samedi 18 novembre 2017

LAuReNT VouLzY



Les auto-tamponneuses, je les vivais comme un avant goût des 18 ans. Faire du cruising, la musique à fond, le coude à l'équerre, en évitant les embuches. La sono alternait disco à guitares et variété, Heart of glass, Made for loving you, Gaby, Ti amo, Touch too much, Ma gueule. Je vous raconte pas comment je cruisais la Riviera, d'Azur à Ligure, sitôt que le moelleux de l'intro du Cœur grenadine venait s'alanguir dans les boomers. Il n'y avait que le I can't tell you why des Eagles pour savoir débarquer de la sorte, en glissando tout schuss. Voulzy, c'était pas forcément le mec à qui j'ambitionnais de ressembler, mais pour ce qui était de coller le spleen dans mon Eden sous les pins, il était hors catégorie. Si j'avais eu suffisamment de jetons, j'aurai pris la tangente jusqu'au bout du monde, au volant de mon électrique rouge aux pare-chocs botoxés, sans jamais gouter autre chose que son single grenadine.

Connement, de cette amorce de souplesse, je n'ai gardé que le souvenir lorsque fut venu le temps des grandes décisions. De celles qui vous définissent à l'adolescence, lorsque se définir devient passage obligatoire pour communiquer. Peu avant de se rendre compte que toute communication est superflue. Ce triste moment où l'on abandonne au pied du manège, les plus encombrants de nos amours de jeunesse. Ceux là même qui ne nous lâcheront jamais, quoique l'on s'inflige pour leur échapper. Vous voulez que je vous chante Vanina ?



Pourquoi Bashung et pas Voulzy ? Qu'est ce que Vertige de l'amour avait de plus ? Faut être sacrément con pour revendiquer Le cœur grenadine sans chercher à goûter les autres saveurs. D'autant que je n'avais pas trouvé déshonorant Désir, désir, le duo avec Pause-Café. Et qu'entre Mes nuits sans Kim Wilde et L'arrivée du tour, je veux pas dire, mais il n'y a pas la ligne droite de Vincennes. Du Paul McCartney enrobé de Harry Belafonteça ne peut pas faire un garçon de mauvais goût.
Il n'est même pas encombrant, Voulzy, avec sa tocade des 45 tours et puis s'en va. A croire qu'arraché de mon Roc méditerranéen, mal transplanté en royaume de Burgondie, j'étais devenu carrément méchant, jamais content.




En société, chaque fois que je disais Voulzy, on me répondait Souchon. Faut reconnaître que ça n'aide pas. On me collait du Jersey dans mes tropiques, du Brandy dans mon Indien. Pas d'échappatoire au poulailler, grillage triple torsion maille de 13. Voulzy, Souchon, Soulzy, Voulchon. Jeu de rôles à la fantaisie chantournée, ces deux là changent de masque selon la destination. Tignasse frisée blonde, tignasse frisée brune, emmêlées par un destin taquin qui fit naître le blanc-bec au Maroc et le mulâtre à Nogent-sur-Marne. Dandy velours pour les paroles écrites à la craie de Douvres, délicatement emberlificotées par mots amoureusement choisis. Dandy fleuri pour des airs qui virevoltent comme les Monarques lépidoptères en Basse-Terre, les parures d'accords raffinés, décorum de guitares mutines pour voix éthérées, Everly falsetto. Source commune pour consommation fragmentée par esprits mal érigés. Souchon pour France Inter, Voulzy pour le Podium Europe 1. Rockollection a trop souvent côtoyé Le schmilblick pour que l'estampille Guy Lux m'autorise à considérer comme un des miens, perfecto pento, celui qui citait pourtant Them, Dylan, Mama's and Papa's, Rolling Stones ou Little Eva, au fil de quelques rimes bien senties, sur un de nos hit pop parmi les mieux fichus des 70's. Pas futé, mon regard de se tourner vers les rives lointaines, alors que Belle-île-en-mer flotte à quai. Le manque d'indulgence prend le pas sur le peu d'eau qui nous sépare. 




Il aura fallu que Milady se lasse de m'entendre fredonner la biguine je la danse pas (alors que je ne danse pas plus la salsa et que je n'en fais pas tout un plat) et qu'elle m'offre cet album rose délavé pour qu'enfin je savoure ce Punch Planteur dans lequel, jamais, le rhum ne supplante mangue et goyave. Le chaloupé de la démarche vient de l'esprit, pas du foie. Un délice. Un univers de flirts chahutés, de virée vers le Var, d'affirmation de soi, un cocktail de rimes en eau, en elle, en cœur. Des crobars à mille lieux des mécaniques roulées des clichés. Musicalement, on pense à Pizza, à Band On The Run, du swing de sultan illuminé par des idées à foison. Un JJ Cale à l'ananas. Les mélodies s'immiscent dans l'arrière boutique crânienne, pincent les lèvres, mordillent les joues, tourneboulent les lacrymales sans jouer les tire-larmes. Sept compositions sans écueil et une reprise de Qui est in, qui est out. Huit titres au milieu desquels, encore plus scotchant que Le cœur grenadine,  En Tini savate l'arrogance de capitale, revendique une autre vie délestée des ambitions de métropole. On dirait Mirror in the bathroom de The Beat débarrassé de son urbanité, joué en laissant une traine de toile légère dans le sable blanc. Ce qui est finalement mieux qu'avec les fesses serrées. Karin Redinger évoque le versant Souchon du duo, à moins que ça ne soit When i'm sixty four. Hé! P'tite blonde picore dans le glam, Cocktail chez mademoiselle trinque en laidback aux mille et une subtilités. Ça défile comme au Mercredi des cendres. Intimité de crépuscule, lové à quelques pas de la foule bigarrée, dans le fantasme d'un corps immobile aux formes d'ile entre capricorne et cancer. Je ne vais pas signer pour le grand album perdu du rock français, mais entre Bashung et Coutin, il y a assurément une place à faire pour ce disque ci. 


