lundi 22 septembre 2025

ELViS DaNs La Peau


J'ai passé l'été empêtré dans l'oeuvre de David Bowie. J'ai tout réécouté. J'ai comblé les manques et même acheté des disques que j'avais déjà. Parfois pour des motifs ridicules. Diamond Dogs parce que la pochette de la réédition laisse enfin voir la bite du clébard telle que l'avait dessiné Peelleart. Young Americans pour les trois indispensables bonus qui subliment l'édition Ryko. Lodger et Scary Monsters, parce que ça fait plaisir de les avoir neufs comme au premier jour. Les trois qui précèdent Blackstar parce que je les avais snobé alors qu'ils sont excellents. Reality, surtout. Et quoi d'autre ? Je n'ai toujours pas cédé à Earthling, qui reste un navet. Jétais tellement loin dans Bowie que je commençais à me demander par quel détour mon cerveau allait me tirer de ce bourbier. Au bout de deux mois à n'écouter que lui, j'en étais réduit à télécharger Furyo comme un junkie en manque, à lire des livres traduit de façon répugnante. A Life, aux éditions Ring, décroche le pompon. Tout y passe, grammaire d'agriculteur, conjugaison néandertalienne, orthographe pousse au crime. Jusqu'aux notes du traducteur qui donnent des précisions erronées. J'ai cru devenir fou. 

Puis, je ne sais pas trop comment, peut être par Golden years ou par hasard. Peut-être parce que j'ai feuilleté le livre de Lisa Marie. Triste Lisa Marie. Peut-être parce qu'il est dit qu'Elvis viendra toujours me proposer une alternative. Comme il l'a fait au lendemain de sa mort en me faisant découvrir un monde différent à travers les hommages télévisuels qui inondaient les programmes en ce mois d'août 1977, con comme tous les mois d'août qui l'ont suivi. Hier comme aujourd'hui, Elvis dans le mange-disque, Elvis sur la platine, Elvis dans l'autoradio, Elvis dans le casque jusqu'à la troisième heure du matin, Elvis dans la peau. 

Avec lui, pas besoin de faire des dépenses. J'ai tout depuis des siècles. Il suffit que je vois une de ses pochettes de disque pour que je perde tout sens rationnel. Pourtant, je ne l'ai évoqué qu'en minaudant dans ce blog qui prétend me ressembler. Qui es-tu Ranx ZeVox ?

Je n'ai aucune excuse décente, mais il existe des raisons. La principale étant que je ne sais pas par quel bout le prendre. En à peine plus de 20 années de carrière, Elvis Presley a enregistré plus que n'importe qui en 50 ans. D'un disque à l'autre, il passe du Rockabilly au Bel canto, de la Country gothique aux chants de Noël libidineux, du Gospel à la Pop, des mariachis à la bossa nova. A quelques rares exceptions près, Elvis Presley n'a jamais enregistré d'album en tant que tel. Le rituel était toujours le même, deux ou trois fois par an il réservait une semaine à l'American Sound de Memphis ou au studio RCA de Nashville et enregistrait à chaud ce qui lui passait par la tête. Elvis aimait l'improbable et le conventionnel aussi, tout ce qui fonctionnait était honoré. Après quoi, il rentrait à Graceland bouffer des sandwichs à la banane, jouer au chef de bande avec ses potes ou partait en tournée à travers les vastes plaines. Pendant ce temps-là RCA récupérait les bandes, décidait lesquelles assembler sur le nouvel album officiel de la marque, lesquelles refiler à Camden, leur subdivision en charge des albums discount, et lesquelles mettre au rebut. A ce rythme, il sortait entre 3 et 5 albums par an, hors compilation et albums live. Le disque estampillé RCA proposait les meilleures bandes, l'album Camden faisait sa tambouille avec les restes autour d'un ou deux hits singles récents. Ce système rendra fou plus d'un fan complétiste. Comme si ça ne suffisait pas, la majorité des singles ne figurait sur aucun album, ce qui laissait le champ libre aux compilations, d'où les cinq fameux Elvis Gold Records. Parmi lesquels le légendaire 50 000 000 Elvis Fans Can't Be Wrong avec sa pochette en costume lamé or, démultiplié à l'infini, qui aligne les classiques comme tous les autres volumes de la série. Elvis Presley est le seul artiste dont les compilations sont indispensables.


