lundi 22 septembre 2025

ELViS DaNs La Peau


J'ai passé l'été empêtré dans l'oeuvre de David Bowie. J'ai tout réécouté. J'ai comblé les manques et même acheté des disques que j'avais déjà. Parfois pour des motifs ridicules. Diamond Dogs parce que la pochette de la réédition laisse enfin voir la bite du clébard telle que l'avait dessiné Peelleart. Young Americans pour les trois indispensables bonus qui subliment l'édition Ryko. Lodger et Scary Monsters, parce que ça fait plaisir de les avoir neufs comme au premier jour. Les trois qui précèdent Blackstar parce que je les avais snobé alors qu'ils sont excellents. Reality, surtout. Et quoi d'autre ? Je n'ai toujours pas cédé à Earthling, qui reste un navet. J'étais tellement loin dans Bowie que je commençais à me demander par quel détour mon cerveau allait me tirer de ce bourbier. Au bout de deux mois à n'écouter que lui, j'en étais réduit à télécharger Furyo comme un junkie en manque, à lire des livres traduit de façon répugnante. A Life, aux éditions Ring, décroche le pompon. Tout y passe, grammaire d'agriculteur, conjugaison néandertalienne, orthographe pousse au crime. Jusqu'aux notes du traducteur qui donnent des précisions erronées. J'ai cru devenir fou. 

Puis, je ne sais pas trop comment, peut être par Golden years ou par hasard. Peut-être parce que j'ai feuilleté le livre de Lisa Marie. Triste Lisa Marie. Peut-être parce qu'il est dit qu'Elvis viendra toujours me proposer une alternative. Comme il l'a fait au lendemain de sa mort en me faisant découvrir un monde différent à travers les hommages télévisuels qui inondaient les programmes en ce mois d'août 1977, con comme tous les mois d'août qui l'ont suivi. Hier comme aujourd'hui, Elvis dans le mange-disque, Elvis sur la platine, Elvis dans l'autoradio, Elvis dans le casque jusqu'à la troisième heure du matin, Elvis dans la peau. 

Avec lui, pas besoin de faire des dépenses. J'ai tout depuis des siècles. Il suffit que je vois une de ses pochettes de disque pour que je perde tout sens rationnel. Pourtant, je ne l'ai évoqué qu'en minaudant dans ce blog qui prétend me ressembler. Qui es-tu Ranx ZeVox ?

Je n'ai aucune excuse décente, mais il existe des raisons. La principale étant que je ne sais pas par quel bout le prendre. En à peine plus de 20 années de carrière, Elvis Presley a enregistré plus que n'importe qui en 50 ans. D'un disque à l'autre, il passe du Rockabilly au Bel canto, de la Country gothique aux chants de Noël libidineux, du Gospel à la Pop, des mariachis à la bossa nova. A quelques rares exceptions près, Elvis Presley n'a jamais enregistré d'album en tant que tel. Le rituel était toujours le même, deux ou trois fois par an il réservait une semaine à l'American Sound de Memphis ou au studio RCA de Nashville et enregistrait à chaud ce qui lui passait par la tête. Elvis aimait l'improbable et le conventionnel aussi, tout ce qui fonctionnait était honoré. Après quoi, il rentrait à Graceland bouffer des sandwichs à la banane, jouer au chef de bande avec ses potes ou partait en tournée à travers les vastes plaines. Pendant ce temps-là RCA récupérait les bandes, décidait lesquelles assembler sur le nouvel album officiel de la marque, lesquelles refiler à Camden, leur subdivision en charge des albums discount, et lesquelles mettre au rebut. A ce rythme, il sortait entre 3 et 5 albums par an, hors compilation et albums live. Le disque estampillé RCA proposait les meilleures bandes, l'album Camden faisait sa tambouille avec les restes autour d'un ou deux hits singles récents. Ce système rendra fou plus d'un fan complétiste. Comme si ça ne suffisait pas, la majorité des singles ne figurait sur aucun album, ce qui laissait le champ libre aux compilations, d'où les cinq fameux Elvis Gold Records. Parmi lesquels le légendaire 50 000 000 Elvis Fans Can't Be Wrong avec sa pochette en costume lamé or, démultiplié à l'infini, qui aligne les classiques comme tous les autres volumes de la série. Elvis Presley est le seul artiste dont les compilations sont indispensables.


Et quoi d'autre ? Où trouver les joyaux du royaume ? Il existe un coffret The King Of Rock'n'Roll The Complete 50's Masters qui englobe tout ce qu'Elvis a enregistré entre 1953 et 1959, chez Sun puis RCA, en 4 cd gavés jusqu'à la moelle, plus un 5eme qui compile des versions alternatives. Le tout avec un son d'origine qui fout la honte aux producteurs du monde entier. Pour certains, nombreux, le bonheur est ici. Difficile de les contredire, Blue moon, Mystery train, Heartbreak hotel, Is it so strange, Young and beautiful, Trying to get to you, je peux continuer jusqu'à plus d'encre. C'est irrationnel tant de beautés sauvages. Il y a du vaudou là-dedans, ça fait peur autant que ça fait du bien. Imaginez ça dans le contexte de l'époque, ce type qui hurle à la lune. Durant les années 50, Elvis semble possédé sitôt qu'il est derrière un micro. Il n'a aucun équivalent. That's all right mama est historique, pareil que le sacre de Clovis. Heartbreak hotel l'est tout autant, nulle autre comme elle n'évoque le désespoir, la malédiction, la solitude, l'amour à sens unique, le suicide. Heartbreak hotel a ouvert la voie à tous les Velvet Underground du monde. 


Ce qui nous mène, comme c'est facile, aux années 60. Et là, c'est le bordel. Elvis part à l'armée, prend des pilules, séduit Priscilla en Allemagne, baise des putes à Paris, tourne des films comme on va pisser, perd sa mère, se farcit Ann Margret et Tura Satana, épouse Priscilla, donne vie à Lisa-Marie, combat un tigre à mains nues, signe un comeback tonitruant et conclut la décennie en enregistrant son meilleur album, From Elvis in Memphis, avant de faire de Las Vegas son Jardin d'Acclimatation. A côté de lui, Hercule était un foutu branleur.

On en trouve pour se plaindre qu'avec tout ça, il n'a pas trouvé le temps d'enregistrer plus de chef d'oeuvres. On trouvera toujours des cons pour prétendre que La Joconde est un travelo. Dans les faits, Elvis is Back, enregistré sitôt revenu de l'armée, est un disque d'une modernité inconcevable au long duquel Elvis swingue avec humour, nervosité et ce brin de névrose qui le caractérise. Make me know itFever, the girl of my best friend, Like a baby, Reconsider baby, It feels so right, Dirty dirty feeling en sont témoins.

