jeudi 20 mars 2014

WiLL FeRReLL, The aNCHoRMaN 2



L’absurde est le royaume de la vérité. Les bouffons de la royauté le savaient mieux que quiconque. C’est en la débarrassant des compromis du quotidien, de l’accoutrement des petits arrangements, en la grossissant jusqu’à la dévoiler complétement que l’absurde fait apparaître la vérité, qui on le sait n’appartient ni au bien ni au mal. Juste à l’Homme.



Depuis plusieurs années maintenant Will Ferrell dépeint avec une férocité sans ambages nos tracas ordinaires, nous pose face à l’absurdité dans laquelle nous mène nos décisions les plus murement réfléchies. Les familles recomposées se sont ramassées Frangins malgré eux sur le coin de la tronche, Moi, député se chargea de mettre sur le cul les ardeurs des défenseurs des idées salutaires pour le bien de l’humanité, Semi-Pro et plusieurs autres bijoux comme Les rois du patins ridiculisèrent le faste et les pseudos valeurs exemplaires du monde du sport et sa mégalomanie. Tout ça sans nous prendre la tête, même si parfois on sent bien que nos mâchoires grippent un peu au moment de rétracter le sourire qui nous barre le visage.


 

The Anchorman 2, son dernier méfait, s’attaque à un sujet on ne peut plus d’actualité, les médias et leur traitement de l’information. En plaçant l’action à la source du problème, les années 80 et la création de la première chaine d’infos en continu, Will Ferrell assène cette évidence, les dés étaient pipés d’entrée.


Les années 80, c’est l’acmé de l’humanité et le début de son déclin. Le moment où au lieu de prendre le temps d’apprécier l’incommensurable somme de progrès effectués pendant le 20eme siècle, l’Humain est en devenu accro. Réduit à l’état de misérable junkie, chacun de nous aura depuis voué sa vie à une incessante quête du plus encore. On veut, pour se prouver que l’on est moderne -et plus encore que l’on n’est pas un réac puisqu'on nous le rabâche sans cesse, être réac c'est mal- s’adapter, se soumettre au bien être tel qu’il est défini par le corpus de la société de consommation. 

 

Les années 80, c’est le 4 Septembre j’enlève le bas...pour mieux vous montrer mon cul. C’est l’utilisation mercantile des idées libertaires des 70‘s, Polnareff se faisait taper dessus pour son affiche cul nu, cinq ans plus tard la pub, avec la même chose, propose un Avenir. Les années 80 furent un virage mais pas un virage avec la béquille qui racle le sol, non, plutôt une longue courbe vicieuse ne menant qu’à son point de départ. Une boucle. Depuis on ne marche qu’en crabe, fini d’avancer, les phares qui nous guident sont plus nombreux que jamais mais tous ne nous mènent que sur la touche. Et en matière de phares, les chaines infos se remontent les manches pour nous dire 24h sur 24 dans quelle direction regarder. 


Et Will Ferrell dans tout ça, me direz-vous ? Et bien il tape dans le mille. Pas avec une fléchette bien affutée, plutôt avec une massue. Comme à son habitude. Dans ce nouveau tome des aventures de Ron Burgundy, présentateur télé, il fait le chemin depuis la rédaction d’une chaine info jusqu’à un phare, justement. Un aveugle dans un phare ! Bordel, ce mec est génial. Et il finit à deux doigts de se faire bouffer par un requin. On ne peut pas en dire plus en deux heures de temps, me semble t-il. Avec Ron Burgundy, la lobotomie est sélective et d’utilité publique. 



Ron Burgundy, pour ceux qui auraient raté le premier épisode de ses aventures, c’est l’ultra réactionnaire, l’Américain avec toutes les lettres en majuscules, un homme de principes. C’est aussi un Achille avec des talons à chaque articulation. Quand tout s’effondre pour lui, Ron Burgundy ne sait plus rien faire d’autre que mourir. Et son agonie est à pisser de rire. La scène dans le parc d’attraction nautique est fabuleuse. En quelques minutes à peine, il dynamite la joliesse toute verte d’un monde écologiquement plein d’amour pour nos cousins de l’océan. Un peu plus loin, il se tartine du ridicule de cette mode, que je croyais disparue avec le calendrier des PTT, des photos de petits chatons trop mignons que l’on se fade toute les deux pages ici même sur le web. Will Ferrell piétine les bons sentiments et quand il en arrive à la mixité raciale, j’aime mieux vous dire qu’on atteint des sommets.



