lundi 25 janvier 2016

GRaND FuNK RaiLRoaD



Grand Funk Railroad est le groupe qui a sauvé le Michigan ! Le reste c'est du baratin. En 1969 pendant que les Stooges se faisaient ratiboiser les couilles par John Cale, que MC5 se prenait l'impasse du White Panthers Party dans la tronche, ce sont eux qui ont ravagé avec le plus d'intensité les cerveaux d'une jeunesse américaine condamnée au Vietnam. Grand Funk Railroad n'avait aucune posture artistique, aucune prétention New-Yorkaise, c'est pas Warhol qui allait leur faire une pochette. Grand Funk Railroad n'a eu que des pochettes moches, ringardes, avec des gadgets que même Kiss n'osera pas refourguer. Les lunettes 3D, 5 ans avant FR3 !
Grand Funk Railroad va tenir la dragée haute jusqu'à ce que leur pote Bob Seger soit en mesure de prendre la relève. Mais pour en arriver là, ça va pas être tout rose. Le groupe cumule les handicaps. Déjà ils viennent de Flint, Michigan, un bled qui ne vit que pour et par General Motors et ses usines. C'est pas le Ann Arbor de Bob Seger, mais c'est loin d'être Detroit. Flint, c'est pire qu'un bled, c'est un assommoir. Le groupe sera toujours victime de cette image de ploucs, la hype de New-York comme de Los Angeles va les prendre de haut, les traiter comme plus tard on traitera les hardos, des parias, nécessaires mais négligeables. Grand Funk Railroad va drainer des foules monstrueuses, vendre des albums à la pelle, sans jamais en retirer une once de glamour. Même le New Jersey se contentera de revendiquer Mitch Ryder !


Grand Funk Railroad souffre aussi de son leader, Mark Farner. Le gars est loin d'être mauvais pour torcher de la Heavy Music bien groovy, mais il ne sait pas se retenir d'en faire des caisses. Invariablement les morceaux du groupe, redoutables d'efficacité grâce au duo rythmique formé par Don Brewer à la batterie et le bassiste Mel Schacher, s'égarent en chemin à grands coups de solos de guitare à rallonge. Pourtant c'est ce que leurs fans adorent, la voix de tête de Mark Farner qui braille comme à l'abattoir, la guitare qui hurle par dessus, les jeunes mecs de l’Amérique profonde en redemandent. Grand Funk est le groupe préféré des buveurs de bières, fumeurs de joint lobotomisés, bouffeurs d'amphet', les speedfreaks coincés entre l'usine et la conscription pour le Vietnam. Les mêmes qui quelques années plus tard seront fans des Ramones.


Et puis, il y a le carburateur, Terry Knight, chanteur raté devenu manager démoniaque. Terry Knight, c'est l'homme qui a vu le futur avant tout le monde. Au cours d'un voyage à Londres en 1968, il rencontre les Beatles et toute la clique, il dit rien, il observe et rentre aux states avec une certitude, ces types là n'en ont plus pour longtemps. Terry Knight sait que des têtes vont tomber, que de la place va se libérer sur les étagères de vinyls des gamins. Les idoles anglaises se bouffent le bec entre eux, les Beatles ne tournent carrément plus, les Stones rarement, les Who sont tarés, suicidaires, ingérables. C'est le bon moment. Il assemble deux mecs de son ancien groupe et leur colle le bassiste qu'il faut, Grand Funk Railroad est né. Terry Knight a un plan, la politique de la terre brulée. Le groupe ne va laisser aucun répit, ni à son public, ni à la concurrence. En deux ans, de 1969 à 1971, ils alignent cinq albums, et passent le reste du temps sur scène. Partout, Grand Funk Railroad bat des records, de ventes de disques, de tickets de concerts, de t.shirts à leur effigie, quand ce n'est pas de puissance sonore ou de démesure promotionnelle. 


Les disques sont rarement plus que des captations de jams d'une sauvagerie sans nom, drivées par un groove surpuissant laissant une place de choix à la mégalomanie galopante de Mark Farner. Du Ten Years After à l'américaine avec un sens du funk plus aiguisé que la bande à Alvin Lee. Les concerts sont des foires d’empoigne au volume ahurissant. Les Grand Funk ravissent aux Who le titre de groupe qui joue le plus fort. Mark Farner est partout, fabuleux showman, torse bodybuildé, futal satiné moule-burnes. Tel un mustang sauvage des vastes plaines, il arpente la scène avec des pas de danse à rendre fous les Kool & The Gang. Il hurle de tout son soûl, tabasse les touches du clavier entre deux solos d'une guitare agonisante de furie, il plombe des riffs de légende, épuise son monde en coulisse. Terry Knight se frotte les paluches, et les pousse à la surenchère. Les critiques les traitent comme de vulgaires primitifs, ils répliquent en posant en hommes des cavernes sur la pochette de Survival, leur meilleur album à ce stade de leur histoire. Le premier à ressembler un tant soit peu à un truc vaguement répété, travaillé.


