vendredi 18 décembre 2015

TWisTeD SisTeR


De tout temps, le Rock a été le foyer des idées loufoques, des visions étincelantes de clarté à concrétisations très floues. Avec Twisted Sister on touche à un genre de sommet en la matière. Voila une bande de mecs de Long Island qui, traumatisés par les concerts des New York Dolls, se foutent en tête d'être des travelos encore plus laids et outranciers que les créateurs de Personality crisis, tout en pratiquant un Rock brutal, outrageux et fier de lui. Mieux, ils ont un plan, puisqu'en ce début des années 70 la grande pomme a déjà sa propre scène, eux vont écumer les clubs du New Jersey et assurer autant de concerts que possible. Ça tombe bien, y a de la place. Et pour cause, tous les groupes du New Jersey n'ont qu'une idée en tête, foutre le camp pour rejoindre New York...
Avec tout ça, personne ne sera étonné d'apprendre que Twisted Sister va mettre dix piges avant de décrocher le moindre contrat discographique.


Twisted Sister c'est le vilain petit canard, les affreux de service. Les encombrants du lot. Les mecs qui font tout à l'envers des autres. Même quand enfin ils arriveront à connaître le succès, en 1984, ce sera en étant complétement à côté de la plaque. Là où toute la scène du Hair Metal cherche à souligner le côté féminin et esthétique d'un ramassis de gamins maigrichons vaguement hermaphrodites style Poison, les Twisted Sister ont tous la trentaine, sont mariés et déboulent avec des physiques de camionneurs, veste en jean sans manche sur le Perfecto, poutre apparente sous le slim, maquillés comme s'ils venaient à une audition pour le Rocky Horror Picture Show. 


Le primordial reste qu'on se fend la gueule en écoutant Twisted Sister, voila un groupe qui n'inspire pas la déprime. Les Twisted Sister sont contents d'être là, ils savent très bien que la vie n'aurait pas pu leur offrir mieux que d'être enfin récompensés pour les milliers de concerts donnés jusque dans le moindre bar de la plus paumée des banlieues. Leur Rock n'est ni génial, ni farouchement original mais il transpire la générosité par tous les pores, la joie d'être vécu. Autour du membre fondateur, le guitariste Jay Jay French, seul survivant de la formation de 1972, s'est greffé une bande hétéroclite de new-yorkais qui connaissent la vie à la dure, savent à quoi ils tentent d'échapper. L'ancien bassiste des Dictators, Mark Mendoza, un second guitariste Eddie Ojeda et Dee Snider, une grande bringue de chanteur charismatique à moitié albinos, fortement marqué par l'univers macabre d'Alice Cooper mais doté d'une jovialité à toutes épreuves et d'un second degré parfaitement raccord avec le grotesque revendiqué du groupe. Tous sont ensembles depuis 1976, seul le batteur, chauffeur de taxi de son métier, A.J Pero, fait figure de petit nouveau arrivé tardivement en 1981. A croire qu'il leur a porté chance, c'est à cette date qu'ils obtiennent enfin de quoi enregistrer un premier E.P sur un label anglais. Il s'en suit deux albums en crescendo, le second You Can't Stop Rock'n'Roll s'affirme comme une valeur sûre de l'année 83 et leur permet enfin de sortir du circuit des clubs. Il y a dorénavant de la lumière au dessus du lavabo des loges.



C'est à ce moment là qu'ils me sont tombés sur le coin de la tronche. Au moment où les grands noms du métal anglais commençaient à se prendre les pieds dans le tapis de la prétention, voila qu'une bande d'américains morts de faim revendiquait l’appellation Rock'n'Roll et misait les quatre as sur l'énergie. Il m'en aurait fallu moins que ça pour tendre l'oreille.

 
Pour Twisted Sister le coup suivant allait être le coup de maitre. Je ne vais pas y aller par quatre chemins, Stay Hungry est l'un des dix disques dont il faut se souvenir parmi l'immense production Hard d'une décennie généreuse dans le genre. Stay Hungry ne ressemble à aucun autre. Il a un son. Genre caverneux. Du cambouis plein le bluejean du Hard ripoliné des 80's. La pochette du disque parle d'elle même, le groupe a rongé ce putain d'os jusqu'à la moelle. 