Arrivé là, faut bien piger un truc. Elvis n'en a rien à foutre de la mission que les glandus lui ont confié. Il ne se prétend pas le garant d'une rebellion, se contrefout de savoir si ce qu'il fait est rock ou pas rock. Tous ce qui lui a valu remontrance est finalement devenu incontournable dans toute carrière qui se respecte. Une rockstar n'en est pas vraiment une sans un navet à son palmarès. Quant aux concerts à Las Vegas, il devient plus laborieux de citer qui n'en a pas donné plutôt que l'inverse. Colonel Parker ou pas, Elvis Presley est le seul pionnier à être resté au sommet de sa popularité tout au long de sa carrière. Et hormis Gene Vincent qui n'a jamais enregistré de mauvais albums, peut être même de mauvaises chansons, tous se sont vautrés dans la fange et le fiel à un moment ou un autre, d'une façon ou d'une autre. La pilule était amère, les rebelles des années 50 paraissaient bien ternes à l'ère psychédélique. Les films à un million de dollars ont été une échappatoire pour Elvis, lui évitant la dégringolade dans le circuit des clubs qui usa prématurément la santé physique et mentale de types aussi solides que Jerry Lee Lewis, Johnny Cash ou Carl Perkins. Presley roucoule sans doute de trop, pourtant It's now or never reste une putain de tuerie. Dans le même registre ténor d'opérette, Suspicion, No more, Surrender ou You'll be gone tiennent méchamment le pavé. Je revendique carrément Santa Lucia. Sa voix est tellement sidérante de puissance. Et puis, merde, Fun In Acapulco est tout aussi fun in Occitanie. Ce n'est pas parce qu'on est damné qu'on n'a pas le droit de se marrer. 


Bannir les films et les B.O qui vont avec, c'est bannir Loving You (Amour frénétique) et King Creole (Bagarre au King Créole). Je ne vais pas faire une thèse sur les films d'Elvis, ils sont un genre à eux seuls, mais King Creole est à redécouvrir de toute urgence, l'interprétation d'Elvis est impeccable, l'éclairage est sublime, Carolyn Jones est incandescente, la musique ravageuse. 

La plus anecdotique des B.O, Kissin' Cousins (Salut les cousins), est pourtant celle qui a offert aux Saints leur meilleur single. Blue Hawaï et Fun In Acalpulco sont d'un kitsch assumé qui passe très bien pour si peu que l'on sache choisir le bon moment. Il n'y a rien ici qui soit moins justifiable que l'album Calypso de Robert Mitchum. Long legged girl with the short dress on de Double Trouble (Croisière surprise), You're the boss de Love in Las Vegas (L'amour en quatrième vitesse), Let yourself go de Speedway (A Plein Tube), Relax de It Happened at World Fair (Blondes, brunes et rousses), Girl happy de Girl Happy (La stripteaseuse effarouchée), Desert serenade et Animal instinct de Harum Scarum (C'est la fête au harem), A little less conversation de Live a little, love a little ( Le grand frisson), tous me chatouillent sans complexe la moelle épinière. Et c'est dans les bonus de la B.O de Spinout (Le tombeur de ces dames) qu'Elvis chante Tomorrow is a long time de Bob Dylan, mais aussi l'ultra groovy Stop, look and listen. Croyez-moi, il y a plus de bonnes chansons sur les B.O d'Elvis Presley que de bonnes surprises dans la discographie de Radiohead.


Autre dossier de poids, dans un milieu qui se revendique volontiers de Lucifer, Elvis Presley croyait en Dieu. Comment aurait-il pu en être autrement ? Notre homme voit le jour dans une misère absolue, doté d'un père allergique au travail et d'une mère traumatisée d'avoir accouchée d'un jumeau mort-né. En conséquence de quoi, elle va surprotéger Elvis et soigner sa dépression en se rétamant la tronche aux pilules. Une pratique que son fils adopte bien vite et qui sera, à n'en pas douter, à l'origine des pas de danse frénétiques et des contorsions faciales qui feront l'aube de sa légende. Elvis arrive à l'adolescence sans amélioration notable de la situation. Faut voir les photos de l'époque. Alors quand à 19 ans il devient la star du sud avec tout ce que ça comporte comme hystérie et qu'un an plus tard l'Amérique toute entière se l'arrache, on peut aisément imaginer qu'il ait cru au miracle. On nous l'a dit et répété Elvis Presley était un garçon bien élevé, s’il a jugé bon de consacrer trois albums à Dieu en guise de remerciement, je n’irai pas le lui reprocher. His Hand In Mine, How Great Thou Art, He Touched Me valent bien mieux que l'intéret qu'on leur porte. C'est du Gospel blanc, certes, mais jamais il n'a sonné aussi charnel. Un quatrième disque, You'll Never Walk Alone, publié par Camden, est d'une certaine façon encore meilleur. Dans un foutoir sans nom il réunit des enregistrements inédits des sessions 1969, inclut les 4 titres du EP Peace in the valley de 1957 et d'autres encore provenant de je ne sais où sinon du Golgotha. Rien n'est à jeter.


Les années 60 s'achèvent avec un bilan qu'aucun esprit cartésien ne parviendrait à commenter. Revenu de l'armée sous les quolibets des puristes, Elvis grave dans un premier temps plusieurs sessions mémorables que l'on retrouve principalement sur Elvis Is BackSomething For Everybody, enregistré en une unique session de 12 heures (!), Pot Luck et de manière plus anarchique sur Elvis For Everyone. Les sept années suivantes seront consacrées aux B.O et à quelques singles en or massif ; I feel so bad, His latest flame, Little sister, Surrender, Good luck charm, Ain't that loving you baby, Return to sender, Devil in disguise, It hurts me, Suspicion, It feels so right, Big boss man, Guitar man font chauffer la marmite entre 1961 et 1968. C'est peu ? J'aimerais vous y voir.

