Un
soleil de plomb dont les rayons toxiques vous transpercent le crâne
et mettent votre cervelle en ébullition.
Une
chaleur suffocante qui vous fait macérer dans un bain de sueur
nauséabond et collant comme de la poisse.
Le
corps d'un enfant, pissant du sang à gros bouillon, gisant au milieu
de la route.
Des
sirènes qui hurlent à vous éclater les tympans.
Une
jeune femme nue, violée et tabassée à mort, dont le cadavre a été
déposé dans une ruelle sinistre et sur lequel des gamins s'amusent
à jeter des cailloux.
Le
ballet des gyrophares qui accompagne vos gestes d'animal aux aguets.
Une
main sanguinolente jetée sur un trottoir comme on se débarrasse
d'un mégot de cigarettes.
Le
crissement des pneus de voitures qui arrivent à toute blinde.
Un
attroupement de personnes hostiles qui vous insultent et ont une
furieuse envie de vous larder de coups de couteaux.
Le
regard apeuré d'un de vos collègues qui ne sait quelle contenance
adopter.
Des
poursuites dans des dédales inextricables où la crasse et le danger
pullulent.
Votre
cœur qui cogne à vous en faire péter la poitrine.
Un
bébé abandonné dans un carton miteux devant un parking.
La
colère noire qui vous remue les tripes face à un tel spectacle.
Un
merdeux plein aux as qui se croit tout permis et tente de vous
amadouer.
Un
rictus mauvais qui se dessine sur votre visage à l'idée de le
remettre à sa place.
Des
coups de feu dans un magasin; un illuminé qui fait son jogging la
queue à l'air; une pute accroc au crack qui s'accroche à la vitre
de votre voiture et vous quémande du fric; une femme en peignoir qui
déambule, l'air hagard, un couteau de cuisine à la main; un
énergumène qui balancent par poignée entière des billets de
banques aux quatre vents: rien de plus normal, c'est dans l'ordre des
choses.
Bienvenue
à L.A., ville de toutes les turpitudes.
Bienvenue
dans le quotidien des flics de cette ville cauchemardesque.
Bienvenue
dans la série Southland.
Alors
que tout semblait avoir été dit en matière de séries policières
avec «The Shield» (une implacable étude
d'une âme corrompue) et «The Wire» (le plus
magistrale analyse politique qui soit sur le trafic de drogue et ses
ramifications), il faudra désormais prendre aussi en compte
«Southland», un autre show qui, au terme de ses cinq
saisons, aura lui aussi marqué les esprits.
C'est
à une femme, Ann Biderman, que l'on doit le création de
cette série dont elle a assuré également la production et une
partie de la scénarisation. Et la bougresse n'a pas froid aux yeux:
elle n'hésite pas à nous enfoncer le tête bien à fond dans les
pires travers de la cité des anges si mal nommée. Si vous pensiez
trouver votre dose de glamour ici, vous faites fausse route: ça
flingue, ça surine, ça viole, ça bastonne, ça beugle à tout bout
de champ; c'est l'antichambre de l'enfer qui nous est donnée à
contempler et le spectacle à de quoi vous retourner l'estomac.
Tout
débute par l'arrivée du bleu Ben Sherman (interprété par
le tendron Benjamin McKenzie, LE point faible du
casting car à force d'abuser des ses regards en biais on a envie de
le baffer!) qui intègre l'unité des patrouilles de L.A. et se voit
attribuer l’officier John Cooper comme formateur. Cooper,
dont Michael Culditz sublime le rôle, impose une autorité
inébranlable rien que par sa seule présence. Ce type semble taillé
dans du granit que rien ne peut effriter et c'est à la dure qu'il
éduquera le petiot. Quant on se retrouve face à un Cooper,
toute envie de lui balancer des salamalecs nous quitte aussitôt et
on se comporte comme une pisseuse face à lui.
Vous
me direz en réprimant un bâillement, quoi de plus banal et de déjà
vu comme situation de départ sauf que la complexité de ces deux
personnages fera toute la différence tout au long du show. Alors que
l'on pensait que Sherman avait l'étoffe d'un bon flic, au fil
de coups de plus en plus pendable, il finira par perdre toute notre
sympathie. Tandis que Cooper se révélera une âme brisée
qui ne tient que grâce à son job qui pourtant le conduira à sa
perte.
On
découvre ensuite la brigade antigang au travers du duo formé par le
pondéré, Nate Moretta (incarné
par Kevin Alejandro)
et le chien fou, Sammy Bryant (joué par LA révélation du
show, le formidable Shawn
Hatosy). Ces deux là s'entendent comme deux larrons en
foire et, alors qu'un danger mortel les attend à chaque tournant de
rue, ils asticotent des petites frappes belliqueuses comme si de rien
n'était. Ils imposent par leur présence farouche sur le terrain le
respect à la vermine. Mais à force de tirer le Diable par la queue,
ils finiront par en payer chèrement le prix.