S’il s’essouffle un peu dans son dernier quart, The Anchorman 2 n’en demeure pas moins une estimable chance pour le cinéma et pour nous tous. Un festival non stop de situations banales traitées avec une sidérante crétinerie, un chapelet de répliques débiles faisant mouche par leur capacité à en dire plus que ce que l’on entend, le tout interprété par un casting faisant de chaque personnage un délicieux régal.



Le seul point qui m’inquiète un tantinet est l’insuccès chronique de Will Ferrell dans notre pays. Trop de niaiseries, trop de maman et moi dans nos comédies nous auraient-elles définitivement rendu trop con pour capter le second degré, pourtant indispensable pour qu’une comédie dure dans le temps ? Serions nous si confortablement installés dans notre supériorité que nous ne tolérons plus rien qui remette en cause nos certitudes ? Et si le miroir reflétant ces béotiens dans les starting-blocks au lever de rideau des soldes dans les grandes surfaces était le plus fidèle reflet de ce que nous devenons jour après jour un peu plus encore ?


A grand coup de Funk, de fringues de mauvais goût, d’improbables coupes de cheveux, de réflexions déplacées, The Anchorman 2 nous rappelle que c’est dans toute notre imperfection que nous jouissions le plus de n’être que de simples humains, vaguement ignares mais si agréablement nous même.

Hugo Spanky 


mercredi 5 mars 2014

Le MoNDe PeRDu DeS ViDéo CLuBs


Ça va faire dix ans que j'ai ma connexion internet et je commence à me sentir comme la chèvre de Mr Seguin, libre dans mon enclos. J'ai tout sous les yeux mais plus rien dans les mains, je clic, virevolte au fil des pages, me promet de voir ceci, de lire cela et une heure après j'ai toujours pas mis ma quiche au four. J'ai rien foutu, rien appris, juste déambulé un moment au dessus du vide. Pire, j'ai rien vécu.
C'est en échangeant des commentaires avec Dirty Max 666 que j'ai pris la mesure du problème. Internet ne nous permet rien, ne nous fait rien découvrir de plus que ce que l'on connaît, tout juste si on partage ce que l'on a en commun (dans le meilleur des cas vu que comble du comble, dégun ne semble vouloir communiquer sur cette toile décidément bien lisse). Alors, comme souvent, s'est mise en branle la machine à ressasser qui me sert de méninges. J'ai creusé et suis tombé sur une pierre philosophale sur laquelle ma pelle a fait des étincelles, soudain notre monde plein de vide aux façades grises s'est drapé de tentures brodées, au sol les moquettes sont redevenues épaisses et chatoyantes, les murs se sont habillés de rayonnages, sur les rayonnages sont apparus des objets, des choses concrètes pas virtuelles, je pouvais les prendre en mains, elles existaient, avaient une fonction. Chacune m’amenait vers ailleurs ou m'éloignait, j'étais seul décideur, j'avais le choix, je me mouvais au milieu d'éléments réels et je pouvais même repartir avec. Pas de doute, j'étais dans un vidéo-club, cerné de VHS. J'en ai encore des frissons, tout cela n'existe tout simplement plus.





Les vidéo clubs sont les seuls endroits dont j'ai un jour pris la carte. L'odyssée à portée de mirettes que c'était ces lieux là, on y voyageait devant le verso des jaquettes, scrutant les photos du recto avec de grands airs de connaisseur, cherchant à se faire une idée sur le film en faisant appel à notre feeling perso, les chroniques cinéma sur des films aussi obscurs que ceux qu'on dénichait sur les étalages fallait se lever le matin pour en trouver. Et tant mieux, rien n'était pré-chié, fallait se risquer, c'était le tarif pour se forger une culture selon sa propre personnalité. C'est qu'à ce moment là, c'était important la personnalité, il n'était pas question de retrouver la bande de collègues sans que chacun y rapporte sa touche à lui, c'était comme ça qu'on gagnait le respect. En étant bon, pas docile.