C'est pas que les disques précédents soient mauvais, loin de là, pour des gars courageux comme nous ils sont parmi les meilleurs témoignages d'une époque de fous furieux incapables de faire la différence entre un studio d'enregistrement et une ballroom surchauffée. C'est juste que sur Survival, ils arrêtent de se tirer une balle dans le pied après le second refrain de chaque chanson. Prenez TNUC sur On Time, le premier de leurs méfaits, quand le morceau démarre, bordel, on se demande comment on a pu vivre sans, comment quelqu'un peut prétendre que Mitch Ryder est le roi du Michigan alors qu'il existe ça ? Du Rhythm & Blues heavy-métalisé, du Garage Funk avec une guitare entre Hendrix et Steppenwolf en MIEUX ! Le single de la mort qui tue, du James Brown blanc ! Et bam, au bout de 2mns le truc barre en couille sur 5mns de solo de batterie !!! Putain, pourquoi ?


Arrivé en 1971, Grand Funk Railroad n'a plus rien à prouver, même le record des Beatles au Shea Stadium a été explosé, pour fêter ça ils sortent E.Pluribus Funk qui s'ouvre sur le fantastique Footstompin' music, sorte de Booker T. & The MG's sous stéroïdes dont Van Halen recyclera le riff pour en faire leur So this is love quelques dix années plus tard. La machine est bien huilée mais commence à donner des signes de lassitude, Mark Farner est à la peine pour renouveler ses compositions et le rythme infernal imposé par Terry Knight n'a que trop duré. Les grandes manœuvres sont de mises, le groupe entame un procès à son manager, s'en débarrasse, étoffe sa formation en engageant Craig Frost aux claviers et s'accorde enfin un peu de temps.


Phoenix sort fin 72 et entérine la nouvelle formule, des chansons plus léchées, un son plus rond, des débordements mieux canalisés et Don Brewer qui s'installe doucement derrière le micro, sa voix plus grave et chaleureuse, plus funky en somme, repose agréablement de la saturation permanente de celle de son désormais contesté leader. Dix mois plus tard, le single We're an american band offre enfin le saint Graal à Grand Funk Railroad en devenant leur premier single classé numéro 1. Petite déconvenue pour Mark Farner, c'est aussi le premier single chanté en lead et co-composé par Don Brewer. Le vers est dans le fruit.




L'album We're An American Band, qui sort peu après confirme le rôle a-minima dorénavant laissé au guitariste fort en gueule et s'impose d'office comme un classique des 70's, au même titre que Shinin' On qui parait l'année suivante. Deux incontournables disques superbement produit par Todd Rundgren et en grande partie composés par Don Brewer et Craig Frost. Il s'ensuit la plus belle période du groupe. Grand Funk Railroad va aligner une impressionnante série de singles dorés sur tranches, impeccablement taillés pour les charts. Walk like a man sur We're An American Band, To get back in, The locomotion et Shinin' on sur l'album du même nom, Bad times et Some kind of wonderful sur All The Girls In The World Beware catapultent Grand Funk parmi les groupes les plus populaires d'Amérique. 



Leur discographie est en constante progression, All The Girls In The World Beware sort les cuivres et aère la donne après la débauche hallucinogène de Shinin' On. En peaufinant de la sorte son SuperHeavyWeightFunk, le groupe invente la formule sur laquelle va reposer tout le futur Rock FM, sophistication Soul, énergie Hard, tempo puissant et basse aussi prépondérante que possible. Dans la foulée, Caught In The Act démontre à quel point Grand Funk Railroad est un incomparable groupe de scène, ce second double live les capte au sommet de leur art, et offre une titanesque version de Heartbreaker au milieu d'un répertoire en or massif. C'est l'un des plus grands double live des seventies. C'est bien celui là qu'il faut retenir d'eux, et non pas le premier, Live Album 1970, quelque soit ce que vous ayez pu lire ailleurs et depuis toujours.




