lundi 29 décembre 2014

LoOKiNG FoR JoHNnY



Avril 1991, plus qu’une autre époque, un autre monde. Je n’avais ni portable, ni pc, les réseaux sociaux dégun ne savait ce que c’est, et pour cause, ça n’existait pas. Pas plus que les chaines infos 24H/24. Ce qui n’empêchait pas les mauvaises nouvelles d’arriver. Par un encart dans Libération cette fois là, Johnny Thunders retrouvé mort dans un hôtel à la Nouvelle-Orléans. Et merde. Mon Johnny de quand j’étais petit, mon New York Dolls préféré, que j’avais enfin vu sur scène un an auparavant, le temps d’un concert incendiaire avec les Oddballs, sa meilleure formation depuis les Dolls.

 
Ce même Johnny Thunders auquel Danny Garcia a choisi de rendre hommage avec son nouveau documentaire, Looking for Johnny. Danny Garcia, celui là même qui avait réalisé le dvd le plus franc du collier consacré à Clash, The rise and fall of the Clash, dont on a déjà causé sur Ranx. De quoi partir avec un a-priori favorable, donc.





Première chose, à voir la galerie des monstres qui témoignent durant une bonne part des 98mns de l’affaire, je me dis que c’est pas plus mal que Little Johnny ait passé l’arme à gauche avant d’en arriver là. Faut voir Billy Rath pour le croire, c’était déjà pas le plus beau des Heartbreakers, mais là ça fout les miches, un vaccin anti-dope à lui seul, le gonze. Ou plutôt ce qu’il en reste. Pour faire simple, hormis les nanas et une paire de gars visiblement plus raisonnables que la moyenne, Walter Lure et son air de Dan Aykroyd, Andy Shernoff et une poignée d’autres, c’est franchement flippant cette histoire. Tu peux en rassembler une dizaine que t’auras toujours pas de quoi reconstituer la dentition d’un nouveau-né. 


Deuzio, c’est quoi cette mauvaise habitude de réaliser des documentaires sur des musiciens avec des bouts de chansons qui dépassent pas les 10 secondes ? Ajoutez à ça que quelques intervenants ont dû dealer leur temps de parole en échange de copyright, et on se retrouve avec le passage sur les Heartbreakers illustré par les morceaux chantés et composés par Walter Lure ! Idem pour les Dolls, deux pichenettes live et basta, quant à So Alone, Hurt me et In Cold Blood, c’est encore mieux, gros plan sur les pochettes de disques, une photo de Jimmy Miller, et merci d’être venu. J'exagère à peine. Ça s’étoffe un chouïa vers la fin avec les albums paru sur Jungle Records, vu que c’est eux qui distribuent le dvd, mais faut pas rêver non plus, pas l’ombre d’un clip, d’un passage télé convaincant, tout juste des petits bouts de Mona et Moi.


Alors il reste quoi ? Forcément pas grand chose. L’honnêteté des interviewés qui dressent un portrait, hélas fidèle de la vie d’un junkie. Johnny Thunders tabasse la mère de ses gosses et lui pique ses allocations familiales, Johnny Thunders truande Jerry Nolan sur les pourcentages, Johnny Thunders traite Dee Dee Ramone de pédé, Johnny Thunders tient pas debout sur scène. Je baille. Johnny Thunders aimait le Doo Wop, Dion et les Girls Groups, Johnny Thunders a composé des chansons merveilleuses, les Heartbreakers sur scène ridiculisaient à eux seul tout le punk anglais, les New York Dolls étaient bons et si David Johansen avait été moins mégalo, le monde entier aurait fini par le savoir. Rien de nouveau,  mais ça fait toujours du bien de l’entendre. Et, comme conclut Syl Sylvain, Bob Dylan lui même à déclaré qu’il aurait voulu avoir écrit You can’t put your arms around a memory. Moi aussi, j’aurai bien voulu. 


