jeudi 24 décembre 2020
vendredi 18 décembre 2020
ToM Tom Club
Et de plaisir il en est encore -et surtout- question lorsqu'à l'occasion de mon anniversaire du 14 octobre 2001 Tom Tom Club se produisit à domicile devant un parterre d'invités conviés à faire la noce. D'entrée de jeu, le groupe persécute les articulations en attaquant avec un Genius of love plus gorgé de Reggae que jamais suivi pied au plancher par She's dangerous puis l'ultra contaminant en démangeaisons du bassin World rappinghood, avant de dérouler un répertoire invariablement destiné à nous faire chalouper du côté lumineux de la force. Accompagné par une généreuse formation incluant choristes, percussionniste, section de cuivres et un guitariste incisif dans ses interventions, le couple formé à la ville comme à la scène par Tina Weymouth et Chris Frantz sublime en une irrésistible danse ce qui fit leur charme vingt ans plus tôt.
Hugo Spanky
mardi 8 décembre 2020
McCaRTNeY III
Tout juste ce monde ingrat a-t-il eu le temps de se souvenir de Lennon que voila McCartney qui rapplique. Les vieux complexes l'empêcheraient-ils encore de dormir ? A moins qu'il ne tienne à briller sous les guirlandes.
La pochette est affreuse, ça c'est fait, si Universal impose ce machin à la une des magazines, on va avoir un mur de presse bien dégueulasse pour finir l'année.
Musicalement faut pas s'attendre à être chamboulé outre mesure, à ce niveau là on est très en deçà des deux précédents McCartney numérotés (dont le II reste mon préféré). La dominante est acoustique plus qu'expérimentale, je ne vais m'en plaindre que modérément, vu les horreurs que la mode nous fait subir en terme d'innovation, c'est pas plus mal si pépé ne se passe pas la glotte dans les tuyaux digitaux.
Find my way est bordélique et chahuteur, doté d'une véritable énergie, peut être qu'à son échelle c'est une révolution, en tout cas c'est un des meilleurs titres de l'album. Avant d'en arriver là, Long tailed winter bird se marche sur les arpions un peu plus de 5mns durant, ce qui fait que l'ouverture de l'album est aussi le seul moment où j'ai eu envie de renoncer.
Woman and wives est plus
intéressante, piano, boite à rythme et cette constante de s'amuser avec les couleurs que le temps a conféré à une voix dont on croyait avoir fait le tour. Si la composition ne propose pas grand chose de transcendant, elle a le mérite de
le faire de façon concise et astucieuse. Faudra s'en contenter, c'est un autre des bons titres du disque.
Il y a ensuite un long tunnel de morceaux inutiles,
Lavatory lil, Slidin', The kiss of Venus qui auraient pu rester dans
les cartons sans que je trouve à redire. Ils auraient aussi pu être remplacés par pire qu'eux à l'image du pénible Deep down. Quant à Winter bird/When winter comes (il est toujours frais, il regarde les séries à la télé) et Pretty
boys, elles seront, au choix, qualifiées de McCartney éternel ou de redites, pour
moi ce pourrait être des chutes de Flaming Pie. Ce qui n'est pas loin d'être un compliment.
Au milieu de
tout ça, Seize the day dont je ne sais pas trop quoi penser, sinon qu'il y a là des ingrédients qui m'évoquent David Bowie, c'est pas mal fichu et
anecdotique, c'est pourtant un des titres qui ressortent. Un intrigant qui contribue à relancer l'attention de l'auditeur.
Deep deep feeling sera sans doute LE morceau qui va susciter le plus d'excitation. 8mns et quelques durant lesquelles il se passe vaguement quelque chose de l'ordre de l'émotion. C'est quand même un brin long et en même temps ça fait court pour porter tout un album. Niveau composition on navigue du côté de Driving Rain, mais l'habillage respecte le cahier des charges McCartney II. Un hybride qui a de la gueule.
Conclusion, je préfère ça aux tartines beurre et chocolat de Egypt Station, l'absence de production joue en sa faveur, preuve que le vieux sait encore s'en sortir en misant uniquement sur l'interprétation. C'est la qualité globale du disque, en variant sa voix, en laissant respirer le son, McCartney parvient à me faire passer 3/4 d'heure en sa compagnie sans que je ne trouve mieux à faire. Il se peut même que ce disque soit celui que je ressortirais de la pochette lorsqu'il conviendra d'évaluer la suite. Peut être même que je le ressortirais juste par plaisir. Et ça fait un bail qu'un McCartney ne m'a pas fait dire ça. Moi qui ricanais sous cape à l'idée de porter le fer avec les blogs voisins, que j'imaginais se lancer dans une surenchère de qualificatifs fallacieux, me voila porteur du drapeau blanc.
