et John Cale seront des disciples de Monte La Young, John Cage et Yoko Ono bien avant de devenir ceux de la Factory. Fluxus planta les graines dont Andy Warhol récolta les fruits, mais c'est bien l'influence de ce mouvement resté underground qui fit passer la Rock music du rang de divertissement moqué à celui d'art revendiqué.

Lorsqu'en 1965 Paul McCartney traine John Lennon à son exposition londonienne, Yoko Ono est une artiste établie et reconnue, de même qu'une femme au caractère trempé par une vie déjà hors norme. Elle a aussi les neurones bien secoués, ce qui ne manquera pas de séduire Lennon, en pleine remise en question, lassé d'être enfermé dans son rôle de gentil scarabée à frange. A eux deux, ils vont s’escrimer à dynamiter les conventions, prenant un malin plaisir à enrayer la jolie machine pop que sont devenus les Beatles. Avec Yoko Ono à ses côtés, Lennon va vite se trouver à l'étroit dans le petit monde convenu des hit makers et commence rapidement à atomiser les albums du groupe à coups de morceaux aussi vicieux dans leurs propos, que provocateurs dans leurs formes. Et lorsque fin 1968, le couple sort Two Virgins, le message de Jojo la bite à l'air est clair pour tout le monde : les adolescentes en transes vont devoir se trouver une nouvelle idole à punaiser aux murs de leurs chambres. 


Bon, aussi dingue que je puisse être de la japonaise irradiée, je ne conseillerais à personne de s'infliger l'intégralité de Two Virgins, The Wedding Album et Life with Lions sans initiation préalable, ces trois disques valent principalement par la beauté du geste qu'ils incarnent, comme plus tard le Metal Machine Music de Lou Reed

Les choses sérieuses commencent avec les deux albums jumeaux du Plastic Ono Band parus fin 1970 sous pochettes similaires à un détail près (à vous de jouer). Précédés par deux singles exceptionnels, Cold turkey et Instant karma, les deux 33 tours sont des brulots d'émotions trop longtemps censurées. Lennon pousse Phil Spector dans ses derniers retranchements et revisite l'instrumentation dépouillée jusqu'à l'os et le son chargé d'écho des premiers Elvis pour soutenir des textes qui exorcisent sa haine de l'endoctrinement. De la soumission. Plus radicale encore, Yoko joue son va-tout sur un seul titre d'une incroyable virulence, Why, sur lequel elle hurle l'effroi subit durant les bombardements de son enfance au Japon. Tempo speedé et modernité, Why est un truc à faire passer Helter Skelter pour une bucolique balade au clair de lune. Greenfield morning I pushed an empty baby carriage all over the city au groove obsédant est l'autre grand moment du disque et sera réinterprété live en 2010 par Yoko et RZA du Wu Tang Clan. AOS capte Yoko lors des répétitions de son concert londonien de 1968 avec Ornette Coleman. Le mariage de son expressivité vocale et du Jazz free se fait, comme on peut l'imaginer, le plus naturellement du monde. Le reste du disque oscille entre jams psychotiques et recueillement et peut apparaître usant pour la santé mentale des plus fragiles. Il n'empêche qu'à l'échelle de cet album, à écouter in the dark comme l'exige la pochette, beaucoup de ceux qui plus tard joueront la carte de la névrose s'avèrent de bien innocents garnements.



Fin 1971, tandis que John Lennon sort Imagine, Yoko publie Fly, un double album d'une ambition toute autre que les déboulés fracassants du Plastic Ono Band. Plus mélodieux, enregistré avec un casting de rêve, Jim Keltner, Ringo Starr, Eric Clapton, Klaus Voorman, Bobby Keyes, Fly est la pierre angulaire de l’œuvre solo de Yoko Ono. Elle y chante souvent, parfois juste, comme sur le sublime Mrs Lennon, toujours avec une personnalité qui ne manquera pas d'éveiller des vocations. De Nina Hagen à Cyndi Lauper en passant par Kate Pierson (son influence sur les B52's est pour le moins indéniable) et les Slits, elles seront nombreuses dans la génération suivante à se reconnaître en elle. Cyndi Lauper confiera avoir quitté le domicile parental avec pour seul bagage Grapefruit, le livre de Yoko Ono, recueil de poèmes et autres visions, sorte de guide pour l'esprit parfois naïf, parfois vital. Fly en est en quelque sorte l'équivalent sonore, délivreur de messages sur l'ultra funky Hirake, qui démystifie la libération sexuelle (open your legs, open your mouth, open, open...) et se conclut par un bruit de chasse d'eau, mais surtout joyeusement bordélique et emplit d'une totale liberté de ton. Midsummer New York est un rock puissant (dont ZZ Top recyclera le riff central quelque part sur Deguello, de la même façon Alex Chilton s'appropriera l'intro majestueuse de Mrs Lennon pour en faire son Holocaust), Mind holes un blues saisissant sur lequel la voix de Yoko est splendide, Don't worry Kyoko renvoie les Stooges de L.A Blues faire mumuse dans la cour d'école, tandis que le second disque expérimente à tout va en poursuivant l’œuvre entreprit avec Fluxus. Fly n'est certainement pas un album facile, mais il est bien plus qu'un simple délire, et ce n'est pas le fruit du hasard si il fascina autant des tordus du calibre de Frank Zappa ou Ornette Coleman. Fly est la matrice originelle de la No-Wave qui accompagnera dans la tombe le New York de Hubert Selby, celui dont Rudolph Guiliani fit table rase en décrétant la tolérance zéro.
Avec Fly, la question se pose vraiment : Are you experienced ?