Et quoi d'autre ? Où trouver les joyaux du royaume ? Il existe un coffret The King Of Rock'n'Roll The Complete 50's Masters qui englobe tout ce qu'Elvis a enregistré entre 1953 et 1959, chez Sun puis RCA, en 4 cd gavés jusqu'à la moelle, plus un 5eme qui compile des versions alternatives. Le tout avec un son d'origine qui fout la honte aux producteurs du monde entier. Pour certains, nombreux, le bonheur est ici. Difficile de les contredire, Blue moon, Mystery train, Heartbreak hotel, Is it so strange, Young and beautiful, Trying to get to you, je peux continuer jusqu'à plus d'encre. C'est irrationnel tant de beautés sauvages. Il y a du vaudou là-dedans, ça fait peur autant que ça fait du bien. Imaginez ça dans le contexte de l'époque, ce type qui hurle à la lune. Durant les années 50, Elvis semble possédé sitôt qu'il est derrière un micro. Il n'a aucun équivalent. That's all right mama est historique, pareil que le sacre de Clovis. Heartbreak hotel l'est tout autant, nulle autre comme elle n'évoque le désespoir, la malédiction, la solitude, l'amour à sens unique, le suicide. Heartbreak hotel a ouvert la voie à tous les Velvet Underground du monde. 


Ce qui nous mène, comme c'est facile, aux années 60. Et là, c'est le bordel. Elvis part à l'armée, prend des pilules, séduit Priscilla en Allemagne, baise des putes à Paris, tourne des films comme on va pisser, perd sa mère, se farcit Ann Margret et Tura Satana, épouse Priscilla, donne vie à Lisa-Marie, combat un tigre à mains nues, signe un comeback tonitruant et conclut la décennie en enregistrant son meilleur album, From Elvis in Memphis, avant de faire de Las Vegas son Jardin d'Acclimatation. A côté de lui, Hercule était un foutu branleur.

On en trouve pour se plaindre qu'avec tout ça, il n'a pas trouvé le temps d'enregistrer plus de chef d'oeuvres. On trouvera toujours des cons pour prétendre que La Joconde est un travelo. Dans les faits, Elvis is Back, enregistré sitôt revenu de l'armée, est un disque d'une modernité inconcevable au long duquel Elvis swingue avec humour, nervosité et ce brin de névrose qui le caractérise. Make me know itFever, the girl of my best friend, Like a baby, Reconsider baby, It feels so right, Dirty dirty feeling en sont témoins.

Arrivé là, faut bien piger un truc. Elvis n'en a rien à foutre de la mission que les glandus lui ont confié. Il ne se prétend pas le garant d'une rebellion, se contrefout de savoir si ce qu'il fait est rock ou pas rock. Tous ce qui lui a valu remontrance est finalement devenu incontournable dans toute carrière qui se respecte. Une rockstar n'en est pas vraiment une sans un navet à son palmarès. Quant aux concerts à Las Vegas, il devient plus laborieux de citer qui n'en a pas donné plutôt que l'inverse. Colonel Parker ou pas, Elvis Presley est le seul pionnier à être resté au sommet de sa popularité tout au long de sa carrière. Et hormis Gene Vincent qui n'a jamais enregistré de mauvais albums, peut être même de mauvaises chansons, tous se sont vautrés dans la fange et le fiel à un moment ou un autre, d'une façon ou d'une autre. La pilule était amère, les rebelles des années 50 paraissaient bien ternes à l'ère psychédélique. Les films à un million de dollars ont été une échappatoire pour Elvis, lui évitant la dégringolade dans le circuit des clubs qui usa prématurément la santé physique et mentale de types aussi solides que Jerry Lee Lewis, Johnny Cash ou Carl Perkins. Presley roucoule sans doute de trop, pourtant It's now or never reste une putain de tuerie. Dans le même registre ténor d'opérette, Suspicion, No more, Surrender ou You'll be gone tiennent méchamment le pavé. Je revendique carrément Santa Lucia. Sa voix est tellement sidérante de puissance. Et puis, merde, Fun In Acapulco est tout aussi fun in Occitanie. Ce n'est pas parce qu'on est damné qu'on n'a pas le droit de se marrer. 


