samedi 22 août 2015

LoOKiNG foR BRuCe SPRiNGsTeeN



Les rock stars portent un masque, parfois une multitude de masques. La scène est un jeu de dupe, on croit à la rencontre d'un public et de son idole, rien n'est moins vrai. On assiste à un spectacle où chaque mot est répété chaque soir, ou chaque bref instant d'intimité partagée n'est que fantasme, on communie par mensonge consenti. On applaudit à tout rompre celui qui nous bernera avec le plus d'agilité.

Et puis il y a Bruce Springsteen. Monsieur Loyal. Celui par qui le mensonge périt, l'homme qui ne triche jamais. Et qui pourtant ne fait que ça. Bruce Springsteen s'est engueulé avec sa femme ? Bruce Springsteen a 39 de fièvre ? Une entorse ? On n'en saura rien, il grimpe sur scène et délivre ses 4 heures de montagnes russes comme s'il venait d'avaler son bol d'Ovomaltine. That's entertainement ! Comme les Rolling Stones jouent devant les caméras de Scorsese tandis qu'Ahmet Ertegun agonise dans une loge.
Surtout, Bruce Springsteen va plus loin dans l'absence de soi. Est-ce par pudeur ? Par sens du devoir à accomplir ? J'en sais foutrement rien mais le fait est que depuis, combien ? 30 ans ? il n'a de cesse de se cacher, de renoncer, d'y revenir. Quand on le pense mis à nu, il ne fait qu'enfiler un nouveau costume, illusoirement usé comme trop porté, celui de Nebraska, l'homme américain dans ce qu'il a de plus brut de pomme pile au moment où les médias se questionnaient sur son éventuelle homosexualité. Puis les muscles et les litres de sueur, les bottes de chantier et au final une sérieuse psychanalyse parce que, bon, on a beau être le boss au bout d'un moment on ne se comprend plus soi-même à jouer ce jeu là trop longtemps.


Et de retrouver notre Bruce Springsteen remis du triomphe mondial, rétablis et heureux comme un pape en Avignon par la magie d'un second mariage cette fois réussi. Pensez donc, une rouquine bourlingueuse qui joue la choriste sur l'album de Keith Richards, c'est autre chose que la blonde évaporée qui trouvait le temps long au bord de la scène pendant que son homme à testostérone maximale se faisait péter les veines du front en hurlant son acte de naissance.

Avec tout ça on en arrive au milieu des années 90 et le boss est redevenu fréquentable, la critique ne s'y trompe pas, The ghost of Tom Joad ! Malheur, les inrocks se font dans la culotte, c'est plus le Stallone du microsillon, c'est John Steinbeck ! John Ford ! John Springsteen ! Enfin, il se dévoile, ça y est on le tient, le boss est un lettré, non seulement il lit des livres avec plein de pages dedans mais en plus il les comprend ! Hallelujah, tout le monde est d'accord, Springsteen a fait la paix avec lui-même et ne cache plus sa complexité derrière des montagnes de Marshall en surchauffe.




Sauf que non. Rien n'a changé, plus on en voit et moins on en sait, Bruce Springsteen continue à enterrer ses plus œuvres les plus personnelles, il persévère à garder son jardin secret. Secret Garden, c'est d'ailleurs le titre que j'ai donné à l'album manquant, celui qu'il renonça à sortir quelque part entre Tom Joad et The Rising, l'album qui aurait été le plus sensible, le plus féminin, le plus dépouillé d'artifice, fussent-ils ceux de la simplicité rustique. Un disque dont seul quelques morceaux verront le jour éparpillés de ci, de là, en maxi 45 tours, sur des musiques de films ou des années plus tard sur Tracks, le coffret d'inédits qui en raconte plus long sur le bonhomme que tous les albums officiels ne le feront jamais. Dans ses chansons, Springsteen invente des personnages, des situations, il  les incarne avec tellement de ferveur qu'elles firent sa gloire. Le boss n'a pas son pareil pour parler de nous, les Fonzie de l'existence, mais quand il torche des chansons qui parle de LUI, il les met inévitablement au rencard. 