Bon et avec ça on fait quoi ? Ma foi j’en sais rien. C’est sous-titré en français, c’est toujours sympa de passer un moment avec Johnny, Stevie Klasson, son dernier guitariste, torche un chouette morceau en hommage qui donne son titre au documentaire et qu’on retrouve sur le double vinyl qui vient de sortir en guise de soundtrack. 
Ceux qui ne connaissent pas Johnny Thunders pigeront que dalle tellement c’est crypté et dépourvu de bons morceaux, et les autres n’apprendront rien qu’ils ne sachent déjà. Si ce n’est que l’héroïne fait de sacrés dégâts, qu’il vaut mieux pas s’y risquer. Ce qui est finalement déjà pas mal.  
Pour le reste, rien n'a changé, payez-vous So Alone, LAMF et Too Much Too Soon.

Hugo Spanky

Looking for RanxZeVox 

lundi 22 décembre 2014

NeiL YouNG, Le LiVRe




Je mentirais, et c’est pas beau, en disant que les disques de Neil Young encombrent mes étagères. A tout dire je ne qualifierais d’indispensables que Decade et This Note’s For You, bijou de spleen Rhythm & Blues qui ne m’a jamais quitté depuis sa parution dans les lointaines années 80. Ce qui ne veut pas dire que le reste de sa carrière m’indiffère au plus haut point, je trouve même beaucoup de charme à American Stars‘n’Bars ou encore On The Beach mais c’est finalement lorsqu’il œuvre dans l’ombre de Stephen Stills qu’il trouve le plus régulièrement le chemin de ma platine.

D’ailleurs ce n’est même pas moi qui ai acheté son autobiographie, c’est Milady qui s’en est chargée, ce qui ne m’a pas empêché de la dévorer. Et de découvrir que si musicalement Neil Young n’est qu’un cousin éloigné, humainement le gars m’est nettement plus proche. Si son écriture ne fera pas de lui un candidat aux pompeuses récompenses littéraires, et tant mieux, ce qu’il a dire est par contre sacrément saisissant. Surtout qu’il le dit comme j’aime, sans chichi mais avec de la personnalité à revendre. Son livre n’entre pas dans la norme, on est loin des autobiographies fatigantes dictées à un journaliste, c’est plutôt du côté de celle de Pete Townshend qu’il faut chercher la parenté. De la même façon que le leader des Who a su le faire, Neil Young nous cause de lui plus que de ses titres de gloire. 


Dans un invraisemblable désordre, il nous expose son mépris pour le son rachitique du MP3, sa passion pour les voitures, pour les trains électriques, son admiration sans borne pour Stephen Stills, sa marotte pour l’écologie, il torche au passage la médiocrité des journalistes, la résignation du conformisme ambiant et réussit sans en avoir l’air à nous insuffler la fierté d’être ce que nous sommes quand nous donnons le meilleur de nous même, des individus cherchant chaque jour à garder le contrôle de notre propre destin. 


Neil Young nous confie tout ça en nous causant les yeux dans les yeux, en s’adressant directement au lecteur. La passion mène la danse. Neil Young est un homme impliqué. Lorsqu’il aborde l’écologie ce n’est pas, grand bien lui prend, pour nous suriner les poncifs rébarbatifs auxquels les politiques nous ont habitué. Pas le genre à donner des leçons tout en continuant à consommer comme un âne bâté, le canadien fait dans la recherche et finance la mise au point, hilarante au demeurant, d’une Lincoln Continental hybride, la LincVolt. Et comme il le dit si bien, si on arrive à faire fonctionner un tel monstre avec de la biomasse alors on y arrivera avec n’importe quel modèle de voiture. Franchement, à chaque fois qu’il se lance sur le sujet, je bichonne tellement on sent le gars qui ne lâchera pas l’affaire malgré les embuches. Neil Young est comme ça, il a décidé que le recyclage de nos ordures nous amènerait au travail tous les matins et il va pas s’arrêter avant d'y réussir.