Il y aurait beaucoup à dire sur l'année 1968. Contrairement à la légende, Elvis ne renverse pas la table après avoir reçu un message intersidéral lui ordonnant de se couvrir de cuir noir pour copuler avec la moitié de la planète à travers un show TV (de Noël!!!). Le contrat avec Hollywood est tout simplement arrivé à terme et les faibles scores des derniers films n'ont incité aucune des parties à continuer sur cette voie. Le comeback special 68 est un résumé hippie chic de sa carrière. Le show réunit pour la première fois depuis dix ans Elvis et ses premiers musiciens pour une jam durant laquelle le chanteur fait hurler les filles en diabolisant un Baby what you want me to do intolérablement pervers. Pour le reste, on baigne dans le Hollywood de série B que ses films nous ont appris à aimer, cette fois ci revu et corrigé par les ballets du Maurice Béjard local. Elvis se bastonne en prenant des poses karaté du plus bel effet, atomise un big boss man que le colonel parker aurait pu trouver ressemblant et finit, après une parenthèse Gospel, en pulvérisant les satellites hertziens avec une interprétation de If I dream que personne n'avait vu venir. Tous les visages de l'Amérique des sixties dans le creux de sa main, Elvis en costume blanc adresse aux hommes cette prière à haute intensité et parvient à fédérer autour de lui un pays torpillé par les morts violentes de Martin Luther King et Robert Kennedy quelques mois auparavant. L'accueil fait à l'émission relance la carrière d'Elvis qui enchaine en sortant coup sur coup le single In the ghetto puis l'album qui reste son chef d'oeuvre absolu et l'un des disques les plus significatifs de la musique américaine de la seconde moitié du 20eme siècle : From Elvis In Memphis. L'album se partage entre des interprétations hallucinantes captées live en studio, I'll hold you in my heart, Wearin' that loved on look, Long black limousine, After loving you ou encore ce Power of love qui affiche une sexualité à faire pâlir James Brown et d'autres titres plus travaillés, sans être surchargés, parmi lesquels True love travels on a gravel road, Gentle on my mind, Any day now, I'm movin' on et bien sur In the ghetto. Après quoi, Elvis renonça au repos du 7eme jour pour enregistrer le single Suspicious minds. Tchaïkovski peut faire circuler la nouvelle sans crainte, Elvis est de retour dans l'arène.

En octobre 1969 sort son unique double album conçu comme tel, From Memphis to Vegas, parfaitement résumé par son titre. Le premier des deux disques propose un concert capté à L'international Hotel. La tracklist est incendiaire, les versions des classiques sont survitaminées, prises à des tempos qui ne laissent aucun répit. Elvis est dorénavant entouré des meilleurs musiciens du moment, James Burton est à la guitare, Jerry Scheff (qui tient la basse durant sessions de L.A Woman des Doors), Ronnie Tutt à la batterie ainsi que deux groupes vocaux, féminin The Sweet Inspirations, et masculin The Imperials, aux tonalités gospel et rhythm & blues. Sur scène, Elvis présente Hound dog comme une chanson engagée, explose de puissance sur I can't stop loving you et sa version de My babe ne fait pas de quartierLes résidences à Las Vegas permettent à Elvis de roder son groupe, de développer un répertoire aménagé sans cesse durant des répétitions qui fourniront plus tard à elles seules des documents fabuleux, que ce soit sur disque ou dvd. In Person at the International Hotel, Las Vegas est un live trop souvent oublié et son successeur On Stage capté l'année suivante au même endroit est encore plus dévastateur. Le second disque du double album, Back In Memphis, en est le versant studio. Plus orchestré que son illustre prédécesseur, il partage néanmoins avec From Elvis in Memphis les particularités soul qui en font la chaleur. Stranger in my own hometown se distingue, Inherit the wind également, le reste en un cran en dessous. En 1971 sort Elvis Country enregistré en 5 jours entre juin et septembre de l'année précédente, le disque renoue avec le sans faute, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. 

Tout va tellement bien que personne ne prête attention aux nuages qui s'accumulent à l'arrière-plan. Au moment même où sa vie artistique triomphe, sa vie privée s'effondre. Lassée par ses absences et sa conception de la vie de couple, Priscilla entretient une relation avec son professeur d'arts martiaux. Elle quitte Graceland avec leur fille Lisa Marie au début de l'année 1972, ce qui paradoxalement offrira un énorme hit à Elvis avec Always on my mind sur lequel il partage sa douleur, utilisant ses émotions comme aucun autre. Une large partie de son talent unique vient de cette faculté. Dès lors sa santé décline, tandis qu'il s'enfonce dans le cauchemar de la médicamentation à outrance. Ses enregistrements deviendront plus lugubres, pour ne pas dire gothiques, tandis que sa voix développera une puissance qui semble le consommer tout entier. C'est pourtant en 1973 qu'il enregistre ses morceaux les plus incroyablement funky au cours de plusieurs sessions d'une poignée de jours aux studios Stax, puis RCA, mais toujours avec son propre groupe de musiciens. On le savait doté d'un groove paroxysmique depuis ses versions live de Polk salad Annie, les enregistrement studio de I've got a feeling in my body, If you talk in your sleep, If you don't come back, Just a little bit, Find out what's happening, Raised on rock étoffent ce répertoire. Lorsqu'il quitte Stax en décembre 1973, Elvis baisse le rideau, le comeback s'arrête là. En 1974, il n'apparait que sur scène, en 1975 une session avortée au bout de trois jours au studio RCA de Hollywood permet néanmoins de graver une dizaine de titres, d'autres, disparates et chaotiques, à Graceland en février et octobre 1976 donneront vie à des morceaux fantasmagoriques, même si les albums sur lesquels RCA les assemble avec plus ou moins de bonheur ne retrouveront jamais la cohésion artistique des premières années de la décennie. 


