samedi 10 mai 2025

The wHo, eN ciNQ aCTes aVeC du BoRDeL auTouR


Vingt fois sur ton ouvrage, remets toi à l'ouvrage...ou un truc dans le genre. Depuis un mois, évoquer correctement les Who est passé successivement de vague envie à projet, avant d'atteindre le stade de l'obsession à symptômes handicapants. Au premier rang desquels l'écoute frénétique d'albums négligés depuis trop longtemps. Les évoquer tous me semblait fastidieux, en isoler un s'avéra impossible. J'ai donc fort logiquement abordé la carrière solo de Pete Townshend en attendant un signe, une inspiration. Un coup de téléphone, un fax, du morse, j'étais à l'affût.

Tu dois opter pour une compilation maison !  Oui ? Qui me parle ? Est-ce toi Pete Townshend ? Le fantôme de Keith Moon ? Meher Baba ??? Le mystère demeure. Le commandement, onzième du nom, n'en était pas moins pertinent. J'allais bâtir une compilation des Who. M'inscrire dans l'Histoire. Pour mener ma tache à bien, je devais établir des règles. Puis les transgresser. C'est dans l'ordre des choses. Les règles sont les mêmes pour tous et l'individu se distingue en les transgressant. 

Première règle : 20 titres et pas un seul de plus. Au delà l'auditeur perd de son attention, il devient impossible dans ces conditions de convaincre les récalcitrants. Vous pouvez placer Won't get fooled again en embuscade, ça n'y changera rien.

Deuxième règle : Trouver un morceau accrocheur pour entamer les débats. Et là, ça se complique. La chronologie voudrait que ce soit I can't explain, c'est leur premier single sous leur nom définitif. Autre argument de poids, c'est une tuerie dotée d'un riff et d'un tempo légendaire. Bien. N'empêche que ce serait prévisible. Je pourrais donc envisager d'utiliser une intro piquée à Sell Out ou encore Overture de Tommy, ce serait l'occasion de vanter le jeu de guitare acoustique de Pete Townshend. Pourquoi ne pas désigner un titre qui a lui-même une intro significative, comme Baba O'Riley Ce serait médiocre. Reprendre à mon compte un titre qui ouvre déjà un album est inenvisageable. 

Troisième règle : Définir où s'arrêter. Pour Pink Floyd, j'avais placé le curseur à The Wall. Pour les Who, nombreux sont ceux qui le placeraient à la mort de Keith Moon. Je suis tenté d'en faire autant. En conséquence de quoi, je serais privé d'Eminence front. Autant ne pas faire durer inutilement le suspens ; je réfute cette option. Si Pete Townshend avait, comme la logique le voudrait, inclus ce titre dans sa carrière solo, je serais d'accord pour clôturer les sélections à Who Are You, mais en l'état c'est impossible. Ce qui ne veut pas dire que j'irai jusqu'à prendre en considération Endless Wire et l'autre navet. Le curseur sera donc placé à It's Hard.

Quatrième règle : On ne va pas y passer la nuit.

Leaving here ouvre ma compilation. C'est une reprise, on est donc bien dans l'esprit des 60's, et c'est un titre fabuleux dont Motörhead offrira une version démoniaque. Tout ce qui fait les Who est en place, Keith Moon drive avec un tempo démultiplié, Townshend cisaille, Daltrey hurle et Entwistle fait du Entwistle. J'ai mon intro, je n'ai plus qu'à piocher les temps forts de chaque album, auxquels j'additionne les singles définitifs. Et j'arrive à une sélection de 92 titres. Je vais devoir trier avec sévérité. D'abord, je vire tous les classiques, sinon ce n'est pas possible. Et puis personne n'a besoin d'entendre Baba O'Riley, Substitute et 5:15 une fois de plus. Là où c'est compliqué c'est pour Tommy. De Overture à The Acid queen, c'est intouchable. Et pourtant, il le faut. Je sacrifie Overture, It's a boy, The Acid queen et j'ajoute Underture, Pinball wizard et Smash the mirror. Tommy me laisse avec neuf titres sur les bras, j'attaque Quadrophenia avec crainte.

Mais avant ça, je fais un détour par les raretés, ces perles méconnues qui font le bonheur des collectionneurs et l'arrogance de ceux qui savent. Je vis un cauchemar, Batman, Barbara Ann, Anytime you want me, Dogs, Wasp man virevoltent en direction de la sortie, tant pis. Je garde Girl's eyes envers et contre tout. Je ne peux tout simplement pas virer toutes les chansons de Keith Moon. Dans cet ordre d'idée, je garde Bucket T et Bell boy. J'en suis à 63 titres. Tout va pour le mieux. Je dégomme avec réticence, mais sans retenue Odorono, I've had enough et I can't explain. Je me fourvoie en éliminant So sad about us, pourtant une de mes favorites absolues, hélas une sombre histoire de master défectueux ne la rend écoutable que sur vinyl. Ayant bonne conscience d'avoir conservé Girl's eyes, je me renie et vire Bell boy et Jaguar, deux extravagances de Keith Moon. Cette histoire de compilation commence à me peser, je menace de tout envoyer valser, j'ouvre une bière en regrettant l'époque où je fumais des trois feuilles. 


54 titres, bilan d'un après midi chirurgical, des cadavres plein la corbeille. J'entame la dernière ligne droite gonflé d'orgueil. Encore une trentaine de titres à décimer et je vous dévoile ma liste ultime. Leaving here passe à la trappe, tant pis pour mon intro. A quick one while he's away est la victime suivante de mon éradication, le transfert numérique a complètement flingué le deuxième album des Who, je plains les nouvelles générations qui ne connaîtront jamais le bonheur. Avec The ox disparait l'ultime représentant du premier album, le constat est sans appel, les meilleurs morceaux du groupe sont pieds et poings liés à l'analogique, aucun remaster n'y changera rien. La bête est blessée, elle souffre dans sa chair, je relève la gueule, renonce à I'm a boy et retourne au combat. Le vent est violent, vicieux, la pluie écorche mon épiderme, les rats fuient entre mes jambes, je vous hais tous et la terre entière. 