Unissant studio et Live à haute intensité en partie enregistré avec les Mothers de Frank Zappa, Some Time in New York City, qui sort pile un an après, est l'album des emmerdes. Enregistré en couple, avec Phil Spector comme conseiller conjugal, il est celui dont les textes font passer la politisation ultérieure du punk pour d'aimables considérations de bistrot. Corrosif et concret, le disque tape sur tous les fronts, aucun sujet sensible n'est passé sous le tapis. La condition féminine avec Woman is the nigger of the world et l'appel à changer la donne, Sister O'Sister, fabuleux morceau, un de mes préférés de la dame. La cause pro-irlandaise, Sunday bloody sunday et The luck of the irish, deux titres pour le moins virulents envers la politique britannique. L'inhumanité des prisons, Attica et Born in prison, la lutte afro-américaine (Angela Davis), celle contre l'utilisation politique que le gouvernement US fait des lois anti-drogues (John Sinclair). La corruption, Nixon, tout est passé en revue en peloton serré à tel point que le couple se retrouve surveillé par le FBI afin de trouver prétexte à leur expulsion du territoire américain. Pour épicer le tout, l'Angleterre s'oppose à leur retour après la découverte de dons financiers des Lennon à l'IRA. Si on ne sait toujours pas qui a vraiment exécuté John Lennon, c'est assurément dans cet album que se cache le pourquoi.



Loin de l'agitation médiatico-politique que suscite la sortie de Sometime in New York City, John et Yoko s'enferment en studio avec leur backing band Elephant's Memory pour graver ce qui reste l'un des plus beaux disques de Yoko Ono, et sans doute l'un des plus méconnus chef d’œuvres des 70's, Approximately Infinite Universe, enfanté aux première lueurs de 1973. Entièrement composé par Yoko, porté par un groupe inouï, chacune des chansons du double album renferme sa part de magnificence.
La musique de Yoko Ono est new yorkaise par excellence, elle est un brassage sans cesse à la recherche de nouvelles sonorités, de superpositions incongrues, d'angles inédits. Elle a du souffle, du rythme, une violence froide, souvent la mélancolie de East Village. Il y a en elle quelque chose des Shangri-La's, des Ronettes, de West Side Story à la sauce Teriyaki, un parfum d'Asie dans la diction et l'évidence des mélodies. Dans la façon doit elle fait onduler sa voix. Écoutez Listen the snow is falling, délicieuse comptine planquée en face B du single Happy Xmas (war is over), ça sera plus efficace qu'une longue explication.



La première fois que j'ai enregistré avec elle en 71, se souvient Jim Keltner, Yoko a commencé par demander au trompettiste de jeter son embouchure, puis elle s'est foutue à empiler des serviettes sur mes toms en me demandant de taper dessus à chaque fois qu'elle en ajoutait une, jusqu'à ce qu'elle soit satisfaite du son. Ça en devenait ridicule au point que je me demandais ce que je foutais là, je veux dire, j'en ai vu d'autres, je connais mon job. Finalement, une fois mixé ça sonnait vraiment bien, elle savait exactement ce qu'elle voulait obtenir et c'était ce qui collait à sa chanson. Après ça, j'ai fait deux disques avec elle.