Elvis Now, Raised On Rock, Good Times, Promised Land, Elvis TodayWelcome To My World, Moody Blue, des titres tête de gondole pour des albums qui ont une âme. C'était surement moins flagrant sur l'instant. Elvis refusait toutes les séances photos depuis 1972 avec pour conséquence des rumeurs persistantes sur sa déchéance physique et des pochettes de disque qui recyclaient les sempiternelles mêmes clichés captés en concert, ringardisant à force de surexposition ses costumes Nudie et ses poses acrobatiques. La faute à un dégout de lui-même, à un monde qui change trop vite sans le prendre par la main. Il devient ce type un peu dingue qui apparait à l'improviste dans Memphis, offrant des Cadillac au premier venu, un type défoncé, obèse, qui se trimballe en moto avec son étoile de sheriff, un flingue à la ceinture et une pépée blonde collée à lui. On vient le chercher dans son refuge de Graceland, on l'habille, le fourre dans une limousine, un jet, une autre limousine, on le bourre d'amphétamines pour qu'il monte sur cette foutue scène, ici, ailleurs, n'importe où. Sitôt face au public, il se recentre sur sa voix, se reconnait en ceux qui lui envoient de l'amour en échange de sa présence. Il joue le jeu une fois encore, se dépouille, donne de la joie comme on va au combat. Puis il va vomir sa graisse dans un coin et s'écroule sur une banquette arrière. Elvis has left the building, en route vers Graceland, vers son néant, sa cuisine, sa pharmacie, vers la tombe de sa mère, dans le jardin, au milieu des fleurs. Il se gave de tout ce qui lui a été refusé si longtemps. Il se défonce, casse tout ce qui l'entoure, adresse des menaces de mort aux absents, vide des chargeurs contre des murs. The Wall est le meilleur film sur Elvis. Dix cachets pour dormir, deux, cinq, dix autres pour tenir debout, la tête qui tourne, le regard mauvais. Au milieu de cette folie, RCA assemble Moody Blue qui sort en juillet 1977. Elvis n'a rien enregistré de spécifique pour ce disque, d'ailleurs il n'a rien enregistré de l'année. Il ne sort tellement plus de chez lui que le colonel Parker a transformé la garçonnière en home studio. Au cas où. Les seuls titres de 1977 figurant sur l'album sont des prises live, dont une version bouleversante de Unchained melody sur laquelle il s'accompagne au piano. L'interprétation a été filmée, je n'ai rien vu de plus désespéré. Elvis martèle les touches, sa voix enfle en puisant chaque once d'énergie de son corps épuisé. Tout est là, sous nos yeux, la coquille vide, l'âme furibarde. Moody Blue est un superbe album, pour si peu que l'on n'ait pas un flingue sur la tempe. Les up tempo sont nombreux, Little darlin est même carrément fun. Ce sont pourtant les morceaux les plus sombres qui donnent sa teinte dominante à l'album, She thinks I still care, He'll have to go, Unchained melody transpirent la mise à nue. Moins d'un mois après la commercialisation du disque, Elvis est retrouvé mort à Graceland à l'âge de 42 ans. Sa carrière ne fait que recommencer. Il est paru depuis une quantité incommensurable de disques, de documents, de vidéos, de livres, de figurines, de sex toys aussi, sans doute. Son oeuvre est disponible jusqu'au moindre enregistrement privé. Tout a été réévalué, réinterprété, remixé, remasterisé, rerererere. Comme si ce monde n'arrivait pas à tourner rond sans Elvis ou au contraire, peut-être, comme si sa folie autorisait toutes les folies. Elvis marie les touristes à Las Vegas, chante du Led Zeppelin en reggae. Le Elvis malheureux des derniers mois, toujours. Le Elvis jeune reste intouchable, icone sacrée qui à elle seule justifie le sang versé pour en arriver là. L'incarnation de la beauté américaine. Comme Marilyn Monroe. Le prix à payer reste le même. 


2025, on regarde un biopic que plus personne n'est capable d'évaluer. Où est la part de vérité ? Nul ne sait. Tout a tellement été écrit, réécrit, sous tous les angles, par le coiffeur, par les roadies, par le meilleur ami, par l'ex femme, par Albert Goldman. Elvis se chiait dessus, Elvis bouffait comme un porc, Elvis ne baisait pas sa femme, Elvis était un con, Elvis était raciste. Pourquoi on l'aime ? No more Elvis chantait Clash en 1977, deux ans avant de rendre hommage à la pochette de son premier album, deux ans avant de se coiffer comme lui, de poser comme lui, de se rêver comme lui. Des années avant de porter son prénom dans Mystery train, film de Jim Jarmush dans lequel Elvis est japonais, Elvis est partout, Elvis hante un hotel des cœurs brisés, Elvis, Elvis, Elvis. Elvis dans True Romance, Elvis en Val Kilmer, Elvis en Kurt Russell, Elvis en Mickey Rourke, Elvis en Kevin Costner, Elvis en Johnny Depp, Elvis en Miley Cyrus. Elvis en chacun de nous, lorsqu'à 20 ans on s'évalue dans le miroir. Pourquoi on n'y comprend rien ? Peter Guralnick noircit les pages de deux pavés traduit dans le monde entier, on les referme avec l'envie de lui coller des baffes. Il est passé à côté. RCA file les clés du coffre à Ernst Jorgensen avec pour mission de compiler Elvis en trois coffrets, un par décennie. Il publie l'intégralité des années 50, facile, celle des années 60 moins les B.O, facile, et se vautre sur les 70's, seules années qui demandent une compréhension, plus qu'une connaissance. Il rassemble des perles, comment pourrait-il en être autrement, mais trébuche sur les sessions de 1973, sélectionne dans les highlights une affreuse version de It's diff'rent now et passe à côté de Early in the morning et Help me make it through the night, deux titres vénérés qu'aucun adorateur n'aurait oubliés. Pourquoi ? Pourquoi on a envie de chialer ? Pourquoi aucun disque ne console mieux que ceux où il est le plus désespéré ? Il s'est passé quoi au juste ? Vous étiez là ? 

Hugo Spanky

Elvis Presley en 126 titres finement sélectionnés (Mega)

Elvis Presley en 126 titres (Terabox)

Ce papier s'accompagne d'une pensée pour Lisa Marie Presley 

samedi 10 mai 2025

The wHo, eN ciNQ aCTes aVeC du BoRDeL auTouR


Vingt fois sur ton ouvrage, remets toi à l'ouvrage...ou un truc dans le genre. Depuis un mois, évoquer correctement les Who est passé successivement de vague envie à projet, avant d'atteindre le stade de l'obsession à symptômes handicapants. Au premier rang desquels l'écoute frénétique d'albums négligés depuis trop longtemps. Les évoquer tous me semblait fastidieux, en isoler un s'avéra impossible. J'ai donc fort logiquement abordé la carrière solo de Pete Townshend en attendant un signe, une inspiration. Un coup de téléphone, un fax, du morse, j'étais à l'affût.

Tu dois opter pour une compilation maison !  Oui ? Qui me parle ? Est-ce toi Pete Townshend ? Le fantôme de Keith Moon ? Meher Baba ??? Le mystère demeure. Le commandement, onzième du nom, n'en était pas moins pertinent. J'allais bâtir une compilation des Who. M'inscrire dans l'Histoire. Pour mener ma tache à bien, je devais établir des règles. Puis les transgresser. C'est dans l'ordre des choses. Les règles sont les mêmes pour tous et l'individu se distingue en les transgressant. 

Première règle : 20 titres et pas un seul de plus. Au delà l'auditeur perd de son attention, il devient impossible dans ces conditions de convaincre les récalcitrants. Vous pouvez placer Won't get fooled again en embuscade, ça n'y changera rien.

Deuxième règle : Trouver un morceau accrocheur pour entamer les débats. Et là, ça se complique. La chronologie voudrait que ce soit I can't explain, c'est leur premier single sous leur nom définitif. Autre argument de poids, c'est une tuerie dotée d'un riff et d'un tempo légendaire. Bien. N'empêche que ce serait prévisible. Je pourrais donc envisager d'utiliser une intro piquée à Sell Out ou encore Overture de Tommy, ce serait l'occasion de vanter le jeu de guitare acoustique de Pete Townshend. Pourquoi ne pas désigner un titre qui a lui-même une intro significative, comme Baba O'Riley Ce serait médiocre. Reprendre à mon compte un titre qui ouvre déjà un album est inenvisageable. 