Electrisé par la colère, je me retiens d'envoyer paître la totalité de Who Are You. Voila un disque qu'il m'aura fallu des années pour apprécier à sa juste valeur. Ou du moins à celle que le temps lui a conféré. A sa sortie, j'avais été horrifié par l'omniprésence des synthétiseurs. Non pas qu'ils soient nouveaux dans le son des Who, loin de là, sauf que cette fois ils me semblaient à côté de la plaque. D'avant-gardistes sur Who's Next et Quadrophenia, ils devenaient laids et encombrants. Had enough me filait la nausée tant le potentiel du morceau était gâché par l'insistance médiocre de sa partie de synthétiseur. J'avais tort de les croire largués, ce titre préfigurait le son qui sera la norme de la décennie à venir. 

Quarante-huit titres ! Je décide d'en ajouter deux, le concept évolue. The 50 golden tunes of The Who! C'est magnifique. Il ne me reste qu'à choisir les deux titres et trouver un ordre à tout ça.

I can see for miles est mon ouverture. Arrogante, puissante et psychédélique. Who are you vient ensuite, puis Slip kid. Deux titres similaires par bien des points, alternant retenue et explosions de violence. Ils confèrent une sorte de faux rythme à ce début de compilation. J'aime commencer ainsi, sans lâcher les chevaux d'emblée. Trick of the light fait ça très bien. Premier titre d'Entwistle de ma sélection, ce ne sera pas le dernier. Le bassiste des Who est un compositeur que beaucoup de groupes auraient rêvé d'avoir comme leader.

Après quoi, j'enfile trois titres de façon incohérente, voyez vous même ; Amazing journey, The punk and the godfather et Under my thumb. Un extrait de Tommy, sombre, la mélodie est alambiquée et sublime, au moins autant que l'est The punk and the godfather. L'histoire de Under my thumb est largement connue, les Stones emprisonnés, les Who leur apportent leur soutien et font paraître ce single dès le lendemain de l'arrestation. Leur version est aussi frontale que celle des Stones est vicieuse. Townshend est à la basse, Entwistle en lune de miel, Keith Moon est l'antithèse de Charlie Watts, on s'en doutait. 

Je m'inspire de Lifehouse Chronicles en glissant Sister disco entre Baba O'Riley (premier des deux titres récupérés in extremis) et Behind blue eyesJ'ai un rapport d'amoureux contrarié avec Sister disco, comme avec de nombreux titres de Who Are You. Qu'est-ce que Townshend avait à l'esprit ? Pourquoi coiffer des pompadour sur des morceaux dont l'efficacité aurait été sans faille avec plus de simplicité ? Pourquoi inciter Daltrey à en faire des caisses ? On se croirait dans The Soft Parade.



Après Behind blue eyes, dont je ne pense pas avoir besoin de justifier la présence, je poursuis autour de Who's Next avec Pure and easy que l'abandon du projet Lifehouse avait injustement relégué sur Odds and Sods. Je ne vais pas m'étaler, c'est le haut du panier. Won't get fooled again arrive en suivant et Long live rock cloture un enchainement de sept titres plus incroyables les uns que les autres. Long live rock me sert de pivot pour un premier flashback vers les prime années du groupe. Je l'ai évoqué plus haut, le transfert numérique des disques précédent Tommy est sujet à débat, comme il l'est pour les Stones d'avant Beggar's Banquet. Disons le tout net, c'est une catastrophe. Les cymbales saturent, la Rickenbaker de Townshend vrille les oreilles, seul Entwistle reste Entwistle. C'est moche, mais pas suffisamment pour qu'on se prive de Bucket T avec Moonie au lead vocal, Happy Jack avec Moonie qui déglingue sa Premier Drums et Boris the spider avec Moonie qui laisse la vedette à Entwistle, qui lui-même fait froid dans le dos. Je conclus le flashback par Go to the mirror! Je vous ai déjà dit à quel point j'aime Tommy ? Vous serez d'accord avec moi après avoir entendu ça. 

Sans transition, comme disent les fossoyeurs de l'info, I've known no war de It's Hard, tout en modernité et nervosité. Ah, le grand disque que l'on aurait eu si tout avait été de ce tonneau. Rythme mécanique, mélodie tendue, Daltrey rageur et les deux zèbres qui nous asticotent. Elle était là, la possibilité d'une vie sans Keith Moon.  Et puisque l'on parle de lui, abordons Quadrophenia. A mon avis le disque où Keith Moon fut le mieux incorporé dans le mixage, en plus d'être celui sur lequel son jeu atteint sa pleine maturité. J'entame par le morceau qui donne son titre au disque. Synthétiseurs majestueux en guise de violons sur lesquels Townshend prend un solo bourré de feeling. Une beauté. Que je prolonge avec le difficile Guitar and pen. Symphonique au delà du pompeux, mais au combien essentiel dans son enchevêtrement de voix et d'orchestrations. Une ambition, que les Who auront encore à l'avenir, atteinte ici pour la dernière fois.


