lundi 21 septembre 2020

DaNZiG siNGs ELviS


Que sait-on en France de Glenn Danzig ? Sinon de lointaines accusations de nazisme comme la presse rock aime à désigner les américains sitôt qu'ils sont un peu trop body-buildés et sulfureux. La liste est longue et plus ridicule à chaque évocation. Que devrait-on savoir de plus ? Ce que les profanateurs savent déjà, qu'il a gravé avec les Misfits deux albums indispensables aux amateurs de punk mélodique qui ne se prend pas la tête en revendication politique, Static Age et 12 Hits from Hell. Deux disques plus raunchy que ceux des Ramones, dont ils sont les cousins banlieusards, New Jersey oblige. Deux disques gavés de ritournelles accrocheuses (Last caress, We are 138, Return of the fly, She, Bullet, Skulls, Where eagles dare...) qui vous collent à la peau sitôt entendues et font la supériorité du punk US sur son petit frère anglais qui, à trop rejeter les Beatles, en a perdu le sens de la séduction.

La suite fut plus anecdotique vu d'ici, deux autres disques avec les Misfits, Walk Among Us et Earth AD, registre virée alcoolisée entre copains virils et refrains bourrins scandés à tue-tête. Bof. Puis, après l'hésitante parenthèse Samhain, Danzig le groupe qui cache la carrière solo, du Heavy Blues ravageur calibré par Rick Rubin pour accompagner les retransmissions télé du championnat régional de foot américain, plus que pour MTV. La formule se nourrit de mille infimes variations au fil de trois premiers disques épatants dont la qualité va crescendo. L'aventure se poursuivra deux décennies durant avec des réussites plus diverses une fois consommé le divorce avec Rick Rubin, après un quatrième album loin d'être déshonorant mais marqué par un manque de renouvellement.

 


 

Et nous voila en 2020, étrange année où chacun se trimballe un air d'incurable dans des rues désertifiées, où dans chaque regard croisé pèse une méfiance distante. Glenn Danzig, la soixantaine bien cognée, vit dans cette atmosphère de paranoïa contaminante depuis toujours, son univers, peuplé de teenagers from Mars, de ghoules, de sexe nécrophile, s'accorde si bien avec l'instant qu'il ne pouvait qu'être de la partie. Et tant qu'à y être que ce soit en incarnant l'ultime zombie; Elvis Presley en personne.

 

Ceux qui comme moi pensent que leur reprise de Lonesome town est le sommet de la carrière des Cramps seront aux anges (déchus, bien entendu) tout au long des 14 reprises au menu de Danzig sings Elvis. Un répertoire inévitablement impeccable qui pioche aux origines (Baby let's play house, First in line...) à l'éternel (Is it so strange, Young and beautiful...) au retour de l'armée (Girl of my best friend, Like a baby, Fever...), à Hollywood (Pocket full of rainbow), aux seventies (Always on my mind, Loving arms) et même chez le voisin (Lonely blue boy) avec une approche qui transforme l'ensemble en une unité minimaliste où la sobriété n'est bousculée que par la maladresse. 

 

 

Rythme caverneux, guitare, voix et réverbe. La première écoute compte pour du beurre, faut le temps de s'acclimater à la voix de Glenn Danzig, on est bien d'accord que personne ne s'attend à ce qu'il y ait du Chris Isaak en lui, et ensuite ça déroule. Quelques fois en mordant le bas côté (Like a baby), d'autres en se vautrant carrément dans le décor (Love me) et pour une large majorité en proposant de franches réussites (Is it so strange, One night, Lonely blue boy, Girl of my best friend, First in line, Young and beautiful, Loving arms, Baby let's play house..). 

Le disque défile en paysage flou, patiné comme les souvenirs que l'oubli parsème de moisi. Et c'est très bien comme ça.

 

 Hugo Spanky

 

mercredi 16 septembre 2020

LuLU ♠ LoU ReeD & MeTaLLiCa

 

Attention ce disque rend con. Il suffit de lire les chroniques qui lui ont été consacrées pour en être assuré. Les amateurs de Lou Reed snobent immanquablement Metallica et les amateurs de Metallica sont pour la plupart désarçonnés par leur groupe fétiche sitôt qu'il s'éloigne des critères stricts de leurs fantasmes, c'est à dire quasiment à chaque album ! Rarement une formation aura eu autant de mauvaises critiques venues des rangs mêmes de ses supporters. A croire qu'aucun ne s'est rendu compte de la dimension expérimentale du groupe. De toutes parts les clans s'affrontent, les anti St Anger, les pro Black Album, les allergiques au duo Load/Reload, les intégristes de la période Cliff Burton (dont je fus longtemps), ceux pour qui l'album symphonique S&M et son petit frère S&M2 incarnent l'ultime affront. Le comble étant que malgré ces déceptions, ils parviennent toujours à en vendre des millions d'exemplaires. Va comprendre, Charles.

Lou Reed, c'est plus simple, aucun de ses disques n'a jamais vraiment entièrement satisfait la masse éclairée des mondains de la rondelle. Le mérite de Transformer est attribué à Bowie, Berlin a mis 30 ans avant d'être revendiqué à demi-mot, New York est peut être le plus consensuel parce qu'il en faut bien un. Rock'n Roll Animal est l'élu à la postérité, pourtant son disque le plus impersonnel. Mais quid de Set the Twilight Reeling, The Raven, Ecstasy ? Autant d'albums gothiques sur lesquels Lou Reed perfectionne un son brutal, sec et agressif, un son osseux, douloureux, le son de Metallica ! Celui qu'ils obtiennent sur St Anger pour être précis. D'où Lulu, inévitable rencontre de deux blocs haineux pour un opéra sanglant.



