mardi 10 juin 2014

SeNoRes y SeNoRaS, JaNe'S ADDicTioN


Les voies du désir empruntent des chemins sinueux, passer l’après midi de dimanche devant la tronche à Novac Djokovic m’a donné envie d’écouter Jane’s Addiction. De la même façon lorsque Led Zeppelin me vient à l’esprit c’est immanquablement Nothing's shocking qui trouve place sur la platine, rarement Houses of the holy.

Jane’s Addiction a su unir les facettes les plus extrêmes et opposées de ce que Los Angeles a pu apporter à la culture Rock, le culte de l’amour au même titre que celui du couteau dans le dos. 
Hippies chic, défoncés mais propres sur eux, glam et négligés à la fois, Jane’s Addiction c’est Janis Joplin en satin rose, Michelle Phillips nue à Venice. C’est aussi les regards troubles de Susan Atkins et Leslie Van Houten, le sang de Cielo drive, le fun du Sunset, la quiétude de Laurel Canyon, le smog de la pollution et les pipes à crack. Pigs in zen, your dream is dead.

Psychédélique mais rigoureuse, leur musique fait accepter les excès en les muselant au moindre débordement superflu, générosité et frustration alternent au sein d’une même chanson à l’image des salves bouillonnantes délivrées avec parcimonie, en spasmes hystériques, par la guitare de Dave Navarro. Il y a en cela quelque chose de Lou Reed chez eux, cette volonté de soumettre sans cesse l’auditeur au supplice de Tantale.
Ne croyez pas que je fais mon malin, c’est juste que je ne vois pas comment les définir autrement. D’autant que les règles sont floues avec Jane’s Addiction et qu’une chanson peut aussi prendre l’apparence d’une libération jouissive. La musique de Jane’s Addiction est semblable à l’océan qui borde leur ville, tantôt caresse, tantôt gifle, elle va et vient en vagues indissociables et contraires.


Pour faire des comparaisons plus à propos, Jane’s Addiction, d’un titre à l’autre, vous balade de la fluide volupté des Mama’s and Papa’s au tarabiscoté rigide de Talking Heads, du vaporeux des titres les plus atmosphériques du Velvet Underground à l’aspérité des riffs de Black Sabbath, sans jamais oublier de faire dégouliner une chantilly de wah wah Hendrixienne sur le space cake.  
Perry farrell, le Djokovic à paillettes, et Dave Navarro plantent les banderilles, illuminent d’incendies délicats le magma brut solidement édifié par l’efficacité des compositions et une polyrythmie qui doit autant à l'inventivité des percussions de Stephen Perkins qu'à Eric Avery, un bassiste dont l’absence fera cruellement défaut aux résurrections en cascades du groupe.



Je précise à ce stade que mes envolées ne concernent que deux albums, le deuxième et le troisième, Nothing's shocking et Ritual de lo habitual, leurs deux chef d’œuvres. Les albums suivant seront des formalités de contrat usant avec malice de la formule établie, et le premier, le seul sur un label indépendant, est un live dominé par une merveilleuse reprise toute en fleurs fanées de Sympathy for the devil et quelques éclairs annonciateurs de l'orage à venir.


Nothing's shocking reste de loin mon préféré, démentiel alliage de puissance et de confiseries aux relents acides, c’est l’album d’Ocean size, Mountain song, de l’infernal Had a dad, celui qui voit le groupe rejoint par les cuivres de leurs potes Angelo Moore et Christopher Dowd de Fishbone pour un irrésistible Idiot rules aux contorsions raides, le disque de Pigs in zen et du merveilleuse Jane’s says, clin d’œil parfaitement maîtrisé aux mélodies mélancoliques du Velvet UndergroundStephanie says ou Ocean bien plus que White light/white heat. Là où la plupart des auto-proclamés enfants du Velvet ne font que geindre et intellectualiser, Jane’s Addiction fonctionne, comme son lointain modèle, à l’instinct.



Nothing's shocking date de 1988, une époque où les galettes novatrices, mais encore Rock, étaient aussi rares qu’un propos intelligent dans la bouche de Samir Nasri, tout ou presque n’était que gros son compressé pour satisfaire aux nouvelles normes imposé par le cd, ça cognait, mais ça cognait mou, les basses surgonflées étaient sexy comme les lèvres au botox des vieilles gloires sur le retour. Tout était affaire de production, d’image, et si leur album nous épargnait les poncifs stéréotypés, pour ce qui est de l’image les Jane’s Addiction allaient en traumatiser quelques uns à commencer par moi. 