Flashback numéro 2, accrochez vous ça va secouer. Our love was, Pete au micro pour cette insurpassable pépite Pop qui prend délicieusement la suite de Guitar and pen. Quand ils taquinent ce niveau, les Who n'ont aucun équivalent. Girl's eyes, composé et chanté par Keith Moon dans un registre qui aurait mérité persévérance. Naked eye, les Who en mode surpuissant pour ce qui aurait dû être un sommet du projet Lifehouse. Quand Townshend passe au micro pour le deuxième couplet, l'effet est dévastateur. On dirait un chat hérissé. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment Glyn Johns a pu virer une chanson de ce calibre de la tracklist de Who's Next. Imaginez un peu un disque qui aurait regroupé Naked eye, Pure and easy, Won't get fooled again, Behind blue eyes, My wife et Baba O'Riley. Malheur. La Pop reprend ses droits avec Pictures of Lily, indiscutablement le single phare des années pré-Tommy. Doctor doctor, Entwistle pied au plancher et falsetto dingo qui vient se fracasser sur l'intro guillotine de Pinball wizard. Premières notes hésitantes, puis ce flamenco qui s'emballe comme un cheval fou fouetté par le power chord. Elle fait mal celle ci, on entre dans le légendaire. Ever since I was a young boy, I've played the silver ball... On tutoie enfer, purgatoire et paradis avec le même mépris, on sait bien depuis Pinball wizard que rien n'aura jamais plus d'importance que ce que le rock peut nous offrir. Et pour fêter ça, j'enchaine avec deux autres temps forts de Tommy, l'ultra funky Smash the mirror et Christmas, ce bijou de perversité qui m'a inoculé le virus. 

Après quoi, c'est le choc, Keith Moon pulvérise les falaises de Douvres. Est-ce qu'il existe plus puissant, fou, démoniaque, assassin, plus fantasmagorique que les frappes de Keith Moon sur l'intro de The rock ? Ne vous fatiguez pas à répondre. Je pleure d'un bonheur orgasmique chaque fois que j'entends ces rafales lourdes à faire vaciller Atlas. Les thèmes s'entremêlent, s'opposent et se défient, The rock est une pièce majeure sur le grand échiquier de l'art. I'm one avec Townshend au micro pour un maximum de sensibilité puis The real me, manière de claquer le beignet à toute objection. Quadrophenia est le chef d'oeuvre suprême des 70's. Mieux enregistré, mieux interprété, mieux composé que tout ce à quoi la concurrence a pu prétendre. 

Cry if you want, swizz, un autre temps fort de It's Hard, disque en montagnes russes. Celle ci ne prétend pas à la stature d'Eminence front et I've known no war, sa seule ambition est de ressusciter les power chords. Ce qui mérite tous les superlatifs. Pause. Avant de plonger dans les profondeurs les plus sombres de l'âme humaine, Blue, red and grey nous gonfle les poumons d'optimisme. Townshend se radine avec son ukulélé et prend le micro pour ce salutaire interlude tout en amour de vivre. Il fallait bien ça avant de s'injecter coup sur coup Underture, cauchemar claustrophobe de près de dix minutes et Cousin Kevin, un morceau si malsain qu'il fait passer Orange Mécanique pour un film de vacances sur la côté basque. Jamais on ne soulignera assez le génie macabre de John Entwistle. Après une telle séance, on est en droit de se demander si il existe encore quelqu'un qui nous veut du bien, quelque part, n'importe où, qu'il se manifeste. Roger se pose la même question sur le glacial How many friends, titre à infusion lente à l'image de l'album The Who By Numbers, dont il est extrait. Et si l'humain subit la souffrance des questions aux réponses cruelles, il n'en a pas l'exclusivité. John Entwistle nous fait partager le mal être d'un androïde avec 905, un morceau dominé par les sons électroniques sans rien perdre d'un feeling qui colle à la peau.


1921. Le dramaturge Townshend entre dans l'arène. 1921, c'est le meurtre de l'amant par le père (ce sera l'inverse dans le film de Ken Russell), Tommy a tout vu, mais il devra rien dire, d'ailleurs il n'a vu, rien entendu et il n'a aucune preuve ! Le mantra vire au cauchemar et Tommy se coupe instantanément du reste du monde. Avec 1921 le rock entre dans une nouvelle dimension, il revendique une implication sociétale dépassant le cadre de la rebellion adolescente. Musicalement, il s'affirme comme un prolongement et non plus une opposition. Avec aussi peu de ménagement qu'il n'en a eu en s'imposant aux radios une décennie plus tôt, le Rock, r majuscule, s'impose aux adultes, bouscule ceux qui jusque là feignaient de l'ignorer. Il envahit les opéras, les théâtres, non pas sous les traits de repentis lyophilisés, mais incarné par quatre énergumènes furieux qui ne se contentent pas de menacer (comme le font les Rolling Stones) mais fracassent tout ce qu'ils approchent. Alors qu'ils sont dans leur période la plus barbare, sur et en dehors de la scène, les Who font irruption à la cour des nobles pour des interprétations incendiaires de leur opéra-rock au Metropolitan de New York, au Coliseum Theater de Londres, au Théâtre des Champs-Elysées. Got a feeling 21 is gonna be a good year.

Suivent Magic bus et However much I booze, deux rocks basiques pour ne pas se méprendre. Les Who, aussi mégalomanes qu'ils aient pu l'être, n'ont jamais oublié de balancer la sauce. Eminence front, ultime chef d'oeuvre de leur carrière, prend la relève en gardant Townshend au micro, en perdant Keith Moon, en baissant le rideau sur une histoire qui sent le sapin depuis déjà quelques années. Avant même le décès du batteur, rien n'allait plus vraiment dans l'univers sulfureux du groupe, l'autodestruction avait atteint des niveaux dont on ne revient pas intact. Keith Moon, bien sur, mais aussi Pete Townshend, qui depuis le début des années 70 se torche la gueule au cognac avec un systématisme effrayant. L'échec de Lifehouse, la difficulté d'accorder vie privée et statut de leader d'un mouvement dont le public réclame sans cesse de nouveaux exploits. Son mariage vire à l'aigre, il fuit, se mutile. Au moment d'enregistrer It's Hard, sur lequel figure Eminence front, il est accro à l'héroïne en plus d'être alcoolique au dernier degré. On le croisera bientôt dans des crackhouses new-yorkaises. John Entwistle n'est pas en reste, accro à la cocaïne, il en est à vendre sa collection de basses pour entretenir une addiction qui finira par avoir le dernier mot en 2002 à l'aube d'une énième tournée censée renflouer un solde dangereusement débiteur. Sparks, dès lors, s'impose. Cet instrumental pioché dans Tommy est au désespoir ce que la pomme est à Adam.

