La première chose qui m'a saisi, c'est le son. Une beauté. Un bail que j'avais pas entendu un vinyl aussi aéré - depuis le Rock'n'Roll Time de Jerry Lee Lewis en fait - et c'est incroyable ce que ça peut faire comme bien.
Remballez votre compression, vos infra basses et même votre Low-Fi pour branchés, semble être le message qui nous est adressé. Analogique style avec un mastering réalisé spécialement pour le pressage vinyl. Du travail d'orfèvrerie en déférence envers les auditeurs. Une salutaire intention à une époque où l'on nous reproche de télécharger du mp3 dégueulasse, mais où aucun effort n'est fait pour que les disques sonnent autrement que débités à la chaine.
Remballez votre compression, vos infra basses et même votre Low-Fi pour branchés, semble être le message qui nous est adressé. Analogique style avec un mastering réalisé spécialement pour le pressage vinyl. Du travail d'orfèvrerie en déférence envers les auditeurs. Une salutaire intention à une époque où l'on nous reproche de télécharger du mp3 dégueulasse, mais où aucun effort n'est fait pour que les disques sonnent autrement que débités à la chaine.
Crosseyed Heart amène un éclairage nouveau au travail de Keith Richards, aussi surprenant que cela puisse paraître venant d'un mec de 71 balais, mais c'est bien le cas. La voix est en avant comme jamais auparavant, c'est une bonne chose, Keith Richards se présente dorénavant en tant que véritable chanteur. Là où, longtemps, il plaça sa voix comme lorsqu'il harmonise derrière Mick Jagger, haute et braillarde, articulée autour des riffs de guitare, il ose dorénavant la poser, jouer avec les modulations. La voix de Keith Richards, on l'entend depuis 50 ans sur une bonne moitié, peut être plus, des chansons des Stones mais c'est sur cet album ci qu'elle se dévoile avec le plus d'audace. Le délicieux Robbed blind en est une parfaite illustration.
Le reste m'emmerde un brin, je suis coincé aux entournures. Je me questionne sur l'approche à avoir. Si je m'enflamme comme pas mal de titres de ce disque méritent que je le fasse, vous allez me cataloguer fan indéboulonnable et classer cette chronique au rayon des obligations morales. C'est faux, je ne suis pas un fan. Ni de lui, ni des Stones. C'est juste un groupe de musiciens dont je trouve le travail remarquable. Et le premier qui sourit se prend mon pied au cul. D'un autre côté, si je m'aventure à vous expliquer que le disque contient son lot de remplissage, Trouble, le single qui m'avait fait redouter le pire, Something for nothing, tout est dans le titre, et dans une moindre mesure Blues in the morning, sorte d'inédit des sessions Hail Hail Rock'n'Roll sur lequel Keith nous déballe son catalogue de plans à la Chuck Berry et dont la seule utilité est de nous faire entendre une dernière fois le regretté Bobby Keyes, vous allez en profiter pour vous dire que le disque ne vaut même pas la peine d'être écouté. Je le sais, vous n'attendez qu'un prétexte pour faire les durs à cuire en dénigrant le vieux.
Crosseyed Heart est un vrai plaisir. Parce que plus grand monde ne sait, ou ne se donne la peine, de produire une musique aussi limpide, dépouillée d'artifices. Des chansons et basta, bien écrites, interprétées de façon délicate, avec amour, respect et quelques bonnes idées pour ne pas sombrer dans la routine. Les trois derniers morceaux sont les premiers sur lesquels j'ai accroché, Goodnight Irene, tout en saveurs acoustiques et élégance distinguée, Substantial damage, un funk sale comme pas permis avec un Keith Richards qui se prend au jeu et pose sa voix comme Mick Jagger sur Hot stuff. En harangueur de bordel. Lover's plea clôture l'affaire sur un lit de cuivres et un fond d'orgue Hammond, ça pourrait être produit par Willie Mitchell, Keith Richards pourrait être Al Green et moi Otis Redding, on ferait un duo du tonnerre là dessus.
Et depuis quand une chanson ne pourrait-elle pas faire rêver un peu ?
Ces trois titres là forment une sorte d'extension de l'album, ils semblent incarner une alternative potentielle vers laquelle le guitariste aurait pu s'engager, le prolongement de son travail sur The nearness of you. Keith Richards crooner des Caraïbes dans le Cuba de Lucky Luciano, peut être une incarnation en devenir.
La face 2, une fois débarrassée de Trouble, est peut être la plus réussie finalement. La version de Love overdue de Gregory Isaacs est impeccable, avec pile ce qu'il faut de dub et de savoir faire dans le placement des cuivres. Il m'en fallait pas plus pour ressortir More Gregory. Nothing on me arrive sans tarder avec ses faux airs de Beast of burden sur une mélodie qui emprunte aussi à Demon. Aucun soucis pour moi, je m'affole comme une pucelle sur ces morceaux en équilibre entre sensualité prude et audace. La face s'achève par Suspicious, une chouette ballade au ton grave et aux guitares amoureusement entrelacées. L'arrangement est encore une fois saisissant, c'est ce genre de chansons qui font qu'un disque vieillit bien, qu'on le fréquente comme un coup de nostalgie qui ne vire pas au coup de blues.
Faut quand même que je vous touche deux mots de Illusion, la chanson qui fait frissonner la hype, le duo avec Norah Jones, la Vanessa Paradis intersidérale, la madone des Audi. Placée en conclusion de la face la plus dispensable, elle m'a de prime abord donné l'impression de faire doublette avec Suspicious. Ça m'arrangeait bien que les morceaux dont j'ai rien à foutre soient tous bien regroupés. La coda, pliée en deux temps, trois mouvements, semblait me le confirmer, Keith avait torché ça pour avoir les critiques dans sa poche et que la maison de disque puisse placarder un sticker ronflant sur la pochette.
Sauf que je me suis fait baiser, comme on devrait tous se faire baiser si Illusion passe en radio. C'est du venin à assimilation lente.
Ah, les rocks tiennent bien la route, eux aussi. Pas très nombreux, ce qui évite les redites fatales à la seconde face de Main Offender. L'enchainement de Heartstopper, avec son gimmick de piano malin comme un singe, et Amnesia est impeccable, mais globalement le disque charme plus par son aspect rustique et son authenticité qu'il ne cherche à secouer par une quelconque urbanité qui ne pourrait que sonner affectée. Crosseyed Heart n'est pas un leurre, il chope Keith Richards à ce moment de sa vie, en promenade dans sa forêt du Connecticut, au milieu des bois humides et des odeurs du temps qui se fige. Une respiration suspendue dans un monde qui va trop vite. Je signe.
Hugo Spanky