Tout le monde s'en fout, tout le monde s'en foutait déjà à l'époque où il aurait été important de s'y intéresser, pourtant UFO est un groupe essentiel. Une de ces formations cantonnées à la série B, toujours à deux doigts de décrocher la timbale, d'obtenir LE hit qui fait succomber les States, mais qui, comme Thin Lizzy, ne se hissera jamais au sommet. Faute de discipline, de sobriété et de démagogie. Hé, attendez un instant, ça ne serait pas l'essence même du Rock'n'Roll ?
Voyons les choses autrement, les gars d'UFO étaient tapageurs, casque à boulons patentés, ils se torchaient tellement la tronche qu'ils déblatéraient n'importe quoi aux journaleux avant de les virer manu-militari des coulisses de leurs shows. Les UFO n'avaient pas d'amis. Ou plutôt si, ils étaient potes avec ceux qu'il valait mieux éviter, Johnny Thunders, Motörhead, Thin Lizzy, Pink Fairies. La bande à born to lose. UFO ne pouvait pas réussir le crossover qui fait les milliardaires, ils étaient trop vivants pour ça, pas assez cadenassés, je ne suis même pas certain qu'ils aient eu un manager digne de ce nom.
A la mutation des 60's, ils pilotent à l'aveugle dans le même espace lysergique que Hawkwind et une poignée d'autres fréquemment localisés outre-Rhin. Sur disque comme sur scène UFO fait côtoyer Eddie Cochran et Space Rock, le cocktail est audacieux. Trop bourrins pour le Progressif, trop planants pour les heavy metalleux, le groupe manque cruellement d'une diva, d'un guitar hero qui simplifie la donne en tirant la couverture à lui. Un Jimmy Page, un Ritchie Blackmore, un mégalo qui tape sa frime sur son manche autant qu'il se pavane sur le devant de la scène. Faute de quoi, UFO n'attire que des soulards en quête de défouloir, des acidfreaks rétamés qui se foutent sur la gueule en faisant marrer les deux leaders du groupe, Pete Way et Phil Mogg, respectivement bassiste et chanteur. Parfaitement représentatifs de leur public le premier est un alcoolique chevronné tandis que le second s'illustre aux championnats de boxe de Londres. La perle rare, ils vont la décrocher en Allemagne, seul pays à leur faire un triomphe avec le Japon, dans l'entourage de leur pote Conny Plank, le producteur visionnaire qui met au monde les premiers albums de Kraftwerk, NEU!, Cluster, et grosso merdo tout ce que le Krautrock compte de valable (et le premier album des Rita Mitsouko, c'est lui aussi).
Conny Plank vient alors de tenter de dégrossir Scorpions, un groupe encore plus embourbé dans les inconciliables que ne l'est UFO. L'album de la collaboration avec les vénéneux, Lonesome Crow, ne convainc pas le public et Michael Schenker, de nature impatiente, plaque son grand frère Rudolf et grimpe dans l'ovni en direction de Londres. Et la lumière fut. Michael Schenker est un original, un talent unique, son jeu mélodique deviendra la définition du succès pour des dizaines de groupes de Hard Rock qui se forment dans le sillage de ses premières apparitions sur les scènes anglaises. La fameuse New Wave Of British Heavy Metal lui doit tout ou presque. Son propre frère recrutera un clone docile, Matthias Jabs, et rackettera dès lors les charts mondiaux en déclinant une version aux griffes manucurées d'UFO.
Avec Michael Schenker, beau, blond, timide, le groupe attire enfin les filles à ses concerts, le gosse est la parfaite incarnation de ce dont le Rock européen est privé en ces instants d'exil des rockstars vers les cieux bleus de Californie. Glitter cool, pattes d'eph, khôl aux yeux, Flying V entre les cuisses, torse glabre qu'il affiche nu sur scène, Michael Schenker ringardise les gilets afghans de Robert Plant et Roger Daltrey, qui soudain paraissent avoir cent ans.
Mieux encore, le guitariste canalise les excès musicaux et rend tranchant d'efficacité des boogies comme Doctor doctor ou Rock bottom. A partir de Phenomenon en 1974, jusqu'à Obsession en 1978, chaque album du groupe sera meilleur que le précédent, plus subtil, plus varié, mieux produit et chacun contenant son lot de classiques du Hard Rock (Love lost love, Too hot to handle, Only you can rock me), de reprises bien senties (Alone again or) et de ballades qui brisent les cœurs de cuir (Try me).