On ne quitte pas les rives du styx en enchainant The dirty job et Helpless dancer, deux titres désabusés de Quadrophenia, disque désabusé dans son absolue intégralité. Comment peut-on rationnellement aimer une telle oeuvre ? Mal de vivre, tendance suicidaire, histoire d'amour à sens unique, avenir lugubre, drogues, frustrations sexuelles, humiliations, pluie, bagarres, ainsi va Quadrophenia à l'eau qu'à la fin tout se brise.


In a hand or a face est censé nous remonter le moral avec son énergie régénératrice, pour si peu qu'on ne se penche pas sur son texte. New song ensuite, les Who new look. Du moins niveau son, parce que physiquement ce sont les mêmes en pire. 1979, le rock s'habille Clash, Two Tone, arbore les stigmates de la polio, les dents cariées, porte des lunettes en osant se faire appeler Elvis. Roger Daltrey s'en contrefout et s'affiche tout en muscles et bronzé sur la pochette de Who Are You. Les trois autres sont des épaves. Lente désintégration de l'humain, pleinement conscient de l'inéluctable issue. J'enclenche Cut my hair, comme on regarde une photo jaunie. Dressed right for a beach fight, but I just can't explain why that uncertain feeling is still here in my brain...

Ce qui nous mène tout aussi inéluctablement à la dernière ligne droite de notre sujet. Eyesight to the blind, le titre le plus insolent de Tommy. Sans avoir ne serait-ce que d'un orteil fait partie du blues boom anglais, les Who ont transcendé l'ancêtre sans la moindre considération avec une arrogance et une créativité qui dépassent le concept d'hommage. You talk about your woman ? I wish you could see mine ! Et puisque l'on en est aux combats de coqs, Tattoo nous renseigne sur ce qui fait d'un homme, un homme. Il était temps que je case ce trésor de minutie pop. Si ça peut donner à quelqu'un l'envie de découvrir Sell Out, alors j'aurais fait un heureux. 

Sortez vos kleenex, voici le temps de conclure. La tache peut sembler compliquer, elle ne l'a pas été. Si j'ai rechigné à utiliser une intro redondante, je ne me suis pas encombré d'une telle réflexion pour la conclusion. Love reign O'er me s'impose comme le mur s'impose à la voiture. Sans discussion. 


Un bonus ? C'est vrai ? Vous croyez que je peux ? Si vous insistez, ce sera I need you. Keith Moon au chant et à la composition pour cet instant intemporel au parfum aigre des souvenirs que l'on endimanche quand on les raconte. Ils étaient jeunes, nous n'étions pas nés, l'avenir était radieux, le gâchis cachait sa vilaine face dans l'ombre des mauvais choix.

Cinquième règle : se conformer à l'esprit des Who.

Et donc tout foutre en l'air une fois que ça tient debout. J'ai dit 20 titres ? Je vais m'y tenir, bordel, ça va charcler. Vous êtes prêts ? Prenez vos stylos.

Doctor doctor, Tattoo, Long live rock, Quadrophenia, The rock, Guitar and pen, Zoot suit, Slip kid, Christmas, The seeker, Eminence front, Anytime you want me, I'm one, 905, Pure and easy, Amazing journey, Our love was, Dogs, Naked eye, In a hand or a face. Bam, ça fait mal, avec les Who c'est normal. Et si ça ne suffit pas, jetez un œil sous ma signature.

Hugo Spanky

The 50 Golden Tunes of The Who!

The 50 More Golden Tunes of The Who!


lundi 5 mai 2025

KHôRa - ANaNKe

 


Je vais faire court. D'abord parce que l'album sort ces jours ci et que par conséquent je n'ai pas les crédits sous les yeux pour épater la galerie. Ensuite, parce qu'une fois que je vous aurais dit que Ananke de Khôra est le meilleur album sorti depuis celui de Doedsmaghird, la moitié d'entre vous sera retournée lire des âneries.

Je parle de quoi, bordel ? Du disque extrême le plus satisfaisant de 2025 (qui a déjà quasiment 5 mois, soit plus d'un tiers de son existence). Ananke est un festival d'à peu près tout ce qui fait du Black Metal, dans sa frange la plus dingue, la seule musique à encore proposer des disques dérangeants. On trouve ainsi sur ce ravissant ouvrage ; des blasts assommants, des voix qui passent du clair à l'obscur en un clin d'œil, des guitares qui opèrent par incision, des ponctuations symphoniques agencées avec parcimonie et bienséance. La production est d'envergure internationale, et là je souligne. Vous allez comprendre pourquoi quand je vous aurais dit que le leader de ce groupe est français. Je ne veux même pas savoir pourquoi en 2025, j'arrive encore à distinguer une production française par ses faiblesses, je me contente de souligner que cette fois ce n'est pas le cas. Chaque maillon de la chaine est maitrisé. Les autres membres sont aléatoires, on y trouve des gars de Dodheimsgard, de Mayhem, de Therion (ça s'entend) et d'autres dont je ne sais rien.


Pour ceux qui veulent mettre un doigt dans l'eau avant de plonger, l'enchainement Wrestling with the gods, In the throes of ascension, Arcane creation et On a starpath situent bien l'objet du débat. Une tuerie démoniaque parsemée de soli heavy métalleux, un machin symphonique pour trépanés, un interlude en mode Carmina burana et On a starpath qui joue les beaux gosses. Comme tous les bons disques Ananke à son passage en creux, qui sera surement le préféré des pieds tendres, lorsque le groupe baisse sa garde avant la fin du combat le temps de Supernal light et Crowned, dont je cherche encore l'intérêt.

Quoi d'autre ? Rien. Je vous mets le lien étant donné que les groupes de Black sont moins cons que les autres et suffisamment confiants en leur musique pour balancer l'album en entier sur youtube avant sa commercialisation. Merci à eux.

