dimanche 23 février 2014

RoB ZoMBie uNDeR THe SHeRi MooN

 


Rob Zombie. Faire un machin qui tienne debout, soit un brin cohérent et réussisse à faire partager l'état d'esprit de Rob Zombie, voilà le genre d'idée à la con qui me traverse le ciboulot après m'être enchaîné l'intégrale cinéma du bonhomme en l'espace d'un week end.
Rassurez-vous, on n'a pas fait que ça avec Milady, on a aussi écouté ses disques entre deux films. Manière d'être bien dans le mood.



Musicalement, c'est vite fait, avec White Zombie puis en solo, Rob, c'est le gars qui a inventé Marilyn Manson dix ans avant tout le monde. Le premier a avoir passé Alice Cooper à la sauce Trash-Electro en y adjoignant des clips psyché complet. Par chance, il savait aussi faire autre chose.
Quelques-uns des meilleurs films du moment par exemple.


House of 1000 corpses son premier long métrage réalisé en 2003 est d'emblée un sacré coup d'essai. Ce film est un trip qui refuse de descendre. Si bon nombre de films d'horreur souffrent du même défaut, une heure de paluchage avant une ultime scène bien canon, celui ci n'arrête jamais. La maison des mille morts est un inventaire de ce que le cinéma a pu inventer comme supplices filmés de toutes les façons possibles, principalement les plus loufdingues. En noir et blanc, en couleurs saturées, en négatif, balancez moi tout ça dans la marmite et faites bouillir. Il serait vain de dresser une liste des références et clins d’œils qui défilent deux heures durant, les ingrédients sont multiples mais la saveur est unique. Voyage au pays des trépanés. Rob Zombie nous gâte, ressuscite Sid Haig et Karen Black, nous présente Walton Goggins et fait jouer les hystériques à sa femme. A la fin de House of 1000 corpses, on n'a qu'une seule envie, achetez un ticket pour le train fantôme et s'envoyer aussi sec la seconde réalisation du Zombie. 


Et la suite du programme, voyez comme le monde est bien fait, c'est The Devil's rejects. Soit le film le plus cintré, le plus vicieux, le plus violent et dépourvu de la moindre trace de morale depuis...ben, j'en sais rien. Depuis toujours.
The Devil's rejects commence par un massacre, finit par un massacre et entre les deux c'est une boucherie. The Devil's rejects c'est aussi l'affirmation du talent de Mme Moon Zombie, Sheri de son prénom (quand je vous dis que le monde est bien fait), une actrice qui si elle ne joue quasiment que dans les films de son homme ne le fait pas moins avec un talent qui laisse sur les fesses. Regarder la façon dont Rob Zombie filme sa femme résume assez bien son cinéma, pas de maquillage camouflage, pas de filtre 20 ans pour la vie, encore moins de retouche numérique. Le gars bosse à l'ancienne, à l'éclairage, et si on aperçoit des cernes, des rides et quelques poils, tant mieux, la part de réalisme fait partie de la réaction psychotique qu'il cherche à provoquer chez nous.


Ce qui ne veut pas dire que Rob zombie fait dans le documentaire pénible avec du gris sur du noir, loin de là. Avec lui c'est festival de néons flashy et couleurs hurlantes, l'enfer ne fait pas semblant d'être rouge ! C'est même ce qui sauve The Lords of Salem, son dernier méfait, ces tableaux aux couleurs saturées que l'on jurerait sorti de chez Dario Argento. Ça et aussi l'interprétation impeccable de Sheri Moon. Pas que le film soit un navet, Milady l'a adoré, y a trouvé à juste titre des références à L'Au-delà de Lucio Fulci, et moi même je n'ai pas d'avis tranché, c'est le soucis, pour la première fois je vois un film de Rob Zombie qui ne me colle pas les nerfs en pelote, ne me donne pas envie de réduire la moitié de la ville en cendres, d'aller fracasser des cranes, d'étrangler le premier quidam à passer sous mon réverbère, éviscérer le chien de ma voisine, ébouillanter vif mon conseiller pôle emploi. A la fin de Lords of Salem, j'ai fait des spaghettis au pistou, finalement c'est bien aussi.


