Le 3 mai 2016, une dizaine de jours après la mort de son créateur, et après quelques mois d'exclusivité sur le site de téléchargements de Jay Z, Tidal, sort en format physique Hit N'Run Phase Two, l'ultime disque de Prince.
Je vais tacher de le chroniquer comme je l'aurai fait sans que les évènements ne viennent me retourner le cerveau.
Depuis 2010 et la distribution de 20Ten (pigé ?) via le réseau de la presse, Prince semblait quelque peu égaré. L'album en question contenait encore de quoi épater l'amateur, (en commençant par ce bijou de Beginning endlessly) et faire battre des records de vente aux magazines finement sélectionnés pour en permettre l'acquisition gratuite (le prix du numéro n'étant aucunement majoré) mais le lien avec le grand public devenait compliqué à maintenir. Surtout, même si elle n'avait rien de nouveau, cette confusion commerciale laissait poindre, un peu plus encore, un trouble du comportement dont la persistance n'inaugurait rien de bon pour la suite. Derrière l'excentricité, le malaise.
On l'a décortiqué sous toutes ses coutures ce disque, avec Milady. On l'a mis à fond dans l'auto radio, on l'a testé sur la sono du salon, sur le Scott de la chambre. Au casque, à m'en rendre plus sourd que Brian Johnson et Pete Townshend réunis. Tout ça, rien que pour ne pas se retrouver à en dire plus de bien qu'il n'en mérite. Pour ne pas se laisser emporter par les émotions au point de prendre des vessies pour des lanternes.
Le disque ne faiblit à aucun moment, versant rock, versant funk (Stare, Xtraloveable...), versant onirisme jazzy avec décollage perpendiculaire du freestyle multi-directionnel façon drone (Black muse) ou option soul soyeuse avec caresse du petit doigt sur le clitoris (Look at me look at U) Prince accorde avec talent les saveurs les plus diverses, s'autorise des audaces que plus aucun n'ose ne serait-ce qu'envisager. Il claque trois titres de plus de 6mns et ouvre son disque sur un hommage à Michael Brown et Freddie Gray, victimes de violences policière à Ferguson, Missouri et Baltimore (où il donna un concert en soutien aux manifestants). Donald Trump n'a, à ce jour, toujours pas utilisé le morceau pour entrer en scène à aucun de ses meetings.
Il y a quelque chose de Diamonds and Pearls dans cet ultime album. Cette même façon de prouver une fois de plus, que tout est encore possible. Vous me croyez ou pas, vous tentez si vous voulez, je m'en bats les noix. C'est bien simple même les deux ballades sont bandantes, à l'image de When she comes avec son accordéon façon Flaco Jimenez, qui donne une teinte du barrio qu'on ne lui connaissait pas encore. Et Revelation est plus somptueuse encore. On repère aussi pas mal de clins d’œil, à lui même, aux autres (le riff du Melting Pot de Booker T & The MG's sur Groovy potential, Sly Stone à chaque coin de rue) et, plus que le reste, on retrouve notre Prince dans ce qu'il offre de plus essentiel. Du bon son pour ceux qui croient la voix qui sort de leur stéréo, qui croient au rock'n'roll. Hit N'Run Phase Two transpire de ce bonheur que procure la musique, de cette force irrationnelle qu'elle nous transmet. Cette liberté d'esprit que Prince incarna jusqu'au bout, n'agissant que selon ses propres règles, fussent-elles trop intenses pour le corps humain.
Hit N'Run Phase Two est un disque vivant qui ne se veut pas autrement que fidèle à ce que l'on aime au plus profond de nous, fidèle à cette indéfectible passion pour la musique qui, souvent, nous a obsessionnellement tenu éveillé au delà de nos propres limites. Au fil du temps, on a tous fini par devenir plus raisonnables, par apprendre à gérer le quotidien, se trouver un ventre tout chaud sur lequel poser nos joues caleuses. On a appris nos leçons. Écrasé les mégots, rangé les bouteilles et fait les prises de sang. En l'espace d'un mois, deux mauvais élèves se sont distingués, l'un ne concerne que moi, l'autre nous concerne tous. L'un ne laisse que silence, l'autre nous propose une dernière danse. Les deux sont réunis dans cet afflux sanguin qui crache des enceintes le pouls de la vie. Et mes pieds rivés à cette terre désertée, de souhaiter un bon voyage aux cendres qui s'envolent.
Hugo Spanky

















