Le monde étant obnubilé par les morts, j'ai opté pour les zombies. Métal a-gogo, nuance noire sur ton noir. Je m'injecte des symphonies de saturation, flux et reflux sur ma peau brulée qu'un océan de limailles dépèce avec joie. Ghost Bath, Gaahls Wyrd, ces mecs sont les Pharoah Sanders d'aujourd'hui, même goût pour les imprécations zarbies, les litanies païennes. Et Burzum fait déjà partie de l'histoire.
Moonlover est l'album le plus abordable du lot, pas facile pour autant, il offre néanmoins des repères. Ghost Bath est un groupe américain, d'où une esthétique presque classique. Les guitares sont claires, la batterie alterne différentes fondations, le disque est construit en partant du tumulte jusqu'à atteindre une pureté ascétique. Moonlover pourrait être une impeccable musique de film, pas d'horreur, non, aucun de ces trois là n'utilise les clichés, pas de grosses voix gutturale. D'ailleurs, l'album de Ghost Bath est à quelques hurlements près quasiment instrumental, c'est de guitare qu'il est question ici. Mais là encore, pas de cliché, pas de branlette virtuose, d’acrobaties tape à l’œil, ici tout est au bénéfice de l'ambiance. En fait, ce n'est pas tant une parfaite musique de film qu'un film en lui-même. Moonlover date de 2015, le groupe n'a jamais fait mieux et aucun autre n'a approché une telle perfection dans ce registre. Parfait pour une initiation en douceur.
L'album de Gaahls Wyrd sort lui à la fin de ce mois, en guise de promotion il a été publié sur youtube, ce qui nous change des Tidal à abonnement tarifé, des Spotify à publicités intrusives et autres rackets dont le web se fait spécialiste. GastiR/Ghost Invited n'est pas une sinécure, autant le disque de Ghost Bath est limpide, autant celui ci est austère. Gaahl est un personnage hors norme dans le monde du Black Métal norvégien, homosexuel assumé, réfractaire aux préjugés sectaires, il flingue ses différentes formations sans laisser aucune chance à la routine. Après des débuts avec Trelldom, un album ravageur (et ravagé) avec Gaahlskagg (Eternal Funeral), un putsch chez Gorgoroth, une collaboration avec Wardruna, quelques séjours en prison et un excellent album avec God Seed (I Begin), GastiR/Ghost Invited est son projet le plus personnel, ainsi que le disque le plus excitant du moment, le plus créatif aussi, satellite de deux mondes, cold wave et métal extrême. On est ici à des années lumières de la simple collection de chansons. On est ailleurs.
GastiR/Ghost Invited est une odyssée qui n'invite pas au voyage, il faut s'accrocher au crin de la bête, son galop vers la falaise est solitaire et déterminé. La première écoute est semblable à celle du premier Motörhead, du premier Clash ou du Kill 'em All de Metallica en leurs temps, on est rejeté par la furie, sidéré par l'intention, on s'agrippe à l'émergence d'une mélodie qui s'extirpe du magma et nous projette vers une autre qu'un riff dessine dans la brume. Puis comme sur un dessin du Conan de John Buscema, la citadelle s'impose, glaciale et écrasante dans l'ombre mouvante, elle ne ressemble à aucune autre.
Écouter Gaahls Wyrd remémore ce qui nous a attiré vers la musique, bien avant d'accepter l'idée de la consommer entre les pâtes et le riz. Son disque ne cible personne, il est une expression personnelle qui peut être concernera quelques défricheurs de ronces, serpe en main, acceptant l'idée que la musique se mérite, que non, définitivement non, elle ne se limite pas aux saveurs fades des plats réchauffés affichés au menu des magazines. Carving the voices, Veiztu hve, The speech and the self, From the spear, Within the voice of existence délimitent un disque aux contours flous, de ceux dont on ne sait pas trop pourquoi on s'y frotte, avant d'en devenir addict.
De ces trois là, Burzum est la base, créateur du genre il en est aussi celui qui en a exprimé la vision la plus extrême, je ne parle pas de décibels, ni de déluge de distorsion, pas seulement du moins. Burzum est le plus cru, le plus dépouillé de tous, le plus taré aussi. Et sans doute le seul authentique génie. Varg Vikernes, membre unique de Burzum, grave les fondements de son œuvre au noir, sidérant de radicalité, entre ses 18 ans et ses 20 ans, multi-instrumentiste imaginatif aux claviers, furieux à la guitare, c'est encore à la batterie qu'il m'éclate le plus, son travail tout en nuances sur le titre Det som engang var, qui bien entendu ne se trouve pas sur l'album du même nom mais sur Hvis Lyset Tar Oss, est à hurler de bonheur (ce qui peut, certes, paraître déplacé). En quatre albums, chacun meilleur que le précédent, Burzum/Aske, Det Som Engang Var, Hvis Lyset Tar Oss, Filisofem, tous enregistrés avant son incarcération, Varg Vikernes fait cohabiter agressivité lépreuse et apaisement post-mortem avec un sens de l'épopée lyrique associé à un minimalisme gangréné. Il semble
ne recevoir l'influence de rien, ni personne. Sa musique, mille fois
dupliquée depuis, est alors un territoire vierge qu'il
modèle à son humeur. Les voix sont hurlées avec un casque en guise de
micro, les guitares sont amplifiées par ce qui se fait de pire en
matière d'ampli et le résultat est magnifique, des mélodies cristallines
sur fond de tronçonneuse. Au milieu des déflagrations, il impose des fleuves d'apesanteur synthétique sur des albums qu'aucune étiquette ne saurait définir. Disons que Burzum est au Métal ce que les Cramps de Songs The Lord Taugh Us furent au Rockabilly. La fascination morbide passe à l'étape supérieure, celle de l'implication, le jeu reste le même, perturber les sens, dérégler la perception du réel, faire chier le monde.Décrire l'ensemble demanderait des mots qui desserviraient le sujet, trop souvent la musique sert de prétexte à intellectualiser ce qui n'est que manifestation primaire d'instincts qui le sont tout autant. Vous posez Dunkelheit sous le diamant ou restez dans vos certitudes, après tout qu'est ce que ça change ? Qui en a quelque chose à foutre ? Depuis trop longtemps le Rock vise le consensus, aligne les disques prévisibles comme des plans d'épargne, en voila quelques uns qui n'ont pas peur de renverser la poubelle, vivre leur marginalité sans se soucier de convertir les foules. Après tout, les lois n'existent que pour ceux qui s'y soumettent.
Hugo Spanky


