Mieux encore, si j’élargis le spectre jusqu'à inclure la concurrence sur le marché des gros calibres du classic rock, Paulo rafle la mise sans risquer la blessure. Son disque n'est pas une fumisterie à la façon du dernier Springsteen, il respire vraiment le fait maison et nous transmet ce qu'il y a de meilleur dans cette approche, une écoute apaisante, conviviale, dépourvue de l'oppressante obligation du compressé sur mesure pour les web radios. Je peux même le gratifier d'une certaine audace, contrairement à Costello, il ne se contente pas de nous fournir un résumé des épisodes précédents et il ne se compare carrément pas à l'absence totale de créativité qui frappe AC/DC depuis minimum 30 ans.
Tout est donc réuni pour que les adorateurs adorent et que les autres
continuent à en avoir rien à foutre. La balle est dans le camp des indécis.
Hugo Spanky
lundi 7 décembre 2020
PlasTiC oNo BaND
Comment veux-tu que ça sonne ? lui demanda Phil Spector
Comme dans les années 50, mais de maintenant lui répondit John Lennon.
Les années 50 sont celles de Sun records et de Buddy Holly, le maintenant est celui de 1969. L'addition des deux âges d'or de la rock music. Ajoutez au résultat l'un des plus faramineux compositeurs qui soient dans une de ses phases parmi les plus créatives. N'en jetez plus, la platine déborde. Je pourrais presque m'arrêter là, vous devriez déjà être en train de chiner toutes les merveilles qu'incarne un tel idéal.
Le Plastic Ono Band, c'est vous, nous, tout le monde. L'idée de base de John Lennon et Yoko Ono est d'enregistrer là où ils sont avec qui est présent. Ce fut d'abord dans une chambre d’hôtel à Montréal pour Give peace a chance avec Petula Clark, Timothy Leary, Allen Ginsberg et une barbouze de la CIA, puis sur scène à Toronto. Quelle histoire ce concert de Toronto. Prenons quelques lignes pour nous souvenir qu'au retour de leur tumultueuse lune de miel largement prolongée en Bed-In, John et Yoko apprennent qu'ils ont été contacté par un jeune promoteur canadien désespéré de ne pas réussir à vendre les tickets de son Rock'n'Roll Revival Festival auquel doivent se produire Little Richard, Chuck Berry, Gene Vincent, Bo Diddley et Jerry Lee Lewis. Son idée pour trouver l'adhésion du public est de faire intervenir Lennon entre les concerts afin qu'il puisse promouvoir la paix dans le monde et présenter des artistes qu'il idolâtre depuis son enfance. Enthousiasmé, Lennon accepte à condition de pouvoir jouer et de récupérer les bandes du concert pour en faire un album qui sera le premier de son nouveau groupe...qui n'existe pas !
Le Plastic Ono Band est jusque là un assemblage purement conceptuel, sa formation originelle est un boitier cassette, un presse-papiers, un étui de brosse à vinyl et un tube plastique qui trainait par terre. Le risque de fausse note est limité, les chances de sortir le moindre son inexistantes. Un coup de téléphone à Eric Clapton étoffe sérieusement l'affaire, un autre à Alan White, jeune batteur de 19 ans qu'on retrouvera plus tard dans Yes, et un dernier à Klaus Voormann l'ami de Hambourg devenu bassiste. Rendez-vous est donné à l'aéroport de Londres, les répétitions auront lieu dans l'avion vers Toronto. Le répertoire ? Blue suede shoes, Money, Dizzy miss Lizzy, Yer blues, Give peace a chance, une nouvelle composition Cold turkey, inspirée à Lennon par le sevrage que le couple s'est imposé pour décrocher de la méthadone, et une indication : quand Yoko fera son truc, suivez moi. Le résultat, aussi brut que possible, est encore disponible à ce jour sous une pochette bleue signée d'un nuage. John Lennon vient de signifier son retour à la scène.
Aux Beatles agonisants il propose d'enregistrer Cold turkey. McCartney n'en voit pas l’intérêt, George Harrison fait la gueule dans son coin. Qu'importe, Ringo Starr est partant, Eric Clapton est là, Klaus Voorman également et Billy Preston se cale à l'ébène et l'ivoire. La composition sera la première à être créditée à Lennon seulement. En face B, un titre de Yoko Ono, Remember love, dont je suis lassé de vanter les qualités. Quelques mois plus tard, Lennon remet ça, cette fois il souhaite enregistrer sur le champ une chanson qu'il vient de composer, la mixer dans la nuit et la sortir le lendemain. George Harrison, Alan White, Klaus Voormann et Billy Preston sont sur le coups. Le Plastic Ono Band prend forme. Instant Karma! casse la baraque partout dans le monde en ce début d'année 1970, N°1 en France, les gars, vous pouvez imaginer ça quand on voit le décor du jour ? En Amérique, elle marche sur les pieds de Let it be, la dépasse même un temps dans les charts et se vend à plus d'un million d'exemplaire. McCartney jette l'éponge et reconnait officiellement la séparation des Beatles.