D'abord mis en musique par Alban Berg aux jeunes heures du vingtième siècle, puis adapté au cinéma en 1929, Pandora's Box avec Louise Brooks (Loulou en VF), Lulu du dramaturge allemand Frank Wedekind conte l'ascension par le sexe, pratiqué sans distinction avec des julot-casse-croute et des nantis, d'une fille de joie manipulatrice, autant que manipulée, puis sa déchéance lugubre jusqu'à finir victime dépecée de Jack l'éventreur. Si ça c'est pas une histoire taillée pour Lou Reed. Évidemment que pour mettre en musique sa vision des choses, délicieusement glauque, violente et obsessive, le new-yorkais ne pouvait rêver goupe mieux adapté que Metallica. Le miracle étant que ce genre d'alliance ait pu se réaliser, en 2011, sans qu'un contingent d'avocats ne saborde le projet. L'autre évidence est que St Anger, disque dérangeant pour cerveaux dérangés, sommet de noirceur s'il en est, n'ayant guère trouvé preneur et Lou Reed étant au mieux considéré comme fini, leur disque commun, interminable double album pour tout arranger, n'allait pas être de ceux qui sauvent l'industrie. La beauté du geste reste qu'ils s'en sont contrefoutus en enregistrant ce Lulu sans concession qui se positionne, non pas en satellite des discographies des uns et de l'autre mais en leur sein le plus intime. Lulu est doublement romanesque, il conjugue deux talents. 


Je ne fais pas le mariole, il m'a fallu des siècles d'obstination pour devenir accro à cette perfidie. Alors à quoi bon espérer convaincre en une poignée de lignes. Aucun intérêt à mettre en exergue un morceau plus qu'un autre, expliquer pourquoi Frustration me sert de réveil matin, The view d'exorcisme, la façon dont Cheat on me me fait cogiter, dans quelle humeur nauséeuse Pumping blood me plonge, à quoi bon dépeindre les larsens de Dragon, les riffs menaçants, les rafales de toms, l'etouffement inéxorable, la négation de toute notion de plaisir. On s'en cogne, rien de tout ce que je pourrais argumenter ne fera avancer le schmilblick plus vite que le temps nécessaire à l’assimilation. Lulu est un disque qui exige consentement, oblige à l'abandon volontaire de toute barrière intellectuelle, ne parlons même pas de sensibilité stylistique. Lulu vous y plongez sans a-priori ou vous vous contentez sagement du disque du mois de votre magazine préféré. Dans les deux cas vous aurez raison, de la même façon qu'on trouve toujours de bonnes excuses pour passer à côté de l'essentiel.

 


Trois morceaux seulement sont en dessous des 5mns, la moyenne oscille entre 8 et 11mns avec mention spéciale pour Junior dad qui pousse jusqu'à 19mns, une face entière de vinyl pour un final en forme d'acceptation de la bête qui nous a procréé. Et qu'est ce que ça démontre la durée d'un morceau ? Ce que les afficionados de Metallica savent déjà; la transe n'est pas au bout de l'effroi. Je m'explique un brin. Lorsque James Brown aligne 10mns de Sex machine, on finit les billes exorbités, le sexe turgescent, les méninges déconnectées, le souffle coupé. Lorsque Led Zeppelin en fait autant, on sort les feuillets, la boulette et arrivé à la fin on est au milieu des petits lapins avec la fille du coupeur de joints. Lorsque Metallica joue les prolongations, on reste pétrifié et c'est marre. Pas de délire tagada-tsoin-tsoin, pas de bassin enfiévré. Le défi est physiologique, parvenir à fonctionner sous l'abatage, endurer l'hostilité des coups de boutoir, découvrir ce qui se cache derrière la porte verte. Ça demande de la persévérance, sans doute un fond de névrose et ce n'est pas le talk over de Lou Reed, voix usée, poésie morbide, qui va servir de guide vers la lumière. Lulu est, selon les instants, noir ou plus noir encore. Lancinant comme une douleur qui griffe l'os, répétitif comme une passe inconfortable, baise sans désir de corps automates, anesthésie du sentiment. Lou Reed utilise Metallica pour mettre en son le délabrement mental de son héroïne, qu'il incarne à la première personne sans rien nous épargner, vices, suppliques, humiliations. Sans rémission, Lulu exige de souffrir et faire souffrir, esclave masochiste, I beg you to degrade me Is there waste that I could eat, I am a secret lover I am your little girl Please spit into my mouth, ou maitresse sadique en quête de plus féroce qu'elle, I will swallow your sharpest cutter Like a colored man's dick, Blood spurting from me...Libération par l'acier aiguisé. Jack the ripper. Death trip. Terminus des damnés.

Lulu brouille les pistes parce qu'il n'a de Rock que l'extrème violence des composants, ce que nombreux croient suffisant pour l'évaluer comme un disque comparable à Ride The Lightning ou Berlin. Et pourquoi pas le comparer à Load et New Sensations ? Lulu est un opéra dévasté pour un monde gangréné, Lulu fait mal, désoriente, nous abandonne en vrac. Corps démembré jetés aux chiens sur le pavé nocturne.

 

Hugo Spanky