Leur moment de gloire, les Twisted Sister vont se jeter dessus comme un affamé sur un tournedos rossini. En deux singles comme on en avait plus entendu depuis Slade, les fantasmabuleux We're not gonna take it et I wanna Rock, et une poignées de clips qui sont à la rébellion ce que Police Academy est au film policier, ils vont me régaler jusqu'à plus soif. Voila qu'un ramassis de grands dadais incarne, à un âge où d'autres auraient renoncés depuis belle lurette, la révolte adolescente de l'année 1984. Mortel. Dee Snider devient le grand frère débonnaire des chevelus cloutés du monde entier, la concrétisation du pire cauchemar des parents. A l'éternelle question mais qu'est que tu vas devenir plus tard ? Les mômes ont enfin une réponse concrète. Oui, on peut continuer d'y croire, même sans réussir en ayant encore du duvet en guise de moustache. Dee Snider l'a fait. Twisted Sister est soudain absolument partout, dans Pee Wee's Big Adventure et sur MTV en rotation lourde.


Bien entendu, tout va partir en vrille vitesse grand V. Stay Hungry et ses compositions imparables est aussi le genre de disque qu'on ne surpasse jamais. Il est le résultat d'une symbiose en un instant T de ce que l'on peut obtenir de meilleur en réunissant l'unité d’exécution d'un groupe soudé, la perfection d'une dizaine de compositions et l'intelligence d'un producteur chevronné, Tom Werman, qui se contente de capter tout ça sans faire de dégâts.


Autant dire tout ce que son successeur n'aura pas. Come Out and Play, c'est le grand casse-gueule, pire qu'un divorce entre un groupe et son public, c'est ce moment où l'un et l'autre se rendent compte qu'ils n'ont rien en commun. Twisted Sister s'ancre dans une longue histoire qui puise ses influences jusque dans les 60's, sauf qu'ils ont un public qui dorénavant ne bande que pour Metallica et Slayer. Sortir comme premier single une impeccable reprise du Leader of the pack des Shangri-La's et inviter Alice Cooper, Brian Setzer, Clarence Clemons et Billy Joël sur le second, Be cruel to your scuel, un titre en clin d’œil au Be true to your school des Beach Boys, c'est parler japonais à un turc.
L'album est surproduit par Dieter Dierks, metteur en son de Scorpions. Un allemand pour produire le groupe le plus farouchement new yorkais du moment, une aberration. Le gars ne pige aucune nuance, fout les potards à fond et du lustrant plein les chromes. Lui veut s'imposer sur le marché US alors que Twisted Sister rêve d'une carrière européenne.  Drôle de jeu de dupes. 
Depuis leur premier album, Under The Blade, enregistré à Londres et produit par Pete Way de UFO, les sœurs foldingues, comme tellement d'autres groupes de New York, Heartbreakers en tête, se voient en héritiers du Marquee plus qu'en prétendants au Madison Square Garden. Inextricable imbroglio fait d'anachronismes et de désillusions, Twisted Sister a cent ans de retard sur le swingin' London et un désintérêt total pour le Speed Metal. 


Pour couronner le tout, voila que le comité de censure mené par Tipper Gore, femme du vice président de Bill Clinton, veut bâillonner Hard Rock et Hip Hop, coupables tous deux de colporter des propos jugés trop offensants pour les chastes esprits de la jeunesse américaine. Pendant que le patron de son mari se fait tailler des pipes dans son bureau ovale, la mégère frustrée part en croisade. Convoqué au tribunal aux côtés de Frank Zappa, Dee Snider va, avec humour, second degré et une intelligence que ne soupçonnaient sans doute pas les apprentis censeurs, ridiculiser les accusations. L'affaire se soldera par la pose désormais familière du fameux sticker Parental Advisory qui, plus qu'un avertissement sur l'immoralité d'un disque, deviendra un indispensable argument commercial. 
Pourtant le mal est fait, pour les kids ricains Dee Snider parle dorénavant comme leur père lorsqu'il raconte Woodstock et Max's Kansas City, il n'a rien de l'attardé décérébré qui pisse en salle de cours et grave Fuck off au couteau sur sa table de lycéen.
S'en est fini de la belle histoire, les idoles d'hier sont ringardisées au profit du Métal fusionnel des radicaux de Suicidal Tendencies, Slayer, Megadeth, Pantera et consorts. Pour les survivants des années 70 ce sera le Hard FM pour le public de MTV ou la mort. Twisted Sister se retrouve au point de départ.