Si The Devil's rejects restera mon favori pour bien des raisons, je pense néanmoins que les deux Halloween sont ses chef d’œuvres. Le premier pousse l'aspect white trash encore plus loin que Devil's rejects et surtout, en choisissant de se pencher sur le cas Michael Myers dès son plus jeune age, Zombie évite le remake ainsi que toute comparaison. D'ailleurs, il n'y a rien de comparable entre son film et celui de John Carpenter même si les codes sont tous là. A commencer par l'impayable Docteur Loomis que Malcom McDowell s'approprie avec une sobriété qui lui fait honneur. Le Dr Loomis, c'est le pivot de la saga, c'est l'humanité impuissante face à ses démons, c'est Derrick à la poursuite de Satan, David Vincent devant affronter l'incrédulité générale, il est là, je le sens en guise de ils sont parmi nous. Donald Pleasence restera indétrônable dans son interprétation toute en frustration, Mc Dowell a l'intelligence, tout en ne s'éloignant pas tant que ça du modèle, de ne pas chercher à le singer. Il fait du Dr Loomis un Yuppie âpre au gain, qu'on devine plus que vaguement intéressé par les arguments de Maman Myers.


Rob Zombie pose son empreinte sur la saga en s'attaquant à l'origine de la psychose de son héros, en faisant cela, en nous dévoilant Michael Myers enfant, il ancre son film dans la réalité. Difficile dès lors de se dire que cela n'existe pas, que ce n'est qu'un mythe, son Halloween nous fait le même coup que le premier Mad Max, l'horreur prend naissance dans la maison du voisin, jamais nous ne connaîtrons la paix. Pour ne rien gâcher, la réalisation est magnifique, d'un classicisme absolu, il y a du grain sur l'image, de la chaleur, quelque chose de William Friedkin. Rob Zombie est un héritier certainement pas un hérétique.


Avec Halloween II en 2009 il tutoie les sommets. Il s'approprie définitivement l'histoire et ajoute une magnifique touche onirique à sa réalisation. Dans ce second volet, Rob Zombie nous place dans l'esprit même de Michael Myers, dans ses visions, il fait de nous les témoins de sa volonté de réparer sa faute en réunissant à nouveau sa famille, certes avec des méthodes quelque peu excessives. Soudain, on se prend d'affection, la répulsion disparaît et c'est le reste du monde qui devient source de danger, de provocation, de méchanceté gratuite. Ce qui n'était qu’embryonnaire dans le premier volume devient évidence, Michael Myers c'est David Carradine dans Kung Fu, il lutte contre la violence mais la société lui impose de l'utiliser.


Comme souvent lorsqu'un réalisateur s'éloigne un tant soit peu des stéréotypes d'une saga, le film fit un bide. Les gardiens du temple Halloween offusqués comme les grands couillons qu'ils sont n'y retrouvant pas leur Michael Myers de toujours. Peuchère, Rob Zombie avait commis un impair, ne pas miser sur la connerie du public, s'imaginer que les gens ne souhaitent pas voir sempiternellement le même film. En France, comme toujours, ce sera directement en DVD que l'on pourra apprécier la bête et uniquement en Blu-ray pour ce qui est de la version Director's cut. Trop fort le pays de la Culture.



Pas de quoi s'inquiéter pour l'avenir, Rob Zombie déborde de projets. Son dernier album en date Venomous Rat Regeneration Vendor est excellent et plusieurs films sont annoncés. On va rester connecté au Grand Zombie Circus, les occasions de se mettre les pupilles en mode hallucinatoire se faisant trop rare pour qu'on se prive d'un esprit aussi peu enclin à la normalité.


Hugo Spanky


mercredi 19 février 2014

iRoN MaiDeN


Plus j'avance dans les années 2000, plus j'aime les années 80. Pour les avoir vécu à l'âge où les joues de poupon à marinière deviennent creuset aux pommettes saillantes, où les grands yeux vert qui faisaient la fierté de maman deviennent de misérable fentes soulignées de cernes noires, je n’en retire que du bon, elles m’apparaissent comme le dernier moment avant que l’humain ne se fasse supplanter par la machine. Avant que loisirs comme travail ne se lient au virtuel. Les années 80 étaient concrètes, elles se vivaient dans les rues, se gagnaient par la ruse, elles offraient des choix ainsi qu’une obligation de choisir. On n’était pas tout et rien, on prenait parti, on se bâtissait sans modèle imposé, sans chercher à joindre le plus grand nombre. 
La musique était encore un espace sauvage, repère des allergiques au conventionnel et fantastique moyen d’affirmation de soi. Il en existait pour tous les goûts, mais fallait creuser, ne pas s’imaginer que la terre est plate et que la fin du monde se situe quelque part au delà du hit parade RTL. 
L’ère pré-internet offrait bien mieux que la globalité à portée de clic, elle proposait de l’aventure, du risque et du frisson. Fallait savoir lire les pochettes de disques, connaître les noms des producteurs, des musiciens, des studios, autant de langages codés, de regards nouveaux, d’options du possible. Ou accepter de rester un pitre.