Là où il est bon également c’est dans sa croisade contre le MP3. Venez pas le gonfler avec vos ipod à la con, Neil Young a mis au point le système Pono qui restitue le son des masters studio et compte bien le mettre en place jusque dans iTune, en faire la norme de demain. Il est comme ça pour tout, passionné, investi et...cosmique !

Cosmique, oui, Neil Young voit des signes dans chaque événement, des malédictions, des bénédictions. Il est homme à saisir le feeling des endroits, se charge de reconstruire lui-même une maison qu’il vient d’acquérir afin que les vibrations en soit meilleures. Il monte, démonte et remonte ses voitures, ses trains, s’angoisse de n’être plus capable d’écrire une chanson, laisse ses souvenirs le submerger et nous livre le tout de la manière la plus humaine qu’il m’ait été donné de lire venant d’une RockStar. Avec son livre Neil Young se place à des années lumière des sempiternelles orgies de drogues, de sexe et d’alcool. Il avoue sans fard sa timidité sexuelle, ses maladresses, se décrit comme un piètre amant, déclame sa flamme à son premier amour, son admiration pour bon nombre de ses pairs, sa lutte contre les préjugés envers ceux qui ne pensent pas comme lui. Souvent il s’étonne de la chance d’avoir la vie qu’il a, ne s’enorgueillit pas du titre de génie, ne se donne pas le beau rôle, ne fait pas le faux modeste non plus, il revendique sa simplicité et s’en sert de combustible pour nourrir son désir d’apprendre, de découvrir, d’aller de l’avant. Et bordel que ça fait du bien de lire ça.


Mieux que ressasser son passé, il nous parle surtout de son futur, de son présent, de son envie de collaborer à nouveau avec Stephen Stills, nourrissant l’espoir de reformer Buffalo Springfield, de son goût grandissant au fil des pages pour l’écriture qui, il l’espère, lui fera un de ces quatre écrire un roman et brusquement il revient en arrière, nous raconte sa relation avec son groupe Crazy Horse, livre des anecdotes sur ses débuts, partage avec nous des moments intimes, ses joies, ses doutes aussi, avant de repartir de plus belle avec ses histoires de trains, de voitures, ses combats.

Au bout du compte, on découvre un homme attachant au possible, témoin de son époque qu’il traverse avec un regard décalé sans jamais se fondre dans aucun moule, aucune tendance aussi excentrique qu’elle soit. Neil Young est lucide sur son cas, doté d’un sens de l’humour et de la dérision qu’il sait appliquer envers lui même et s’il refuse à de nombreuses reprises de hurler avec la meute c’est pour mieux conserver sa part de liberté, son indépendance d’esprit et tacher de faire en sorte que son passage sur cette terre ne soit pas noyé dans une pensée collective aussi uniforme qu’absurde. 


Parce qu’il ne ressemble à aucun autre, parce qu’il requinque par son enthousiasme communicatif, parce qu’il ne marche dans les pas de personne, parce que pour une fois un musicien est aussi original dans la rédaction de ses mémoires qu’il l’est dans sa musique, je vous l’affirme sans équivoque, ce livre mérite toute votre attention.



Hugo Spanky 

Le sommaire 

lundi 1 décembre 2014

JoHN TRavoLTa


C’était le jour de la rentrée en sixième, j’avais mis mon t.shirt préféré, mon bluejean préféré et mon blouson en cuir marron, comme celui de Tony Curtis dans Amicalement Votre. Et tiens toi tranquille pour une fois m’avait soufflé ma mère juste avant que je saute sur mon vélo. Me tenir tranquille, je ne demandais pas mieux, si j’avais pu être transparent ça m’aurait été, si j’avais pu ne même pas y être, encore mieux. Je découvrais à mes dépends que la vie est farceuse, à peine quelques mois plus tôt je me pavanais parmi les grands, les CM2, ceux à qui dégun ne songeait à chiper les billes, ceux qui se réunissaient près du grillage, comme prêt à s’enfuir à la première occasion, comme Steve McQueen dans La Grande Évasion. Et me voila de retour à la case départ, la case merdouzelle, j’étais à nouveau parmi les chiards, les méprisés, les moqués. Ceux sur le dos desquels, les 5èmes scellaient des amitiés. 