Moins de deux ans après le raz de marée Stay Hungry, le groupe annule des dates, voit son album finir dans les bacs à soldes et explose en plein vol.
Aucun des membres impliqués dans des projets annexes ne brillera par la suite, Dee Snider enregistrera pourtant un album solo pas déshonorant en 2000, Never Let The Bastards Wear You Down. Mais qui s’intéresse à un mec qui reprend The wanderer à l'aube du 21eme siècle ?


Et puis le cycle de la vie étant ce qu'il est, voila que ceux qui leur avaient tourné le dos à 14 ans se souviennent, arrivés à 30 ans, que c'est bien avec Stay Hungry dans l'auto radio qu'ils se sont le plus fendus la gueule entre potes, qu'ils ont éclusé le plus de bières et serré les minettes sublimées qui hantent encore leurs nuits sans sommeil. Ça tombe bien, pour le vingtième anniversaire de l'album, Twisted Sister au grand complet entreprend de le ré-enregistrer entièrement sous le titre de Still Hungry !!!! Je ne vais pas vous dire que ça change grand chose à l'histoire, c'est le même à la note près, si ce n'est que les voila débarrassés de l'énorme pourcentage à verser au producteur, les contrats des années 80 offrant jusqu'à 50% des bénéfices à l'homme derrière la console. Dans la foulée, l'original est réédité en grande pompe et rallongé par une série de démos qui tendent à démontrer que le groupe avait effectivement fait le boulot de production tout seul.


Bien plus intéressants et carrément indispensables à quiconque aime le Rock quand il joue la horde sauvage, les deux volumes consacrés aux années sans contrat du groupe, Club Daze Vol I & II. 
Le premier propose d'excellentes sessions studio de 1978 à 1981 dans lesquelles le groupe, rageur mais moins uniformément Hard que par la suite, se montre tel qu'on le devine aisément, le second, capté dans des bars, confirme que sur scène Twisted Sister laissait la concurrence le nez dans sa mousse. Cerise sur le gâteau, tout ceci existe en vinyls, tout comme le double album du concert de 1984 au Hammersmith Odeon de Londres lors de la tournée Stay Hungry. Mené à un rythme d'enfer, il permet de constater à quel point les enregistrements studio ont toujours manqué de rendre justice à la fureur du groupe. Un Live sans fioriture, livré sans retouche, à classer parmi les plus efficaces de l'histoire de l'effusion sonore, à l'instar du No Sleep 'till Hammersmith de Motörhead avec lequel il partage plus d'un point commun.


Depuis, Twisted Sister continuait de repousser les limites du bon goût au gré de reformations ponctuelles, pour un concert à l'Astoria de Londres, un spectacle de Noël ou à l'occasion des grands festivals aux affiches nostalgiques tel que le Hellfest. A chaque fois avec la même énergie. Jusqu'à ce que le batteur A.J Pero ne rende l'âme à l'arrière du bus de son projet parallèle, Adrenaline Mob, au mois de mars de cette terrible année 2015. En réaction, Twisted Sister vient d'annoncer une ultime tournée pour 2016, en célébration des quarante ans de la formation autant qu'en hommage à leur ami disparu. Parce que rien ne peut stopper le Rock'n'Roll.