Quelques mois plus tard, c'est pour participer à un concert londonien au bénéfice de l'UNICEF que Lennon et Ono sont contactés en catastrophe, réduit à sa portion congrue, Alan White et Klaus Voorman, le groupe accepte de se produire, confiant en sa capacité à faire feu de tout bois. L'après midi précédant le concert, le couple rencontre Eric Clapton et George Harrison alors en tournée avec Delaney & Bonnie. Outre leur participation les deux compères proposent, pour porter le surnombre, de rameuter toute la troupe, parmi laquelle Jim Price et Bobby Keyes aux cuivres et un Keith Moon en goguette venu s'ajouter au dernier instant. C'est à 17 musiciens et sans aucune répétition que le Plastic Ono Band s'exprime ce soir là dans un ravageur déluge sonore. J'aimerais savoir qui étaient les 200 gamins massés au pied de la scène ce soir là, je ne serais pas surpris que ce soit ceux qui ont formé les groupes new wave quelques années plus tard tant ils étaient en communion avec la folie de Yoko et la virulence du groupe dira Lennon extatique en évoquant ce concert incendiaire. Alan White témoignera lui de sa difficulté à conclure un morceau parti en vrille depuis plusieurs minutes au fil d'une improvisation des solistes, tandis que Lennon martelait avec acharnement un riff Bo Diddley, j'ai soudain pensé à accélérer le tempo pour leur donner un signal de fin, cela allait fonctionner lorsque Keith Moon interpellé par ce regain d'énergie se mit à converser avec moi en augmentant encore le tempo, multipliant les roulements délirants en me fixant avec un regard de maniaque...
Fin 1970 Lennon fait ses adieux à Abbey Road en enregistrant ce qui reste son meilleur album solo, un disque primordial, incontournable, supérieur en bien des points aux dernières productions des Beatles. Avec Plastic Ono Band, Lennon fait le bilan de l'homme qu'il est sous le costume devenu trop étroit de Beatle John. Les textes sont virulents comme jamais, de véritables mises à nu, sans concession, sans démagogie. Les hippies (I found out), les carcans philosophiques, idéologiques, culturels et religieux (God), tous sont égratignés, dépecés, reniés. Lennon fait son introspection (Look at me, Remember), exorcise sa frustration fondatrice (Mother), dénonce l'oppression sociétale dont fait preuve la classe ouvrière (Working class hero), certains y verront la culpabilité d'un millionnaire de la chanson, n'empêche que. Plastic Ono Band ouvre une multitude de brèches desquelles émergeront la révolte du punk le plus lettré, mais aussi la vague d'auteurs/compositeurs qui, en Amérique, feront du rock des 70's le penchant adulte de son turbulent jeune frère des 60's.
Si il trouve son public dans la foulée du succès de Instant karma! le disque peine néanmoins à passer en radio, trop rêche pour être réellement populaire, trop dérangeant. Enregistré en mode dépouillé avec Ringo Starr et Klaus Voormann, Phil Spector à la production, les interprétations sont squelettiques, viscérales, les compositions sont toutes exceptionnelles. Plastic Ono Band est un bloc indissociable, une œuvre conceptuelle à laquelle répond en jeu de miroir un second album portant le même titre, enregistré en même temps avec les mêmes musiciens et distribué sous pochette jumelle, le versant Yoko Ono. Un album tout aussi libérateur, plus violent encore, si frontal qu'il faudra longtemps avant que sa valeur ne soit reconnue.
Les albums jumeaux du Plastic Ono Band effraient les midinettes du Glitter Rock inconsolables de la fin du mythe venu de Liverpool, celles ci adhéreront plus volontiers aux Wings de Paul McCartney. Par son individualisme forcené John Lennon débecte les jusqu'au-boutistes du rêve communautaire tout autant que par ses désillusions il glisse entre les mailles de la récupération. Ni Walrus, ni Egg man, plus insaisissable que jamais, il ne trouve réconfort qu'auprès de Yoko Ono qui, plus hérissée qu'aucune autre, ne trouve protection que dans les bras de John. De cet amour qui s'exprime sans pudeur, ne commettons pas l'erreur de nous sentir exclus. Plastic Ono Band en deux disques frondeurs offre asile à tous ceux qui ne se reconnaissent en rien, ni personne.