Enregistré alors que Mark Farner traverse une difficile période de deuil, son cousin vient de se tuer en moto, Born To Die, qui parait en 1976 sous une pochette signée Jean-Paul Goude, est l'aboutissement d'un groupe devenu adulte dans l'adversité. Le disque est impeccable d'un bout à l'autre, ciselé d'harmonies vocales, ponctué d'interventions de guitare, d'orgue et de cuivres faisant mouche à chaque fois. Mark Farner, qui n'a jamais joué aussi sobrement, s'affirme comme un guitariste de grande classe doublé d'un compositeur capable d'insoupçonnables finesses. Les ploucs bourrins de Flint, Michigan, ont gagné leur pari.


Connement, c'est à ce moment là que le public les boude, ni l'album, ni les deux magnifiques singles qui l'accompagnent, Sally et Take me ne retrouvent le haut des classements, et c'est quasiment dans l'indifférence générale que Grand Funk Railroad jette l'éponge dans les mois qui suivent, tandis que Capitol s'empresse de sortir Grand Funk Hits, phénoménale compilation des meilleurs singles du groupe. 

 
Ne faisant jamais rien comme personne, Frank Zappa, surprenant fan de la formation, se propose de les produire et réussi à les convaincre de retourner en studio. Usé et tiraillé par les dissensions entre Mark Farner et les trois autres, le groupe se sépare sitôt enregistrées les premières prises de Good Singin' Good Playin' que Zappa décrira à juste titre comme le témoignage d'un groupe hors du commun. 


L'année 1976 touche à sa fin, plus personne n'est à l'écoute, Grand Funk Railroad a vécu. L'album se vautre dans les bacs de soldes, moins de trois ans seulement après le triomphe intergalactique de We're an american band

 

Craig Frost rejoindra le Silver Bullet Band de Bob Seger, aux dernières nouvelles il y est encore. Les autres feront un peu tout et n'importe quoi, principalement des reformations avec l'un et sans l'autre. La routine, quoi. Reste qu'aujourd'hui encore quand un réalisateur de film a besoin d'un morceau qui pulse pour le faire cracher par l'auto-radio d'une Chevrolet, c'est We're an american band qui fait le mieux l'affaire. Parce qu'on peut dire ce qu'on veut, mais en matière de Hard Funk supersonique, on n'a jamais fait mieux que Grand Funk Railroad.

vendredi 22 janvier 2016

Un CeRTaiN aRT De VivRe


Le dernier bon moment de Rock'n'Roll que j'ai passé, c'était la cérémonie des funérailles de Lemmy retransmise en direct sur youtube. Ainsi vont les choses. Il y a un peu plus de quarante ans Elvis donnait un concert retransmis en mondovision, aujourd'hui on regarde un cercueil.

 

C'est bizarre à dire mais c'était bien. Ça lui ressemblait. Ça nous ressemblait aussi pas mal. Toutes les conneries, tous les serments qu'on se fait à l'adolescence, il n'en manquait rien. Les roadies étaient là, we are the roadcrew c'était pas du flan, les belles pépées aussi étaient là, quelques-unes étaient certifiées d'époque, mais il manquait les Girlschool. Et Samantha Fox.





Il manquait Fast Eddie Clarke aussi, le seul survivant du Motörhead qui me tient le plus à cœur. La raison de son absence est tellement raccord avec ce que fut ce groupe, que ça m'a bien fait marrer, la cérémonie avait lieu à Los Angeles, et Fast Eddie Clarke est interdit de séjour aux États-Unis en raison d'une vieille affaire de came. Lol, comme on dit.


Il y avait une belle et grande photo au pied du cercueil, une photo du trio de choc qui secoua la fin des 70's avec ce premier album qui dit tout, résume tout, concasse le psychédélisme dans la barbarie et ringardise toute option d'évolution. No brain, que des court-circuits et des ratiches qui s'émiettent, l'émail dévoré par les acides et le speed. La dernière mutation acceptable du Rock'n'Roll est là, sur cette galette noire siglée Chiswick records 1977, celle de Lost Johnny, Iron horse/Born to lose, Keep us on the road. La brutale vérité de Motörhead sans fard ni production. Enregistré par Speedy keen, l'homme de Armenia city in the sky, le disque ramène à Johnny Burnette et aux Sun sessions d'Elvis, nudité de l’exécution et trois tonnes de khôl noir sous les yeux.