  
Bien planqué derrière ma frange, je voyais un blond frisé, mocassins à pompons, le genre que j’avais déjà appris à haïr avant de savoir pourquoi. Une tête de plus que moi, je ne le sentais pas avec ses regards en fourbe et son air narquois. On patientait tous comme des glands, à attendre un signe, une sonnerie, qu’il se passe quelque chose. Lui inaugurait son nouveau statut d’intégré, cette rentrée signifiait qu’il n’était plus un bleu bite, son sac US estampillé 5emeB, mon cartable en cuir étiqueté 6emeD. Ça n’a pas raté, sitôt son pote arrivé à ses côtés, il lui a filé un coup de coude, m’a pointé du doigt et a lâché bien fort, dans le vent délateur, vise un peu c’te pedzouille avec son t.shirt Travolta


J’avais pas encore posé mon cul en salle de classe, que je faisais connaissance avec le surveillant général, tandis que le blond se faisait mettre du coton dans les narines, à l’infirmerie. La justice n’existait déjà plus à cette époque là, je m’étais ramassé trois jours d’exclusion. Mon père avait eu un clin d’œil de fierté, et ma mère m’avait répété Tu pouvais pas te tenir tranquille pour une fois. J’avais pas moufté, mais rien n’a changé, on peut me traiter de pedzouille, à la limite, mais on ne déconne pas avec John Travolta.


Travolta, je l’avais découvert un an auparavant, un mercredi après midi devant la télé, il jouait le rôle d’un gamin sans anti-corps, auquel le moindre contact avec quoi que ce soit était interdit, sous peine de mourir aussi sec. Les chercheurs lui avaient façonné un environnement stérile dans lequel il pouvait évoluer. Ils lui avaient installé une bulle dans le jardin, une version sympathique de celle du Prisonnier, mais une prison quand même. Malgré l’amour de son entourage, le gars décidait de sortir de sa bulle, à la fin du film, de quitter son univers filtré, et de mourir à l’air libre, sourire aux lèvres. Ce téléfilm a plus contribué à me forger tel que je suis que n’importe quelle leçon, n’importe quel disque, baratin, livre ou autre film. Je ne l’ai jamais revu, mais l’impression qu’il m’a laissé, il me suffit d’y repenser pour la retrouver, intacte.

Tout con qu’il était le blond frisé ne faisait que refléter un lieu commun, dès 1978 John Travolta était considéré comme ringard, voire pire. Si dans les années 40 et 50, il était bien vu qu’un acteur sache tout faire, comprenez danser et chanter, dans les années 70 la donne avait changé. Pour être considéré comme un grand, il suffisait de mettre au point un gimmick, de le rabâcher jusqu’à plus soif à la moindre occasion et de ne choisir que des rôles de mauvais bougre. Les têtes d’affiche s’épelaient De Niro, Nicholson, j’en passe, et des pires. Travolta était un ovni, non seulement il semblait raffoler des rôles de gentil, mais en plus monsieur souriait à la caméra ! Mazette ! Quel scandale ! Comment le rocker lambda allait bien pouvoir lustrer sa crédibilité en s’entichant d’un gugusse pareil ? 




Imaginez bien que même Michael Douglas, qui pourtant éclatait le petit écran dans Les Rues de San Francisco, n’arrivait pas, avec sa bonne bouille, à décrocher le moindre rôle au cinéma. Et voila que ce Travolta signait coup sur coups deux des plus gros succès de la décennie, Saturday Night Fever et Grease. N’en jetez plus, direct au pilori, catégorisé idole pour mongolien prépubère. Le gars mettra vingt piges avant de sortir de l’ornière. A tel point que ce chef d’œuvre de Blow Out se ramassera un bide, malgré le coup de pouce de Depardieu qui cautionna le film en prêtant sa voix à Travolta pour ce qui est, à mes yeux, son plus beau rôle dans ce qui est, à mes yeux, son meilleur film. Et au passage, le meilleur film de tous les temps. 