Devant l’immensité des plaines vinyliques, devant le choix pléthorique face à mes maigres moyens, j’optais pour la stratégique de la division, ne pouvant aborder tous les genres de front, malgré une tendance à ne pas toujours passer par la caisse, je décidais d’en mettre quelques uns de côté pour plus tard ou jamais. Le Punk me semblait chiche, Power Pop pour filles en rébellion plus que pour moi, le Reggae m’assoupissait invariablement, il restait le Funk et le Hard, je pris les deux. D'ailleurs les deux genres sont cousins bien plus qu’il n’y parait, l’intention est la même, donner du plaisir tout en faisant travailler les méninges sur le mode fantasmagorique. Je n’ai jamais vu de différence entre Kool and the Gang et Van Halen, pas plus que d’inspirations opposées entre Funkadelic et Iron Maiden


Les concerts firent pencher la balance. Si voir en province les stars du Funk était aussi rare qu’un mot de félicitation sur le cahier de correspondance, les groupes de Hard Rock, eux, n’étaient jamais avares de soirées riches en décibels débridées. Et parmi tous, Iron Maiden étaient les rois de la fête. Le groupe avait réussi la parfaite synthèse du passé et du futur. Aux bases piquées à Thin Lizzy, guitares mélodieuses à la tierce et basse prédominante, ils avaient ajoutés le speed du tempo, le chant lyrique à l’octave et des ambiances directement venues d’une parfaite connaissance du cinéma d’horreur, de la littérature macabre, des poèmes de Coleridge aux nouvelles d’Edgar Allan Poe ou H.P Lovecraft. Iron Maiden est un concept global, un univers tout entier. 

Vous allez me dire que je suis bien gentil à radoter mes souvenirs, et je ne m’offusquerais pas d’apprendre que vous vous contrefoutiez de savoir que le concert de 1986 était moins barbare que celui de 84. A vrai dire je n’aurais même pas imaginer prendre la plume pour tartiner sur Iron Maiden si ma chérie n’avait pas dégainé Phenomena de son boitier VHS et que Flash of the blade n’avait mis en branle d’anciens neurones depuis longtemps remisés au grenier. Bizarre comme soudain les mots me sont venus, le couplet tout entier sans anicroche, arrivé au refrain j’avais bondi sur le lit en agitant ma calvitie frontale, brandissant les doigts en cornes de Satan (pour les Hardos, mais Va fan culo pour les ritals, ce qui démontre que le diable est bien dans les détails).
Il n’en fallut pas plus pour que je sorte des étagères les quelques vinyls du groupe à avoir survécu à mes incessantes périodes de purge. 



Il en restait quatre, Iron Maiden, Killers, Piece of mind et Powerslave, je dénichais Number of the beast parmi les K7 et m’injectais le tout dans le conduit auditif avec une maestria qui en aurait rebuté plus d’une pour ce qui est de me conserver comme amant. Au lieu de quoi, ébahie par tant de grâce et d’énergie déployée, ma chérie adorée décréta que le groupe était dorénavant son préféré et nous voila aussi sec, jamais rassasiés, lancés de concert à la recherche de Flight 666, documentaire hautement gratiné et aussi attachant que possible.
Flight 666 c’est Iron Maiden en 2008, car, oui, ils existent toujours. Loin des setlists remontant aux calanques grecques dont nous assaisonnent bon nombre de groupes ayant dépassé les 20 ans d’activité, Iron maiden a sans cesse renouvelé son répertoire en privilégiant son plus récent album. A chaque tournée ne subsiste du passé qu’une poignée de leurs innombrables classiques. C’est peut être rageant de ne pas entendre sempiternellement Aces high ou The trooper, mais c’est la ligne de conduite du groupe depuis le début et c’est ainsi que les fans les plus assidus peuvent assister à chaque nouvelle tournée sans crainte de lassitude.



