De fringues, de musique et de mecs annonce avec frivolité le menu du livre de Viv Albertine, et il en est question. Souvent par l'absence et le manque.
Française de par un père instable, farouche de par une mère livrée à elle-même, sœur ainée et protectrice, pour toutes ces raisons et une dizaine d'autres, elle est d'un tempérament qui ne lâche rien, préférant régulièrement abandonner la partie en cours plutôt que la jouer selon d'autres règles que les siennes. Qu'il s'agisse de musique ou de cours d'aérobic.
Avant d'être de ceux qui ont enfanté le punk, Viv Albertine est une adolescente des sixties, de celles qui à Hyde Park pleurent Brian Jones, idolâtrent John Lennon et voit en Yoko Ono un exemple non conventionnel d'intelligence et de philosophie de vie. Enfin, Yoko Ono, influence évidente pour bon nombre des femmes de cette génération, est revendiquée haut et fort. Enfin, le lien entre le mouvement hippie et le mouvement punk n'est ni bêtement ostracisé, ni renié. Enfin, l'honnêteté prime sur la gloriole. Ce livre est celui d'une femme dans toute sa complexité, qui veut séduire sans gommer ses aspérités, le trajet heurté d'une vie qui s'écrit au jour le jour au fil des intuitions, abordée à corps perdu sans attendre de vaines certitudes.
Viv Albertine délaisse toute notion d'intimité, livre pensées et faits, qu'ils soient à son avantage ou pas. Elle se montre parfois tyrannique, n'évoque les autres qu'avec parcimonie, sans chercher à rendre les disparus plus précieux, sans amoindrir ceux qui ont compté, Sid Vicious, Malcolm McLaren, et pour certains comptent encore, Keith Levene et bien sur Mick Jones, l'amour de sa vie, l'ami qui sait être là seulement lorsqu'il peut être utile. Aussi précieux que souvent absent, jamais revanchard. Autant de personnalités dont elle a su apprendre, se tenant en retrait en attendant son heure. Parce que l'on n'apprend rien de ceux que l'on précède.
Les Slits sont une étape parmi de nombreuses autres, le récit ne focalise pas sur le groupe, il occupe dans le livre la place qui fut la sienne dans la vie de sa guitariste. Ari Up n'en sort pas béatifiée, leurs rapports sont racontés avec une justesse que la perte n'émousse pas. Tant mieux, les commémorations me font fuir tant elles sont devenues mercantiles. Viv Albertine a suffisamment affronté de coups durs, jusque dans sa chair, pour n'avoir pas de temps à consacrer à ça. N'imaginez pas vous promener au milieu d'un name dropping permanent, loin de là. Joe Strummer n'est évoqué que le temps d'une proposition d'adultère dans le dos de son guitariste, après quoi on comprend qu'il n'en soit plus question, tout comme Steve Jones qui lui aurait préféré se faire sucer. Au lieu de quoi, les rencontres anonymes se font saisissantes tant ce sont elles qui conduisent finalement une vie, bien plus que les moments hauts en couleurs qui se fanent dans les souvenirs comme s'éteint dans les rétines, l'éblouissement d'un flash.
Sans trash tapageur, sans situation ubuesque pour l'épate, chaque page nous mène haletants jusqu'à la suivante, sans temps morts, même lorsque la vie s'immobilise en équilibre précaire, lorsque les épreuves se font douleurs intimes, lorsque l'on souhaiterait qu'un brin de glamour vienne soulager de tout ce sang qui se déverse. Mais depuis quand la vie est-elle glamour ? Pour autant, le livre est lumineux, il se dévore en une poignée de jours. Il exprime les sentiments d'une artiste réellement originale qui n'a jamais connu la gloire, ni même vraiment le succès, et qui ne s'en soucie pas. Surtout, plus qu'il ne s'adresse aux jeunes filles d'aujourd'hui, ce livre parle aux hommes d'hier, que nous sommes, il nous offre la possibilité de savoir enfin ce qui se cachait derrière les regards silencieux de celles que nous avons croisé sans en apprendre grand chose. Faute d'avoir su tomber cette carapace, dont Viv Albertine ne s'encombre pas dans le choix de ses mots.
Viv Albertine délaisse toute notion d'intimité, livre pensées et faits, qu'ils soient à son avantage ou pas. Elle se montre parfois tyrannique, n'évoque les autres qu'avec parcimonie, sans chercher à rendre les disparus plus précieux, sans amoindrir ceux qui ont compté, Sid Vicious, Malcolm McLaren, et pour certains comptent encore, Keith Levene et bien sur Mick Jones, l'amour de sa vie, l'ami qui sait être là seulement lorsqu'il peut être utile. Aussi précieux que souvent absent, jamais revanchard. Autant de personnalités dont elle a su apprendre, se tenant en retrait en attendant son heure. Parce que l'on n'apprend rien de ceux que l'on précède.
Hugo Spanky