Hugo Spanky

Khôra - Ananke



vendredi 25 avril 2025

PsYcHODeRelict ◙ PeTe ToWNsHeND ◙ reduX


"Le jour où je décèle autre chose que de l'ennui à l'écoute de Psychoderelict, je vous téléphone."

Allo ? Si j'aime autant la musique, c'est qu'elle bouleverse souvent mes appréciations. Par chance, je ne suis pas du genre obtus, si j'en viens à adorer ce que j'aurais brulé la veille, je m'en vante. 

Lorsque je me penche sur un groupe pour garnir ce blog, je réécoute tout et c'est mon ressenti de l'instant que je clame par azerty interposé. Sauf qu'une fois dans le mood, j'y reste. Pour exemple, depuis mon post sur Pete Townshend, j'ai relu son autobiographie, dans la foulée la biographie de Keith Moon parue chez Camion Blanc, j'ai écouté des dizaines de bootlegs et bien sur revisité l'intégralité de leurs discographies, commune et solo. Tout ça pour dire que...

...Pete Townshend fait partie des quelques artistes que je place au dessus de la mêlée, ceux dont la discographie officielle n'est le reflet que d'une infime partie de leur génie. Ceux dont il faut traquer les inédits, les démos, les rejets, les comportements, pour commencer à saisir de qui il est véritablement question. Prince est ainsi, Yoko Ono est ainsi, Public Enemy, Mick Jones, Elvis Presley, Beatles, Who et c'est à peu près tout. Avec eux, tout est synonyme de sens. Remix, mixtapes, bootlegs, faces B, versions extended réservées à d'obscurs maxi 45t. Tout. Y compris ce qui a été rejeté, parce que trop en avance, parce que pas assez vendeur. Dans le cas de Townshend, ça se situe une première fois au moment de Who's Next et se personnifie par le projet Lifehouse. Un projet abandonné pour cause d'incompréhension généralisée. Le sujet ? Un monde futur proche dans lequel tout le monde vit cloitré à cause d'un virus provoqué par une écologie désastreuse. Dans ce monde déshumanisé, chacun comble ses désirs via un ordinateur qui délivre à volonté et à domicile. La situation semble sous contrôle, pourtant un individu se rebelle, sort de chez lui et organise un concert en plein air. Il est rejoint par une multitude d'aspirants à la liberté et tous atteignent la félicité par la grâce d'une note de musique.  There once was a note pure and easy.


Jamais à une surenchère près, Pete Townshend prévoit d'accompagner le disque par une tournée dont les concerts seraient sonorisés en quadriphonie. Pour mémoire, je rappelle que tout ceci se déroule en 1970, une époque où le summum du progrès est d'empiler les têtes d'amplis Marshall. Personne ne s'y risqua. Les chansons furent ratiboisées, en partie rejetées ou dispersées sur des singles, le concept fut oublié et Who's Next fut un succès. Sauf pour Townshend. Et pour moi, qui n'aime rien de plus que les albums labyrinthes. Les casse-têtes. Et aussi pour quelques autres qui complotent sur des blogs et reconstruisent Lifehouse à partir de démos et de bonus tracks parus tardivement. Les liens vers ces blogs sont dans la marge de droite, je vous les conseille. En 2000, il a fini par éditer un coffret de 6 cd qui sert l'intrigue avec des morceaux piochés parmi les reliquats du projet initial et d'autres qui ont été composés depuis. Le tout retravaillé dans les grandes largeurs. Il a carrément collé un rap sur Who are you ! Un cd simple titré Lifehouse Elements résume l'affaire en une dizaine de titres surpuissants.


On s'en fout. Mon propos n'est pas là. Si je remets le couvert à propos de Pete Townshend, c'est pour évoquer Psychoderelict. J'en étais resté au disque tel que je l'avais acheté en 1993, à savoir un aggloméré pénible de dialogues de théâtre empiétant sur des chansons sans intro, ni outro, quand elles n'étaient pas carrément interrompues. Un bordel. Dire que ça ne fonctionnait pas est un minimum. J'avais rangé le disque et j'étais passé à autre chose. 

Puis, Amazon vint. C'est en tapant avec frénésie sur mon tambour le nom du guitariste que la lumière fut. Psychoderelict vient d'être commercialisé en version music only. Quoi ? Les dialogues au placard. L'occasion était trop belle et mon appétit trop inextinguible. Comme de bien entendu me voilà avec un disque radicalement différent. Du solo de guitare, du rythme martial, majoritaire nerveux, et des arrangements, ma foi, de temps à autre un peu douteux sur les bords. On navigue entre synthé won't get fooled again et beat électronique. Il y a même un gospel ! Je ne vais pas crier au chef d'œuvre, mais au rendez-vous manqué. Pyschoderelict ne méritait pas la volée de bois vert que la presse lui a fait manger, ni l'indifférence du public, encore moins d'être la raison pour laquelle le label lui a rendu son contrat solo et demandé d'aller voir ailleurs si les inuits aiment le rock désintoxiqué.

Je résume. Psychoderelict est un chouette disque dans la droite lignée de White City. Il contient une bonne dose de rocks nerveux, une paire de choses surprenantes (Now and then pour exemple) et un single impeccable, English boy. Vu ce que les années 90 nous ont proposé en matière de classic rock, on n'aurait pas fait la fine bouche.

Hugo Spanky

mercredi 16 avril 2025

PeTe ToWNsHeND ↕ THe WHO ‼

Mon idée était de consacrer un subway to heaven aux Who. Trier dans la fournaise pour en extraire un seul album. Je ne suis pas avare d'idées à la con. Le résultat fut un méli mélo interminable, fait de souvenirs adolescent, d'emportements fanatiques. Je m'embourbais au fil des lignes, peinant à avancer vers une implacable conclusion : j'étais incapable de choisir un seul album. Pire, je les aimais tous. J'en arrivais à défendre It's Hard. Je classais en un élan théatral digne de Richard Burton Cry if you want, Eminence front, I've known no war parmi leurs grandes réussites. Tout juste si je parvenais à étriper Kenney Jones, qui mérite pourtant d'être crucifié au fronton de l'incompétence. Vous comprendrez bien qu'arriver à ce stade, choisir entre A Quick One et Sell Out devenait source de conflits internes qui m'agitaient jusque dans mon sommeil paradoxal. Les Who sont intouchables, aussi difficile à admettre que ce soit en les voyant se ridiculiser années après années, depuis déjà quatre décennies faites de reformations improbables dans des configurations qui le sont encore plus. 