Bannir les films et les B.O qui vont avec, c'est bannir Loving You (Amour frénétique) et King Creole (Bagarre au King Créole). Je ne vais pas faire une thèse sur les films d'Elvis, ils sont un genre à eux seuls, mais King Creole est à redécouvrir de toute urgence, l'interprétation d'Elvis est impeccable, l'éclairage est sublime, Carolyn Jones est incandescente, la musique ravageuse. 

La plus pitoyable B.O de toutes, Kissin' Cousins (Salut les cousins) est pourtant celle qui a offert aux Saints leur meilleur single. Blue Hawaï et Fun In Acalpulco sont d'un kitsch assumé qui passe très bien pour si peu que l'on sache choisir le bon moment. Il n'y a rien ici qui soit moins justifiable que l'album Calypso de Robert Mitchum. Long legged girl with the short dress on de Double Trouble (Croisière surprise), You're the boss de Love in Las Vegas (L'amour en quatrième vitesse), Let yourself go de Speedway (A Plein Tube), Relax de It Happened at World Fair (Blondes, brunes et rousses), Girl happy de Girl Happy (La stripteaseuse effarouchée), Desert serenade et Animal instinct de Harum Scarum (C'est la fête au harem), A little less conversation de Live a little, love a little ( Le grand frisson), tous me chatouillent sans complexe la moelle épinière. Et c'est dans les bonus de la B.O de Spinout (Le tombeur de ces dames) qu'Elvis chante Tomorrow is a long time de Bob Dylan, mais aussi l'ultra groovy Stop, look and listen. Croyez-moi, il y a plus de bonnes chansons sur les B.O d'Elvis Presley que de bonnes surprises dans la discographie de Radiohead.


Autre dossier de poids, dans un milieu qui se revendique volontiers de Lucifer, Elvis Presley croyait en Dieu. Comment aurait-il pu en être autrement ? Notre homme voit le jour dans une misère absolue, doté d'un père allergique au travail et d'une mère traumatisée d'avoir accouchée d'un jumeau mort-né. En conséquence de quoi, elle va surprotéger Elvis et soigner sa dépression en se rétamant la tronche aux pilules. Une pratique que son fils adopte bien vite et qui sera, à n'en pas douter, à l'origine des pas de danse frénétiques et des contorsions faciales qui feront l'aube de sa légende. Elvis arrive à l'adolescence sans amélioration notable de la situation. Faut voir les photos de l'époque. Alors quand à 19 ans il devient la star du sud avec tout ce que ça comporte comme hystérie et qu'un an plus tard l'Amérique toute entière se l'arrache, on peut aisément imaginer qu'il ait cru au miracle. On nous l'a dit et répété Elvis Presley était un garçon bien élevé, s’il a jugé bon de consacrer trois albums à Dieu en guise de remerciement, je n’irai pas le lui reprocher. His Hand In Mine, How Great Thou Art, He Touched Me valent bien mieux que l'intéret qu'on leur porte. C'est du Gospel blanc, certes, mais jamais il n'a sonné aussi charnel. Un quatrième disque, You'll Never Walk Alone, publié par Camden, est d'une certaine façon encore meilleur. Dans un foutoir sans nom il réunit des enregistrements inédits des sessions 1969, inclut les 4 titres du EP Peace in the valley de 1957 et d'autres encore provenant de je ne sais où sinon du Golgotha. Rien n'est à jeter.


Les années 60 s'achèvent avec un bilan qu'aucun esprit cartésien ne parviendrait à commenter. Revenu de l'armée sous les quolibets des puristes, Elvis grave dans un premier temps plusieurs sessions mémorables que l'on retrouve principalement sur Elvis Is BackSomething For Everybody, enregistré en une unique session de 12 heures (!), Pot Luck et de manière plus anarchique sur Elvis For Everyone. Les sept années suivantes seront consacrées aux B.O et à quelques singles en or massif ; I feel so bad, His latest flame, Little sister, Surrender, Good luck charm, Ain't that loving you baby, Return to sender, Devil in disguise, It hurts me, Suspicion, It feels so right, Big boss man, Guitar man font chauffer la marmite entre 1961 et 1968. C'est peu ? J'aimerais vous y voir.