En ce mois de décembre qui voit commémorer le souvenir de John Lennon, qui aurait fêté ses 80 ans en octobre s'il n'avait été assassiné il y a 40 ans le 8 décembre 1980, paraissent deux évocations de son parcours post Beatles. Gimme Some Truth qui propose un condensé plus ou moins vaste selon l'option choisie, double album ou coffret, auquel il conviendra de trouver des absences tant une intégrale s'impose. Je dois néanmoins souligner l'excellent boulot effectué par Sean Lennon qui a remixé plusieurs chansons en leur donnant un relief nouveau, surement salutaire pour une écoute 2020 bien différente de celle qui était la notre lorsque nous faisions hurler les 45tours sur nos tourne-disques saturés, comme plus tard dans les juke box des bistrots.
Un superbe livre évoque également à travers des citations des protagonistes -mais seulement en langue anglaise faute d'éditeur français à la hauteur de l'évènement- et un grand nombre de photographies qui s'y rapportent, ce que le Plastic Ono Band fut entre juillet 1969 et mars 1971, une parenthèse sans fard qui balafra en profondeur des utopies devenues incarnation d'une lâcheté passive qu'il convenait de dénoncer. Le business de la guerre, le jeu criminel des politiciens, la soumission aux classes sociales organisée par le patronat, la télévision et les religieux, autant de choses, que Beatle John avait aidé un temps à oublier dans l'insouciance, devenues trop insupportables pour être tues plus longtemps par le citoyen Lennon. Ainsi soit-il.
Hugo Spanky
mercredi 25 novembre 2020
vendredi 20 novembre 2020
SuBWaY To HeaVeN...ALaiN BasHuNG
De Bashung, j'imagine, chacun aura son préféré, pour des raisons pas forcément plus connes que les miennes. C'est une de ses caractéristiques que d'avoir toujours fait des disques attachants. Bons ou mauvais, on s'en fout un peu tant que Bashung nous parle, même sans qu'on comprenne tout ce qu'il raconte. Finalement, ça réduit les désaccords. Mots à sens multiples saisis au vol au milieu d'un charabia fait d'absurde, d'abstrait, de calembours, de syllabes tempo, de visions qui parfois font froid le long de l'échine : J'envisage des concerts carnivores, des tueries, des carnages... J'envisage le pire.
Panorama de guitares 50's, basse Peter gunn sur syncopes électroniques, superpositions de nappes synthétiques, boucles de percussions, voix de gorge infectée au débit monocorde. En 1982 ce genre de décalage savant est encore le territoire réservé des alchimistes underground des métropoles influentes, certainement pas celui d'un chanteur de variétés qui fait le Collaro Show pour promotionner son nouveau hit. Et pourtant. Play
Blessures ne doit rien à aucun illustre producteur de Londres, New York ou Berlin. Macéré sur le tournage du Cimetière des Voitures, enregistré avec deux balles de budget à Longueville et Boulogne, Play Blessures est capté et mixé par
Bashung et l'ingénieur du son Michel Olivier, tous deux farouchement déterminés à faire les choses autrement. Perdu la boussole, le compas, erreurs volontaires. Le disque s'appuie aussi sur KGDD, le groupe marseillais qui depuis deux ans accompagne Bashung sur les tournées. Les mecs sont en symbiose, soudés par les concerts, ils comprennent et retranscrivent illico.
Pour saisir pleinement ce disque riche en fragrances, il faut prendre garde à ne pas se laisser berner par son minimalisme de façade. C'est une cathédrale. Il faut céder à l'ivresse chaloupée de J'croise aux Hébrides, s'immerger encore et encore dans Martine boude, Lavabo, Volontaire, J'envisage jusqu'à percer à jour leurs métamorphoses. Trompé d'érection offre un lifting futuriste à tous les plans rockab' dont les revivals n'ont jamais su quoi faire de neuf. Play Blessures, c'est Psychedelic Jungle revu et corrigé par Jean-Christophe Averty.
Il faut prendre garde aussi à ne pas se laisser évincer par l'énigme des textes. Paroles et musiques sont ici deux expériences scindées jusque dans leurs créations. La musique d'abord, entièrement finalisée et enregistrée sans le moindre mot distinct, Bashung posant la voix témoin en lavabo, dialecte où seul le rythme importe. Ensuite seulement, une fois satisfait des instrumentaux, il en viendra à élaborer avec Serge Gainsbourg de quoi glacer le mille feuille.