A la trappe, les Who. Je me recentre sur Pete Townshend, ce sera l'occasion de vanter Empty Glass, immense disque, ultime éclat d'un génie. Car, tout compte fait, c'est bien de ça qu'il s'agit. L'extinction des feux. Et la difficulté de la situer avec justesse et émotion. Je lui dois bien ça, l'émotion. Je me retiens de vous raconter toute l'histoire, celle qui me lie à Pete Townshend. Je suis lucide, rien n'est plus chiant à lire que les souvenirs d'enfance, personne ne peut en comprendre les méandres, sinon le principal intéressé. Souvent, je saute ces pages là dans les biographies. pour parfois y revenir, une fois amoureux du personnage. 

Empty Glass, rien à déclarer. Ce disque est parfait, on peut le faire écouter à tous les apprentis compositeurs, ça en découragera une bonne moitié, nous épargnant ainsi une large parties des horreurs que l'ont subi au nom du rock. Du rock, justement, il en est sacrément question dans Empty Glass. D'abord parce que le disque est impeccablement produit. Pas de Glyn Johns castrateur dans les parages, mais un Chris Thomas qui a tout compris. Quoi mettre en exergue et quand. A ceci s'ajoute des compositions qui tutoient les cimes, on néglige trop souvent de dire à quel point Pete Townshend est un compositeur exceptionnel. J'ai quand même mes préférences, elles sont nombreuses, I am an animal, And I moved, Gonna get ya, Cat's in cupboard, Jools and Jim, Rough boys, les singles sont imparables : Let my love open the door, A little is enough, seul titre où la production frôle l'excès. 

La vraie surprise archéologique fut de découvrir à quel point All The Best Cowboys Have Chinese Eyes est un bon disque. Celui là, je l'avais survolé et aussitôt rangé avec les fioritures. J'y revenais tous les dix ans pour m'acclimater à un titre ou deux. Je faisais systématiquement l'erreur de l'écouter comme j'aurais écouté les Who. L'absence de guitare frontale, les mélodies tordues, la production synthpop, tout convergeait pour me dévarier. La boussole indiquait invariablement la sortie. Je le gardais pour sa splendide pochette et son titre. Puis j'ai succombé. Aussi simple que ça. Enregistré seulement deux ans après Empty Glass, avec la même équipe, Bill Price, capteur de son pour The Clash, et Chris Thomas, concepteur pour les Pretenders, All The Best Cowboys Have Chinese Eyes en est le versant opposé. Le verre plein. Le baiser après le coup de boule. Sans rien céder au revival, Pete Townshend retrouve l'esprit qui animait l'âge d'or des Who, lorsqu'il enquillait Substitute, I'm a boy, Pictures of Lily, Happy Jack, The kids are alright, So sad about us, que sais-je encore, Disguises, Call me lightning, Run run run. Pete est un moderniste dans l'âme, sa pop calibrée pour 1982 n'est plus habillée de Rickenbaker, il laisse ça à Jam et préfère flirter avec les nouveaux romantiques. Ceux là ne pouvaient que lui plaire, avec leurs angoisses existentielles, leurs incertitudes sexuelles. Stop hurting people, Communication, The sea refuses no river, Slit skirts, Uniforms, comment avais-je pu ne pas en saisir toute la pertinence ? Me voilà ébranlé dans ma certitude. Empty Glass me parait soudain daté, manquant d'audace. Facile.

En 85, Townshend se refait une santé après des années d'addictions (il replongera) et concrétise un film, un album et une tournée autour de White City, son album solo le plus ambitieux. Et sans doute son plus gros succès commercial, même si j'en sais franchement rien. Face to face avait accroché les radios jusqu'en France, donc j'imagine que ça a dû se vendre. Quoiqu'il en soit, le film est réussi et le disque est excellent. Il fait le lien entre ses deux prédecesseurs en étant rock et moderne à la fois. Un pied dans la tradition et l'autre dans l'actualité. Même équipe de production, même groupe de base, mais deux invités de marque, surtout un. Le récemment disparu Clem Burke et le toujours vivant David Gilmour, faites votre choix. Les compositions sont fignolées, variées, mitonnées à feu doux. Give blood est violent comme j'aime, Secondhand love est intense, White city fightning (co-écrit avec Gilmour) frappe au coeur, Face to face est le parfait single, vaguement tête à claque après dix écoutes. Le seul ratage arrive en toute fin de parcours avec Come to mama qui succombe aux tics de productions des années 80. N'empêche que pour un réchappé des sixties dont plus personne n'attendait rien, Pete Townshend vient d'aligner trois albums qui ont de la gueule. Novateurs, ils ont redéfini un style sans brusquer les vieux fans de Who's Next. La tournée qui suit, à laquelle participe David Gilmour, accouche d'un chouette Deep End Live qui culmine par une version splendide et totalement personnelle de I put a spell on you, surprend avec une reprise de The (english) Beat, Save it for later. On a le droit de tiquer sur les cuivres de Won't get fooled again, mais ça reste du bon boulot. Cette fois encore, le disque s'accompagne d'une VHS.