Il y aurait beaucoup à dire sur l'année 1968. Contrairement à la légende, Elvis ne renverse pas la table après avoir reçu un message intersidéral lui ordonnant de se couvrir de cuir noir pour copuler avec la moitié de la planète à travers un show TV (de Noël!!!). Le contrat avec Hollywood est tout simplement arrivé à terme et les faibles scores des derniers films n'ont incité aucune des parties à continuer sur cette voie. Le comeback special 68 est un résumé hippie chic de sa carrière. Le show réunit pour la première fois depuis dix ans Elvis et ses premiers musiciens pour une jam durant laquelle le chanteur fait hurler les filles en diabolisant un Baby what you want me to do intolérablement pervers. Pour le reste, on baigne dans le Hollywood de série B que ses films nous ont appris à aimer, cette fois ci revu et corrigé par les ballets du Maurice Béjard local. Elvis se bastonne en prenant des poses karaté du plus bel effet, atomise un big boss man que le colonel parker aurait pu trouver ressemblant et finit, après une parenthèse Gospel, en pulvérisant les satellites hertziens avec une interprétation de If I dream que personne n'avait vu venir. Tous les visages de l'Amérique des sixties dans le creux de sa main, Elvis en costume blanc adresse aux hommes cette prière à haute intensité et parvient à fédérer autour de lui un pays torpillé par les morts violentes de Martin Luther King et Robert Kennedy quelques mois auparavant. L'accueil fait à l'émission relance la carrière d'Elvis qui enchaine en sortant coup sur coup le single In the ghetto puis l'album qui reste son chef d'oeuvre absolu et l'un des disques les plus significatifs de la musique américaine de la seconde moitié du 20eme siècle : From Elvis In Memphis. L'album se partage entre des interprétations hallucinantes captées live en studio, I'll hold you in my heart, Wearin' that loved on look, Long black limousine, After loving you ou encore ce Power of love qui affiche une sexualité à faire pâlir James Brown et d'autres titres plus travaillés, sans être surchargés, parmi lesquels True love travels on a gravel road, Gentle on my mind, Any day now, I'm movin' on et bien sur In the ghetto. Après quoi, Elvis renonça au repos du 7eme jour pour enregistrer le single Suspicious minds. Tchaïkovski peut faire circuler la nouvelle sans crainte, Elvis est de retour dans l'arène.

En octobre 1969 sort son unique double album conçu comme tel, From Memphis to Vegas, parfaitement résumé par son titre. Le premier des deux disques propose un concert capté à L'international Hotel. La tracklist est incendiaire, les versions des classiques sont survitaminées, prises à des tempos qui ne laissent aucun répit. Elvis est dorénavant entouré des meilleurs musiciens du moment, James Burton est à la guitare, Jerry Scheff (qui tient la basse durant sessions de L.A Woman des Doors), Ronnie Tutt à la batterie ainsi que deux groupes vocaux, féminin, The Sweet Inspirations, et masculin, The Imperials, aux tonalités gospel et rhythm & blues. Sur scène, Elvis présente Hound dog comme une chanson engagée, explose de puissance sur I can't stop loving you et sa version de My babe ne fait pas de quartierLes résidences à Las Vegas permettent à Elvis de roder son groupe, de développer un répertoire aménagé sans cesse durant des répétitions qui fourniront plus tard à elles seules des documents fabuleux, que ce soit sur disque ou dvd. In Person at the International Hotel, Las Vegas est un live trop souvent oublié et son successeur On Stage capté l'année suivante au même endroit est encore plus dévastateur. Le second disque du double album, Back In Memphis, en est le versant studio. Plus orchestré que son illustre prédécesseur, il partage néanmoins avec From Elvis in Memphis les particularités soul qui en font la chaleur. Stranger in my own hometown se distingue, Inherit the wind également, le reste en un cran en dessous. En 1971 sort Elvis Country enregistré en 5 jours entre juin et septembre de l'année précédente, le disque renoue avec le sans faute, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. 