J'étais content que la cérémonie des funérailles ne soit pas devenue un gigantesque cirque. Quand ils ont décidé de la retransmettre en direct, j'ai eu un peu les jetons. J'avais tort. Il y a bien eu quelques mecs connus qui ont défilés au micro mais tous avec la même simplicité, Rob Halford, Lars Ulrich et Roberto Trujillo, Slash, Matt Sorum, Ian Scott ont raconté des anecdotes, des moments de franche rigolade qui ajoutés à ceux des anonymes, patrons de bar, bottier français, hardos allemands, compagnons de beuverie, ont remémoré de sacrés tranches de vie. Son fils, Paul, a ouvert le bal et parfaitement donné le ton, on était là pour se préparer à changer de conjugaison, pas pour s’effondrer. Il y a bien eu des gorges serrées par moment, forcément, il y a surtout eu la nostalgie de ceux qui savent que la suite va être moins cocasse, et que ça ira pas en s'arrangeant. Y a des chaises vides qui le restent, pourtant faut bien continuer à poser son cul.



Il était pas bégueule Lemmy, et ce qu'ils en ont dit lui a été fidèle, c'était le plus important, que personne n'en fasse autre chose qu'un bon vivant avec un humour de merde. Un gars qui avait chopé le bon wagon au bon moment, qui n'avait pas hésité à sauter à pied-joint dans le mystery train. Ce train qui ne s'arrête dans aucune gare, seulement au terminus.

Lemmy, c'est pas le seul mais ils sont pas des caisses non plus, avait su garder les pieds sur terre, il ne se la racontait pas genre ce que je fais tient du génie. C'est que du Rock'n'Roll, c'est pas rien mais y a pas non plus de quoi se la péter derrière une rangée de gardes du corps. Je l'ai toujours respecté pour ça. Il était facile de le rencontrer après un concert et c'est arrivé à beaucoup d'entre nous, les traine-tards et les rôdeurs. En ce qui me concerne ce fut sur une aire d'autoroute pluvieuse dans les années 80, entre Toulouse et Carcassonne, les bras chargés de packs de bières, avec Philthy en t.shirt alors qu'on se gelait tous les couilles. Ce que je peux en dire, c'est que Lemmy portait les mêmes fringues et la même paire de boots blanches que pendant le concert et que j'ai pas pigé grand-chose de ce qu'il m'a dit. Leur chauffeur de bus voulait me taper ma boulette de shit, il pouvait toujours courir, j'ai rien lâché. Philthy, lui, il a même pas causé, il a signé mon ticket, m'a claqué les fesses pour que je dégage du milieu et ça m'a fait le restant de l'année. C'était lui mon Motörhead préféré, à l'âge où on a un préféré dans chaque groupe. Un batteur démoniaque, inventeur d'un beat unique sans lequel il est impossible de faire tourner correctement un de leurs morceaux. Philthy Animal Taylor, je ne manquais jamais de le mettre dans le référendum annuel de Best, juste après Keith Moon et devant Topper Headon et Jerry Nolan. C'est sa mort à lui, quelques semaines avant celle de Lemmy, qui a tué mon Motörhead à moi. Il en était la pièce essentielle, d'ailleurs j'avais arrêté de suivre le groupe après qu'il s'en soit fait virer en 1992. C'est dire si il s'en était passé du temps depuis.


Le temps, putain, quelle histoire que ce sablier qu'on n'a de cesse de négliger, de coller au fond de l'armoire. Motörhead ça faisait un bail que j'avais pas écouté de nouvel album, et je compte toujours pas le faire. Je trouvais même con qu'ils continuent, je ne pigeais pas cet acharnement. J'ai regardé cette cérémonie un peu par hasard, suis tombé dessus en sachant qu'elle allait avoir lieu. Il a bon dos le hasard. Je l'ai pris comme une célébration, le solde de tous comptes d'une histoire ancienne. Au moment de se dire au revoir, il y en a un qui a collé la Rickenbaker contre le corps du Marshall, potards à fond, pour la faire gronder comme à la fin des concerts, Lemmy has left the building qu'il a dit au micro et puis ils se sont tous filés rendez-vous au bistrot. C'était bien, une fin à la Elvis, j'ai trouvé ça nickel. Et puis je suis allé me coucher. 


Hugo Spanky

Ce papier s'accompagne d'une pensée pour Glenn Frey des Eagles et d'une autre pour Dom' d'OTH.
 On en est là.