Approximately Infinite Universe se rapproche dans mon esprit du The Wild, the innocent and the E.Street shuffle de Bruce Springsteen, il en a le même émerveillement désabusé de l'étranger dans la grande ville, cette même volonté de se familiariser avec les codes locaux sans rien perdre de sa propre identité. Ce disque est tout simplement indispensable, je pèse mes mots. Aucune de ses chansons n'est rien de moins qu'essentielle et sa pochette en gros carton imprimé qualité photo finit de lui conférer une véritable touche de magie. Approximately Infinite Universe n'a rien d'un disque tête de gondole, il est beau comme un trésor que l'on rechigne à partager.
Vous voulez des titres pour chiner sur youtube et vérifier mes dires, ok, I have a woman inside my soul, Death of Samantha, Winter song, I felt like smashing my face in a clear glass window, Have you seen a horizon lately, Peter the dealer, Yang yang, Shiranakatta...je peux toutes les citer, démerdez-vous, prenez tout l'album ou gardez vos habitudes. Plus j'en parle de ce disque et moins j'ai envie de le faire aimer.




Pressurisé de tous bords, déçu par l'opportunisme des marchands d'idéaux, Eldridge Cleaver et John Sinclair en tête, ulcéré par les concessions des syndicats d'ouvriers, paumé entre convictions populistes et vie de rock-stars de la jet set, le couple se sépare et c'est sans son illustre mari que Yoko Ono enregistre Feeling The Space en 1974. Plus langoureux dans ses grooves, le disque cherche l'apaisement après des années de tumulte. Les chansons sont une fois encore superbes et magnifiées par les interprétations d'un groupe au sein duquel on retrouve Jim Keltner, David Spinozza, Michael Brecker et l'ancien Flying Burrito Brothers : Sneaky Pete Kleinow à la pedal steel. Si, de par ses textes, il s'adresse avant tout aux femmes, Feeling The Space n'est dispensable à personne. Yoko Ono ne s'y montre rageuse que le temps de Woman power, mais la douceur qui se dégage du disque est tout aussi envoutante. 



La même année, c'est à nouveau avec la complicité de David Spinozza qu'elle enregistre un second disque, A Story, dont la sortie sera annulée après que Lennon, jaloux comme un poux de cette relation, soit revenu dans le giron de son éternelle dulcinée. Ce qui est quand même un peu con puisqu'il faudra attendre 1997 pour découvrir cet album, en tout point réussi, et ce qui aurait dû en être le single, O'oh, une addictive mélopée qui vous ventile l'esprit comme le Mistral matinal. Mais bon, les voies de l'amour sont impénétrables et comme on ne vit heureux que loin des autres et de leurs fourberies, nos tourtereaux tirent le rideau, font un bébé et passent les cinq années suivantes au Dakota, laissant le monde du rock s'agiter sans eux.




Il existe un passionnant livre reprenant l'intégralité d'une interview donnée au moment de leur retour en 1980. Recueillie sur plusieurs semaines par David Cheff, et partiellement publiée dans Playboy, l'interview montre un couple aux propos d'une franche lucidité, d'une intelligence et d'un sens de la réflexion qui rappelle qu'à ce moment là les rock-stars étaient des acteurs importants de la société civile, pas seulement un ramassis de marionnettes surlookées tout juste bonnes à faire de l'égotrip. Intelligent, Double Fantasy l'est tout autant. Construit en alternant les chansons de John Lennon avec celles de Yoko Ono, le disque reste parfaitement homogène tant le talent des deux est fusionnel. Parsemé de classiques en devenir, Double Fantasy est d'une fraicheur intemporelle, moderne juste ce qu'il faut, sans rien renier d'un savoir-faire qui remonte aux origines de la rock music. Et si c'est l'impeccable Kiss kiss kiss de Ono qui incarne au mieux le renouveau face à la nostalgie, c'est le Woman de Lennon qui séduit les ondes. 




Sur la lancée des sessions au Record Plant avec Jack Douglas à la console, ils entament l'enregistrement d'un second album, Milk and Honey, versant plus audacieusement novateur de Double Fantasy, et travaillent au prochain single solo de Yoko Ono, Walking on thin ice. Lassé de lire les sempiternelles même aigreurs à propos de sa femme, Lennon décide d'apporter un soin tout particulier à ce titre au feeling new wave. Toujours aussi aventurière, Yoko s'est imprégnée des nouveaux sons apparus aux dernières lueurs des 70's et en a fait synthèse. Comme Kiss, kiss kiss, Walking on thin ice puise ses influences dans le New-York ElectroFunk et Hip Hop autant que dans la vague électronique venue d'Europe. Enregistré le 4 décembre 1980, Lennon achève le mixage du titre le 8 et pronostique que ce sera le premier numéro 1 dans les charts de Yoko, avant de quitter le studio pour rejoindre leur domicile du Dakota building. C'est là que quelques minutes plus tard il est abattu par balles en pleine rue, sous les yeux de son épouse.