L'histoire s'arrête là. Le jour où je décèle autre chose qu'une source d'ennui profond en provenance de The Iron Man et Pyschoderelict, je vous téléphone. En attendant ce jour hypothétique, je me suis repenché sur la trilogie estampillée Scoop, Another Scoop et Scoop 3. Des démos plus ou moins finalisées, celles de Scoop 3 ont été retravaillées par le maître, les autres sont dans leur jus d'époque, couvrant toute la carrière de Pete Townshend avec les Who, puis en solo. On retrouve dans un parfait désordre chronologique des hits dont les versions définitives font parties de notre ADN, des choses moins connues et d'autres carrément expérimentales, en costume de bal, en tenue de soirée ou en déshabillé des heures intimes. Surtout, pour ceux, dont je suis, qui considèrent Roger Daltrey comme le maillon faible, au moins en studio, tous les titres sont ici chantés par la voix sensitive de Pete Townshend. Youpi‼ Ces trois là, je les ai fait mien il y a longtemps. Deux doubles albums et un triple qui, au passage, ne sont pas au programme des nouvelles rééditions de l'oeuvre solo. Surement qu'un second coffret leur sera consacré. De toute façon, on sait très bien où localiser tout ça, ce serait une grossière erreur de s'en dispenser. 

Et arrivé là, je dis quoi ? Lequel est l'élu, Empty Glass, Scoop ou Chinese Eyes ? Hum, je suis noyé dans le nombre. Pour ne rien arranger, les blogs regorgent d'albums de démos assemblées par thématiques. J'ai mis le grapin sur tout ce que j'ai pu dénicher. C'est fabuleux. Je me délecte de cette opulence en relisant Who I Am, l'autobiographie, où j'apprends l'existence d'un coffret 6 cd, Lifehouse Chronicles, qui fut disponible en d'autres temps sur le site personnel de Pete Townshend. Qui depuis n'existe plus. Le coffret en question honore Lifehouse, l'oeuvre sacrifiée qui devait suivre et surpasser Tommy. Trop avant gardiste, incompréhensible, invendable, on connait le raisonnement et son aboutissement. L'équarissage fut confié à Glyn Johns avec pour résultat Who's Next, disque frustrant, décousu, assemblage aseptisé dépourvu de bon sens. Quel autre con que Glyn Johns aurait écarté Naked eye, Let's see action, Pure and easy ? Qui aurait signé cette production plate à des millénaires du son de Tommy, de la rage de Live at Leeds, du bouillonnement de Quadrophenia ? Quelques années plus tard, il reviendra flinguer By Numbers de la même façon. Rah, je m'emporte à nouveau, je fais des lignes, je ne tranche pas. 

Hugo Spanky

The demos (Pete Townshend)

Lifehouse (The Who)

Body Language (Pete Townshend)

lundi 31 mars 2025

SuBWaY To HeaVeN → UmMaPiNK GuMmafLoYD



Pink Floyd est parmi les rares groupes anglais à avoir perduré tout en ayant foiré les sixties, mieux que ça, ils en sont sorti éreintés et amputés. Woodstock, Monterey, Isle de Wight se font sans eux, trop occupés qu'ils sont à vivifier l'underground en s'affichant au festival Actuel, à Amougies, aux côtés de Frank Zappa. Un contretemps apparant qui leur sera utile bien plus tard pour nourrir une crédibilité de précurseurs du mouvement alternatif. Avant que Roger Waters ne se charge de ruiner cet heureux hasard en cumulant les dérapages médiatiques. On n'en est pas là, si jamais on y arrive. 

Donc, Pink Floyd se ramasse dans les sixties, ce qui n'empêchera pas le bric-à-brac de A Saucerful Of Secrets d'offrir aux Chemical Brothers le gimmick tubesque de Block rockin' beats, piqué à l'intro de Let there be more light, tandis que le black metal avant-gardiste revendique avoir puisé ses racines putrides dans Set the controls for the heart of the sun. Pas mal pour un disque en grande partie lamentable. Je rappelle, si besoin, que le concept de cette rubrique est de désigner un disque et un seul, raison pour laquelle j'évite consciemment d'évoquer leur premier album, celui avec Syd Barrett, sonnez trompettes, résonnez musettes. Il ne me vient pas une seule seconde à l'esprit de ne conserver que lui. 


Pink Floyd entame la décennie suivante par une ribambelle d'enregistrements foireux en signant ou apparaissant sur les médiocres More, Zabriskie Point et Obscured By Clouds qui leur valent un culte aussi instantané qu'indéboulonnable. Des disques que tous les hippies du monde vont mettre un point d'honneur à posséder. Le son des communautés se trouve ici. Shiloms, trous dans les tapis, pubis qui grattent, bouffe macrobiotique, le bon temps en somme. En parallèle de quoi, ils gravent Ummagumma, disque mystère s'il en est. D'abord, un album live fantastique d'intensité, indispensable, ensuite un album studio divisé en quatre compositions solo qui me fait dire qu'ils ont bien fait de se réunir en groupe. Attention néanmoins, Ummagumma pourrait très bien être l'élu de cette rubrique. Il est celui vers lequel je reviens le plus souvent et pas uniquement pour le live. Il y a quelque chose de fascinant dans les quatre facéties de son disque studio. Une dissociation des éléments qui préfigure les isolated tapes. On peut faire son propre morceau de Pink Floyd en mixant les pistes. Je colle la mouche sur le solo de Nick Mason et c'est un univers de possibilités qui apparait. Hum, je note l'argument sur mon carnet et je reprends la route, again. 

D'autant que c'est ici que ça devient primordial. Parvenant à se discipliner un tant soit peu, Pink Floyd signe dorénavant des disques qui se tiennent de l'entrée au dessert. Ou du tofu au space cake pour rester dans le contexte. Atom Heart Mother, Meddle, Dark Side Of The Moon, Wish You Were Here, Animals, The Wall, excusez moi du peu. 