Mon principal soucis n'était pas là de toute façon. J'avais la carte, j'avais les trois francs six sous que coûtait une location, j'avais même un relatif bon goût, sauf que j'avais pas de magnétoscope. Et ça c'était quand même un peu chiant. Autant visionner un classique dans le salon de mes parents ne me causait pas le moindre nœud au cerveau, autant me risquer sur du bizarre tendance découverte des talents d'actrice de Catherine Ringer me souciait déjà un peu plus. Même si je me doutais bien que mon Marcel de père n'y aurait guère vu d'objection. Non, pour assouvir ma curiosité maladive envers les œuvres les moins nommables du septième art, je n'avais qu'une seule solution, unique et radicale, mon cousin. 



Comment dire ? Mon cousin, d'une poignée d'années plus âgé que moi, avait sa propre turne, son magnétoscope à lui et l'avait même branché sur sa chaîne hifi pour pouvoir faire chier ses voisins en mettant le son à fond pendant qu'il regardait un film de cul. Chez lui, enchaîner les films toute la nuit durant ne posait aucun problème, on se vautrait sur son canapé devant des bouteilles de gin, de bières, une bonne tête de beuh et plus rien n'existait d'autre que la lucarne au milieu du salon. La seule certitude que je n'avais pas c'était de voir le film que j'avais loué. Niveau sélection, voyez-vous, mon cousin donnait dans l'étrange.


Pour situer le personnage, on le surnommait le mein, rapport à son attirance prononcée pour les films de SS. C'est simple, je pense les avoir tous vu, la série des Ilsa La louve SS, Salon Kitty, SS Camp 5 L'enfer des femmes, Elsa Fraulein, Hotel du plaisir SS, KZ9 Camp d'extermination, Holocauste Nazi et les variantes Prisons de femmes et je ne sais quoi d'autre encore. Plus la jaquette était choquante, plus il se régalait de la louer aux heures de pointes. Parce que quoiqu'on en dise, les films de torture-érotico-sadique c'était sacrément fendard, quand on passait pas son temps à se tortiller sur le canapé pour dissimuler une érection intempestive. Ces films avaient compris qu'un bain de sang n'est jubilatoire que si la victime à les seins nus et le visage d'un ange. Parfait exutoire des frustrations adolescentes, il faut les avoir vu à 14 ans pour en comprendre toute l'utilité.
On avait même par mégarde dérapé dans l'intello avec Salo et Portier de nuit mais là on s'était bien fait chier. 



On s'en foutait pas mal qu'aucun d'eux ne soit doté du moindre scénario potable, même ceux des films X d'alors étaient mieux développés, Debbie does Dallas avec l'adorable Bambi Woods, Derrière la porte verte avec Marilyn Chambers, New Wave HookerMaîtresse pour coupleTraci I love you avec mes deux éternelles favorites Traci Lords et Marilyn Jess. Cette même Marilyn Jess que l'on retrouve dans le chef d’œuvre du cinéma polisson à la française, La femme objet, dans le rôle d'une petite sœur de Frankenstein à la libido en furie préfigurant Une créature de rêves autre série B bien cagneuse et délicieusement décérébrée.




Du X à l'horreur il n'y avait qu'un pas et c'est en enclenchant la cassette suivante que l'on passait sans préambule d'un genre à l'autre, les castings étaient régulièrement jumeaux. On retrouvait Sharon Mitchell en infirmière dans Maniac, Traci Lords chez Roger Corman ou plus récemment dans ce bijou vicieux d'Excision, Lina Romay nous baladait de Rolls Royce baby à La chute de la maison Usher, Brigitte Lahaie faisait ses gammes avec Jean Rollin, Jess Franco. C'était tout un univers parfaitement cohérent que je découvrais en assemblant le seul puzzle que j'aurai jamais mené à terme. Un monde de fantasmes loufoques et si invariablement excessifs qu'ils en perdaient toute perversité. Les films que l'on dénichait alors dans les vidéos-clubs ne cachaient pas de messages subliminaux, ne cherchaient pas à nous emplir le crane de pensées bienséantes sur les uns ou les autres, ils exposaient juste des situations libératrices et à chacun de faire son chemin avec. 