Tout va tellement bien que personne ne prête attention aux nuages qui s'accumulent à l'arrière-plan. Au moment même où sa vie artistique triomphe, sa vie privée s'effondre. Lassée par ses absences et sa conception de la vie de couple, Priscilla entretient une relation avec son professeur d'arts martiaux. Elle quitte Graceland avec leur fille Lisa Marie au début de l'année 1972, ce qui paradoxalement offrira un énorme hit à Elvis avec Always on my mind sur lequel il partage sa douleur, utilisant ses émotions comme aucun autre. Une large partie de son talent unique vient de cette faculté. Dès lors sa santé décline, tandis qu'il s'enfonce dans le cauchemar de la médicamentation à outrance. Ses enregistrements deviendront plus lugubres, pour ne pas dire gothiques, tandis que sa voix développera une puissance qui semble le consommer tout entier. C'est pourtant en 1973 qu'il enregistre ses morceaux les plus incroyablement funky au cours de plusieurs sessions d'une poignée de jours aux studios Stax, puis RCA, mais toujours avec son propre groupe de musiciens. On le savait doté d'un groove paroxysmique depuis ses versions live de Polk salad Annie, les enregistrement studio de I've got a feeling in my body, If you talk in your sleep, If you don't come back, Just a little bit, Find out what's happening, Raised on rock étoffent ce répertoire. Lorsqu'il quitte Stax en décembre 1973, Elvis baisse le rideau, le comeback s'arrête là. En 1974, il n'apparait que sur scène, en 1975 une session avortée au bout de trois jours au studio RCA de Hollywood permet néanmoins de graver une dizaine de titres, d'autres, disparates et chaotiques, à Graceland en février et octobre 1976 donneront vie à des morceaux fantasmagoriques, même si les albums sur lesquels RCA les assemble avec plus ou moins de bonheur ne retrouveront jamais la cohésion artistique des premières années de la décennie. 


Elvis Now, Raised On Rock, Good Times, Promised Land, Elvis TodayWelcome To My World, Moody Blue, des titres tête de gondole pour des albums qui ont une âme. C'était surement moins flagrant sur l'instant. Elvis refusait toutes les séances photos depuis 1972 avec pour conséquence des rumeurs persistantes sur sa déchéance physique et des pochettes de disque qui recyclaient les sempiternelles mêmes clichés captés en concert, ringardisant à force de surexposition ses costumes Nudie et ses poses acrobatiques. La faute à un dégout de lui-même, à un monde qui change trop vite sans le prendre par la main. Il devient ce type un peu dingue qui apparait à l'improviste dans Memphis, offrant des Cadillac au premier venu, un type défoncé, obèse, qui se trimballe en moto avec son étoile de sheriff, un flingue à la ceinture et une pépée blonde collée à lui. On vient le chercher dans son refuge de Graceland, on l'habille, le fourre dans une limousine, un jet, une autre limousine, on le bourre d'amphétamines pour qu'il monte sur cette foutue scène, ici, ailleurs, n'importe où. Sitôt face au public, il se recentre sur sa voix, se reconnait en ceux qui lui envoient de l'amour en échange de sa présence. Il joue le jeu une fois encore, se dépouille, donne de la joie comme on va au combat. Puis il va vomir sa graisse dans un coin et s'écroule sur une banquette arrière. Elvis has left the building, en route vers Graceland, vers son néant, sa cuisine, sa pharmacie, vers la tombe de sa mère, dans le jardin, au milieu des fleurs. Il se gave de tout ce qui lui a été refusé si longtemps. Il se défonce, casse tout ce qui l'entoure, adresse des menaces de mort aux absents, vide des chargeurs contre des murs. The Wall est le meilleur film sur Elvis. Dix cachets pour dormir, deux, cinq, dix autres pour tenir debout, la tête qui tourne, le regard mauvais. Au milieu de cette folie, RCA assemble Moody Blue qui sort en juillet 1977. Elvis n'a rien enregistré de spécifique pour ce disque, d'ailleurs il n'a rien enregistré de l'année. Il ne sort tellement plus de chez lui que le colonel Parker a transformé la garçonnière en home studio. Au cas où. Les seuls titres de 1977 figurant sur l'album sont des prises live, dont une version bouleversante de Unchained melody sur laquelle il s'accompagne au piano. L'interprétation a été filmée, je n'ai rien vu de plus désespéré. Elvis martèle les touches, sa voix enfle en puisant chaque once d'énergie de son corps épuisé. Tout est là, sous nos yeux, la coquille vide, l'âme furibarde. Moody Blue est un superbe album, pour si peu que l'on n'ait pas un flingue sur la tempe. Les up tempo sont nombreux, Little darlin est même carrément fun. Ce sont pourtant les morceaux les plus sombres qui donnent sa teinte dominante à l'album, She thinks I still care, He'll have to go, Unchained melody transpirent la mise à nue. Moins d'un mois après la commercialisation du disque, Elvis est retrouvé mort à Graceland à l'âge de 42 ans. Sa carrière ne fait que recommencer. Il est paru depuis une quantité incommensurable de disques, de documents, de vidéos, de livres, de figurines, de sex toys aussi, sans doute. Son oeuvre est disponible jusqu'au moindre enregistrement privé. Tout a été réévalué, réinterprété, remixé, remasterisé, rerererere. Comme si ce monde n'arrivait pas à tourner rond sans Elvis ou au contraire, peut-être, comme si sa folie autorisait toutes les folies. Elvis marie les touristes à Las Vegas, chante du Led Zeppelin en reggae. Le Elvis malheureux des derniers mois, toujours. Le Elvis jeune reste intouchable, icone sacrée qui à elle seule justifie le sang versé pour en arriver là. L'incarnation de la beauté américaine. Comme Marilyn Monroe. Le prix à payer reste le même. 