Cet album imaginaire c'est celui de Street of Philadelphia, de Missing, de Back in your arms, d'American skin aussi, celui de Lift me up ce morceau à voix de fausset inspiré par Antony and the Johnsons dont le boss est raide dingue mais que les biographes citent moins facilement que John Fogerty. Secret Garden, bien gardé le secret. Bien maquillées les fêlures du boss. Sacré jeu de piste aux indices qui se dérobent, dont il faut saisir des fragments pendant la coda de la version live de The river durant la récente tournée, sur Tunnel of Love aussi ou la série de concerts avec harmonium qui suivit Devils and Dust et sur High Hopes ce dernier album qui faillit être celui là. Le reste du temps Bruce Springsteen est en mission. Car si lui ne tient plus droit dans ses bottes, qui le pourrait ? Si même lui n'incarne plus l'Homme éternellement fort, alors John Wayne n'aura servi à rien. 


Ces temps ci Bruce Springsteen chante sur le générique de Show me a hero, la nouvelle série qui compte mais il est où le disque avec Happy ? L'album qui montre que Bruce Springsteen ne fait pas que gratter sa pelle assis dans sa cuisine en marmonnant des histoires de tueurs en séries, qu'il sait aussi dessiner des esquisses de symphonies avec des nappes de synthés et une boite à rythme délicat. Brothers under the bridges, Don't back down, tout un univers de Pop avec âme. Tout ce qui manque à ce style trop souvent dépourvu de profondeur,  Bruce Springsteen en avait la recette et il ne nous en aura offert qu'une infime partie. Parce que tout n'est que mensonge, bien au delà des rêves qui ne sont pas réalisés et que, non, quelque soit les affirmations, le monde n'est pas prêt pour Bruce Springsteen. Trop friands de héros que nous sommes pour se voir humain tel que l'on nait. Comme dans le miroir dont chaque matin on s'empresse de corriger le reflet.

Hugo Spanky


11 commentaires:

  1. bien ton papier mr spanky. Pam

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    1. Merci Madame Pam. J'avais comme un doute, il est sorti tout seul celui là. Ça cogite, ça s'agite, là haut dans le ciboulot.
      Hugo Spanky

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  2. Je viens de terminer un livre sur David Bowie et lui, le roi du simulacre, déclare qu'il est impossible lorsqu'on se retrouve à faire des concerts dans des stades de se considérer et de faire croire à son public qu'on est un être humain normal qui n'a rien à cacher derrière des artifices scéniques; bref il ne croit pas une seule seconde à la sincérité de Bruce -car c'est bien de lui qu'il parle à ce moment là - et il pense que, lui aussi, comme tout artiste joue un rôle.
    Et sans être aussi radical que le discours de Bowie, il est vrai que Bruce use également de gimmicks dans son jeu de scène (les palabres souvent indentiques qui introduisent ses morceaux les plus emblématiques, les interludes comiques effectués avec l'aide de son acolyte potache Little Steven, ses allées et venues répétées qui l'amènent au contact de son public situé au premier rang, etc.) et qu'il est devenu, peut-être à son corps défendant, le porte parole du peuple Américain; ce qui justement ne l'autorise guère à se révéler intimement dans ses compositons et le contraint pultôt à aborder des problématiques sociétales en se cantonnant à une approche musicale classique qui ne déstabilise pas son public.
    Pour autant de là à douter de la sincérité du bonhomme, il y a un pas que je franchirais jamais pour ma part.
    Harry Max.

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    1. Roh comment tu y vas, je ne doute pas de la sincérité du Boss en particulier, je doute de la notre en général. Il s'avère juste qu'il est le véhicule idéal pour exprimer ce que je ressens. Je me questionne inconsciemment sur le jeu de la vie et me demande quand on est sincère ou pas et si seulement on l'est ne serait ce que face à soi-même.Tout ça est sorti d'un bloc et c'est à la relecture que je tente de comprendre quelque chose à ce que j'ai voulu dire )))) Mais, oui, je suis assez d'accord avec Bowie, on est en représentation permanente ou quasiment dès que l'on est en société tout du moins.
      Et il me semble intéressant de constater que quelqu'un comme Springsteen qui a toujours soupesé ce qu'il mettait dans ses disques au point d'en mettre certains à la trappe, a encore aujourd'hui cette sorte de pudeur qui l'empêche de se livrer sans fard. Peut être que sa sincérité est là d'ailleurs. Lui qui a souvent parler d'absence. Tiens, ça me donne envie de revoir The Barber, l'homme qui n'était pas là. ))))
      Je sais pas à vrai dire, ce papier n'affirme rien, au mieux il questionne. En tout cas, je suis content qu'il ne t'indiffère pas.
      Hugo Spanky