Blow Out, c’est une claque monumentale affligée au terme d’un suspens de chaque instant. La réalisation de Brian De Palma nous place au cœur de l’histoire, nous laisse anticiper les situations pour mieux nous les faire redouter. Les interprétations des acteurs sont au delà du jeu, de véritables incarnations des personnages, le scénario est digne des meilleurs Hitchcock. Et comment ne pas tomber amoureux de Nancy Allen ?


Malgré les qualités d’Urban Cowboy et son histoire à la Sam Shepard, il faudra attendre près de dix ans pour que Travolta renoue avec le succès grâce à Allo Maman Ici Bébé, un film sympathique comme tout qui explosera le box office, mais ne fera rien pour améliorer sa crédibilité auprès de ceux qui refusent obstinément de le classer parmi les plus grands. Ceux là auront besoin de Pulp Fiction, pour se rendre à l’évidence.
Je ne vais pas user de mon esprit de contradiction sur ce coup là, Pulp Fiction est un pur chef d’œuvre qui m’a régalé les mirettes comme à tout le monde. Par contre, j’ajouterai parmi ses toutes aussi grandes réussites, le duo Get Shorty/Be Cool. Le premier est signé Barry Sonnenfeld, à qui l’on doit également l’impayable Big Trouble, tiré de l’unique roman de Dave Barry. Un machin à se pisser dessus de rire à chaque chapitre, un bien maigre inconvénient pour un livre qui dégomme les zygomatiques.


Mieux que des séries B revendiquées, ces deux films sont l’incarnation de ce que le cinéma devrait toujours être, la source d’un plaisir béatifiant. Un casting impeccable, même James Gandolfini en est, du rythme, de l’intelligence et une culture de son sujet qui nourrit le scénario. Je dois préciser que les films sont des adaptations de romans d’Elmore Leonard, autant dire des Rolls. Elmore Leonard, hélas décédé il y a peu, est l’auteur qui a inspiré la série Justified, soit la meilleure série à être apparut depuis The Shield.

Dans son rôle de Chili Palmer, John Travolta, cool comme Fonzie, nous balade sans jamais forcer sur le trait, du milieu du cinéma (Get Shorty) à celui de la musique (Be Cool). Les situations sont cocasses juste comme il faut, et les rebondissements flirtent entre distribution de gifles et humour, l’ensemble avec toujours cette touche de classe qui fait la différence.


A noter que Be Cool est réalisé par F. Gary Gray, dont j’attends avec impatience le Straight Out of Compton, un biopic sur les Niggers With Attitude annoncé pour l’été 2015.

Juste avant Be Cool, John Travolta avait tenu l’un de ses rôles les plus touchant dans A Love Song For Bobby Long. Un film dont je me garderais bien de raconter la trame tant elle peut paraître ressassée et usée, mais qui pourtant n’a rien de banal. Sublimé par des images d’une beauté saisissante, le film vous embarque et ne vous lâche plus jusque bien longtemps après sa fin.


Non, définitivement on ne déconne pas avec John Travolta. Ce gars joue dans trois films de mon top ten, Carrie, Saturday Night Fever et Blow Out. Et si les deux films signés Brian De Palma ont avec le temps obtenu le statut qui leur était dû, je vous invite à redécouvrir encore et toujours Saturday Night Fever. Loin des clichés, ce film saisit comme peu d’autres le farouche désir d’émancipation d’un jeune adulte envers un destin qui semble tout tracé. Vivre et mourir à Brooklyn. Saturday Night Fever est un crève-cœur magnifiquement réalisé, superbement interprété, et aucune boule à facette n’arrivera jamais à lui ôter le parfum de la rue. Et bon sang, ce que Donna Pescow est bonne actrice, elle me tord les tripes même après des années à voir et revoir ce film.