Walking on thin ice ne sera numéro 1 que des années plus tard, lorsque les Pet Shop Boys en feront un sublime remix dance, mais elle est finalement bien plus que ça. Yoko Ono n'a jamais été une bête de course, c'est une endurante et sa chanson est forgée du même caractère. Sans cesse reprise, remixée, revendiquée par les générations successives, désignée comme l'un des plus grands singles des 80's par Nile Rodgers en personne, Walking on thin ice est une de ces chansons qui marquent l'histoire. 





Enregistré avec les musiciens de Double Fantasy -mais avec Phil Spector à la place de Jack Douglas- Season Of Glass, le premier album solo de Yoko Ono après la mort de John Lennon, est son meilleur depuis Approximately Infinite Universe. Ainsi qu'un de mes préférés. Gifle froide toute en colère contenue, Season Of Glass est un bloc rageur, un disque maitrisé de bout en bout, sans aucun temps mort, dépourvu de la moindre baisse de tension. Et pourtant elle est haute, la tension qui le porte. Yoko Ono déballe tout ce que lui inspire un monde dans lequel elle ne trouve sa place nulle part. Armée de compositions chiadées qu'elle transcende par ses interprétations, elle signe un disque que personne ne peut prendre objectivement en défaut.



It's Alright (I see rainbows) qui lui succède est nettement plus léger, animé d'une volonté de tourner la page, de vivre à nouveau. Il souffre d'une production dorénavant datée et s'écroule quelque peu sur la face B. On a connu pire dans les années 80, mais il reste le disque le moins intéressant de sa production. Enregistré avec Sly & Robbie, Bernie Worrell, clavier chez Funkadelic et Eddie Martinez, guitariste de Run DMC, Starpeace en 1985 est tout aussi calibré pour séduire que son prédécesseur, mais nettement mieux inspiré. La production de Bill Laswell ajoute une touche de nervosité, et même si les sonorités sont parfois basiquement rock 80's (Remember raven), Starpeace dégage à plusieurs reprises un feeling proche de Big Audio Dynamite, Grace Jones ou Tom Tom Club. Le single Hell in paradise avait la carrosserie et les chromes pour faire un hit, mais ni le physique de Yoko, ni ses propos en interview ne cadrent vraiment avec MTV. On sera tous d'accord sur ce point. Et donc exit. Son contrat avec Geffen arrivé à terme, et ses maigres ventes ne donnant à aucune maison de disque l'envie de la signer, Yoko Ono va disparaître des écrans radars pour les dix années suivantes.



Dix années qu'elle va passer à œuvrer pour sa fondation, toujours dans le même créneau : Imagine Peace. Le combat d'une vie. Elle  va renouer avec l'underground New-Yorkais, exposer son travail, le confronter aux nouvelles générations, tourner plusieurs court-métrages, souvent abstraits, ou du moins auxquels je ne pipe que dalle, et mener à bien des projets loufdingues comme la Imagine Peace Tower, un faisceau de lumière pointé vers le ciel de Reykjavic chaque année entre le 9 octobre (date de naissance de John Lennon) et le 8 décembre (date de sa mort).




Enfin, en 1995 parait Rising, un album enregistré avec le groupe IMA, celui de son fils Sean Lennon. Souvent funky, parfois à fleur de peau (Kurushi), la plupart du temps enragé, dangereusement garage sur New York woman ou carrément speed metal sur Warzone, le disque se permet même une sortie de piste d'une hystérie comme on en avait plus entendu depuis le Detroit sous acide des sixties avec I'm dying, tout en hurlements et beuglante de guitares. Je sais qu'elle peut tétaniser l'auditeur quand elle démarre comme ça, Yoko, quand elle fait rugir sa voix, l'utilise pour illustrer l'horreur qui la hante, celle des corps nus couverts de napalm de son enfance au Japon, celle des irradiés de Nagasaki et Hiroshima, celle du corps de son homme qui n'en finit jamais de s'écrouler sur le bitume, le regard chargé d'incompréhension. L’agressivité que projette Yoko Ono n'est aucunement feinte, c'est ce qui la rend supportable, elle est essentielle car sans concession. Les cris qu'elle s'arrache, ceux d'agonie comme ceux de jouissance, font de sa musique l'une des dernière trace d'humanité primale dans le docile monde bien peigné des chanteurs fabriqués à la chaine. Rising n'est pas un disque confortable, il est à des milliers de kilomètres de l'être, mais qui à dit qu'un bon disque ne sert qu'à se sentir bien dans son fauteuil ? 