Troisième règle : Définir où s'arrêter. Pour Pink Floyd, j'avais placé le curseur à The Wall. Pour les Who, nombreux sont ceux qui le placeraient à la mort de Keith Moon. Je suis tenté d'en faire autant. En conséquence de quoi, je serais privé d'Eminence front. Autant ne pas faire durer inutilement le suspens ; je réfute cette option. Si Pete Townshend avait, comme la logique le voudrait, inclus ce titre dans sa carrière solo, je serais d'accord pour clôturer les sélections à Who Are You, mais en l'état c'est impossible. Ce qui ne veut pas dire que j'irai jusqu'à prendre en considération Endless Wire et l'autre navet. Le curseur sera donc placé à It's Hard.

Quatrième règle : On ne va pas y passer la nuit.

Leaving here ouvre ma compilation. C'est une reprise, on est donc bien dans l'esprit des 60's, et c'est un titre fabuleux dont Motörhead offrira une version démoniaque. Tout ce qui fait les Who est en place, Keith Moon drive avec un tempo démultiplié, Townshend cisaille, Daltrey hurle et Entwistle fait du Entwistle. J'ai mon intro, je n'ai plus qu'à piocher les temps forts de chaque album, auxquels j'additionne les singles définitifs. Et j'arrive à une sélection de 92 titres. Je vais devoir trier avec sévérité. D'abord, je vire tous les classiques, sinon ce n'est pas possible. Et puis personne n'a besoin d'entendre Baba O'Riley, Substitute et 5:15 une fois de plus. Là où c'est compliqué c'est pour Tommy. De Overture à The Acid queen, c'est intouchable. Et pourtant, il le faut. Je sacrifie Overture, It's a boy, The Acid queen et j'ajoute Underture, Pinball wizard et Smash the mirror. Tommy me laisse avec neuf titres sur les bras, j'attaque Quadrophenia avec crainte.

Mais avant ça, je fais un détour par les raretés, ces perles méconnues qui font le bonheur des collectionneurs et l'arrogance de ceux qui savent. Je vis un cauchemar, Batman, Barbara Ann, Anytime you want me, Dogs, Wasp man virevoltent en direction de la sortie, tant pis. Je garde Girl's eyes envers et contre tout. Je ne peux tout simplement pas virer toutes les chansons de Keith Moon. Dans cet ordre d'idée, je garde Bucket T et Bell boy. J'en suis à 63 titres. Tout va pour le mieux. Je dégomme avec réticence, mais sans retenue Odorono, I've had enough et I can't explain. Je me fourvoie en éliminant So sad about us, pourtant une de mes favorites absolues, hélas une sombre histoire de master défectueux ne la rend écoutable que sur vinyl. Ayant bonne conscience d'avoir conservé Girl's eyes, je me renie et vire Bell boy et Jaguar, deux extravagances de Keith Moon. Cette histoire de compilation commence à me peser, je menace de tout envoyer valser, j'ouvre une bière en regrettant l'époque où je fumais des trois feuilles. 


54 titres, bilan d'un après midi chirurgical, des cadavres plein la corbeille. J'entame la dernière ligne droite gonflé d'orgueil. Encore une trentaine de titres à décimer et je vous dévoile ma liste ultime. Leaving here passe à la trappe, tant pis pour mon intro. A quick one while he's away est la victime suivante de mon éradication, le transfert numérique a complètement flingué le deuxième album des Who, je plains les nouvelles générations qui ne connaîtront jamais le bonheur. Avec The ox disparait l'ultime représentant du premier album, le constat est sans appel, les meilleurs morceaux du groupe sont pieds et poings liés à l'analogique, aucun remaster n'y changera rien. La bête est blessée, elle souffre dans sa chair, je relève la gueule, renonce à I'm a boy et retourne au combat. Le vent est violent, vicieux, la pluie écorche mon épiderme, les rats fuient entre mes jambes, je vous hais tous et la terre entière. 

Electrisé par la colère, je me retiens d'envoyer paître la totalité de Who Are You. Voila un disque qu'il m'aura fallu des années pour apprécier à sa juste valeur. Ou du moins à celle que le temps lui a conféré. A sa sortie, j'avais été horrifié par l'omniprésence des synthétiseurs. Non pas qu'ils soient nouveaux dans le son des Who, loin de là, sauf que cette fois ils me semblaient à côté de la plaque. D'avant-gardistes sur Who's Next et Quadrophenia, ils devenaient laids et encombrants. Had enough me filait la nausée tant le potentiel du morceau était gâché par l'insistance médiocre de sa partie de synthétiseur. J'avais tort de les croire largués, ce titre préfigurait le son qui sera la norme de la décennie à venir. 

Quarante-huit titres ! Je décide d'en ajouter deux, le concept évolue. The 50 golden tunes of The Who! C'est magnifique. Il ne me reste qu'à choisir les deux titres et trouver un ordre à tout ça.

I can see for miles est mon ouverture. Arrogante, puissante et psychédélique. Who are you vient ensuite, puis Slip kid. Deux titres similaires par bien des points, alternant retenue et explosions de violence. Ils confèrent une sorte de faux rythme à ce début de compilation. J'aime commencer ainsi, sans lâcher les chevaux d'emblée. Trick of the light fait ça très bien. Premier titre d'Entwistle de ma sélection, ce ne sera pas le dernier. Le bassiste des Who est un compositeur que beaucoup de groupes auraient rêvé d'avoir comme leader.

Après quoi, j'enfile trois titres de façon incohérente, voyez vous même ; Amazing journey, The punk and the godfather et Under my thumb. Un extrait de Tommy, sombre, la mélodie est alambiquée et sublime, au moins autant que l'est The punk and the godfather. L'histoire de Under my thumb est largement connue, les Stones emprisonnés, les Who leur apportent leur soutien et font paraître ce single dès le lendemain de l'arrestation. Leur version est aussi frontale que celle des Stones est vicieuse. Townshend est à la basse, Entwistle en lune de miel, Keith Moon est l'antithèse de Charlie Watts, on s'en doutait. 

Je m'inspire de Lifehouse Chronicles en glissant Sister disco entre Baba O'Riley (premier des deux titres récupérés in extremis) et Behind blue eyesJ'ai un rapport d'amoureux contrarié avec Sister disco, comme avec de nombreux titres de Who Are You. Qu'est-ce que Townshend avait à l'esprit ? Pourquoi coiffer des pompadour sur des morceaux dont l'efficacité aurait été sans faille avec plus de simplicité ? Pourquoi inciter Daltrey à en faire des caisses ? On se croirait dans The Soft Parade.