Chaque règle à son exception et Flight 666 est celle ci. Pas plus con que les autres, les gars de Iron Maiden à force de parcourir le globe se sont rendu compte que leurs publics avaient rajeuni et qu'ils étaient nombreux à ne pas les avoir vu en leurs temps les plus glorieux. Il existait même des pays entiers, parmi les plus mal lotis en matière de concerts, Colombie, Chili, Argentine, Mexique, (France ?) qu'ils n'avaient encore jamais visité !! Qu’à cela ne tienne, Bruce Dickinson, chanteur de son état et pilote de Boeing 747 à ses heures de repos, prend les commandes et voila nos troupes installées, matériel compris, dans la carlingue flambant neuve de ce fameux Vol 666. Leur mission ? Ré-interpréter pour la première fois depuis des lustres leurs classiques les plus frappants. Un répertoire à filer des cauchemars à la concurrence, à faire splitter les plus navrants.


A travers des extraits de concerts démentiels, des interviews informelles, des visites de temple inca, on suit le groupe à chaque instant et le découvrons dans toute la simplicité de ceux qui savent pourquoi ils font les choses. On rigole, on s’attache, on se remémore combien c’était bon et tellement essentiel, Iron Maiden, et combien aussi on a été ingrat de finir par leur en préférer d’autres. Pendant un temps.

Et c’est là que la magie intervient, là que des fois je me demande si il n’y aurait pas des choses dont la compréhension nous échappe. Vous allez me croire ou pas, mais pas plus tard que le dimanche suivant toute cette agitation, je me suis levé conquérant pour me rendre au vide grenier de Carcassonne, terre cathare à la cité d’une mystique qui charma ces mêmes Iron Maiden lorsqu'ils la visitèrent en 1986, tandis que nous piétinions d’impatience en les attendant à l’entrée du Palais des Sports de Toulouse. Bref, dans ce vide greniers aux allures de camp de gitans je dénichais non pas un, ni deux, mais quatre beaux vinyl parmi ceux que j'avais négligemment égaré, Number of the beast, Live after death, Somewhere in time et Seventh son of the seventh son rentraient à la maison. Coup de bol ? Pas si sûr que ce ne soit que cela... 
Oh well wherever, wherever you are, Iron Maiden’s gonna get you, no matter how far...

samedi 8 février 2014

JaMeS GaNDoLFiNi, MeMoRieS aRe MaDe OF THis


La discutions est faussement amicale, on perçoit une tension derrière les sourires de façade. Patricia Arquette, délicieuse et naïve, cherche à se rassurer par des mensonges. L'inconnu est armé, peut être séduit. Au loin, chantent les Shirelles. Il se lève du fauteuil, pose ses lourdes mains sur le visage auréolé de blond, charmeur il relève les lunettes de soleil qui cachent les yeux de la belle, il semble l'admirer, elle se laisse envelopper par ses mots, veut y entendre le réconfort qui fera taire ses craintes. Elle semble crispée mais la confiance s'installe, fragile. La caméra se fait oublier, ils sont seul au monde. La fille se laisse guider, il lui demande de se retourner comme pour mieux apprécier ses formes, innocente, elle le fait. D'un geste brusque le tueur dresse son poing, la frappe à la nuque puis lève les yeux au ciel. Comme une fatalité. Il s'en suit l'une des scène les plus violente à laquelle le cinéma ait donné le jour.
En une poignée de minutes, True Romance vient de me faire un superbe cadeau, James Gandolfini vient d'entrer dans ma vie. Il n'en sortira plus.


Souvent l'on pondère d'une nuance l'admiration que l'on porte à un acteur. On construit des niches. L'acteur le plus drôle de sa génération, l'acteur le plus talentueux de sa génération, l'acteur le plus allez vous faire voir avec votre génération. James Gandolfini était l'un des tous meilleurs acteurs qu'il m'ait été donné de voir. Toutes générations confondues.

