L’absurde est le royaume de la vérité. Les bouffons de la royauté le savaient mieux que quiconque. C’est en la débarrassant des compromis du quotidien, de l’accoutrement des petits arrangements, en la grossissant jusqu’à la dévoiler complétement que l’absurde fait apparaître la vérité, qui on le sait n’appartient ni au bien ni au mal. Juste à l’Homme.
Depuis plusieurs années maintenant Will Ferrell dépeint avec une férocité sans ambages nos tracas ordinaires, nous pose face à l’absurdité dans laquelle nous mène nos décisions les plus murement réfléchies. Les familles recomposées se sont ramassées Frangins malgré eux sur le coin de la tronche, Moi, député se chargea de mettre sur le cul les ardeurs des défenseurs des idées salutaires pour le bien de l’humanité, Semi-Pro et plusieurs autres bijoux comme Les rois du patins ridiculisèrent le faste et les pseudos valeurs exemplaires du monde du sport et sa mégalomanie. Tout ça sans nous prendre la tête, même si parfois on sent bien que nos mâchoires grippent un peu au moment de rétracter le sourire qui nous barre le visage.
The Anchorman 2, son dernier méfait, s’attaque à un sujet on ne peut plus d’actualité, les médias et leur traitement de l’information. En plaçant l’action à la source du problème, les années 80 et la création de la première chaine d’infos en continu, Will Ferrell assène cette évidence, les dés étaient pipés d’entrée.
Les années 80, c’est l’acmé de l’humanité et le début de son déclin. Le moment où au lieu de prendre le temps d’apprécier l’incommensurable somme de progrès effectués pendant le 20eme siècle, l’Humain est en devenu accro. Réduit à l’état de misérable junkie, chacun de nous aura depuis voué sa vie à une incessante quête du plus encore. On veut, pour se prouver que l’on est moderne -et plus encore que l’on n’est pas un réac puisqu'on nous le rabâche sans cesse, être réac c'est mal- s’adapter, se soumettre au bien être tel qu’il est défini par le corpus de la société de consommation.
Les années 80, c’est le 4 Septembre j’enlève le bas...pour mieux vous montrer mon cul. C’est l’utilisation mercantile des idées libertaires des 70‘s, Polnareff se faisait taper dessus pour son affiche cul nu, cinq ans plus tard la pub, avec la même chose, propose un Avenir. Les années 80 furent un virage mais pas un virage avec la béquille qui racle le sol, non, plutôt une longue courbe vicieuse ne menant qu’à son point de départ. Une boucle. Depuis on ne marche qu’en crabe, fini d’avancer, les phares qui nous guident sont plus nombreux que jamais mais tous ne nous mènent que sur la touche. Et en matière de phares, les chaines infos se remontent les manches pour nous dire 24h sur 24 dans quelle direction regarder.
Et Will Ferrell dans tout ça, me direz-vous ? Et bien il tape dans le mille. Pas avec une fléchette bien affutée, plutôt avec une massue. Comme à son habitude. Dans ce nouveau tome des aventures de Ron Burgundy, présentateur télé, il fait le chemin depuis la rédaction d’une chaine info jusqu’à un phare, justement. Un aveugle dans un phare ! Bordel, ce mec est génial. Et il finit à deux doigts de se faire bouffer par un requin. On ne peut pas en dire plus en deux heures de temps, me semble t-il. Avec Ron Burgundy, la lobotomie est sélective et d’utilité publique.
Ron Burgundy, pour ceux qui auraient raté le premier épisode de ses aventures, c’est l’ultra réactionnaire, l’Américain avec toutes les lettres en majuscules, un homme de principes. C’est aussi un Achille avec des talons à chaque articulation. Quand tout s’effondre pour lui, Ron Burgundy ne sait plus rien faire d’autre que mourir. Et son agonie est à pisser de rire. La scène dans le parc d’attraction nautique est fabuleuse. En quelques minutes à peine, il dynamite la joliesse toute verte d’un monde écologiquement plein d’amour pour nos cousins de l’océan. Un peu plus loin, il se tartine du ridicule de cette mode, que je croyais disparue avec le calendrier des PTT, des photos de petits chatons trop mignons que l’on se fade toute les deux pages ici même sur le web. Will Ferrell piétine les bons sentiments et quand il en arrive à la mixité raciale, j’aime mieux vous dire qu’on atteint des sommets.
S’il s’essouffle un peu dans son dernier quart, The Anchorman 2 n’en demeure pas moins une estimable chance pour le cinéma et pour nous tous. Un festival non stop de situations banales traitées avec une sidérante crétinerie, un chapelet de répliques débiles faisant mouche par leur capacité à en dire plus que ce que l’on entend, le tout interprété par un casting faisant de chaque personnage un délicieux régal.
Le seul point qui m’inquiète un tantinet est l’insuccès chronique de Will Ferrell dans notre pays. Trop de niaiseries, trop de maman et moi dans nos comédies nous auraient-elles définitivement rendu trop con pour capter le second degré, pourtant indispensable pour qu’une comédie dure dans le temps ? Serions nous si confortablement installés dans notre supériorité que nous ne tolérons plus rien qui remette en cause nos certitudes ? Et si le miroir reflétant ces béotiens dans les starting-blocks au lever de rideau des soldes dans les grandes surfaces était le plus fidèle reflet de ce que nous devenons jour après jour un peu plus encore ?
A grand coup de Funk, de fringues de mauvais goût, d’improbables coupes de cheveux, de réflexions déplacées, The Anchorman 2 nous rappelle que c’est dans toute notre imperfection que nous jouissions le plus de n’être que de simples humains, vaguement ignares mais si agréablement nous même.
Hugo Spanky