2025, on regarde un biopic que plus personne n'est capable d'évaluer. Où est la part de vérité ? Nul ne sait. Tout a tellement été écrit, réécrit, sous tous les angles, par le coiffeur, par les roadies, par le meilleur ami, par l'ex femme, par Albert Goldman. Elvis se chiait dessus, Elvis bouffait comme un porc, Elvis ne baisait pas sa femme, Elvis était un con, Elvis était raciste. Pourquoi on l'aime ? No more Elvis chantait Clash en 1977, deux ans avant de rendre hommage à la pochette de son premier album, deux ans avant de se coiffer comme lui, de poser comme lui, de se rêver comme lui. Des années avant de porter son prénom dans Mystery train, film de Jim Jarmush dans lequel Elvis est japonais, Elvis est partout, Elvis hante un hotel des cœurs brisés, Elvis, Elvis, Elvis. Elvis dans True Romance, Elvis en Val Kilmer, Elvis en Kurt Russell, Elvis en Mickey Rourke, Elvis en Kevin Costner, Elvis en Johnny Depp, Elvis en Miley Cyrus. Elvis en chacun de nous, lorsqu'à 20 ans on s'évalue dans le miroir. Pourquoi on n'y comprend rien ? Peter Guralnick noircit les pages de deux pavés traduit dans le monde entier, on les referme avec l'envie de lui coller des baffes. Il est passé à côté. RCA file les clés du coffre à Ernst Jorgensen avec pour mission de compiler Elvis en trois coffrets, un par décennie. Il publie l'intégralité des années 50, facile, celle des années 60 moins les B.O, facile, et se vautre sur les 70's, seules années qui demandent une compréhension, plus qu'une connaissance. Il rassemble des perles, comment pourrait-il en être autrement, mais trébuche sur les sessions de 1973, sélectionne dans les highlights une affreuse version de It's diff'rent now et passe à côté de Early in the morning et Help me make it through the night, deux titres vénérés qu'aucun adorateur n'aurait oubliés. Pourquoi ? Pourquoi on a envie de chialer ? Pourquoi aucun disque ne console mieux que ceux où il est le plus désespéré ? Il s'est passé quoi au juste ? Vous étiez là ? 

Hugo Spanky

Elvis Presley en 122 titres finement sélectionnés

Ce papier s'accompagne d'une pensée pour Lisa Marie Presley