Et ainsi arrivé à la mi-temps de l'éternité, découvrir que sous les spots multicolores de mon arc-en-ciel électrique se trouvait bel et bien un trésor. Serein, dorénavant, de savoir que creuser ne servait à rien pour le trouver, lever la tête suffisait.
Hugo Spanky

 Ce papier est dédié à Malcolm Young, éternel activiste des sonos de fêtes foraines.

samedi 11 novembre 2017

MiNDHuNTeR


Pile au moment où je pensais classer l'affaire des séries de grande envergure, Mindhunter m'est tombée sur le râble sans crier gare. Le synopsis avait tout pour que je passe mon tour, et je ne m'en suis pas privé. Pensez donc, un énième épanchement sur deux experts du FBI en charge de dresser le portrait de quelques-uns des plus traumatisants tueurs en séries de l'Amérique du vingtième siècle. Experts, profilers, unité spéciale, autant de mots-clés pour roupiller sur son canapé sans même prendre la peine de dégainer une Heineken. Franchement, si c'était pas que Milady laisse trainer ses pupilles sur tous ce qui est affaire de crimes, je ne me serais jamais penché sur le cas de ces deux oiseaux en costard fédéral. D'ailleurs, à tout dire, j'ai carrément zappé le premier épisode, préférant poser un disque sur la platine que de m'imposer 50 minutes de désillusions. Sauf que dès le deuxième, Ed Kemper s'invite à la fête et, comment dire, Ed Kemper c'est mon dada. Alors, j'ai regardé. Et j'ai plus bougé jusqu'au dénouement final, qui tient à peu près autant d'un dénouement final que celui censé conclure la saga des Soprano.


Partez pas, je ne vais rien spoiler du tout. Juste vous dire que Mindhunter a tout ce que The Deuce n'a pas. Un casting béton, d'abord. Pas du tape à l’œil, du qui tient l'endurance. De la tronche à l'ancienne, façon Les rues de San Francisco pour le duo de tête. Les fameux deux agents du FBI qui vont, pour la première fois de l'histoire, chercher à rendre utile l'emprisonnement à perpétuité. Vu qu'en Amérique ce terme signifie encore ce que le dictionnaire en dit, autant en profiter pour ne pas nourrir les condamnés à rien foutre. Et c'est là que mon Ed Kemper entre en piste. C'est le premier sur la liste, celui dont le profil et le discours sur la méthode vont servir de base à une plus précise compréhension du monstre que sait si bien cacher l'être humain derrière des siècles de bonnes manières.


Chapeau bas à celui (ou celle, c'est pas le moment de déconner avec ce genre d'oubli) qui a déniché(e) Cameron Britton pour camper Kemper. Je ne sais rien de cet acteur, je n'ai souvenir de ne l'avoir vu nulle part, mais bordel, j'espère qu'il n'a pas passé ces derniers mois à se taper des branlettes en public, ni à tripoter les fesses des starlettes de Hollywood, parce que j'aimerais assez que sa carrière ne soit pas flinguée avant qu'il ait eu le temps de tourner dans la saison 2. Voire plus. Dans le genre qui a bien cerné son rôle, il ne risque pas que la concurrence vienne lui arpenter les arpions. Cameron Britton est débonnaire et flippant dans un même plan fixe, exactement comme on s'imagine qu'Ed Kemper doit l'être. Je ne veux pas savoir où il a appris à ressembler de la sorte à un gonze qui a débuté sa crise d'adolescence en dessoudant ses grand-parents.


Qui dit grands hommes, dit petites pépées pas bien loin. Sachez simplement qu'Anna Torv est mieux que ça. Mindhunter n'a pas recruté ses rôles féminins dans les pages des magazines de mode, ce qui fait un bien fou. Non pas que ce soit des laiderons, loin de là, mais qu'il est agréable pour le mâle que je suis de se sentir considéré comme capable d'apprécier une bonne actrice. La production de Mindhunter -David Fincher (déjà producteur de House of cards, dont je n'ai toujours pas vu la moindre seconde) et Charlize Theron- s'est fixé comme mot d'ordre de respecter son public. Réalisation rigoureuse, jamais ennuyeuse, script impeccable, scénario à tiroir irréprochable de cohérence, rythme de croisière dépourvu de temps morts, casting fondé sur la capacité de chacun à incarner une psychologie des personnages sur laquelle on peut s'appuyer. C'est tellement du bon boulot qu'ils ont même pas cherché à coller des tocs au premier rôle. Si ce n'est une tendance obsessionnelle à pratiquer le cunnilingus à la moindre occasion, on baigne dans le classicisme le plus absolu. Le jeune fougueux vaguement arrogant et le vieux bourru qu'à un gosse à moitié fini. Manière qu'on pige bien que c'est pas là que ça va se jouer.



Il n'y a pas de surenchère dans Mindhunter, les gars sont là pour créer une méthodologie permettant d'écrire la définition du serial killer jusque dans ces variantes les plus exotiques et c'est ce qu'ils font. Selon les épisodes, ils se prennent les pieds dans le tapis ou croisent une enquête locale, filent parfois un coup de main, avant de reprendre leur quête. On ne s'attarde pas à savoir l'aboutissement, le procès, les condamnations, c'est pas le propos et on s'en fout. On a reprit l'avion pour le pénitencier, enclenché la touche rec du magnétophone à cassettes et on provoque les confidences de Jerry Brudos ou Richard Speck, avec le frisson au bas du dos, les perles de sueur dans le creux de la nuque et l'envie que ça dure encore quelques minutes de plus.


Hugo Spanky