Le Gainsbourg d'alors est un homme un brin dépassé par les bouleversements. Plaqué par Jane Birkin au moment même où La Marseillaise lui offre un raz-de-marée populaire, il accumule les scandales éthyliques sur des plateaux de télé friands de ce ton libéré dont se glorifie une France nouvellement socialiste. Sous nom de couverture Gainsbarre, qu'il vient d'enfanter sur Ecce homo, il se dédouane de toute responsabilité et ouvre les vannes qui finiront par le noyer sous les lampions de Michel Drucker. On n'en est pas encore là.
Depuis son face à face houleux avec d'anciens parachutistes venus lui expliquer ce qu'ils pensent de sa version reggae de l'hymne national, Gainsbourg cherche une camaraderie virile à laquelle se frotter. Hallyday, Dutronc, Coluche, pourquoi pas Bashung ? D'autant que la collaboration avec Bijou, quelques années plus tôt, lui a fait découvrir une connexion avec un public qu'il ne soupçonnait pas être celui de Melody Nelson et L'homme à tête de chou, deux disques écoulés au compte-goutte mais revendiqués par le microcosme rock des adhérents fnac. Et puis qu'a t-il à perdre ? Mauvaises nouvelles des étoiles vient de se ramasser laissant augurer une nouvelle traversée du désert s'il ne trouve pas fissa de quoi rebondir, maintenant que le filon rasta est épongé. Des nuits durant, Bashung et Gainsbourg font bon ménage, ils s'évaluent, se saoulent, se paluchent, lancent des idées entre deux volutes de fumée bleue. Errances et fulgurances. Au petit jour ils se quittent, en fin d'après midi ils se retrouvent dans l'arrière cours d'un bistrot à Boulogne, pile en face du studio. Là, parmi la poésie minutieusement agencée d'un Gainsbourg insomniaque, Bashung pioche et assemble ce qu'il sait pouvoir incarner une fois ajusté à son vocabulaire.Émotions censurées, j'en ai plein le container, j'm'accroche aux cendriers, m'arrange pas les maxillaires... R'garde moi dans les yeux, A quoi on joue, tu me prends au sérieux, moi pas du tout...Et ça défile comme ça, dressant le portrait louche d'un personnage déglingué. Soldat sans joie, déjà. Vol de nuit sur l’Antarctique, j'attends la prochaine guerre, jamais d'escale, jamais de contact avec l'ordinaire...Écho de baises foireuses, de routines pernicieuses, d'ambiances piquées à l'environnement qui leur sert de base. J'voulais m'introduire entre tes jambes, histoire de me sentir membre du club, dis moi c'est combien, l'acte gratuit, si je te comprends bien, c'est hors de prix... La môme du bistrot affiche dix sept au compteur, émoustillée par la frime des deux affreux elle se fait culbuter aux lavabos, fond du couloir, troisième porte à droite. Tout finit sur le disque. La fille du patron, faut lui donner, pour la tirer d'là, tu sais où c'est...lavabo... Mensonges noctambules qui se fissurent à la lumière du jour, punkette qui se la raconte, Rambo trépané qui vante ses exploits de quartier aux abonnés du PMU. Play Blessures est le journal de bord d'un sabordage exalté. Les abris bus qu'on dégomme, rien que pour se prouver qu'on est des hommes... Martine fraye avec des petites garçonnes de son âge, comment la toucher quand elle me revient tout en nage... Chaque titre est un classique, C'est comment qu'on freine, Martine boude, Volontaire, Junge männer pour les concerts et les compilations, sans que Lavabo, Scène de manager, J'envisage, J'croise aux Hébrides, Trompé d'érection n'aient quoi que ce soit à leur envier. Play Blessures est l'album que Bashung ambitionnait d'enregistrer. Une célébration de la mue du serpent.
Après l'échec commercial du disque, Bashung va d'abord s'entêter avec Figure Imposée, puis se réconcilier avec son passé à travers les régénérescences pharamineuses de Live Tour 85. Passé le Rio Grande et Novice viendront conclure les années 80 et refermer la partie la plus productive de sa carrière. Celle à laquelle je reste le plus attaché. Bashung va entamer la décennie suivante en établissant une formule dont il ne dérogera guère. Une sorte d'union entre americana et Empire napoléonien. J'ai même l'impression que c'est ce qui va rester de lui, l'axe Osez Joséphine, Fantaisie Militaire. Pourquoi pas, après tout. Reste ce coin terre dévasté où je me réfugie, un no man's land dont aucune conquête n'a défini les frontières, Play Blessures.
Hugo Spanky