Surtout, Saturday Night Fever est un film de quartier, pour cinéma de quartier, pour gens de quartier. Comme Le Pape de Greenwich Village, Rocky, Do The Right Thing, Va Mourire ou After Hours. Un film avec les pieds sur terre, un budget modeste et une ambition qui n'est démesurée que par l'espoir qu'elle insuffle au spectateur. Cette envie d'en découdre avec la fatalité, sans cacher les sacrifices émotionnels que cela engendre. De vouloir échapper au destin familial, à l'avenir qu'offre le quartier. Ou à son absence. Saturday Night Fever, c'est Born To Run version celluloïd.


Je viens de finir de lire Le Nouvel Hollywood de Peter Biskind. Le livre dresse le portrait de la génération de réalisateurs qui durant les années 70 redessina le cinéma tel qu'ils le rêvaient. 500 pages qui chroniquent un inéluctable échec. Le transfert du pouvoir, des mains des producteurs à celles des réalisateurs, a transféré les symptômes, mais n'en a éradiqué aucun. Drogues, paranoïa, mégalomanie, renfermement sur son soi nombrilique. John Travolta n'apparait à aucun moment dans le livre, et Brian De Palma très occasionnellement, et jamais pour quoique ce soit le concernant de près. Et ce n'est finalement guère étonnant, aucun des deux n'a jamais appartenu au Nouvel Hollywood, pas plus qu'ils n'appartiennent à l'ancien. Si ils s’accordèrent aussi bien, c'est qu'ils sont l'un et l'autre de parfait anachronismes. De Palma avec son obsession pour Hitchcock, et Travolta pour sa fidélité à ce qu'il n'a jamais cessé d'être, l'incarnation type de l'italo-américain du New-Jersey. 


Sa carrière sera faite de rencontres avec des réalisateurs débutants ou marginaux, de prises de risques souvent casse-gueules, de projets basés sur l'amitié, quitte à se ramasser. Et aussi ce désir de faire un cinéma qui fasse voyager, et peu importe s'il faut se coller une paire d'ailes dans le dos et jouer un ange alcoolo, comme dans l'impayable Michael. John Travolta se fout de son image, il tente des trucs, s'amuse, se retrouve à remplacer Divine dans un remake de Hairspray. Et c'est pour ça que je l'aime, pour ça qu'il est aussi attachant. La hype, il s'en balance, on le prend de haut, se paye sa tronche, mais quand Nick Cassavetes tourne She's So Lovely, en hommage à son père, c'est lui qu'on retrouve au générique, pas le branché de service du moment.


John Travolta a fait des choix étonnants, il a refusé American Gigolo, comme plus tard il refusa Officier et Gentleman, ce n'est grave que pour ceux qui donnent de l'importance aux récompenses, aux flagorneries. A la façon de Clint Eastwood avec la série des Philo Beddoe ou Bronco Billy, John Travolta, sans pour autant s'interdire de collaborer avec Costa-Gavras, privilégie les films populaires, les Allo Maman Ici Bébé dans lesquels il excelle, les John Woo, les divertissements qui, s'ils sont rarement récompensés à Cannes, lui ont permis de tisser un lien profond avec le public. Il se trimballe un paquet de navets qui en aurait englouti plus d'un, ou des films improbables comme le récent Sauvages d'Oliver Stone, mais ça ne change rien à la donne. Beaucoup d'acteurs considérés comme géniaux, torturés et oscarisés à tour de bras ont disparu de la circulation après quelques tours de pistes, lui est toujours là. John Travolta a su trouver une place dans notre quotidien, dans notre vie, il a su parler à nos cœurs, et comme chacun sait, le cœur à plus de mémoire que l'esprit.
Tiens, je vais voir si y a pas moyen de me trouver un nouveau t.shirt avec Tony Manero dessus. Sûr que c'est toujours efficace pour détecter la connerie.