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    2. Ah tu as sans doute raison concernant son rôle de porte parole et d'incarnation d'une partie du peuple américain, je perçois ça chez Chuck D aussi même si chez lui cela semble moins paralysant. C'est en cela par exemple que je trouve particulièrement gonflé de la part de Public Enemy de "reprendre" un morceau des Stones même si il est clair qu'ils ont partiellement le même public, cette attitude fait bouger les lignes et démontre encore et toujours que le Rock se doit de prendre des risques.
      Je crois que les disques foireux me manquent, j'aimais bien quand un groupe sortait un album casse gueule que l'on mettait parfois dix ans à apprécier. Que parfois on appréciait jamais. Bruce Springsteen est l'un des rares artistes de son calibre à tenter ce genre de choses, j'aimerai juste qu'il le fasse à fond et nous sorte un truc vraiment dérangeant et décalé, lui qui revendique l'influence de Suicide ou Antony and the Johnsons.
      Go Brucie go go go !!!
      Hugo Spanky

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  3. En congé loin alors faire court. J'ai vu M. Springsteen époque RIVER et j'ai lu récemment un compliment sur lui sympa: le seul qui joue dans des stades et te fait croire que tu vis un concert dans un bar à musique genre pub rock. Le truc de proximité. Je revies plus tard relire cette chronique pleine de tournants.

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  4. hé bien que de questions ... un chanteur peut aussi incarner malgré lui ce que les médias publicisent, et il doit faire avec plus ou moins de talent, de tact, de force de vivre ou ce qu'on voudra ... c'est un jeu à accepter de sa part ou pas ... c'est la grande beauté de l'action de chanter ... terrible de ta part ce sentiment de mensonge, tu es comme lester bangs trop fan de lou reed je crois (tu l'as lu ? hilarant) dans le sens ou ce qu'il propose peut être aussi éphémère que le temps d'un concert ... le risque est permanent puisque c'est le public qui décide ... le partage des sentiments, que tu retrouve trop rarement dans la vie réelle, c'est illusoire ? la vie dite réelle est assez chaotique pour ne pas paraître elle aussi illusoire et mensongère, alors se superposent un rêve dans un rêve dans un rêve ... on en fini plus ...vivent les chanteurs, plus de chanteurs de accuerdo ... et moi qui essaie de monter un groupe instrumental et qui ne connais pas tant que ça les chansons du bruce, ça pèse dans la balance du hugo ? tu as pas encore fait de papier sur alan vega et alex chilton ? je crois qu'ils se sont pas mal débattus avec ça. je suis en train de réécouter "kickin' against the pricks" de nick cave en vous écrivant, c'est la fête !

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    1. Aïe, écouter Nick Cave en lisant mes états d'âme à 3h du mat' c'est un coup à se réveiller avec la gueule de bois. Mais t'as bien fait de t'exprimer, ça fait avancer le schmilblick. Sans doute que j'attends trop des chanteurs, quand on appelle le plombier pour une fuite on s'attend pas à ce qu'il nous refasse toutes les canalisations. Et ce pauvre Bruce Springsteen que j'aime trop, tu as raison, pourquoi il a fallu que ça tombe sur lui ?
      D'autant que mes désillusions ne viennent pas tant de la musique que du comportement humain. J'en peux plus de l'uniformité de pensée. Partout je n'entends que du conformisme et de la bonne conscience, sur les twitter et cie, au travail, à la télé, dans la rue, les journaux, rien ne déborde, y a plus aucune indépendance d'esprit. Chacun ne semble s'exprimer qu'après avoir fait le tour de ce que son propos pourrait engendrer comme réactions. Et de fait, tout ce qui se dit ne provoque plus aucune réaction. Il est où le questionnement ? Doit-on juste subir et attendre que ça se passe en s'enfermant dans un moule bien étanche ?
      Là, où, j'en viens à appeler Bruce à la rescousse, c'est parce que, bordel, si eux aussi deviennent consensuels on est foutu. La musique se doit d'être agitatrice, le Rock c'est ça, secouer le cocotier, se soucier de savoir si les fruits seront jolis ça doit venir ensuite mais le primordial c'est la secousse ! Waouh, plus j'en dis et moins c'est clair, j'ai l'impression.

      Tiens, je suis dans une grosse période Stones et bon, quand ils jouent en trouvant une putain d'osmose entre eux même si Jagger raconte tout simplement qu'il veut clouer la nana au lit, peu importe, le message est pas là, il est dans le fait qu'ils démontrent par la qualité de leur musique et la communication qu'ils établissent avec le public qu'il faut les prendre au sérieux. Qu'il faut NOUS prendre au sérieux. Que ça se fera pas SANS nous même si ça dérange, on est là et on a notre façon de penser, de communiquer. Le Rock c'est l'affirmation de soi, pas juste un business pour être gavé avant 30 ans.