Hugo Spanky
 Ce papier s'accompagne d'une pensée pour Dan Fante qui nous a discrètement quitté au milieu du fracas du mois de Novembre 2015.



samedi 5 décembre 2015

STeVeN TYLeR, Du BRuiT DaNS sa TêTe


Vous prenez un calque caricatural de Mick Jagger et un obsédé pathologique de Jimmy Page, vous saupoudrez généreusement et ajoutez une large rasade de mégalomanie et vous obtenez...Téléphone
Le cas Aerosmith est, quant à lui, le résultat d'une équation nettement plus complexe. La première erreur à ne pas commettre est de réduire le groupe à son duo toxic, dans Aerosmith les trois autres comptent doubles. D'abord parce que la rythmique est si funky qu'elle permettra au groupe de se trouver une personnalité dans le monde ultra fréquenté du Hard 70's. Ensuite parce que c'est bien Brad Whitford qui signe les giclées de guitares les plus perverses, les griffures de wah wah en ouverture de Nobody's fault.

Aerosmith c'est surtout le fantasme de Steven Tallarico, un italo-américain, un de plus, associé à une paire de juifs improvisés managers. Combien de fois cette combinaison se sera révélée payante ? Souvent. Pourtant sur ce coup ci, c'était un peu l'association de la dernière chance. Leber & Krebs viennent de se faire refiler les New York Dolls par un Marty Thau trop heureux de s'en débarrasser et ne savent pas trop comment se dépêtrer de cet ingérable mauvais pas. Comment combler le gouffre financier entretenu par le comportement délicieusement dépravé des poupées chiffonnées. Étonnamment c'est en misant sur tout aussi ingérable qu'ils rafleront la mise. 
Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage comme disait le poète.

Les New York Dolls ont été le modèle autant que l'anti-thèse. Aerosmith en est une version tolérable. Ambivalents mais pas travestis. La destruction sans l'autodestruction suicidaire, d'ailleurs eux sont encore vivants. Et cette même façon de doper les Rolling Stones aux stéroïdes de synthèse, d'ultra américaniser les Yardbirds, de vénérer les Girls Groups. Sauf qu'arrivé à ce stade, le lippu Steven avait déjà bouffé son pain noir, son plan de conquête ne tolérait plus aucun échec possible.

 
Flashback, 1969. Steven Tallarico, devenu Tyler, est revenu de tout. Les mains vides. Les années soixante s'étiolent lentement dans un ciel acide et son quart d'heure de gloire semble déjà éteint. Avant de se réinventer chanteur à foulards, Steven Tyler à fait ses armes derrière son père en tant que batteur de bal dansant, répertoire foutraque à base de Cha-cha-cha, loin du binaire mais formateur. Ensuite, il aligne les garage bands plus foireux les uns que les autres, le dernier d'entre eux, Chain Reaction, a gravé deux singles, restés précautionneusement anonymes. Il erre entre Boston et New York, boit des coups avec Janis Joplin, croise Jim Morrison, se défonce avec Buddy Miles, ça fait de belles histoires à raconter, rien de plus. Retour chez papa et maman Tallarico, dans le trou du cul du monde. Sunapee, New Hampshire, région des lacs à 100 miles de Boston, terminus pour vacances en famille du ricain moyen dans son break Fairlane Torino sorti d'usine. Le genre de bled qui ne sait même pas que les 50's ne sont plus le modèle du bonheur standardisé. L'histoire du Rock aime l'improbable, c'est donc là qu'il rencontra son futur acolyte en fait d'armes, Joe Perry.




Tout ça, il le déballe dans son autobiographie au titre alambiqué. Un bouquin sidérant, non pas par ce qu'il raconte, on en a lu d'autre, mais par les dégâts dont il témoigne. Le gars confond tout, les albums, les dates, les chansons, peut être les femmes. Importantes, les femmes. Pas des moindres, Bebe Buell bien sur, puis le grand amour de sa vie, Cyrinda Foxe, égérie des bas fonds de New York, muse de Bowie, épouse d'un David Johansen qui se consolera avec les royalties de Sight for sore eyes, et des milliers d'autres, anonymes donzelles butinées sur place plutôt qu'à emporter. Je vous dis pas le carnage quand il consacre tout un chapitre à son rapport avec les femmes. La vision du couple selon Steven Tyler n'est pas du genre à apaiser les tensions. Les intentions sont bonnes mais le résultat frôle l'inconscience lorsque pèle mêle, il vante les plus grandes qualités de la gente féminine en faisant se succéder l'allaitement, la capacité à changer les couches sans moufter puis s'étonne qu'avec de telles compétences, elles puissent s'offusquer d'un simple oubli de leur date d'anniversaire ! C'est vrai quoi, merde, un peu de compassion, il a autre chose à foutre que de penser à des conneries pareilles. C'est comme cette manie, au moment du divorce, de vouloir la moitié de ce qui est à lui. C'est quoi le lien entre sa Porsche et le fait de le trouver au lit avec une autre ? Et pourquoi le divorce d'abord ? On signe bien pour le meilleur et pour le pire. 

