Doom rock, Stoner métal, je ne sais pas trop quoi encore, dans les années 90 des gonzes se sont surchauffés les méninges pour trouver des étiquettes toutes neuves, mais en 1984 ça s’appelait Manilla Road, c'était du Hard Rock et on n'en faisait pas tout un plat.
Manilla Road, c'est Iron Maiden qui trinque dans des cranes à la gloire du Valhalla, c'est le Motörhead de Metropolis et Iron horse en flirt avec Uli Jon Roth.
Manilla Road est un trio de Wichita, Kansas, formé par Mark Shark Shelton en 1977, un guitariste/hurleur ayant sévèrement flippé sur Hawkwind. Vous l'aurez pigé, c'est de la musique d'hallucinés à base de sorcières en flammes, de gnomes sadiques, de prédicateurs aveugles au bord des falaises du grand nord. Mark Shelton a fait Histoire en seconde langue, avec option mythologie. On croise Jeanne d'Arc dans ses visions et le déluge qui donne son titre à un de leurs deux meilleurs albums n'est pas celui d'une soirée d'août à la campagne. N'allez pas croire pour autant que Manilla Road ne cause que des abysses profonds d'un âge oublié, leur premier 45 tours vante leur participation à l'émeute de Hermann Hill à Wichita en 1979 (hermann hill, it was a gas...). Imaginez un peu l'embrouille lorsque la police du bled ramène sa science en plein concert du groupe devant un parterre de bikers pour une histoire de vente de bières sans autorisation. Avec pour résultat la mise à sac du quartier, une cinquantaine de blessés et une centaine d'arrestations. Se revendiquer de l'évènement n'est pas un argument commercial très pertinent au fin fond du Kansas, Manilla Road se retrouve tricard d'emblée de jeu. Le groupe fera le gros de sa carrière sur un label français, Black Dragon, aucun de leurs albums ne sortira aux States autrement qu'en auto-production.
Et puis soudain, on ne sait pas comment, ni pourquoi (ça ne peut quand même pas être dû au changement de batteur ? Si ?) les crapauds deviennent Tyrannosaures. Coups sur coups, le groupe enregistre deux albums qui sont à classer parmi les meilleurs du Hard Rock de l'âge d'or, Open The Gates et The Deluge (dédié à Jacques De Molay), deux blocs massifs de mélodies arrachées aux tempêtes, de rythmiques assassines matraquées gourdins en pogne, deux ouvrages dantesques au lyrisme assumé. C'est beau, c'est époustouflant et ça n'empêche pas Heavy metal to the world d'être le single de speed le mieux torché depuis Overkill. Partout ailleurs, ces deux disques nous chavirent dans un univers caverneux fait d'incantations, maelstroms de guitares torturées et tambours de la jungle cimmérienne. Il suffit de s'imposer les 9 minutes de The ninth wave pour devenir accro à la chose. Manilla Road, c'est Charlton Heston qui prend la foudre sur le Mont Sinaï.
Ces deux disques sont tellement bons qu'ils font frémir un public européen en quête d'une formation qui n'a pas viré FM, spandex et paillettes. On est en 1986, même Judas Priest fait du gringue à MTV, de quoi déprimer jusqu'au moins obtus des hardos. C'est le règne du Pop Metal, du calibrage peroxydé, des albums qui plaisent à toute la famille. Manilla Road est à des siècles de tout ça et se retrouve dans la position de rafler la mise pour si peu que son nouvel album confirme la donne. Mark Shelton sent le coup et casse sa tirelire pour s'offrir une paire de semaines au studio Al Green à Memphis et le maitre des lieux, Paul Zaleski, à la production. L'idée semble provenir d'un esprit égaré. Mystification sort en 1987 et la surprise a le goût de la désillusion. Que je me fasse bien comprendre, le disque est fabuleux, mais l'incompréhension est totale entre producteur et musiciens. Le mixage est raplapla, sans volume, ni relief, pire encore, le mastering de l'album est foiré, dépourvu de basse. Les premiers pressages sont bons à foutre à la poubelle, il n'y en aura pas d'autre avant une décennie. Il faudra un remixage tardif pour que l'option thrash metal apparaisse dans toute sa puissance, d'ici là Manilla Road aura raté le coche en beauté. Mystification est un four monumental que le Live maquillé à la truelle (public de festival ajouté entre les titres et morceaux tronqués) commercialisé en catastrophe par Black Dragon n'atténuera en rien. L'échec marque le début de la fin de la formation dans sa formule la plus efficace. L'usure l'emporte sur la foi, après deux albums supplémentaires (dont le cryptique The Court Of Chaos qui voit le groupe enrichir son son d'un orgue caverneux à souhait), Manilla Road jette l'éponge dans une totale indifférence.