Après Behind blue eyes, dont je ne pense pas avoir besoin de justifier la présence, je poursuis autour de Who's Next avec Pure and easy que l'abandon du projet Lifehouse avait injustement relégué sur Odds and Sods. Je ne vais pas m'étaler, c'est le haut du panier. Won't get fooled again arrive en suivant et Long live rock cloture un enchainement de sept titres plus incroyables les uns que les autres. Long live rock me sert de pivot pour un premier flashback vers les prime années du groupe. Je l'ai évoqué plus haut, le transfert numérique des disques précédent Tommy est sujet à débat, comme il l'est pour les Stones d'avant Beggar's Banquet. Disons le tout net, c'est une catastrophe. Les cymbales saturent, la Rickenbaker de Townshend vrille les oreilles, seul Entwistle reste Entwistle. C'est moche, mais pas suffisamment pour qu'on se prive de Bucket T avec Moonie au lead vocal, Happy Jack avec Moonie qui déglingue sa Premier Drums et Boris the spider avec Moonie qui laisse la vedette à Entwistle, qui lui-même fait froid dans le dos. Je conclus le flashback par Go to the mirror! Je vous ai déjà dit à quel point j'aime Tommy ? Vous serez d'accord avec moi après avoir entendu ça. 

Sans transition, comme disent les fossoyeurs de l'info, I've known no war de It's Hard, tout en modernité et nervosité. Ah, le grand disque que l'on aurait eu si tout avait été de ce tonneau. Rythme mécanique, mélodie tendue, Daltrey rageur et les deux zèbres qui nous asticotent. Elle était là, la possibilité d'une vie sans Keith Moon.  Et puisque l'on parle de lui, abordons Quadrophenia. A mon avis le disque où Keith Moon fut le mieux incorporé dans le mixage, en plus d'être celui sur lequel son jeu atteint sa pleine maturité. J'entame par le morceau qui donne son titre au disque. Synthétiseurs majestueux en guise de violons sur lesquels Townshend prend un solo bourré de feeling. Une beauté. Que je prolonge avec le difficile Guitar and pen. Symphonique au delà du pompeux, mais au combien essentiel dans son enchevêtrement de voix et d'orchestrations. Une ambition, que les Who auront encore à l'avenir, atteinte ici pour la dernière fois.


Flashback numéro 2, accrochez vous ça va secouer. Our love was, Pete au micro pour cette insurpassable pépite Pop qui prend délicieusement la suite de Guitar and pen. Quand ils taquinent ce niveau, les Who n'ont aucun équivalent. Girl's eyes, composé et chanté par Keith Moon dans un registre qui aurait mérité persévérance. Naked eye, les Who en mode surpuissant pour ce qui aurait dû être un sommet du projet Lifehouse. Quand Townshend passe au micro pour le deuxième couplet, l'effet est dévastateur. On dirait un chat hérissé. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment Glyn Johns a pu virer une chanson de ce calibre de la tracklist de Who's Next. Imaginez un peu un disque qui aurait regroupé Naked eye, Pure and easy, Won't get fooled again, Behind blue eyes, My wife et Baba O'Riley. Malheur. La Pop reprend ses droits avec Pictures of Lily, indiscutablement le single phare des années pré-Tommy. Doctor doctor, Entwistle pied au plancher et falsetto dingo qui vient se fracasser sur l'intro guillotine de Pinball wizard. Premières notes hésitantes, puis ce flamenco qui s'emballe comme un cheval fou fouetté par le power chord. Elle fait mal celle ci, on entre dans le légendaire. Ever since I was a young boy, I've played the silver ball... On tutoie enfer, purgatoire et paradis avec le même mépris, on sait bien depuis Pinball wizard que rien n'aura jamais plus d'importance que ce que le rock peut nous offrir. Et pour fêter ça, j'enchaine avec deux autres temps forts de Tommy, l'ultra funky Smash the mirror et Christmas, ce bijou de perversité qui m'a inoculé le virus. 

Après quoi, c'est le choc, Keith Moon pulvérise les falaises de Douvres. Est-ce qu'il existe plus puissant, fou, démoniaque, assassin, plus fantasmagorique que les frappes de Keith Moon sur l'intro de The rock ? Ne vous fatiguez pas à répondre. Je pleure d'un bonheur orgasmique chaque fois que j'entends ces rafales lourdes à faire vaciller Atlas. Les thèmes s'entremêlent, s'opposent et se défient, The rock est une pièce majeure sur le grand échiquier de l'art. I'm one avec Townshend au micro pour un maximum de sensibilité puis The real me, manière de claquer le beignet à toute objection. Quadrophenia est le chef d'oeuvre suprême des 70's. Mieux enregistré, mieux interprété, mieux composé que tout ce à quoi la concurrence a pu prétendre. 

Cry if you want, swizz, un autre temps fort de It's Hard, disque en montagnes russes. Celle ci ne prétend pas à la stature d'Eminence front et I've known no war, sa seule ambition est de ressusciter les power chords. Ce qui mérite tous les superlatifs. Pause. Avant de plonger dans les profondeurs les plus sombres de l'âme humaine, Blue, red and grey nous gonfle les poumons d'optimisme. Townshend se radine avec son ukulélé et prend le micro pour ce salutaire interlude tout en amour de vivre. Il fallait bien ça avant de s'injecter coup sur coup Underture, cauchemar claustrophobe de près de dix minutes et Cousin Kevin, un morceau si malsain qu'il fait passer Orange Mécanique pour un film de vacances sur la côté basque. Jamais on ne soulignera assez le génie macabre de John Entwistle. Après une telle séance, on est en droit de se demander si il existe encore quelqu'un qui nous veut du bien, quelque part, n'importe où, qu'il se manifeste. Roger se pose la même question sur le glacial How many friends, titre à infusion lente à l'image de l'album The Who By Numbers, dont il est extrait. Et si l'humain subit la souffrance des questions aux réponses cruelles, il n'en a pas l'exclusivité. John Entwistle nous fait partager le mal être d'un androïde avec 905, un morceau dominé par les sons électroniques sans rien perdre d'un feeling qui colle à la peau.