Bien sur il faut parler des Soprano. Nombreux furent les acteurs à avoir incarné un héros de série au point d'en devenir indissociables. De l'avoir tant imprégné de sa propre personnalité que le rôle en devint une extension. Peter Falk est Columbo, Telly Savalas incarne Kojak pour l'éternité, Robert Conrad sera James West et Pappy Boyington au delà des rediffusions. Chacun d'entre eux a su à la perfection nourrir son personnage de tellement d'éléments personnels que le moindre détail nous les remémore instantanément. Loin de moi l'idée d'amoindrir leurs talents. Columbo parle de sa femme mais joue t-il la moindre scène de repas de famille ? James West fait les yeux doux à Artémus Gordon mais jamais ne nous invite à partager leur intimité. Kojak aime t-il le bœuf strogoloff autant que les sucettes ?


Dans son interprétation de Tony Soprano, James Gandolfini les surpasse tous. Parce qu'il incarne un homme dans chacune des situations de sa vie, la vie d'un capo di tutti capi. Meneur d'homme mesuré, tempérant les réactions, parfois, un tantinet irréfléchi de ses troupes, amant ou mari attentionné, père de deux enfants pas toujours de tout repos, redoutable dans les affaires, contradictoire dans ses amitiés. Qu'il embrasse sa fille ou pulvérise à coup de pied les dents d'un malotru, qu'il scie les membres d'un corps trop encombrant ou se confie, fragile, à une thérapeute qu'il ne sait que désirer, James Gandolfini est mieux que juste, il est Tony Soprano à chaque souffle, chaque haussement de sourcils.
S'il ne nous avait offert que ce seul rôle, James Gandolfini mériterait déjà d'entrer au panthéon, de siéger aux côtés des illustres. Par bonheur il fit encore plus que cela.



Venu tardivement au cinéma, Gandolfini y entre par la plus petite des portes mais enrichi de sa vie rocailleuse d'enfant du New Jersey devenu homme au contact d'une réalité pas toujours peinte de rose. Il en a gardé la force tranquille de ceux qui connaissent la puissance de leurs poings. Sportif mais baroudeur, libre mais attaché à sa terre, artiste dénué d'ambition démesurée, il garde un pied dans le monde du théâtre mais c'est dans les bars qu'il construit sa vie. L'Italie à l'esprit, l'Amérique rivée au corps, James Gandolfini est habité par le feu.

True Romance sera la première pierre marquante de son parcours. Au gré des films il se grave lentement dans les rétines, faisant de ses souvent courtes apparitions des moments attendus avec délectation. Combien sommes nous à l'avoir guetté dans Perdita Durango, Get shorty, She's so lovely, comme autant de confirmations que, non, nous n'avions pas rêvé, il existait bien un acteur qui ne ressemblait à aucun autre. Un qui paraissait s’épanouir dans des rôles de tordus, de sales mecs à moitié psychopathe et si jouissivement ordinaire pour l'autre moitié. James Gandolfini nous faisait adorer nos plus agressives pulsions en se délectant de les étaler sur les écrans de salles toujours mieux remplies. Alors, forcément quand arrivèrent Les Soprano, nous étions quelques-uns à être mûrs pour les accueillir à bras ouvert. Come stai mio fratello ?


Hélas quelques-uns seulement. France 2 nous les a baladé à toute heure de la nuit et à peu près à tous les jours de la semaine nos mafieux de Newark. Putain de bons à rien, ceux là. Finalement, à la saison 2 ils disparurent. Je ne me fatiguerais même pas à évoquer l'anarchie des sorties vhs puis dvd. Bordel, il fallait qu'on les aime pour ne pas les perdre de vue nos Paulie, Silvio, Meadow ou Christopher. La série a fini par faire le triomphe que l'on sait, mieux à s'installer en incontournable. En référence indéboulonnable. Et James Gandolfini prit enfin le chemin des premiers rôles. J'ai bien dis le chemin, Hollywood ne lui traça pas d'autoroute, non et tant mieux, Gandolfini n’était pas homme à aimer les péages sauf bien sur celui du légendaire générique.