C’est en me ramassant le clip de Ocean size en travers de la tronche, alors que somnolant devant Les Enfants du Rock je n’espérais plus rien voir qui puisse m’empêcher de sombrer dans les bras de la tentatrice Morphée, que je devins en un clignement rapide de paupières accro à ce foutu morceau. Frénétique, ravageur, le riff vous chope à la gorge dès l’intro et jamais plus ne vous lâche. Et tandis que la rythmique martèle un vibrant hommage à la délicatesse des Panzer surgit un ridicule arlequin aux tresses passées à l’héné. Le gonze a une tête à coller des démangeaisons à la machine à baffes, sauf que derrière son micro, il n'en met pas une à côté. Bordel, un chanteur ! Lorsque une poignée de mesures plus tard Dave Navarro déverse ses licks sur sa Gibson, la messe est dite, il me faut ce foutu disque.



En fait, je finirais par dénicher la cassette, le vinyle n’étant pas distribué en France (rengaine bien connue des habitués de ce blog) et c’est rien de dire que je vais l’user. Ted, just admit it va me faire des mois. Le morceau démarre en dub, basse sinueuse et angoissante (Black Sabbath encore et toujours) trois tonnes d’écho, puis il se tend sous les power chords de Dave Navarro jusqu’à atteindre son climax au rythme des sex is violent de Perry Farrell avant de se barrer en vrille dans des dimensions défiant la normalité. Travail d’orfèvre que ces 7 minutes en psychiatrie, aussitôt désamorcées par l’apparente légèreté de Standing in the shower...thinking et son drive à la guitare acoustique.


Je ne vais pas vous le détailler, tout l’album est construit ainsi, en embuscade, d’ailleurs ce qui suit est encore plus épatant, Summertime rolls, une tournerie psychédélique et dévariée comme on n’en avait plus entendu depuis que les punks avaient interdit à la musique de planer. Jane’s Addiction ouvre en grand la porte par laquelle vont s’engouffrer les Black Crowes une paire d’années plus tard, seule bouffée d’oxygène au moment de l’étouffoir grunge. A ce moment là, Jane’s Addiction aura déjà explosé en plein vol.


A la sortie de Ritual de lo habitual le groupe n’existe quasiment plus, dézingué par l'égo, la came et les sempiternels problème de répartition du fric. Pardonnez moi si je baille. A vrai dire, ça ne m’a pas bousculé qu’ils splittent, malgré tout son succès et la reconnaissance qu’il leur apporta, Ritual de lo habitual m’a laissé de marbre, le disque n’est qu’une redite gonflée à l’hélium de Nothing's shocking. Évidemment, il surpasse néanmoins à peu près tout ce que le Heavy Rock aventureux à pu proposer depuis. Le disque se scinde en deux faces bien distinctes, bonheur du vinyl, si la A est somme toute classique pour le groupe, la B est d'une toute autre envergure. Three days, évocation, transcendée par la guitare d'un Dave Navarro au sommet de sa créativité, des ultimes jours de volupté, de sexe et de drogues passés sur cette terre par Xiola Blue, en compagnie de Perry Ferrell et Casey Niccoli, avant l'overdose fatale à tout juste 19 ans de l'ex girlfriend du chanteur. Then she did prolonge le thème, l'esprit de Xiola Blue rencontre celui de la mère suicidée de Perry Ferrell, avant que la coda ne nous transporte jusqu'au chef d’œuvre absolu du disque (et l'un des plus essentiels du groupe) Of course et son déchirant violon mêlant l'âme juive des slaves aux errements défoncés d'une Amérique en perte de sens. Classic girl ferme le sidérant parcours des quatre alchimistes en nous laissant souffle coupé. 
En parallèle aux sessions d'enregistrement, le couple hautement toxique formé par Perry Ferrell et Casey Niccoli filme Gift, un long métrage vidéo aussi halluciné qu'implacable dans sa mise en scène romancée du drame de Xiola Blue, jamais distribué en France, il se déniche maintenant sur Youtube.