1921. Le dramaturge Townshend entre dans l'arène. 1921, c'est le meurtre de l'amant par le père (ce sera l'inverse dans le film de Ken Russell), Tommy a tout vu, mais il devra rien dire, d'ailleurs il n'a vu, rien entendu et il n'a aucune preuve ! Le mantra vire au cauchemar et Tommy se coupe instantanément du reste du monde. Avec 1921 le rock entre dans une nouvelle dimension, il revendique une implication sociétale dépassant le cadre de la rebellion adolescente. Musicalement, il s'affirme comme un prolongement et non plus une opposition. Avec aussi peu de ménagement qu'il n'en a eu en s'imposant aux radios une décennie plus tôt, le Rock, r majuscule, s'impose aux adultes, bouscule ceux qui jusque là feignaient de l'ignorer. Il envahit les opéras, les théâtres, non pas sous les traits de repentis lyophilisés, mais incarné par quatre énergumènes furieux qui ne se contentent pas de menacer (comme le font les Rolling Stones) mais fracassent tout ce qu'ils approchent. Alors qu'ils sont dans leur période la plus barbare, sur et en dehors de la scène, les Who font irruption à la cour des nobles pour des interprétations incendiaires de leur opéra-rock au Metropolitan de New York, au Coliseum Theater de Londres, au Théâtre des Champs-Elysées. Got a feeling 21 is gonna be a good year.

Suivent Magic bus et However much I booze, deux rocks basiques pour ne pas se méprendre. Les Who, aussi mégalomanes qu'ils aient pu l'être, n'ont jamais oublié de balancer la sauce. Eminence front, ultime chef d'oeuvre de leur carrière, prend la relève en gardant Townshend au micro, en perdant Keith Moon, en baissant le rideau sur une histoire qui sent le sapin depuis déjà quelques années. Avant même le décès du batteur, rien n'allait plus vraiment dans l'univers sulfureux du groupe, l'autodestruction avait atteint des niveaux dont on ne revient pas intact. Keith Moon, bien sur, mais aussi Pete Townshend, qui depuis le début des années 70 se torche la gueule au cognac avec un systématisme effrayant. L'échec de Lifehouse, la difficulté d'accorder vie privée et statut de leader d'un mouvement dont le public réclame sans cesse de nouveaux exploits. Son mariage vire à l'aigre, il fuit, se mutile. Au moment d'enregistrer It's Hard, sur lequel figure Eminence front, il est accro à l'héroïne en plus d'être alcoolique au dernier degré. On le croisera bientôt dans des crackhouses new-yorkaises. John Entwistle n'est pas en reste, accro à la cocaïne, il en est à vendre sa collection de basses pour entretenir une addiction qui finira par avoir le dernier mot en 2002 à l'aube d'une énième tournée censée renflouer un solde dangereusement débiteur. Sparks, dès lors, s'impose. Cet instrumental pioché dans Tommy est au désespoir ce que la pomme est à Adam.

On ne quitte pas les rives du styx en enchainant The dirty job et Helpless dancer, deux titres désabusés de Quadrophenia, disque désabusé dans son absolue intégralité. Comment peut-on rationnellement aimer une telle oeuvre ? Mal de vivre, tendance suicidaire, histoire d'amour à sens unique, avenir lugubre, drogues, frustrations sexuelles, humiliations, pluie, bagarres, ainsi va Quadrophenia à l'eau qu'à la fin tout se brise.


In a hand or a face est censé nous remonter le moral avec son énergie régénératrice, pour si peu qu'on ne se penche pas sur son texte. New song ensuite, les Who new look. Du moins niveau son, parce que physiquement ce sont les mêmes en pire. 1979, le rock s'habille Clash, Two Tone, arbore les stigmates de la polio, les dents cariées, porte des lunettes en osant se faire appeler Elvis. Roger Daltrey s'en contrefout et s'affiche tout en muscles et bronzé sur la pochette de Who Are You. Les trois autres sont des épaves. Lente désintégration de l'humain, pleinement conscient de l'inéluctable issue. J'enclenche Cut my hair, comme on regarde une photo jaunie. Dressed right for a beach fight, but I just can't explain why that uncertain feeling is still here in my brain...

Ce qui nous mène tout aussi inéluctablement à la dernière ligne droite de notre sujet. Eyesight to the blind, le titre le plus insolent de Tommy. Sans avoir ne serait-ce que d'un orteil fait partie du blues boom anglais, les Who ont transcendé l'ancêtre sans la moindre considération avec une arrogance et une créativité qui dépassent le concept d'hommage. You talk about your woman ? I wish you could see mine ! Et puisque l'on en est aux combats de coqs, Tattoo nous renseigne sur ce qui fait d'un homme, un homme. Il était temps que je case ce trésor de minutie pop. Si ça peut donner à quelqu'un l'envie de découvrir Sell Out, alors j'aurais fait un heureux. 

Sortez vos kleenex, voici le temps de conclure. La tache peut sembler compliquer, elle ne l'a pas été. Si j'ai rechigné à utiliser une intro redondante, je ne me suis pas encombré d'une telle réflexion pour la conclusion. Love reign O'er me s'impose comme le mur s'impose à la voiture. Sans discussion. 


Un bonus ? C'est vrai ? Vous croyez que je peux ? Si vous insistez, ce sera I need you. Keith Moon au chant et à la composition pour cet instant intemporel au parfum aigre des souvenirs que l'on endimanche quand on les raconte. Ils étaient jeunes, nous n'étions pas nés, l'avenir était radieux, le gâchis cachait sa vilaine face dans l'ombre des mauvais choix.

Cinquième règle : se conformer à l'esprit des Who.

Et donc tout foutre en l'air une fois que ça tient debout. J'ai dit 20 titres ? Je vais m'y tenir, bordel, ça va charcler. Vous êtes prêts ? Prenez vos stylos.

Doctor doctor, Tattoo, Long live rock, Quadrophenia, The rock, Guitar and pen, Zoot suit, Slip kid, Christmas, The seeker, Eminence front, Anytime you want me, I'm one, 905, Pure and easy, Amazing journey, Our love was, Dogs, Naked eye, In a hand or a face. Bam, ça fait mal, avec les Who c'est la norme. 

Hugo Spanky



lundi 5 mai 2025

KHôRa - ANaNKe

 


Je vais faire court. D'abord parce que l'album sort ces jours ci et que par conséquent je n'ai pas les crédits sous les yeux pour épater la galerie. Ensuite, parce qu'une fois que je vous aurais dit que Ananke de Khôra est le meilleur album sorti depuis celui de Doedsmaghird, la moitié d'entre vous sera retournée lire des âneries.

Je parle de quoi, bordel ? Du disque extrême le plus satisfaisant de 2025 (qui a déjà quasiment 5 mois, soit plus d'un tiers de son existence). Ananke est un festival d'à peu près tout ce qui fait du Black Metal, dans sa frange la plus dingue, la seule musique à encore proposer des disques dérangeants. On trouve ainsi sur ce ravissant ouvrage ; des blasts assommants, des voix qui passent du clair à l'obscur en un clin d'œil, des guitares qui opèrent par incision, des ponctuations symphoniques agencées avec parcimonie et bienséance. La production est d'envergure internationale, et là je souligne. Vous allez comprendre pourquoi quand je vous aurais dit que le leader de ce groupe est français. Je ne veux même pas savoir pourquoi en 2025, j'arrive encore à distinguer une production française par ses faiblesses, je me contente de souligner que cette fois ce n'est pas le cas. Chaque maillon de la chaine est maitrisé. Les autres membres sont aléatoires, on y trouve des gars de Dodheimsgard, de Mayhem, de Therion (ça s'entend) et d'autres dont je ne sais rien.