Rising Mixes qui sort en 1996 inaugure ce qui dans les années suivantes deviendra un rituel avec Yes, I'm a Witch (2007), Open Your Box (2007) puis Yes I'm a Witch Too (2016) à savoir une sélection de titres complétement réinventés par d'autres artistes. Pour cette première fois, ce sont les Beastie Boys, Sonic Youth, Ween ou encore Tricky qui viennent se confronter à l’intensité de l'œuvre. Souvent Yoko réenregistre sa partie vocale pour cadrer au plus près à la relecture musicale, faisant ainsi de ces trois albums des créations à part entière. Sur les deux volumes suivants, ce seront pèle mêle -avec mention spéciale au sublime Walking on thin ice de Danny Tenaglia- Hank Shocklee du Bomb Squad, Peaches, Le Tigre, Cat Power, Antony & The Johnsons, Paul Zone, Sparks ou Moby qui viendront signifier à leur public qu'il se passe quelque chose d'unique de ce côté ci de la résistance.

 


Et des choses il s'en passe de bien incendiaires en 2001 avec Blueprint For a Sunrise. Peut être l'album par lequel il faut commencer, si on n'a pas peur du vertige. J'y retrouve la gravité martiale de Season of Glass ("Is this what we do", Soul got out of the box) et surtout cet aspect frontal que j'aime tant chez Yoko Ono (I want you to remember me -happening sur la violence faite aux femmes- Rising II), ce jusqu'au boutisme rien à foutre de ne plaire à personne, Mulberry -8mns chez les zinzins- et Are you looking for me, en conclusion, façon dernière bouffée d'oxygène avant le gouffre. Qu'elle me saute à la gorge d'emblée, comme un pitbull qui vient de dévorer sa muselière, avec I want you to remember me, ou qu'elle me fasse chialer dans mon Fanta citron avec I remember everything il y a dans Blueprint For a Sunrise toutes les facettes qui font que je n'ai jamais réussi à me détourner d'elle. It's time for action, appel adressé dans toutes les langues à toutes le femmes du monde sur fond de techno groove addictif, I'm not getting enough tout en légèreté suprême et mélodie ensorceleuse, le swing de Wouldnit. Ce n'est plus un album, c'est de la grande cuisine.



Après un tel bijou, après une si longue carrière, j'aurais pensé que la dame se serait mise au vert. De toute façon dégun n'achète ses disques sinon ses pairs, pour s'en inspirer. Je vous en fiche mon billet, elle s'en fout et continue d'aligner, quand ça lui prend, des albums que vous feriez bien d'écouter, manière de vous souvenir que l'audace n'a pas totalement quitté le building. Et le talent non plus. Between my Head and the Sky en 2009, d'une qualité inimaginable qui atteint le sublime avec I'm going away smiling, puis Take Me to the Land of Hell en 2012, plus accessible mais tout aussi riche, continuent avec un insolent brio de dérouler le film sonore au long duquel Yoko s'adresse à l'univers. C'est l'image que j'en ai quand elle enregistre, les yeux fermés, traduisant les visions qui la heurtent en cris et mélodies. Il y a une telle identité dans sa musique qu'elle calcine les demi mesures, invective les lâches, révulse les sectaires. Elle a comme certitude, celle de n'en avoir aucune. Comme lorsque allongé sur le sol, les yeux rivés sur le ciel, on regarde tomber les bombes en se demandant où elles vont s'écraser. 




Ainsi va Yoko Ono à 83 ans, sans se soucier aujourd'hui plus qu'hier de l'avis des tristes sires qui la pronostiquaient veuve joyeuse, vénale, toute de fourberies. Au final, l’œuvre de John Lennon n'a pas triplée de volume depuis sa mort, contrairement à tant d'autres. Pas de Working class hero dans aucun blockbuster hollywoodien, pas de Jealous guy dans une pub pour Meetic. Pas d'autobiographie larmoyante, ni même d'album de duo post-mortem de John roucoulant avec les vedettes du moment et celles qu'on ne sort du formol que pour ce genre d'occasion. Pas d'Hologram Tour, ni de biopic édulcoré. Au lieu de quoi, c'est la première partie de sa discographie à elle qui va être rééditée à partir de novembre par le label Secretly Canadian, en cd et vinyl, de Two Virgins à Starpeace. Une occasion en or pour découvrir un parcours qui, du Japon des années 30 au New-York du 21eme siècle, n'a jamais cherché à pactiser avec l'ordinaire. 



Hugo Spanky