La suite de l’histoire, c’est des montagnes de formations et reformations diverses, d’allers et retours des uns chez les autres. Le génial Porno For Pyros de Perry Farrell s'évaporera avant d'avoir vaincu, malgré un sublime premier album riche en promesses et un second complétement éthéré, peut être encore meilleur, sacrifié par la dislocation d'un groupe rongé par les problèmes de dope, tandis que sa formation suivante, Satelitte Party, sera principalement affaire de hype pour relancer la machine après l'échec commercial de Porno For Pyros. Ce qui ne veut pas dire que l'on doive s'en priver. De son côté, Dave Navarro sera désolant d’inaptitude, errant de formations mal branlée (Deconstruction) à des piges de luxe (Red Hot Chili Peppers) avant de se reconvertir en animateur télé (Ink Master). Tandis qu'Eric Avery et son Help wanted perché très haut comblera les rares qui seront allés jusqu’à dénicher ce délectable ovni de 2008.


Hugo Spanky

Ranx's Adiccion

6 commentaires:

  1. Lo ritual de lo habitual m'avait emballé au début, je l'avais acheté mais une fois à la maison le soufflet n'aura tenu que quelques heures c'est vrai. Je le garde quand même pour quand je serais vieille ;)
    Mais j'adore le maxi que j'ai de Porno for Pyros en revanche (enfin une fois que j'ai trouvé la bonne vitesse ;p).
    Pour revenir à Jane's Addiction en général, je ne suis pas au fan club à vrai dire, ça me crispe, je préfère quand c'est le son plus lourd.

    Sylvie

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  2. J'admire ta capacité à nous faire voyager dans l'histoire d'un groupe, surtout quand il est aussi passionnant que Jane's Addiction. Grâce à toi, je suis en ce moment même en train d'écouter leur fameux "Nothing's shocking". Sex is violent !!!

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    1. @Sylvie, ce que tu dis du son est vrai principalement pour Lo ritual... c'est même le principal reproche que je lui fais, tous ces aigus dans les guitares et la basse slappée (une horreur ça), Nothing's shocking est bien plus rond et gras. Bon, reste la voix de Perry Farrell et là je comprends qu'elle puisse scier les nerfs, faut aimer. Mais le message est passé, je baisse le volume...

      @Dirty Max, savoir que tu écoutes le disque suite à la lecture du post est le plus agréable des compliments.
      Envoûtant groupe aux pouvoirs mystérieux que Jane's Addiction, d'ailleurs il parait que si tu brailles Sex is violent trois fois de suite et à plein poumons les soirs de pleine lune, Edwige Fenech vient toquer à ta fenêtre ;-)

      Hugo Spanky

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    2. Je vais alors vérifier la date de la prochaine pleine lune sur mon calendrier "30 millions d'amis", pour avoir une chance de croiser ma belle Edwige...Mais bon, y'a intérêt à ce que ça marche hein, sinon ce sont plutôt les flics qui risquent de débarquer. Ou pire Candyman (dans cette hypothèse, c'est moins grave : j'ai toujours un paquet de Miel pops pas loin).

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    3. Ce blog a décidément de la suite dans les idées, après Sparks et Hanoï Rocks il allait de soi qu'il fallait enchaîner avec Jane's Addiction, bravo à toi mon gars!
      Ce festival de mauvais goût vestimentaire aux couleurs criardes à même de désintégrer tout écran plat ferait passer ces vieux croulant de Rolling Stones pour des champions de la mesure.
      Quoiqu'il en soit la clique à Perry le Dingue symbolisait à merveille l'ouverture musicale brillante, la prise de risque maximale et le foutoir enthousiasmant car on parle quand même de types qui, au moyen de compositions barrées à en faire fuir le Syd Barett période araignée au plafond, parvenaient toujours à nous accrocher les esgourdes avec un talent mélodique malgré tout jamais pris en défaut. Des fortiches, ces cons là!
      Et pour tout vous dire l'album "Strays" de 2003 (à la production certes plus rentre dedans, époque oblige) vaut lui aussi largement le détour: écouter-moi donc Price I pay, The riches, Everybody's friend ou bien encore To match the sun et on verra bien si vous n'allez pas y revenir plusieurs fois dessus, les loulous.

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  3. Hanoï Rocks, Janes' Addiction... Vous donnez dans le rock opiacé. ;) Je suis passé complètement à côté de la bande à Farrell. Question d'âge ? Pas vraiment puisque leurs premiers albums datent de la fin des 80's, une époque où j'étais encore actif (professionnellement) dans le rock... Comme j'ai loupé quelques saisons plus tard les premiers albums des Queens Of The Stone Age. Merci de nous offrir ces billets sur ceux que j'appelle les petits maîtres du rock.

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