Evil dead, Massacre à la tronçonneuse, Bordel SS, Porkys, Deep Throat, Hamburger film sandwichBody Love, Hurlements, aucun ne prétextait la présence d'un génie quelconque pour remplir leurs rôles. Une scène de cul servait à faire bander, l'éventration tripailles à l'air d'Anthropophagous à faire vomir, les conneries de John Belushi à se pisser dessus. C'était simple, carré et foutrement marrant à voir, à vivre. Pas besoin des 3 plombes de La vie d'Adèle pour se sentir en empathie avec les filles qui s'amusent entre elles, avoir bonne conscience en matant une paire de fesses. Ce cinéma là ne nous prenait pas pour plus con que lui.



D'ailleurs, il était parfois sacrément plus con que nous, les preuves ne manquent pas. Figurez-vous que quand on ne s’extasiait pas devant les sévices subit par l'Adorable Lola, on donnait dans le registre des pellicules musicales, là aussi il y a de sacrées pépites que les éditeurs de dvd oublient de ressusciter. Kiss contre les fantômes ça parle à quelqu'un ? Le « film » reprenait, dix ans après la bagarre, les choses là où la série Batman les avait laissé. Fallait de l'argument et beaucoup de mauvaise foi pour faire avaler à quiconque que le quatuor maquillé qui lançait des lasers tout pourris contre un ramassis de Gasper encore moins crédibles que Hollande président, était le même qui vous avait filé des cauchemars avec la pochette de son double live. Un groupe de heavy rock, ça ?


Pourtant c'était pas pire que Rock'n'Roll highschool et peut être meilleur que Can't stop the music, le long métrage des Village People. Celui là attention, c'est du gratiné. Aujourd'hui on y verrait un pamphlet sur la tolérance, on lui collerait un César, nous on y voyait un navet doté d'une qualité rarissime, le machin plaisait aux filles.

Des comme ça, des pires et des meilleurs, les vidéos-clubs en avaient des murs entiers, et je m'en repayerai bien une tranche manière de quitter le quotidien. Sauf que non, on les a perdu en route, et sans doute pour de bon. Les films pas calibrés, les misfits, ça ne passe plus entre les mailles du filet. Le changement de format de la VHS au DVD avait réduit l'offre à une bien maigre portion et bon nombre des boutiques de location avaient pris du plomb dans l'aile avec cette affaire. La multiplication des chaines de télé et internet ont fini par porter l’estocade. On en est là, conditionné au blockbuster, recevant la becquée, nous qui étions habitués au festin. 




Il y a bien eu quelques blogs par ci par là, genre La caverne des introuvables, qui se démerdaient pour repiquer les vieilles VHS jamais éditées en dvd et nous les mettre sur un plateau, mais le rideau est descendu. Les gars, avec leur centaine de couillons comme moi qui téléchargeaient leurs perles, mettaient le business en danger, menaçaient de foutre en l'air le monde de la Culture et ses sbires. J'en peux plus d'entendre des conneries pareilles. Surtout qu'à côté de ça, que le maçon se retrouve au chômage parce qu'une poignée de malheureux venue de l'autre bout de l'Europe travaille pour moitié moins cher que lui, ça les gène pas nos politiques. C'est la mondialisation qu'ils disent. Mais nos artistes, pas touche, là c'est important, faut les protéger. Quitte à priver le quidam d'une source de bonheur qui ne leur doit rien. Virtuellement, on nous confisque tout, et concrètement, on n'a plus rien. C'est pas beau le progrès.



Je ne vois plus guère mon cousin ces dernières années, en repensant à tout ça je me dis que je ferais mieux d'aller passer une soirée avec lui plutôt que de rester les yeux rivés sur mon XP que Windows vient de condamner à mort comme d'autres ont condamné les vidéos-clubs en d'autres temps. Plus rien ne dure, il faut sans cesse s'endetter pour obtenir un toujours plus bel objet, à chaque étape un peu plus vide. La grande aventure ressemble de plus en plus à Un jour sans fin.

Hugo Spanky



Dédié à Harold Ramis, grand fournisseur de soirées réussies.