      Je bouquine en ce moment le recueil Rock & Folk Interviews parut chez Speed17 en 1979, ça faisait un bail que j'avais pas relu ce truc là et ça m'a scotché avec évidence, les chanteurs à ce moment là disaient des choses, y avait une liberté de ton un truc propre à chacun d'eux, les gonzes s'en foutaient pas mal que cela puisse parfois choquer, l'essentiel c'était que ça interpelle, que ça fasse réfléchir différemment de ce que l’establishment attendait. Ça aidait un individu à se forger selon ses propres considérations.

      T'as vu où on en est ? Plus personne n'ose dire quoique ce soit, parce que le public pourrait mal le prendre !!!! Parce que ça pourrait entrainer un boycott ! Hahaha, bordel,le nouvel Elvis est pas pour demain à ce rythme là. Y a un truc qui me frappe dans les nouveaux groupes, ils sont tous en "costumes" ils ont tous la même coupe de douille du batteur au guitariste, on dirait les Beatles d'avant 65, ça fout les miches.
      Bordel, il faut absolument que j'arrive à torcher un truc sur Gene Vincent.
      Hugo Spanky

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    2. Hugo, tu pars dans tous les sens tout en restant cohérent (moi aussi j'aime les déclarations qui se contredisent...).
      Mais oui tu as bien raison, non seulement maintenant une grande majorité des groupes se ressemblent tous mais, pire que ça, la musique qu'ils proposent également ! En fait, l'uniformité de pensée c'est également transformée en uniformité de production sonore.
      Putain, où est passée la richesse des disques des années 70 où dans chanque plan musicaux ça fourmillait d'idées, où les mecs te schotchaient à ta platine parce que tu essayais vainement de comprendre comment ils faisaient pour produire des sons pareils (Bowie est un bon exempe pour ça), où on faisait fi des attentes du public et on n'hésitait pas à mélanger toutes sortes d'instruments ensembles afin de sortir de l'ordinaire, où les textes devenaient volontiers si abscons qu'on passait des heures à essayer d'en déterminer la siginification sans d'ailleurs parfois jamais y parvenir et où les rock stars devancaient la mode en arborant des looks incroyables ?
      Bref qu'est devenu les désir d'aller au delà des ses limites, d'expérimenter à tout crin quitte à se casser le figure, d'apporter de la vie à un monde musical qui s'endort sur ces acquis ?
      Quant à la liberté de parole effectivement c'est affolant; désormais plus rien ne dépasse, il n'y a plus aucune aspérités dans les propos. Les derniers qui ont ouverts leurs gueules pour proférer des conneries ce sont les têtes de lard de Oasis,non ? Alors certes leurs discours volaient pas bien haut mais ils avaient au moins le mérite de foutre un joyeux bordel.
      Putain ce qu'il manque maintenant,c'est tout simplement un peu d'audace, bordel !
      Réveillez- vous, que diable !
      Harry Max

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    3. Dans mes bras Harry Max !!!!! On s'est compris !
      ))))))))))
      Hugo

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  5. quand même la version de "all tomorow's parties" par les bad seeds c'est quelque chose, une chanson d'après fête ... après que ça fédère ou pas je me fait pas d'illusions ... c'est une période ou on peut avoir accès plus facilement à ce qu'on désire dans cette nouvelle radio qu'est le net ou toutes ces chaines de télés et de radios, les opinions sont là je crois mais diluées dans la multitude ... "lost in music" passait le dj l'autre jour, on est noyés, trop de richesses ? je m'en plaindrais pas moi, j'ai trop connu de périodes de disettes ... j'ai pas l'impression d'attendre trop des chanteurs, pour tout dire il y en a pas beaucoup dans la nouvelle génération qui ont la niaque, mais lire ci dessus, c'est une période lourde, tout le monde en salle d'attente ... patience ... mon cul ... comme le tee shirt dans les pubs de best ... et juste après ma bafouille je suis allé écouter une version de jump ! par springsteen en intro d'un concert 2014, aie aie aie, trop baloche, un saut de pélican dans le cambouis ha ha ha ... et là j'écris en écoutant les stones aussi ... diverses périodes sur le tube, bonne connection

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