Avant ça il gratifia The barber des frères Coen d'un de ses petits rôles qui en éclipsent de bien plus reluisant puis viendront les chef d’œuvres. Celui que lui offrira son ami, en 2005, l'extraordinaire et inqualifiable John Turturro, lui aussi homme à valoir tous les superlatifs, Romance and cigarettes, un de ces films qui se logent dans votre cœurs jusqu'à en devenir essentiel. Romance and cigarettes est une fable, une comédie musicale, un drame, une pitrerie d'une pudeur qui touche à l'intime. Beaucoup de romances, trop de cigarettes, des chansons et du talent à chaque seconde de pellicule. Un casting d'un bon goût affolant, Christopher Walken, Susan Sarandon, Kate Winslet, Steve Buscemi, Mary-Louise Parker, Aïda Turturro et, peut être dans son plus beau rôle, un James Gandolfini impérial jusqu'à l'orgasme. Du rire aux larmes, il trimbale sa carcasse de mec rongé par le quotidien, paumé dans son mariage, Nick Murder veut vivre autre chose sans rien perdre de ce qu'il a. Dans une ambiance délirante aux couleurs flamboyantes, il ira jusqu'à se perdre lui-même.
Le film sera un bide monumental. Je ne dirais jamais assez à quel point il faut pourtant le voir. Sinon, ne prétendez pas aimer le cinéma. Ni la musique.


La remarque est valable pour Welcome to the Rileys de Jake Scott. On est en 2010, Les Soprano ont baissé rideau et Gandolfini transforme l'essai en s'imposant tout en grâce dans ce rôle magnifique et débordant de nuances. Je ne suis pas doué pour raconter un film, mon vocabulaire serait réducteur, qui plus est pour rendre justice à un film qui ne doit pas grand chose à son histoire et tellement à ceux qui la vivent. Welcome to the Rileys est, comme Romance and cigarettes, un film sur les sentiments, sur le besoin de les faire taire et le désir de vivre selon leur seule loi. Cette fois encore on ne se morfond pas, on ne tire pas les larmes, mieux on y rit, respire à plein poumons, on se sent devenir moins con.



Surtout, se balader au fil de la filmographie de James Gandolfini c'est être surpris sans cesse, voir le cinéma sous des angles chaque fois différents, ne s'enfermer dans aucun genre. Du film de guerre à la comédie sentimentale, il est toujours parfait, pile dans le ton, quoiqu'il joue il nous emmène ailleurs. Je ne vais pas vous dire qu'en mourant à 51 ans Gandolfini a été fauché en plein élan, pourtant l'un de ses derniers rôles, dans All About Albert avec Julia Louis-Dreyfus, nous le dévoile d'une subtilité qui laissait entrevoir de bien belles choses à venir. Il y aurait eu cette nouvelle série Criminal justice dont il venait de tourner le pilote, Robert DeNiro le remplacera, il y aura encore une poignée de films à sortir dans le courant de l'année 2014. Et ce sera tout. Du moins je l'espère. Que la machine à ragots se taise. L'autopsie, loin des rumeurs, à révélé toute la futilité de la vie, James Gandolfini est mort d'un infarctus du myocarde après un repas trop copieux et bien arrosé. Enfin, pas plus qu'il ne m'arrive de m'arroser moi même, 4 rhums, 2 pina coladas et 2 bières dans les heures précédant le décès. Vous aussi ça vous semble raisonnable, non? On est d'accord, James Gandolfini aimait la vie, la bonne vie, à n'en point douter, et ce n'est pas en Italie qu'il allait se mettre au régime. Dans All About Albert son poids est partie intégrante du scénario. On le sait tous, faut prendre soin de soi, personne ne le fera à notre place.




Les témoignages de ceux qui l'ont côtoyé, Bruce Springsteen qui lui dédia une interprétation de l'intégralité de Born to run, son disque préféré, John Travolta, proche de longue date, la présence à ses funérailles de ceux qui ont tournés chaque jour avec lui toutes ces années durant démontrent à quel point l'homme était attachant.



James Gandolfini était de ces acteurs aux côtés desquels on souhaitait vieillir, faisant de chacun de leurs films un repère, une marque dans le temps. Assuré de n'en rater aucun. Fidèle comme en amitié, on noue avec eux un sentiment presque familial, tant de repas partagés, eux dans la lucarne, nous les coudes sur la table, à chacun son meuble. Et lorsque, garce, la vie se retire, que le destin de farouche devient cruel, on mesure alors par le manque qu'il s'agit de bien plus que d'une image qui s'absente, plutôt une chaise qui dorénavant restera vide au banquet des amis.



Hugo Spanky