Pour ceux qui veulent mettre un doigt dans l'eau avant de plonger, l'enchainement Wrestling with the gods, In the throes of ascension, Arcane creation et On a starpath situent bien l'objet du débat. Une tuerie démoniaque parsemée de soli heavy métalleux, un machin symphonique pour trépanés, un interlude en mode Carmina burana et On a starpath qui joue les beaux gosses. Comme tous les bons disques Ananke à son passage en creux, qui sera surement le préféré des pieds tendres, lorsque le groupe baisse sa garde avant la fin du combat le temps de Supernal light et Crowned, dont je cherche encore l'intérêt.

Quoi d'autre ? Rien. Je vous mets le lien étant donné que les groupes de Black sont moins cons que les autres et suffisamment confiants en leur musique pour balancer l'album en entier sur youtube avant sa commercialisation. Merci à eux.

Hugo Spanky

Khôra - Ananke



vendredi 25 avril 2025

PsYcHODeRelict ◙ PeTe ToWNsHeND ◙ reduX


"Le jour où je décèle autre chose que de l'ennui à l'écoute de Psychoderelict, je vous téléphone."

Allo ? Si j'aime autant la musique, c'est qu'elle bouleverse souvent mes appréciations. Par chance, je ne suis pas du genre obtus, si j'en viens à adorer ce que j'aurais brulé la veille, je m'en vante. 

Lorsque je me penche sur un groupe pour garnir ce blog, je réécoute tout et c'est mon ressenti de l'instant que je clame par azerty interposé. Sauf qu'une fois dans le mood, j'y reste. Pour exemple, depuis mon post sur Pete Townshend, j'ai relu son autobiographie, dans la foulée la biographie de Keith Moon parue chez Camion Blanc, j'ai écouté des dizaines de bootlegs et bien sur revisité l'intégralité de leurs discographies, commune et solo. Tout ça pour dire que...

...Pete Townshend fait partie des quelques artistes que je place au dessus de la mêlée, ceux dont la discographie officielle n'est le reflet que d'une infime partie de leur génie. Ceux dont il faut traquer les inédits, les démos, les rejets, les comportements, pour commencer à saisir de qui il est véritablement question. Prince est ainsi, Yoko Ono est ainsi, Public Enemy, Mick Jones, Elvis Presley, Beatles, Who et c'est à peu près tout. Avec eux, tout est synonyme de sens. Remix, mixtapes, bootlegs, faces B, versions extended réservées à d'obscurs maxi 45t. Tout. Y compris ce qui a été rejeté, parce que trop en avance, parce que pas assez vendeur. Dans le cas de Townshend, ça se situe une première fois au moment de Who's Next et se personnifie par le projet Lifehouse. Un projet abandonné pour cause d'incompréhension généralisée. Le sujet ? Un monde futur proche dans lequel tout le monde vit cloitré à cause d'un virus provoqué par une écologie désastreuse. Dans ce monde déshumanisé, chacun comble ses désirs via un ordinateur qui délivre à volonté et à domicile. La situation semble sous contrôle, pourtant un individu se rebelle, sort de chez lui et organise un concert en plein air. Il est rejoint par une multitude d'aspirants à la liberté et tous atteignent la félicité par la grâce d'une note de musique.  There once was a note pure and easy.


Jamais à une surenchère près, Pete Townshend prévoit d'accompagner le disque par une tournée dont les concerts seraient sonorisés en quadriphonie. Pour mémoire, je rappelle que tout ceci se déroule en 1970, une époque où le summum du progrès est d'empiler les têtes d'amplis Marshall. Personne ne s'y risqua. Les chansons furent ratiboisées, en partie rejetées ou dispersées sur des singles, le concept fut oublié et Who's Next fut un succès. Sauf pour Townshend. Et pour moi, qui n'aime rien de plus que les albums labyrinthes. Les casse-têtes. Et aussi pour quelques autres qui complotent sur des blogs et reconstruisent Lifehouse à partir de démos et de bonus tracks parus tardivement. Les liens vers ces blogs sont dans la marge de droite, je vous les conseille. En 2000, il a fini par éditer un coffret de 6 cd qui sert l'intrigue avec des morceaux piochés parmi les reliquats du projet initial et d'autres qui ont été composés depuis. Le tout retravaillé dans les grandes largeurs. Il a carrément collé un rap sur Who are you ! Un cd simple titré Lifehouse Elements résume l'affaire en une dizaine de titres surpuissants.


On s'en fout. Mon propos n'est pas là. Si je remets le couvert à propos de Pete Townshend, c'est pour évoquer Psychoderelict. J'en étais resté au disque tel que je l'avais acheté en 1993, à savoir un aggloméré pénible de dialogues de théâtre empiétant sur des chansons sans intro, ni outro, quand elles n'étaient pas carrément interrompues. Un bordel. Dire que ça ne fonctionnait pas est un minimum. J'avais rangé le disque et j'étais passé à autre chose. 

Puis, Amazon vint. C'est en tapant avec frénésie sur mon tambour le nom du guitariste que la lumière fut. Psychoderelict vient d'être commercialisé en version music only. Quoi ? Les dialogues au placard. L'occasion était trop belle et mon appétit trop inextinguible. Comme de bien entendu me voilà avec un disque radicalement différent. Du solo de guitare, du rythme martial, majoritaire nerveux, et des arrangements, ma foi, de temps à autre un peu douteux sur les bords. On navigue entre synthé won't get fooled again et beat électronique. Il y a même un gospel ! Je ne vais pas crier au chef d'œuvre, mais au rendez-vous manqué. Pyschoderelict ne méritait pas la volée de bois vert que la presse lui a fait manger, ni l'indifférence du public, encore moins d'être la raison pour laquelle le label lui a rendu son contrat solo et demandé d'aller voir ailleurs si les inuits aiment le rock désintoxiqué.

Je résume. Psychoderelict est un chouette disque dans la droite lignée de White City. Il contient une bonne dose de rocks nerveux, une paire de choses surprenantes (Now and then pour exemple) et un single impeccable, English boy. Vu ce que les années 90 nous ont proposé en matière de classic rock, on n'aurait pas fait la fine bouche.

Hugo Spanky