Leur diva de guitariste, les gars d'UFO n'en auront pour ainsi dire rien eu à foutre, pour eux le gamin n'est qu'un casse couilles qui leur pique les plus belles nanas, en plus d'avoir des exigences. Phil Mogg, en bon hooligan qu'il est, ne va pas s'en laisser compter et tabasse à tour de bras son précieux sésame pour la gloire. Peter Frampton ne l'en remerciera jamais assez. Les gnons volent dans les loges, sous les railleries alcoolisés du reste de la troupe. Les tournées se multiplient, interminables tunnels durant lesquels les formations sillonnent l'Amérique dans l'espoir de détrôner Led Zeppelin. La concurrence est féroce, aucun faux pas n'est toléré.
UFO rate le côche lorsque Lights Out déboule dans le Top 30 du Billboard durant l'année 77. Le groupe a le vent en poupe, de la poudre plein le nez et les nerfs à fleur de peau. Un énième uppercut décide Michael Schenker à claquer la porte en pleine tournée américaine, malaise. Paul Chapman le remplace au pied levé, rien n'y fait, les filles hurlent le prénom de l'éphèbe teuton. Michael Schenker est réintégré, Phil Mogg fait des promesses, le reste du groupe ricane. L'affaire vire au chaos lorsqu'en plein concert, au moment de jouer ses solos, le guitariste tend sa Flying V au chanteur, avant de tourner les talons et d'abandonner le groupe face à une salle surexcitée. Aux annulations succèdent les émeutes, la routine est dévastatrice. Ils ne le savent pas encore, mais ils viennent de cramer leur meilleure occasion.
L'année suivante c'est la douche froide, Obsession, enregistré en grande pompe à Los Angeles peine à se vendre. La distribution de gifles reprend de plus belle et lorsque parait Strangers In The Night leur double live capté à Chicago, Michael Schenker a rejoint Scorpions. Paul Chapman le remplace définitivement. UFO continuera à sortir de bons disques, Pete Way et Phil Mogg sont des compositeurs trop doués pour qu'il en aille autrement, mais aucun ne connaitra le succès en dehors de l'Angleterre. A l'orée des années 80, alors que le Hard Rock, sous la forme qu'ils ont définie, fait un carton, remplit les salles et garnit les playlists de MTV, UFO tape le bœuf au Marquee avec Johnny Thunders, Phil Lynott et Hanoï Rocks.
Déjà alcoolique Pete Way s'esquinte dans la dope, contrairement à son vieux pote de Thin Lizzy, il n'y laisse pas sa peau, seulement sa carrière. Aujourd'hui encore, il survit entre cirrhose, ablation, coma et AVC. Phil Mogg, devenu sosie de Vladimir Poutine, vient d'annoncer sa retraite à 70 balais, après 50 ans de folies au service de la bonne musique. Il semble encore suffisamment en forme pour plomber n'importe quelle mâchoire.

Michael Schenker a depuis son départ du groupe à peu près tout connu, win et lose. Star au Japon avec son MSG, il perce brièvement aux States au temps des décollements de racines du hard rock Sunset strip. Camé, pochtron, colérique et mégalo, il lui manquera quelques crochets de Phil Mogg pour garder la tête froide et se maintenir au sommet. Malgré tout son talent, il vit dorénavant de formations éphémères, de super groupe tape à l’œil, association de noms aperçus au dos des pochettes de disques les plus légendaires, aujourd'hui amalgamés pour remplir les clubs européens, les festivals nostalgiques.
Phenomenon, Force It, No Heavy Petting, Lights Out, Obsession, Strangers In The Night, ils ne sont pas si nombreux que ça, les groupes à pouvoir se vanter d'autant d'albums indispensables pour qui veut comprendre les 70's anglaises. Les mecs d'UFO marchaient à l'ombre des mouvements, se contrefoutaient de l'air du temps, des coupes de cheveux à la mode, des sapes de Kings Road, chacun d'eux avait trop de personnalité pour enfiler des panoplies. 'Cause it's the natural thing you feel at the start, Natural blood starts to flow... Putain, ce que c'était bon.
Hugo Spanky