J'attaque la falaise de front et je disqualifie Wish You Were Here et The Wall. Le premier parce qu'il est intolérablement amorphe. Après l'inventivité de Dark Side Of The Moon, il se contente un peu trop visiblement de passer les plats. Le second, parce qu'il doit autant à Bob Ezrin, si ce n'est plus, qu'à Pink Floyd. Cette fois encore, le groupe recycle pas mal d'idées déjà entendues, notamment dans Time. Ça reste un bon disque, carrément génial par instants, mais ruiné comme la majorité des productions Bob Ezrin par un final qui pèse trois tonnes. Le type est un producteur de génie, je suis le premier à l'affirmer, il faudrait juste lui interdire de composer. Enfin, j'en sais rien, je l'ai peut être trop écouté. En plus d'avoir vu le film plus de fois que raisonnable. A l'opposé, Animals est celui que j'ai le moins usé. Jamais compris comment les critiques peuvent le désigner comme étant le plus violent, il m'ennuie. Je lui reconnais plus de qualités qu'à Wish You Were Here, c'est déjà ça. 


Ce qui me laisse avec Meddle et Dark Side Of The Moon d'un côté et Atom Heart Mother de l'autre. Objectivement Meddle est le meilleur des trois. Il a quasiment le son spatial de son compère, tout en conservant une dose de vitriol héritée des champs de boue de Belgique. Je me comprends. J'imagine qu'il serait de bon ton de démonter Dark Side Of The Moon, mais je l'aime ce fichu disque. Si seulement sa face B ne se cassait pas la gueule. Qui est allé coller ce saxophone sur Us and them ? Qui ? Déjà que le morceau ne vaut pas un clou, le saxophone le crucifie pour de bon. Et torpille la dernière partie de l'album au passage. D'ailleurs, il torpille aussi l'album suivant. Donc Dark Side Of The Moon qui jusque là était parfait, groovy, puissant, audacieux, n'évite pas l'écueil de la condescendance. Us and them le fait ressembler à un album des Rolling Stones, ce qui dans le cadre qui nous réunit ici est d'une vulgarité disqualifiante. Avantage Meddle. L'album Marseillais, celui des ballets de Roland Petit. Et c'est là que je dégaine Atom Heart Mother. L'album symphonique. Même écueil cependant, une première face intouchable, ma préférée de leur discographie, et une autre de remplissage insignifiant. S'ils s'étaient moins dispersés sur des B.O à la con, les temps forts égarés sur Obscured By Clouds et More en auraient fait un authentique chef d'oeuvre. Du coup, je m'évite de passer l'éternité en tête à tête avec une vache.


Revoila Meddle qui me fait du gringue. C'est vrai qu'il est fortiche. One of these days est un hard rock comme le groupe aime en placer en ouverture d'album, une habitude qui perdure depuis Lucifer Sam. Le contraste avec A pillow of winds tient du grand écart, Gilmour s'éclate à la slide sur une ballade folk un brin trop longue. Je me serais passé de la chorale lourdingue des supporters de Liverpool maladroitement placardée sur Fearless, encore une idée qui refera surface sur The Wall. Mais comme je suis de ceux qui trouve Seamus sympathique et que San Tropez est une agréable ritournelle, la face passe le cap sans encombre. Les ballades à l'anglaise, niaises et bucoliques font leur dernier tour de piste, plus jamais Pink Floyd ne sonnera aussi dépouillé. Raison de plus pour ne pas faire la fine bouche. Et comme Echoes fait de Meddle leur seul album qui ne part pas en sucette avant la fin, on est proche du sans faute. Il lui manque pourtant la sauvagerie du live de Ummagumma et les hallucinations expérimentales de son versant studio. Meddle est un disque conventionnel, typique du rock anglais de ces années là. Un disque comme Queen en fera, un rocks ou deux pour renouveler les setlists, une pièce maîtresse, des ballades et des fanfreluches. Ummagumma est d'un tout autre calibre, ce titre, cette pochette, ces photos en noir et blanc crado, cette blonde vaporeuse, Pinocchio, les lutins et ces quatre types qui s'affichent drogués jusqu'aux yeux. Ummagumma fout les miches. Le genre de disque qui résonne comme un conte sordide dans un crâne d'enfant. C'est qu'il y en a des surprises sous cette drôle de pochette. The Narrow way de David Gilmour préfigure Led Zeppelin III (qui sortira un an plus tard) tout en faisant le lien avec les expérimentations sonores de l'underground anglais (Ash Ra Tempel) et allemand (Amon Düül), tandis que sa partie finale pose les prémices de ce qui sera bientôt la marque de fabrique du groupe. Nick Mason parvient à agencer son solo de percussions de manière à ce qu'il ne reste pas sur l'estomac, ce qui est une sorte de miracle pour qui a fréquenté les live des années 70, largement complaisants en la matière. Ce sont finalement Richard Wright et Roger Waters qui trébuchent. Le premier vise trop haut et se heurte à ses limites, tandis que le futur leader maximo s'empêtre dans du folk champêtre agrémenté de gadgets dispensables, avant de lâcher la rampe avec Several species of small furry animals gathered together in a cave and grooving with a pict, un collage qui démontre l'utilité du Two Virgins de John & Yoko sorti l'année précédente. Pas de quoi trucider sa grand-mère, peut-être, seulement voilà, il y a le live. Les hurlements de Roger Waters sur Careful with that axe, Eugene, les cisailles vitriolées de David Gilmour sur Astronomy domine. La violence de la scène londonienne n'avait jamais été captée de la sorte. Se sentant menacés sur leur terrain, les Who s'empresseront de sortir Live at Leeds quelques mois plus tard. Il y a aussi Set the controls for the heart of the sun, clavier oriental et percussions maléfiques que Bob Ezrin, déjà lui, refourguera à Alice Cooper dès Love It To Death (black juju) et souvent par la suite. Il y a A saucerful of secrets, treize minutes de torgnoles qu'on dirait inventées pour moi. Treize minutes de tragédie grecque, d'opéra intersidéral, de péplum wagnerien. De grand n'importe quoi, si vous voulez. N'empêche que. C'est beau, c'est ravageur, libérateur, ça s'écoute à fond et ça dit merde à tout. Y compris à Meddle. Qui a prétendu que Pink Floyd avait foiré les sixties ? Ummagumma sort en novembre 1969 et change la donne. In extremis.

Hugo Spanky

Ummagumma