Puis
il y a Lydia Adams (sous les traits de l'attachante Régina
King) , inspecteur de la criminelle, une sacrée bonne femme au
caractère bien trempée qui houspille la hiérarchie dès que celle
ci lui met des bâtons dans les roues et qui met un point d'honneur à
faire son boulot avec un acharnement jamais pris en défaut.
Acharnement si poussé que la plupart de ses partenaires finissent
par jeter l'éponge et préfèrent la quitter. C'est le genre de
personne qui remuera ciel et terre afin de retrouver une gamine
disparue même si parfois au bout du chemin la résolution de
l'affaire s'avère des plus cruelles.
Plusieurs
points contribuent à la force de cette série.
En
premier lieu, il y a sa réalisation qui, en digne héritière de
l'école «The Shield», nous plonge au cœur de
l'action avec ses caméras portées à l'épaule qui renforcent le
réalisme des scènes tournées au cœur même de L.A. Si bien que
lorsqu'une course poursuite se déroule, on s'attend presque à ce
qu'une bastos vienne se loger dans notre salon. Vient
ensuite, l'évolution de ses personnages qui déjoue tous les
manichéismes et ne cesse de nous surprendre.
Dewey
(interprété par un C.Thomas Howell en roue libre), la tête
brûlée insupportable des patrouilleurs, qui jure comme un Tony
Montana au nez emplit de coke et qui apparaît comme le pire des
branleurs, se révélera bien plus profond et touchant que l'on
pouvait l'imaginer. Sammy
Bryant, rongé par la relation avec sa tarée de femme et
plusieurs traumatismes liés à son job, se trouvera à plusieurs
reprises au bord du précipice, prêt à commettre l'irréparable et
nous mettra le palpitant en surrégime (il faut le voir affronter
l'air buté, devant chez eux, de dangereux malfrats qui ne demandent
qu'à le trucider ou être prêt à éliminer de sang froid une
enflure pour constater à quel point Shawn Hatosy porte ce
rôle au pinacle).
John
Cooper nous étonnera constamment face à son attitude (il peu
aussi bien terrorisé un marmot pour lui enlever l'envie de traîner
dans de rues malfamées que faire preuve de compassion envers une
pauvre fille se retrouvant sous les roues d'un bus) et sa fin lors de
l’ultime épisode du show, nous laminera jusqu'au tréfonds de
notre âme.
L'obstination
envers et contre tous dans ses enquêtes et la tristesse qui
l'accable quand elle est confrontée à des affaires sordides, nous
rapproche de Lydia Adams même si pourtant elle n'est pas
exempte de reproches (sa façon d'écraser ses partenaires, son dénie
de grossesse apportent une ambiguïté bienvenue à ce personnage).
Quant
à Ben Sherman, sa trajectoire du parfait petit flic vers
quelque chose de bien plus trouble, nous laisse un goût amer dans la
bouche.
L'autre
point fort de la série est le choix toujours impeccable de ses
guest-stars. Nous avons là d'anciennes gloire de «The Wire»
qui viennent en quelque sorte adouber ce show: Wood Harris (le
retors, Avon Barksdale dans «The Wire») qui
vient jouer un soi disant caïd repenti et Jamie Hector
(l'effrayant Marlo Stanfield de «The Wire»)
qui fait office de parrain des A.A. pour John Cooper. Nous
avons également Lucy Liu qui fait un come-back
fracassant dans le rôle d'une flic qui ne recule devant rien pour
assurer sa promotion, ou bien encore Lou Diamond Phillips (le
mec de «La Bamba», oui) épatant en flic teigneux.
Mais
ce qu'il fait toute la teneur de cette série, c'est bel et bien son
étude d'une précision redoutable du comportement humain. Rien ne
nous est épargné: toutes les pires exactions que l'on peut
administrer à son prochain, tous nos vices les plus destructeurs
nous sont jetés en pâture sans les moindre ménagement. C'est l'art
de l'homme pour la destruction qui nous est dévoilé dans ses plus
cruelles incarnations: dépendance à la drogue ou à l'alcool,
prostitution sauvage, meurtres gratuits, viols, enfance bafoué,
famille au bord du gouffre, manigances politiques, abus du pouvoir de
l'uniforme, corruption, etc. C'est une litanie sans fin d'horreurs
qui se répète jour après jour. Que l'on soit simple citoyen ou
flic, personne n'est à l’abri d'un dérapage.
Avec
«Southland», c'est le quotidien effroyable qui se cache sous
les trompeurs oripeaux de L.A. qui nous est crûment exposé. La
ville dans laquelle bien des anges viennent se cramer le ailes pour
finir le tête explosée sur le bitume.