Quelques années plus tard, la hype fera tout un pataquès de Kyuss, Melvins et autres Queens of the Stone Age, on sera quelques-uns à hausser les épaules sans en avoir rien à foutre. On avait déjà vu le film dans sa version biblique en Technicolor by DeLuxe.
Manilla Road m'a toujours intrigué. C'est un groupe assez fou, définitivement métallique dans l'attitude, mais pas totalement dans la musique. Cela brasse tellement de choses, tout en étant parfaitement cohérent. C'est outrancier, complètement décalé par rapport à la scène Metal de l'époque. "Open The Gates" et "The Deluge" sont effectivement très bons, sans doute leurs meilleurs albums. Toutefois, je trouve toujours des choses passionnantes sur bon nombre de leurs disques : "Metal" en 1982, "Crystal Logic" en 1983... il y a même un très bon live de 1979, "After Midnight Live". C'est une sorte d'alliage entre Motorhead, Pentagram et Blue Cheer. Tu fais bien de rendre hommage à ces guerriers hallucinés.
RépondreSupprimerCrystal Logic est bon aussi, c'est vrai, Necropolis fait figure d'incontournable du répertoire.
SupprimerBon, je n'ai mis en avant que Open The Gates et The Deluge parce qu'ils sont deux crans au dessus et qu'il serait déjà surprenant que quelqu'un n'en écoute ne serait-ce qu'un seul après avoir lu ce papier ))))
Manilla Road n'a rien pour séduire le chaland, pas de coupe de cheveux branchouille, pas de leader beau gosse pour prendre la pause sur les photos. Manilla Road c'est juste de la musique de dingues pour les dingues, du péplum pour l'esprit, du heavy psychedelic, la lutte des damnés pour s'échapper des limbes.
A côté de tout ça, il y a leur histoire, une succession de maldonne. Les embrouilles avec Black Dragon, les masters foireux, les auto-productions à deux balles. A un moment où les disques de Hard avaient un cahier des charges digne d'un contrôle technique sous macron, Manilla Road faisait respirer l'air du grand large à ceux qui gardaient leurs oreilles loin de tout formatage.
Hugo
Bien vu, j'avais pris "Open The Gates" après lecture d'une chronique sur le "Heavy Metal" et la résistance du genre vers les 80's. J'avais bien aimé l'énergie mais pas trop la voix, l'idée qu'il n'y avait pas assez de coffre quand ça poussait fort, j'ai laissé tomber. Bon papier = Deuxième chance, j'ai été un peu injuste avec eux, j'ai profité de ma bonne humeur estivale, retour de congé, pour m'y remettre. Lecture de ta chronique, Teaser (malhonnête?) avec le OVERKILL, alors forcément, j'ai enchaîné, je sens que ça va le faire avec un bon Rosé... Pas vraiment la boisson Heavy... Allez hop, j'ouvre la bouteille et DELUGE pour accompagner.
RépondreSupprimerComment ça teaser malhonnête ??? Comme si c'était le genre de la maison ))))) Pour le coup, il n'y a rien de plus vrai, ce heavy metal to the world déglingue tout sur son passage.
SupprimerLa voix de Mark Shelton, c'est une critique qui revient souvent, je ne sais pas, je trouve qu'elle colle impeccable, elle a un côté dément et le mec est à fond dans ses textes. C'est plutôt mieux que les divas sans nuance que le genre impose souvent. La voix de Shelton, c'est comme celle de Lemmy ou de Véronique Sanson, c'est dérangeant au début et puis très vite tu percutes que ça ne fonctionnerait pas aussi bien autrement.
Et sinon, le rosé est une boisson d'énervés, donc parfaite pour headbanger sous le déluge )))
J'aime bin !
RépondreSupprimerbon coup d'phare je connaissais pas ça virevolte en guitare et la voix, hé bien c'est le style il chante plus qu'il braille (je suis sur open the gate là) road of kings c'est une tuerie. pas mal pour des (hr hr hr hr hr ricane) .... bon d'accord j'arrête avec les barbus ...
RépondreSupprimerC'est pas des barbus, c'est des vikings. Les lames de rasoirs se brisent à leur contact et ils cherchent toujours Excalibur. Tu vois, tout s'explique de façon rationnelle.
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