 

Le bouquin de Tyler nous met à l'aise, s'il fut un temps où les rockers se devaient de se hisser au niveau littéraire au moment de signer leurs mémoires, sorte de testament adressé à la masse laborieuse avec tous les sacrements dû à l'exercice, ce temps là est révolu. On est coudes au zinc, le nez dans nos verres et le sien allez savoir où. Il nous conseille des disques, détaille ce dont il se rappelle vaguement et plus d'une fois, à la fin d'un chapitre, c'est nous qui le raccompagnons jusqu'au taxi, après s'être coltinés l'addition. J'aime le style, peu importe qu'il s'embrouille, passe du coke à l'âne, il avoue carrément arranger certains passages à sa sauce, fait preuve d'une mauvaise foi qui l'honore. C'est un italien ! A l'écouter, c'est lui qui accorde les guitares (le plus beau c'est que des photos le prouvent), lui aussi qui a chopé le tempo de Walk this way et, d'ailleurs, c'est lui qui a tout appris à Joey Kramer. Le compositeur du groupe, c'est lui, le seul à maitriser le piano depuis l'enfance, à savoir s'éloigner du boogie, à connaître Beethoven personnellement c'est encore lui. Il débite tout ça sans pavoiser, ni fausse modestie, et ma foi quand on voit les trombines des quatre autres, c'est difficile de mettre sa parole en doute. Il reconnait même être un chouia pénible et que si son batteur à des tics nerveux, il n'y est pas étranger.

 



Pour l'essentiel, quatre disques résument l'affaire. Toys in The Attic, celui là même qui les fera redevenir inespérément branchés à l’avènement du Hip Hop (aucun hasard là dedans, le tempo de Walk this way est autant à la base du genre que le Funky drummer de James Brown), Draw The Line et Night in The Ruts. Le premier parce que même à moitié naze et grimé en Marie-Antoinette, Steven Tyler torche encore quatre ou cinq machins dont la plupart des groupes ne font que rêver et l'autre pour les cuivres de Chiquita, le jive de Bone to bone, la reprise des Shangri La's (Remember walking in the sand) et Mia, l'ode à l'enfant du bonheur narcotique. 


Et s'il ne doit en rester qu'un, alors que ce soit Rocks. Les années 60 ont tiré les plus belles fusées, les années 70 se sont chargées des plus redoutables, ce disque en est la preuve. A la production, Jack Douglas forge un son aussi crade que sublime d'éclats pourpres. L’oscillation incessante des guitares, lubrique va-et-vient, évoque une infernale séance de baise, déchire la stéréo, tandis que la rythmique flirte avec Funkadelic. Par dessus ce fatras, s'arrachant de la confusion, s'affirme une voix, hystérique. Celle d'un mec qui vit tellement tout ce qu'il n'a eu de cesse d'espérer, qu'il en déverse sa jouissance dans son micro. Excessif, obsédé, revendicatif du vide, joyeusement malade comme un chien, Rocks, c'est le Rock heureux comme un cochon dans sa merde. L'exubérance portée à son pinacle, le coup de frein à main juste avant de se rétamer dans le ravin. Rocks fait partie de ces disques comme il n'y en aura plus. Impeccable captation d'un âge révolu, d'une incandescence que rien ne ravivera. Fallait y être, fallait le vivre. Et tant pis pour les enfants des années 80. Ceux là auront Pump, le sacre planétaire d'un Aerosmith chromé qui, aujourd'hui encore, refuse toujours de mourir. De peur de finir à Sunapee, je pense.

Hugo Spanky